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Les contes de fées m'ont toujours passionné. Ces histoires d'amour à l'eau de rose, où tout finit toujours bien pour les deux amants. Toute la magie d'un monde qui n'existe pourtant pas, toute cette fantaisie que nous cherchons désespérément notre vie entière. Cette quête du surnaturel qui fascine petits et grands depuis des centaines d'années, et qui semble promettre un avenir exceptionnel et hors du commun. Le mythe des âmes-sœurs, des fantômes ou des sirènes, des fées et des petits bonhommes des forêts. Tout un univers que l'on ne retrouve que dans les livres et les histoires d'enfants, devenant hors de portée à mesure que l'on grandis. J'ai toujours rêvé d'une vie dans ce genre-ci, une vie où tout semble possible. En résumé, une vie qui m'est interdite. Le rêve n'a pas sa place lorsque l'on devient adulte, le surnaturel a toujours une explication rationnelle, et on laisse aux enfants le monopole de ce genre de croyances, convaincus que la vie leur fera comprendre bien assez tôt que rien n'est comme ça ici, dans ce monde.
C'est avec ce genre de pensées que je déambule dans la forêt près de chez moi, flânant à l'ombre des grands arbres en me cachant de la chaleur cuisante de cet après-midi d'été. Mes écouteurs sont vissés dans mes oreilles, laissant les chansons défilées au gré de mes envies. Je respire un grand coup et ferme les yeux. Je stoppe ma marche un instant, laisse la brise parcourir mes jambes nues, et un vague sourire s'accroche à mes lèvres alors que je profite de ce calme si paisible. La verdure des arbres est si claire et si brillante, des fleurs de toutes les couleurs jonchent le sol jusqu'à perte de vue et les oiseaux chantent un langage que seul eux comprennent. Le champ que je peux apercevoir à gauche ondule ses brins de blé selon l'envie du vent, créant ainsi un mouvement de vague complètement hypnotisant. Je continue ma route sans prêter attention au temps qui passe.
Je connais le chemin par cœur, la destination de l'entièreté des petits chemins sinueux de ce bois n'ont aucun secret pour moi. Je marche sans but précis, je dirais plus à la recherche d'un endroit pour me poser un moment. Mes pieds me guident plus que je ne les commandent, et les arbres défilent devant mes yeux en se ressemblant tous. Je pourrais presque prédire quand et quel détail du paysage diffère un peu de la monotonie de la forêt tant je suis venue ici. Rien n'a changé et rien ne changera beaucoup même après ma mort, et sûrement même après des centaines d'années. Les arbres ont cette chance de grandir à l'infini et pratiquement pour toujours si l'Homme ne les coupaient pas pour usage purement personnel et dans un but égoïste. Cela étant, l'Homme n'est que de passage et la nature rira bien de nous lorsque nous finirons par nous autodétruire. L'Homme est le pire ennemi de l'Homme, n'est-ce pas ce que l'on dit généralement ?
Je souffle bruyamment et écarte d'un geste de la main ses pensées négatives. Je suis enfin au calme pour un moment, pas la peine de me gâcher l'instant avec des réflexions si pessimistes. Je ferme les yeux une nouvelle fois et me concentre sur les sensations de ce qui m'entoure sur mon corps et mon esprit. Je reprends mon pèlerinage d'un pas plus motivé et regarde une nouvelle fois autour de moi. Je me stoppe net à la vue d'un chemin partant vers la droite. Il est minuscule, tellement étroit que je ne suis même pas sûre que l'on puisse qualifier ça de chemin. Tout le long de celui-ci, nombre d'orties et de grandes herbes obstruent le passage, m'empêchant de voir où est-ce qu'il mène. Aucun souvenir de l'avoir déjà exploré ne me reviens, et pourtant Dieu sait que ma mémoire ne me fait pas souvent défaut. Il est si discret, peut-être ne l'avais-je jamais vu avant qui sait ?
Non c'est impossible, tu passes par là des dizaines de fois par mois et tu ne le remarquerai que maintenant ?
Peut-être l'ai-je simplement oublié, malgré le fait que je sois certaine de connaître cet endroit comme ma poche ? Ou bien j'ai très certainement dû voir où est-ce qu'il menait et avoir trouvé cela tellement barbant que j'en ai oublié l'existence. Oui, ça doit être ça, pas besoin de se prendre plus la tête. Fais toi un peu plus confiance enfin. Je décide alors de reprendre ma route d'un pas hésitant, en laissant derrière moi ce passage. Je marche plus lentement, en réfléchissant, fouillant dans ma mémoire à la recherche d'un quelconque souvenir de cet endroit. Pourquoi est-ce que je me prends tant la tête là-dessus ? Ce n'est qu'un énième sentier menant très certainement à un cul de sac ou à une petite rivière sans intérêt. Et pourtant, je n'arrive pas à me débarrasser de ce doute. C'est plus fort que moi, l'intuition que ce passage n'était pas là avant me gêne bien plus que je ne veux l'admettre. Mes pieds tournent d'eux-mêmes. Merde. Lorsque j'ai un doute il me faut vérifier, c'est vital. Je cours dans la direction de ce qui me cause tous ces tracas, et ne le voit pourtant nulle part. Je tourne et retourne, mes yeux allant d'un bout à l'autre de la zone où je l'ai aperçu en vain. Incapable de le voir, mais quelle ironie. Je dois être folle, il n'y a rien d'autre qui puisse expliquer ça. Il n'y a pas de sentier parce qu'il n'y en a jamais eu, qu'elle idiote. Je ris seule, mon rire s'élevant au milieu du chant des oiseaux et s'éteignant après quelques secondes d'écho. Je m'apprête à m'en aller et pourtant, quelque chose attire mon attention. Il est là. Celui que je pensais avoir rêvé. Il est juste là.
Parfait.
Je m'engouffre donc dans tout cet amas de verdure, presque impatiente. Les ronces me griffent les jambes, ma robe blanche m'arrive certes en dessous du genou mais n'empêche pas les plantes de me toucher. Mes bras ne sont pas épargnés non plus, seules mes épaules ont un peu de répit grâce aux manches qui les cachent. Ma poitrine est elle un peu à découverte mais n'est pas atteinte par les ronces qui se contentent de s'accrocher dans les tissus de ma robe. Je serre les dents et écartent les feuillages qui me bloquent la vue. Je sens des écorchures s'installer sur ma peau à mesure que je m'enfonce. Je ne suis définitivement jamais venue ici ; rien en ces lieux ne me rappelle quelque chose. A mesure que j'avance plus profondément dans tout ce merdier, des branches viennent crée un ombrage au-dessus de ma tête, m'empêchant de regarder précisément le ciel. Le chemin n'en est maintenant plus un, mais ressemble davantage à un tunnel. L'impression que mon calvaire n'est pas près de se terminer s'insinue en moi, et je viens presque a regretter ma décision.
Au bout de ce qui me paraît être des heures, les buissons et autres plantes semblent finalement désépaissir. Le tunnel quant à lui s'élargit un peu, me laissant un peu plus d'espace pour me déplacer.
J'aperçois finalement quelque chose à travers les derniers feuillages que j'écarte et reste tout simplement bouche bée.
Mais comment est-ce que j'ai fais pour ne jamais remarquer pareil endroit ?
Ce qui s'élevait devant moi était tout simplement immense. Impossible de le voir avant à cause de ce tunnel, mais celui-ci devait s'étendre sur des kilomètres pour camoufler au fin fond de la forêt pareil lieu. La stupeur est encore plus grande lorsque je remarque qu'il n'y a aucun signe de vie humaine, aucun graffiti, rien. Il est comme figé dans le temps, splendide et intimidant.
C'est un château. Ou plus précisément, ce qu'il en reste. Il se tient là, indifférent au temps qui passe, au beau milieu d'une clairière à l'herbe si haute que toute tentative pour la couper est à première vue impossible. De gigantesques arbres de part et d'autre de la clairière s'élèvent, majestueux. Leurs feuillages tombent doucement sur la seule tour du château encore debout, et camouflent partiellement la bâtisse. Il est alors grandement à l'ombre, et les trous dans les branchages laissent passer de petits rayons de soleil qui subliment l'endroit. Un escalier recouvert de mousse verte mène directement à ce qui ressemble à une porte d'entrée principale, qui semble en fin de compte être la seule et unique entrée du château. Certaines marches sont plus abîmées que d'autres, des pierres sont manquantes et d'autres ne sont pas très stables mais dans l'ensemble j'arrive sans trop de peine à gravir cet escalier. Du lierre grimpe les murs aux teintes légèrement passées et tirant sur le vert. Une fois devant l'entrée, je réalise qu'il n'y a aucune porte, du moins pas à proprement parler. L'embrasure de celle-ci a été habilement sculptée, de délicates scènettes sont représentées tout au long de la courbe que formait la porte à l'époque, d'en bas à gauche jusqu'en bas à droite. Je passe une main sur les saletés pour tâcher de mieux voir les dessins. Je ne suis pas douée pour situer les époques grâce à un style d'architecture particulier ; et lorsque je sors mon téléphone pour chercher sur internet quelques précisions, je me rends compte que je ne capte plus rien. Tant pis ; le cours d'histoire ce sera pour une prochaine fois. Je jette un coup d'œil à l'intérieur mai ma suis aveuglée par un rayon de soleil. Je porte directement une main à mes yeux, les protégeant ainsi un tant soit peu alors que je pénètre dans le bâtiment.
Encore une fois, j'étais subjuguée par la beauté de ce bijou d'architecture. Tout semblait comme au sortir d'un rêve. Je ferme les yeux et me laisse aller. Je peux presque entendre la musique qui était jouée à l'époque, douce valse entraînante qui ravissait filles et garçons en quête d'une aventure ou d'un brin d'amusement. Nombre de filles se sont faites inviter à danser dans cette pièce j'en suis certaine, et nombre de gens y ont trouvé un réel bonheur, même succinct. J'étais entrée dans une salle de bal. Une immense salle de bal, à la toiture si haute que ma nuque me faisait mal à force de me pencher pour la regarder. Élégamment travaillée elle aussi, dans une pierre blanche et polie incroyablement bien préservée. Elle était courbée sur les côtés et remontait de telle façon à former une sorte d'arche très fine, laissant un peu partout de grandes fenêtres qui devaient avant abriter des vitraux. Elles filtraient maintenant la lumière pour la laisser éclairer la pièce.
- C'est magnifique... Soufflais-je, bluffée
La verdure envahissait l'habitacle de partout, arrivant par les fenêtres et redescendant courir sur le sol. La mousse des pierres était moins abondante ici qu'à l'extérieur mais n'en restait pas moins très présente. Le sol lui, fait de dalles de pierres dont on pouvait deviner qu'elles, fût un temps, arboraient d'élégants motifs étaient fissurées par endroits. Cependant, le sol restait étrangement propre ; sans trop de lierre ou bien de cailloux tombés de la toiture. Je m'avance d'un pas hésitant au milieu de la pièce, et remarque à gauche un grand escalier gris ; sûrement blanc en dessous de sa couche de crasse. Je tourne ensuite ma tête et vois de longues et hautes colonnes placées tout le long du pan droit du mur. Elles semblent soutenir le toit courbé, et laissent entre elles assez de passage et de profondeur pour se déplacer comme bon nous chante. Je me rends compte qu'il y a l'exacte même chose sur le côté gauche, près de l'escalier. Je rends vers celui-ci lentement et prends le temps d'observer sa forme. Les marches sont larges et pas très hautes, et une immense rambarde noire sculptée dans le bois est pleine d'arabesques très fins. Je passe une main distraite sur celle-ci, m'émerveillant de chaque petits détails mis là exprès, placé de manière précise pour rendre le tout époustouflant. Alors que je grimpe les marches et à mesure que je prends de la hauteur, je comprends où est-ce que cet escalier mène. Il permet une vision d'ensemble de la salle de bal, puisqu'il est placé de façon à donner accès à une sorte de balcon en hauteur. C'est sur un petit couloir que mon trajet s'arrête, et alors que je m'accoude à la rambarde elle aussi faite de bois, j'admire l'étendue de l'endroit. Un muret de pierre étant dans la continuité de l'escalier m'empêche de tomber à la renverse, et alors que je l'enjambe pour me retrouver les deux pieds dans le vide, je ris. Je ris de cette incroyable chance que j'ai d'être là, je ris d'incompréhension face à cette scène surréaliste. Moi, pauvre fille sans histoire, me retrouve à moitié dans le vide, les pieds se balançant doucement sur la rambarde d'un balcon haut de 12 mètres, et de surcroit dans un château abandonné et semblant complètement inconnu du monde extérieur. Cela dit, maintenant que j'ai découvert pareil bâtisse dénué de vie humaine, je ne compte pas le crier sur tous les toits. Ce sera ma cachette secrète, mon antre dans laquelle je me retirerai lorsque la majeure partie de la population environnante commencera à me courir sur le haricot.
Je décide de redescendre de cette balustrade après un moment à laisser mes yeux parcourir chaque recoin de la pièce avec attention. Je m'assois sur la dernière marche de l'escalier, oubliant que ma robe blanche risque de se teindre d'une jolie couleur grise lorsque je me relèverai. Mes mains soutiennent ma tête, et mes bras reposent doucement sur mes jambes. Je ferme les yeux et souris.
- On dirait presque un conte de fées...
- Je te rassure, tout ceci est bien réel. Répond une voix grave qui résonne dans l'habitacle
L'écho n'a pas encore finit de se faire entendre que je me suis levée dans un bruit sourd en hurlant presque :
- Qui est là ?
Paniquée, ma respiration est haletante. Le silence me répond, froid. Un endroit désert, un endroit inconnu et dénué de vie humaine, tu t'es peut-être un peu emballée au final ma vieille.
- Montrez-vous, je vous ai entendu.
Toujours rien. Peut-être n'était-ce que mon imagination ? J'enlève mes écouteurs d'un geste sec et les fourrent dans mon petit sac en bandoulière sans vraiment regarder ce que je fais. J'ai besoin d'entendre clairement et distinctement.
- Ne vous moquez pas de moi, je sais qu'il y a quelqu'un. Vous avez vu une jeune fille se balader seule et vous pensez vous la faire c'est ça ? Essayez un peu pour voir.
Ma voix se veut confiante, mais je suis mortifiée. Tous mes sens me hurlent de m'enfuir maintenant, de courir sans m'arrêter, et de ne jamais me retourner. De partir vite, parce que le danger est peut-être imminent. Mon téléphone ne captant rien, je ne peux pas alerter la police ou n'importe qui d'autre. Mais je suis curieuse, mon cerveau me dit de rester, de faire confiance au hasard. La voix n'avait pas l'air méchante ou perverse, mais douce et suave. Je cherche au sol n'importe quel outil susceptible de me défendre. Je ne trouve qu'une pauvre pierre et un morceau de bois ; si c'est vraiment un agresseur je suis foutue. Ma curiosité me perdra un jour, c'est certain.
- Je ne comptais pas t'effrayer, tu m'en vois désolé.
Donc on oublie les formules de politesse si j'ai bien compris. Tant mieux, je trouve ça d'une hypocrisie... La voix est définitivement celle d'un homme, je dirais même celle d'un jeune homme. Difficile d'être plus précise, mon esprit n'a pas tous les connecteurs d'allumer. Mon esprit animal reprend le dessus à mesure que la situation s'éternise, et il devient compliqué de rester maître de ma raison. Tout ce que je peux rajouter en étant certaine, c'est que la voix venait de droite, dans la cavité sombre derrière les immenses colonnes de pierre.
- Il va falloir te montrer pour que je te crois.
Un long soupir s'échappe de l'endroit sombre, j'en déduis qu'il compte le faire, mais pas parce que ça l'arrange. Pour ma part, les tremblements qui habitaient ma main se font plus forts, et je tente tant bien que mal de conserver une attitude naturelle et confiante.
Le tableau qui se présente devant moi lorsque je vois ce qui sort de l'ombre me laisse simplement bouche bée.
J'avais prévu tous les scenarii malsains et glauques possibles et imaginables, mais rien ne m'avait préparer à ce que j'avais sous les yeux. C'était bien un homme, je ne m'étais au moins pas trompé là-dessus. Mais dieu, qu'il était beau. Il était comme une apparition divine au milieu du chaos, une véritable statue grecque qui aurait prit vie. Il semblait comme au sortir d'un conte de fées, luisant presque. Cela dit, peut-être était-ce son apparition soudaine qui me perturbait, mais on aurait dit qu'il était... un peu transparent peut-être ? Le terme ne me viens pas, alors j'oublie vite cette idée ridicule et me reconcentre sur la présence en face de moi.
La première chose qui a happé mon regard, ce fût ses yeux. Des yeux clairs, si clairs, pareils à deux billes émeraudes. Tellement de bonté, de douceur s'en dégageait, contrastant avec l'apparence presque animale de ses pupilles. Il étaient protégés derrière de fines lunettes rondes et sombres mais ressortaient pourtant incroyablement bien. De longs sourcils bruns soulignaient ses traits soucieux, et son long nez parsemé de dizaines de tâches de rousseurs était un tantinet plissé dû à la tête qu'il faisait sûrement. Une fine bouche aux lèvres minces finissait d'habiller le bas de son visage, son menton allongé et sa mâchoire incroyablement bien bâtie se fondaient à la perfection avec le reste. Ses cheveux de jais partaient dans toutes les directions, lui donnant l'air d'avoir vécu un réveil mouvementé. J'ai remarqué ensuite qu'il était vraiment grand, et très fin. Je regardais ses mains ; qui semblaient si fragiles. Elles auraient pu tout à fait convenir à une femme ; un mouvement un peu trop brusque et elles semblaient prêtes à se briser. Ses longs doigts étaient rougis, et la fine couche de peau qui recouvraient ses os faisait ressortir tous les contours de l'ossature. Pour finir, je ne pus réprimer un sourire lorsque je vis ses oreilles un peu décollées. Ce détail pourrait paraître anodin, et pourtant ça faisait tout. Le charme semblait être décuplé par 10 rien qu'avec ses petites oreilles et ses nombreuses tâches de rousseurs, qui couraient un peu partout sur le visage de cet inconnu. Évaluer son âge était maintenant une tâche facile, je dirais qu'il doit avoir aux alentours de mon âge, quelque chose comme 18 ans, ou peut-être un peu plus. Pourtant, son aura, ou toute autre façon de désigner l'impression qu'il dégage semble tellement âgé. Pas dans le sens de prise d'âge physique, mais bien dans l'aspect "sagesse". Il semble avoir vécu mille et une choses, vu des centaines d'endroits différents, rencontré des dizaines et des dizaines de gens. Ça se voit un tout petit peu sur son visage. Même si celui-ci se rapproche plus de celui d'un ange que d'un humain, ses traits sont tirés.
- J'ai quelque chose sur le visage ?
Sa voix me sort de ma transe d'une façon plutôt brutale. Le ton est presque accusateur, mais bientôt un léger sourire apparait sur son visage lorsqu'il comprend. Je crois qu'il m'a cramé mais tant pis je ne me cache pas, j'aime admirer les belles choses quand j'en rencontre, je le reconnais. Ses yeux font à leur tour ce que j'ai fais précédemment, et me scrutent de part en part. Je me sens complètement mise à nue, mais c'est de bonne guerre, c'est moi qui ai commencé.
- Non, rien je t'assure. Je suis simplement surprise.
Il sourit franchement, et quel sourire il a.
Une révélation me parvient alors, une impression sur laquelle je n'arrivais pas à mettre le doigt dessus depuis que je l'ai vu. Sa beauté est tellement différente de celle des gens de notre époque, même ses vêtements ne sont pas commodes. Une chemise blanche tirant sur le crème lui couvre es épaules ; elle semble assez épaisse. Il a ouvert les 2 premiers boutons du haut, laissant entrevoir une peau pale et claire. Elle semble un peu grande pour lui, et les manches lui couvrent presque ses mains. Un pantalon de costume noir et une ceinture de cuire de la même couleur font ressortir sa taille, et de jolies petites chaussures noires et vernies viennent parfaire sa tenue. Enfin, je remarque autour de son cou une longue chaine d'or, sur laquelle pend une médaille. Il la triture un peu, la prend dans ses mains sans pour autant la regarder, joue avec en la faisant glisser entre ses doigts, enroule la chaine autour de ses doigts, lâche tout et recommence.
Il semble comme sortit d'un autre siècle, c'est une beauté étrangère à notre monde actuel qui me fait face.
- Comment as-tu trouvé cet endroit dis moi ?
Il s'approche de moi, les mains dans le dos, d'un pas léger. Je recule alors d'un pas. Il est curieux, il n'y a pas de doute là-dessus. A la vue de mon mouvement -qui s'apparentait en fait plus à un réflexe stupide qu'à une sensation réelle de malaise-, son visage perd son sourire.
- Oh je suis sincèrement désolé, je ne voulais pas te mettre mal à l'aise. Mais je suis tellement intrigué que quelqu'un ait trouvé cet endroit que j'en perds mon sens de la politesse. Je suis Gabriel, heureux de te rencontrer.
Il se rapproche de moi, et alors que je me bats intérieurement pour rester en place et ne pas bondir 3 mètres plus loin, il attrape délicatement ma main et pose un léger baiser dessus. Mes joues brûlent presque instantanément, et je retire presque aussitôt ma main.
Son regard croise le mien alors qu'il remonte sa tête, et se retrouve illuminé par un rayon chaud du soleil. Ses pupilles scintillent, et la clarté de son vert ressort alors, plus pur et plus irréel que jamais. L'apport du soleil me permet de déceler de nombreuses variations de couleurs, et même une infime quantité de orange qui semble se cacher sous la couche de couleur. Il détourne le regard et se pince la lèvre ; c'est alors que je reprends mes esprits.
- Je... Je m'appelle Claire. Enchantée, Gabriel.
C'est à moi de lui offrir un sourire timide, plein de sincérité cela dit.
- J'ai trouvé cet endroit par hasard à vrai dire, j'ai remarqué ce petit chemin inhabituel en me baladant et j'ai décidé de voir où il menait. Ça n'a pas été du gâteau mais j'ai pu me frayer un passage parmi les ronces et les orties, et j'ai finis par atterrir ici.
Il hoche la tête, songeur. Ses yeux glissent sur mes bras et il semble alarmé. Alors qu'il s'apprêtait à parler, je passe une main sur mon épaule, comme pour effacer le passage de son regard. Je me retrouve avec la main parsemée de tâches de sang, et je comprends enfin. Une fois la prise de conscience passée, je réalise que c'est sûrement grâce à l'adrénaline de cette dernière heure que je n'ai pas ressenti de douleur. Peut-être une sensation désagréable de temps en temps, mais rien qui n'aurait pu m'arracher au spectacle que j'admirais. Je peste et réprime un cri en voyant le nombre de griffures que j'ai sur les bras et les jambes.
- Putain. Râlais-je.
En levant la tête vers Gabriel, je vois qu'il semble outré par ce juron.
- Claire il y a un petit ruisseau non loin du château, allons-y histoire que tu laves au moins tes plaies.
J'hoche la tête, plus concentrée sur la tâche d'éviter de tremper ma robe de sang que de soigner mes entailles. Il sort d'un pas pressé, jette un coup d'œil pour voir si je suis, et continue à marcher. La vue du sang semble l'avoir complètement affolé. Quel drôle de personnage tout de même. Tout s'enchaîne si vite ; toutes les commodités et politesses habituelles lorsque l'on rencontre normalement quelqu'un sont ici balayées d'un geste.
Rien dans cette rencontre, dans cet enchainement d'évènements n'a de sens, rien dans cette situation n'est normale. Il y a à peine 5 minutes je paniquais en pensant que Gabriel pourrait être un vieux pervers, et me voilà maintenant entrain de le suivre à travers une forêt pour aller me laver. Je fais confiance en un total inconnu qui pourrait tout à fait m'écarter du château pour mieux me cacher dans les bois quand il m'aura noyé. Je suis entrain de bafouer tout ce que ma mère me rabâche depuis que je sais marcher, qu'il ne faut pour rien au monde suivre des inconnus. Et qu'est-ce que je suis présentement entrain de faire pourtant ? Suivre un inconnu au visage d'ange. D'ailleurs, des gens aussi beaux ont forcément des tares ; personne ne peut ressembler à un dieu, être gentil et sincère. Tout ça cache quelque chose, il ne peut pas avoir aucune putain d'arrière-pensée.
- Tu veux me tuer c'est ça ?
Mais qu'est-ce qui vient de me prendre.
- Pardon ?
Il s'arrête et se tourne vers moi.
- Pourquoi es-tu gentil avec moi en plus d'être canon pensais-je alors qu'on ne se connaît ni d'Eve ni d'Adam ?
Il souffle et lève les yeux au ciel. L'aurais-je contrarié ?
- Lorsque que quelqu'un a besoin d'aide, il est évident que je me dois de faire quelque chose. Je ne voudrais pas que tes blessures s'infectent, tu pourrais tomber gravement malade.
Oh mon dieu, même sa façon de parler semble venir d'une autre époque.
- Alors tu ne veux pas me faire de mal ? Demandais-je penaude, commençant à culpabiliser d'avoir parler.
On n'accuse pas les gens de meurtre sans preuve Claire enfin. Je vais pas me reprocher de rester sur mes gardes, mais j'avoue y aller peut-être un peu fort. Il n'y a de prime à bord aucune raison qui puisse le pousser à vouloir me blesser. Il a surtout l'air de vouloir apprendre à me connaître, et comme une idiote je suis simplement entrain d'installer un froid entre nous. Est-ce que je ne ferais pas mieux de partir ?
- Quelle idée. Jamais je ne toucherai une femme de cette manière, jamais.
Il balaie mes questions d'un geste de la main, et je vois dans son regard qu'il est blessé. Ses yeux me transpercent, il fronce les sourcils et reprend la route.
Pour ma part je n'avance pas tout de suite. Rien ne m'affirme qu'il ne me ment pas, rien. Il pourrait avoir menti de la sorte des dizaines de fois, rien ne me prouve qu'il n'est pas un excellent acteur. Et pourtant je finis par le suivre. Je cours un peu, le rattrape. Je suis sûrement entrain de faire une connerie, je risque de regretter cette situation, je le sens. Mais je ne peux m'empêcher de penser qu'il n'est pas mauvais, je l'ai vu dans ses yeux.
J'y lis comme dans un livre ouvert, la totalité de ses émotions peuvent être lues rien qu'en plongeant son regard dans le sien. Et ce que j'y ai vu tout à l'heure, c'était de la tristesse sincère. Il n'a vraiment pas apprécié que je l'accuse de pareille chose, et j'avoue m'être peut-être un peu emportée.
- Excuse moi Gabriel je ne voulais pas te blesser. Mais cette situation est tellement étrange, tellement irréelle je... J'ai du mal à y croire alors je voulais rester sur mes gardes. Balbutiais-je
Je marche maintenant à ses côtés. C'est drôle, je suis tellement proche de lui et pourtant, j'ai l'impression de ne pas pouvoir le toucher.
- Ce n'est rien, je comprends. Un parfait inconnu t'aborde dans un endroit complètement abandonné, il y a de quoi ne pas être à l'aise.
Je lève la tête pour chercher à voir son visage, et remarque qu'il me regardait déjà. Il détourne la tête et son visage s'éclaire alors.
- Nous y sommes.
Quelque chose comme une minute et demi devait s'être écoulé entre le moment où nous sommes partis du château, et le moment où nous sommes arrivés. Entouré d'arbres voutés formant une sorte de tunnel, le petit ruisseau coule au milieu des herbes hautes. Il s'écoule lentement, sans tumultes, calme et limpide. Je m'avance près de lui, m'agenouille comme je peux en évitant de glisser, porte mes mains en coupe et prends de l'eau. je l'apporte à ma bouche et bois goulument. Le manque d'eau commençait à me gratter la gorge, la bouteille d'eau dans mon sac étant vide depuis un moment. Je la sort d'ailleurs et m'attèle à sa recharge. Je la remplie jusqu'en haut, la rebouche et la remet à sa place. Je m'applique ensuite à essayer d'enlever le sang séché qui formait maintenant de longues trainées rouges sur toute la longueur de mes bras. Je frotte tant bien que mal, et mon équilibre est bancal. Par deux fois je me reprends à temps pour ne pas tomber en avant, mais comme on dit dans le jargon, jamais deux sans trois n'est-ce pas ?
- Dit Gabriel, demandais-je en même temps que je frottais frénétiquement mes avant-bras, et toi alors, qu'est-ce que tu fais ici ?
- Je viens souvent me vider la tête dans le coin, et un jour j'ai découvert cette ruine. Depuis, disons que je vis presque tout le temps là-bas. Sourit-il, apparemment heureux que j'ai posé la question
Il est tout près derrière moi, je vois son ombre cacher une partie de mes bras. Je relève la tête devant moi, et remarque que le soleil semble au zénith. J'en conclus qu'il doit être quelque chose comme midi.
Super, ça me laisse du temps.
- Tu as bien raison, cet endroit est vraiment sublime. Dis-je en me relevant Regarde Gabriel, je suis toute propre maintenant ! M'exclamais-je en riant
Je tourne sur moi-même pour accompagner mes paroles. Ma robe tourne doucement et prend un peu de hauteur. Seulement, je sens que l'un de mes pieds glisse dangereusement vers le bord de la terre. Mon corps se penche irrémédiablement en arrière, et je me vois déjà trempée jusqu'aux os. Je ferme les yeux par réflexe et prépare mon corps à rencontrer le contact froid de l'eau sur ma peau. Pourtant, rien ne vint. Aucun impact, aucune immersion, aucune goutte n'atterrit jamais sur mon corps. A l'inverse, une douce chaleur m'envahit plutôt, et une forte pression enserrait ma taille. J'ouvre alors les yeux, doucement, redoutant la vue que j'allais avoir, parce que je la connaissait déjà.
Il m'avait rattrapé. Comment ? Je ne le saurais jamais. Il devait avoir des réflexes surhumains. Il me maintenait fermement, ses mains autour de mes hanches sans pour autant descendre plus bas. Ses manières étaient irréprochables même jusque dans l'urgence, impressionnant. Il me retenait fermement et m'avait collé tout contre lui. Il était vraiment grand, ma tête n'arrivant pas plus haut qu'au niveau de son nez. Mes mains étaient enroulées et se rejoignaient en son dos, et ma tête s'était enfouie d'elle-même près de son épaule, dans l'espoir sûrement d'atténuer la douleur de l'impact que j'étais sensé recevoir. Comme c'était agréable comme position, et rien n'en était pourtant gênant. Je ne sais pas combien de temps on resta comme ça, dans les bras l'un de l'autre. Il semblait me tenir dans l'optique de ne jamais plus me lâcher, et l'impression qu'il n'avait pas eu pareil contact avec quelqu'un depuis un long moment ne me lâchait plus. Il me serrait tellement fort, comme si il avait peur que je le laisse, que je m'en aille. Il me voulait auprès de lui, du moins c'est l'impression que cela donnait. Je ne m'en plaignais pas. Il y avait longtemps que quelqu'un ne m'avait pas enlacé comme ça, avec autant de sincérité. A croire que nous avions besoin de ce moment autant l'un que l'autre. Combien de temps on resta comme ça, à profiter du confort et de la sécurité que l'autre offrait ? Je n'aurais su le dire. Longtemps, c'est certain. Plus que ce que les conventions ne voudraient, mais au diable les conventions. On ne les respectent pas depuis le début et ce n'est pas maintenant que je compte les appliquer. Je sentais vaguement son souffle chaud contre mes cheveux tandis que j'humais son parfum. Il sentait le cèdre, et très légèrement la cannelle. Oh comme j'aime ces odeurs, comme elles me réchauffent le cœur lorsque je ne vais pas bien. Je ferme les yeux et me laisse aller aux bruits qui m'entourent. Je souris doucement lorsque j'entends les battements irréguliers dans sa poitrine, qui tambourine contre ma joue à une allure folle. Le jeune homme serait-il incapable de se contrôler ? Cela dit je ne ferais pas trop la maligne, sachant que j'entends mon cœur battre à un tel rythme que je me suis presque demandée si il n'allait pas finir par sortir de mon corps.
Qui s'est décroché de l'autre en premier ? Je ne me souviens plus. La notion du temps et des choses m'avaient été, le temps de cet enlacement, complètement inconnus.
- Merci beaucoup Gabriel. Me contentais-je de souffler, le regard vissé dans le sien
- Alors, je suis toujours à tes yeux un affreux personnage décidé à te tuer ? Demande t-il, une lueur espiègle dans les yeux
- Mmmh... Laisse moi réfléchir... Peut-être bien.
- À titre d'information Claire, il se rapproche de moi en se penchant simplement et souffle dans le creux de mon oreille si j'avais vraiment eu l'intention de te tuer, tomber comme tu l'as fait m'aurait grandement simplifier la tâche.
Je reste bouchée bée, plus à cause de son souffle contre mon oreille que de ce qu'il a pu dire. Quoique, même ça n'était pas très rassurant. Il rit aux éclats, et je finis par le rejoindre.
Nous remontons tranquillement vers le château, discutant sans revenir sur cette étreinte hors du temps. Mes bras vont mieux et le sang a arrêté de couler, enfin. Ma robe un tantinet mouillée bouge au rythme de mes pas, et mes cheveux bruns noués en une tresse dansent dans mon dos à mesure que j'avance. Il me montre des tonnes de choses qui ont envahis le jardin avec les années. Il me raconte que d'après ses estimations, les chênes qui habillent le château datent du 16ème siècle minimum. Un papillon me file sous le nez, et il me donne en riant le nom latin et commun de cette race d'insecte. Le soleil réchauffe ma peau, et quel sentiment agréable. On s'arrête un moment tous les deux, la tête penchée en direction de la chaleur en fermant les yeux. On ne parle pas, on profite simplement de la présence de l'autre et de ce qui nous entoure. J'essaye de sentir chaque petite chose dans chacun de mes sens, autre que la vue. Les odeurs, les sons, les sensations, le goût de l'air et de ce qui m'encercle. Comme il est bon de simplement profité d'une journée chaude d'été, tout droit sortie d'un conte de fées, d'une histoire que je lisais enfant. Je finis pas rouvrir les yeux, et tourne doucement ma tête vers Gabriel. Il a toujours les yeux fermés, alors j'en profite pour le regarder un peu. Il sourit un peu, laisse son corps retomber en arrière, passe une main distraite dans ses cheveux histoire de les recoiffer ou bien de les décoller de son front. Il a l'air de pleinement apprécié le moment, et je ne peux m'empêcher de sourire à mon tour.
Nous finissons par reprendre notre route et gravissons les marches de l'escalier mousseux pour atteindre l'entrée, entrons, et nous affalons par terre en soufflant.
- Dis moi Gabriel, elle ressemble à quoi ta vie ? Demandais-je en m'allongeant entièrement par terre dans la salle de bal, les mains derrière la tête
- Pas à grand chose à vrai dire. Rien de bien fascinant.
- C'est pas grave, raconte la moi quand même.
- Non. Je te promets qu'elle n'a rien d'exceptionnelle Claire.
- Aurais-tu quelque chose as cacher par hasard ? Dis-je en riant
Le silence qui accompagne ma question me confirme que lui, a prit ma blague au sérieux. Il a définitivement quelque chose à cacher. Mon cœur s'emballe à toute vitesse et mes doutes reviennent à la charge. J'essaye de rationaliser. Chacun a ses secrets, son petit jardin intime. Rien ne presse de les découvrir, je ne le connais que depuis une heure après tout. L'impression que le temps nous est pourtant compté me frôle une petite seconde, mais disparait bien vite. Je l'entends ouvrir la bouche pour s'apprêter. à parler, mais je l'interromps. Hors de question qu'il me raconte sa vie s'il n'en a pas envie, je préfère attendre le temps qu'il faut pour qu'il me la raconte de plein gré.
- La mienne n'est pas dingue non plus tu sais. Je la passe pratiquement entièrement à rêver. Ça me permet de m'évader. À vrai dire, tout moyen qui me permet de sortir un peu de la réalité me convient. Alors j'écris, je dessine, je peins, je fais du sport, je vois des gens, je lis, j'étudie. Tout ce qui me garde concentré et occupé me va très bien. Je ne demande qu'à ne pas trop être seule et sans rien à faire, je me retrouve sinon à trop penser, et ça me stresse. Déblatérais-je en regardant le plafond
Mon écho meurt contre les parois encore debout du château abandonné, et le silence finit par dominer la salle.
- Claire.
Son ton est sérieux. Je n'ose pas le regarder, alors je me concentre sur les détails de la structure du toit. Ma respiration est saccadée. J'ai peur de ce qu'il va dire.
- Oui Gabriel ?
- Promets moi que tu ne t'en iras pas. Promets moi que tu ne me laisseras pas.
Sa voix est suppliante, tremblante. Il a peur, réellement peur.
- Je te le promets.
-Regarde moi dans les yeux et promets-le moi, s'il te plaît.
Je me relève lentement en prenant appuis sur mes mains. Je me tourne en face de lui. Il me fixe, et je peux lire dans son regard toute la détresse et le courage que ça lui demande.
- Gabriel, tu n'as pas à te sentir obligé de quoi que ce soit, je comprends tout à fait que tu puisses... Commençais-je
- Promets-le moi Claire.
- Vraiment Gabriel, ne me dis rien si tu n'en as pas envie je...
- Claire tu ne saisis pas. Je voudrais ne rien te dire, crois moi. Il fait une pause, hésite, secoue la tête et se reprend. Mais je ne peux pas te mentir, ce serait contre mes valeurs. Il me faut te le montrer, il me faut te le partager. Tu le découvrirais sinon d'une mauvaise façon et ça ne ferait qu'empirer la situation.
Je le regarde. Il ne rigole plus. Toute trace de plaisanterie a disparu de son visage. Il est fermé, sérieux. J'ai peur d'avoir fait une bêtise, et mes doutes viennent tordre mes boyaux.
- Je te le promets,Gabriel. Je ne partirai pas, quoi que tu me dises.
Il souffle, soulagé. Et pourtant, ses yeux ne perdent pas de leur inquiétude.
- Approche toi s'il te plaît.
Je me lève, marche vers lui, m'assois et rabats ma jupe sur mes cuisses. Il me fixe, et je suis si proche de lui que je peux sentir son souffle contre ma joue.
- Gabriel j'ai peur.
- Moi aussi Claire.
Ça ne me rassure pas des masses. Je me rappelle cependant l'état dans lequel tout ceci le met, et je me promets que, quoi qu'il m'en coûte, je tiendrais ma promesse. Peut importe ce qu'il m'annoncera, je resterai, lui prendrais la main et le rassurerai. Je ne peux pas le laisser après un telle démonstration de sa faiblesse.
Mes questions se multiplient, pourquoi, pourquoi, pourquoi. Pourquoi me faire confiance comme ça, se montrer sous un tel angle devant une presque inconnue ? N'a t-il rien à perdre ? Comment peut-il être sûr que je ne me moquerai pas ?
- Prends ma main s'il te plaît Claire.
Je la saisis, et vois seulement maintenant à quel point il tremble, à quel point il est effrayé. Il ressemble tant à un enfant en cet instant.
- Je suis fait de chair et d'os pas vrai ?
Il sourit tristement. Son regard s'assombrit, et il baisse la tête à mesure que sa main échappe à la mienne. Pas parce qu'il l'enlève, non. Mais parce qu'elle disparait, elle n'est plus qu'une image floue et sans consistance. Sa main m'échappe parce qu'il n'y a pas de main. Je la traverse maintenant, ma main qui tenait il y a à peine une seconde la sienne se retrouve privée de celle-ci. J'essaye de l'attraper mais rien y fait. Je balaye du vent, de l'air, un mirage, une image. Elle se distord à chacun de mes gestes, je peux la traverser, la faire disparaitre, mais je ne peux pas la toucher.
- Comment est-ce possible... Soufflais-je, laissant reposer ma main mollement sur ma jambe
Je lève les yeux dans l'attente d'un sourire rieur de Gabriel qui me dirait que par je ne sais quel truchement ce n'est en réalité qu'un simple tour de magie débile, mais non. C'est en le voyant que je comprends enfin. Gabriel n'est pas humain, Gabriel n'a pas de consistance physique parce que Gabriel n'existe plus depuis longtemps. Je n'ai à faire qu'à une image, une projection de ce qu'il était, avant.
Parce que Gabriel est un fantôme.
Je peux voir la rambarde de l'escalier au travers de lui, vaguement certes mais je la vois. Je joue distraitement avec son corps fait d'une sorte de fumée colorée. Je passe doucement une main au travers, essayant d'attraper quelque chose que je n'atteindrai jamais.
- Je suis désolé.
Sa voix craque dans un grondement sourd. Il pleure. Je distingue ses larmes traverser le verre de ses lunettes pour finir par s'écraser en une fumée fine sur ses genoux. Ses épaules tremblent légèrement, et lorsqu'il me regarde, son visage est défiguré par la douleur et le tristesse.
Rien ne me l'indique, rien. Mais je crois qu'il a enfin compris pleinement ce qu'impliquait sa condition de fantôme. Il se rend maintenant compte qu'être ce qu'il est implique de ne pas pouvoir être touché ni pouvoir toucher, qu'une vie normale au milieu des gens est impossible. Mais par dessus tout, je crois que Gabriel a compris que ça me terrorisait.
À mon tour pourtant, des larmes commencent à sillonner mes joues. Je ne peux pas les retenir, c'est plus fort que moi. Je pleure parce que je suis effrayée, parce que je ne peux pas m'enfuir. Je n'ai ni la force ni le courage de me lever et de partir en le laissant seul, pour je ne sais combien de centaines d'années encore. Parce que je me connais par cœur. Si je pars maintenant jamais je ne reviendrai, et je le condamne alors à errer ici en sachant que j'ai brisé sa promesse. Je pleure parce que je suis tellement triste d'avoir été dupée, alors que mes intuitions étaient correctes. Tout était trop beau pour être vrai, tout. Mais je pleure aussi parce que le voir dans cet état me déchire ; il ne mérite en rien tout ça. Il est si gentil, comment ça a pu arriver ?
- Tu n'es pas partie Claire ?
Il semble étonné, soulagé, heureux. J'ai fais le bon choix.
- Mais non idiot, je t'ai promis que je resterai, et je tiens toujours mes promesses. Dis-je en souriant faiblement
J'enlace son corps et suis surprise de sentir une étreinte qui m'est retournée. Il me prend dans ses bras, Gabriel me touche. Je le touche partout, prends son visage dans mes mains; le force à me regarder. J'essuie ses larmes, caresse son dos, regarde si ce sont vraiment ses jambes, je touche ses épaules, ses bras, je passe une main sous sa chemise et touche son torse. Je dois rêver. Il y a 2 minutes je le traversais, et voilà que maintenant je peux le toucher.
- Gabriel regarde c'était un malentendu ! Je peux te toucher, tu es bien vivant regarde !
Et alors que je l'enlace, son corps disparait de nouveau. Je le traverse, impuissante, et finis par enlacer le vide. Je respire fort, mon dieu je vais étouffer.
- Gabriel c'est quoi ce bordel. Je pouvais te toucher il y a à peine 5 secondes, que s'est-il passé ?
- Claire enfin, ça ne va pas à une fille de jurer comme ça. Souffle t-il alors qu'il reprend consistance
Ses larmes cessent alors que les miennes doublent.
- Je m'en fous Gabriel, je m'en cogne de ma façon de parler. Pourquoi un coup je peux te toucher et l'instant d'après je ne rencontre que de l'air ? Demandais-je en hurlant presque
C'est à mon tour de trembler. Je suis prise de spasmes, mes mains ne peuvent s'empêcher de bouger toute seule. Les larmes coulent toujours dans un flot inépuisable.
- Claire ça va aller, calme toi tout va bien, je suis là.
- Non justement tu n'es pas là ! Paniquais-je
- C'est pas faux, mauvais terme. Je recommence. Tout va bien se passer, il faut te calmer. Je vais tout t'expliquer, je te le promets.
Voyant que je ne me calme pas, il pousse un juron. Je ris nerveusement. Il m'attrape les mains, et alors que je m'apprête à les retirer pour ne pas avoir à ressentir cette sensation désagréable de vide, je sens la chaleur les envahir. Je ferme les yeux, les rouvrent, et vois quelles sont encore là, bien vivantes, chaudes et réconfortantes. Je ferme les yeux, souris tristement et souffle un peu. Il est là. Peut-être pas totalement comme j'aurais aimé, mais il est là.
- Ça va mieux Claire ?
J'hoche la tête silencieusement alors que mes yeux maintenant ouverts l'admirent un peu.
- Je ne sais pas comment c'est possible, mais je peux me rendre physiquement vivant. Cela dit, en dehors d'un certain périmètre je perds ma consistance. Je ne peux pas non plus aller plus loin d'un kilomètre de diamètre autour de ce château. C'est pour cela que tu peux me voir, et me toucher. M'explique t-il calmement en séchant mes larmes d'une main délicate
- Quel âge as-tu Gabriel ? Demandais-je curieuse
Alors qu'il compte sur ses doigts, je reprends petit à petit mes esprits. Selon mes estimations il ne doit pas avoir plus de 20 ans, alors pourquoi met-il autant de temps à me donner une réponse ?
- 300 ans.
Je reste béate. Tout s'explique alors à une vitesse fulgurante, et mon esprit emboîte facilement les pièces du puzzle. Quelque chose clochait bien, et je le savais depuis le début. Sa façon de parler, ses vêtements, ses manières, son accent. Mais surtout, tout ceci explique cette fatigue et cette vieillesse que j'avais intercepté dans son regard. Si il a 300 ans, il a donc vécu au 18ème siècle ? Mon dieu que ça me semble loin... Qu'à t-il pu vivre, voir que je ne serais jamais en mesure de connaître ? Comment était son monde, quelles étaient les mœurs de l'époque, les livres, la culture, les gens ?
- Seigneur, c'est pour ça que ta façon de parler est si soutenue... Et moi qui pensais que tu étais juste un peu coincé sur les bords. Plaisantais-je
Il fait la moue mais n'arrive pas à cacher son sourire.
- A vrai dire à l'époque je n'étais qu'un jeune paysan. Le maître de ce château a proposé à mes parents de me faire travailler comme valet de chambre alors que j'avais 12 ans. Ils ont tout de suite acceptés, j'allais rapporter un peu d'argent à ma famille tout en l'honorant. Dit-il avec une pointe d'amertume dans la voix
Je le regarde, admirative et concentrée. Je sais que je ne devrais pas avoir ce sourire sur les lèvres, mais c'est plus fort que moi. Cette époque est tellement différente de celle dans laquelle je vis, je ne peux qu'être curieuse. Mais lorsque je comprends que si son fantôme est lié à cet endroit, ça veut sûrement dire qu'il a péri ici, alors mon sourire s'éteint.
- Tu es mort ici, n'est-ce pas ?
- J'avais été convié à la grande fête qui se déroulait ici pour me remercier de mes bons et loyaux services au cours des années. J'avais soif, et j'ai confondu ma coupe avec celle de mon maître par inadvertance. Elle était empoisonnée bien sûr. Quelqu'un voulait la mort du seigneur, et j'en ai payé les frais.
Il marque une pause. Il fixe un point au loin derrière moi, et je me rends compte qu'il revit la scène à mesure qu'il me la raconte.
- Ça n'a pas été douloureux, et excessivement rapide. 5 minutes après la première gorgée, j'étais raide mort dans les cuisines. Je voyais les gens s'affoler autour de moi, me secouer, hurler mon prénom. Je leur disais que j'allais bien mais ils ne pouvaient bien sûr pas m'entendre.
Je lui attrape la main. Il se racle la gorge, puis reprend.
- J'ai erré des années ici, sans que les gens ne soient en mesure de me voir. Je voyais mon maître continuer sa vie, son nouveau valet le suivant toujours de près. J'ai vu tous les gens que j'aimais dans ce château vieillir puis mourir, sans n'avoir jamais revu mes parents. Lorsqu'ils ont appris ma mort, ils n'ont même pas voulu que je sois enterré. J'ai finis dans la fosse commune, oublié de tous.
- Mon dieu Gabriel mais quelle horreur...
- C'était une autre époque Claire, les gens côtoyaient la mort bien plus souvent qu'à votre époque.
Il me sourit tristement, et baisse la tête.
- Tu as tout de même revu des gens depuis, non ? Ne me dis pas que personne n'a jamais trouvé cet endroit en 300 ans quand même ?
Il me regarde et semble exténué. Il n'a jamais vu personne d'autre que moi en 300 ans de vie. Il est resté seul 300 ans, sans personne à qui parler. Il n'a jamais pu pleurer sa disparition avec quelqu'un, jamais pu raconter ce qui lui était arrivé, jamais pu pester de ce monde injuste avec quelqu'un d'autre que lui-même. Il a passé 300 années coupé du monde et de la vie, résigné à vivre sans contact. Comment a t-il pu ne pas devenir complètement fou ?
- Dorénavant je serais là Gabriel, tu ne seras plus jamais seul. Soufflais-je en le regardant
Je pose ma main doucement sur sa joue, et il me regarde enfin. Ses yeux brillent d'une lueur nouvelle, il a compris que je ne partirais pas. Il me tire vers lui et m'enlace. Ses bras me serrent tellement fort qu'il m'en coupe la respiration. Je ris et passe mes mains autour de son cou. Je sui tellement heureuse de voir qu'il va mieux, qu'il s'est ouvert à moi. Le choc est passé, et il n'est plus question que je fuis. Sa compagnie m'est si agréable, si protectrice. Il passe une main dans mes cheveux, et je sens son sourire naître.
Les heures qui suivirent furent magiques. Il me raconta sa vie d'entant, ses réussites et ses échecs, ses peurs et ses rêves. je lui promis que je ramènerai des livres par dizaines, puisqu'il a déjà lu une cinquantaine de fois chaque livre présent dans la bibliothèque du château, érigée dans une salle non loin de celle dans laquelle nous nous trouvions. Il m'a montré nombre de ses dessins, tous plus incroyables les uns que les autres. Les détails, le temps et l'énergie qu'il avait mis dans chacun d'eux étaient tout simplement incroyable.
- Tu sais Claire, quand on vit 300 ans seul on apprend à faire tout un tas de choses pour s'occuper, et le temps n'est pas ce qui me manque pour me perfectionner. M'avait-il dit en riant
L'attache que j'avais pour cet homme était sortie de nulle part. Je n'avais jamais si bien accroché avec quelqu'un, et en quelques heures seulement j'avais l'impression de le connaître depuis des années. Il m'avait complètement ensorcelée, et dieu sait que je ne m'en plains pas. Beau certes, mais son caractère allait de pair. parfois un peu prude sur les bords, mais toujours compréhensif. J'avais l'impression que cette rencontre allait bouleverser ma vie sur le long terme, plus encore qu'elle ne l'avait déjà faite. Rien au monde n'aurait pu me préparer à une telle situation. Je suis certaine que nous sommes tous destinés à rencontrer un jour une personne qui chamboulera tout. Quelqu'un qui remettra tous nos acquis en question, balayant d'un revers de la main toutes nos petites habitudes. Ces gens sont rares, et certaines personnes les ratent de peu, tandis que d'autres deviennent des gens heureux. Pour ma part, je pense que cette rencontre est arrivée, qu'il est celui que j'attendais. C'est rapide comme déduction, certes. Mais je ne peux exprimer ce que je ressens, je sais, c'est tout. Il m'a changé et me changera encore, cela va de soi. Et je pense sans prétention que je le changerai aussi. Nous étions faits pour nous rencontrer, j'en ai la certitude à présent. C'était une sorte de coup de foudre imminent, la rencontre de deux êtres de différentes époques qui se réunissent et sont destinés à se connaître, bravant les lois conventionnelles, mais bravant surtout le temps.
La nuit commence tranquillement à tomber, le soleil et sa couleur fondent en un joli orange flamboyant, et nous montons avec Gabriel l'escalier en courant pour rejoindre la grande fenêtre à l'étage. On s'y accoude un moment et admirons en silence le soleil qui tire sa révérence pour inviter la lune à entrer en scène. Je regarde au travers des branches de l'arbre qui camoufle partiellement la vue l'étendue immense de champs et de forêt qui nous fait face. J'admire chaque petit détail ; le mouvement des blés que la brise caresse, le chant des oiseaux qui se fait plus doux, les papillons voleter encore et toujours près des dizaines de fleurs entourant le château, les différentes couleurs que le ciel prend à mesure que le temps passe.
- Il va falloir que je m'en aille Gabriel, mes parents vont commencer à s'inquiéter. Je reviendrai demain c'est promis. Soufflais-je en continuant de regarder le ciel
Il pose sa main sur la mienne et la caresse tendrement avec son pouce.
- Reste s'il te plaît. Me demande t-il sans me regarder
Je réfléchis un peu ; mes parents ne remarqueront sûrement même pas que je suis partie. Ils ne sont pas compliqués avec ça, ils me laissent sortir généralement dès que je le peux. Pour être honnête je pense surtout que ça les arrangent de ne pas m'avoir dans leurs pattes, leurs boulots respectifs sont très prenants et très stressants et je pense être en âge de me gérer toute seule. Ça leur fait un poids en moins sur les épaules, et tout le monde est gagnant.
- D'accord.
Il sourit et je fais de même. Les minutes passent sans que ni l'un ni l'autre ne bouge. Finalement, Gabriel me tire doucement par la main et dévale l'escalier en courant. Il me tire si fort que je manque de tomber, alors il s'arrête en plein milieu de l'escalier, me regarde de haut en bas, m'attrape les jambes et me fais basculer dans ses bras. Je crie un peu, surprise, et enlace mes bras autour de son cou.
- Tu es tellement maladroite que tu pourrais tomber dans l'escalier. Regarde comme je suis serviable Claire, et comme ton prince charmant a de la force.
Il accompagne ses paroles d'un geste de bascule, en me montant et me descendant comme si je n'étais qu'un vulgaire sac à patates. Je ris aux éclats lorsqu'il manque de tomber à la renverse, et il finit par dévaler le reste des marches en me portant. Je fourre mon nez dans son torse et m'accroche fort à lui, et quand vient le moment de sortir de cette étreinte j'en suis presque triste. Comme je suis bien en sa compagnie, tout me paraît plus simple.
- Claire, lorsque tu m'as montré ton... objet magique là, cette petite fenêtre qui permet d'accéder à pleins de choses... Mince le nom m'échappe. S'énerve t-il
- Mon téléphone ?
- Oui, c'est ça. tu m'as dit qu'il pouvait par je ne sais quel truchement faire de la musique n'est-ce pas ?
- Tout à fait.
- Tu es certaine que ce n'est pas de la magie, que tu n'as pas pactisé avec dieu sait quelle entité pour obtenir un pouvoir pareil j'espère ? Demande t-il suspicieux
- La technologie est une sorte de magie accessible à tous si tu préfères. Elle permet nombre de choses différentes et fascinantes, et aucun risque de malédiction en l'utilisant.
Allez expliquer le concept de technologie à un fantôme.
- Tu m'apprendras à m'en servir ?
Ses yeux brillent de curiosité et je souris bêtement.
- Pourquoi pas.
Ça promet d'être fun.
- Pourquoi en as-tu besoin, tu veux que je mette de la musique ? Demandais-je
- Ça fait si longtemps que je n'en ai pas écouté, commence t-il penaud tu veux bien en mettre un peu ?
- Bien sûr Gabriel. Je vais mettre quelque chose qui ne te dépayseras pas trop de ce que vous aviez l'habitude d'écouter, je t'introduirais à la variété de notre époque une autre fois d'accord ?
Il hoche la tête en souriant et sautille presque sur place. Il est impatient d'enfin combler le vide de cet endroit, qui fût jusqu'alors la seule musique qu'il pouvait écouter.
Après plusieurs hésitations, je choisis finalement And The Waltz Goes On jouée par André Rieu et écrite par Anthony Hopkins (oui, oui, l'acteur) comme étant la première musique que Gabriel entendra depuis près de 300 ans. Je la démarre tandis que Gabriel est au comble de l'impatience et mets le son à fond dès que j'entends les premières notes. J'admire ensuite le doux visage de ce garçon fantôme changer du tout au tout. L'apaisement, la joie, la surprise et le bonheur figurent tous sur son visage, formant une harmonie parfaite. Il sourit comme un enfant, ses yeux s'écarquillent à mesure qu'il redécouvre le sentiment que produit l'écoute d'une musique, et je le vois bientôt fermer les yeux en se balançant d'un pied sur l'autre élégamment. Ses mains tressautent en battant la mesure. Il s'enivre de la chanson comme si il n'allait jamais plus pouvoir l'écouter, et jamais je ne l'ai vu si beau. Il rayonne, tout simplement. Il reprend vie, je le sens. Il redevient le temps de la musique un vrai homme, et je sais pour l'avoir observé que son enveloppe de fantôme à bien disparue, juste 5 minutes, pour lui faire le plaisir de redevenir humain.
Je cours vers lui et lui agrippe la main. Il ouvre les yeux, me remercie en silence en me souriant, m'attrape par les hanches pour me rapprocher de lui, et commence à me faire danser. D'abord surprise j'ai du mal à me détendre. Pourtant Gabriel danse si bien qu'en un rien de temps je m'habitue à ses mouvements fluides et délicats et finis par me laisser complètement aller. On tourbillonne au rythme de la valse, mes pas guidés par les siens. Mes membres ne m'appartiennent plus mais ne font qu'un avec ceux de mon cavalier. La musique nous emporte tous les deux, loin, très loin. Quelque part où les fantômes et les gens n'existent plus, un endroit n'appartenant qu'à nous. Il place son bras de sorte à me faire tourner doucement sur moi-même, me reprend par la taille et continue de bouger dans la salle de bal. La musique semble comme s'être diffusée partout dans la pièce, comme si les notes habitaient les murs, le sol, la moindre petite parcelle d'emplacement vide. Nos regards ne se lâchent pas un seul instant, je ne vois que lui et ses yeux hypnotisant tout le long de la danse. Il est dans son élément, c'est incontestable. On dirait presque qu'il a fait sa toute sa vie, qu'il s'est entraîné tous les jours juste pour ce moment, pour cette valse. La chanson passe si vite que nous en avons un goût de trop peu. Alors je la remets, encore et encore, inlassablement, toute la soirée. On ne s'arrête pas, ni l'un ni l'autre n'en ayant la force ni l'envie. Nous sommes happés par nos propres gestes, prisonniers d'un rêve que je ne veux jamais voir se terminer. La mélancolie me gagne, je regrette déjà ce moment alors qu'il n'est même pas finit. Les larmes piquent mes yeux et finissent par couler, silencieuses, discrètes, alors que je souris de toutes mes dents. Vivre pleinement à maintenant pris tout son sens dans mon esprit, et l'image que je me fais du bonheur sincère restera à jamais associé à cet instant. Comme il est divin, ce moment. Je vis mon conte de fées, celui que je rêvais d'expérimenter depuis que j'ai 5 ans.
Gabriel approche son visage du mien alors que je colle mon front au sien. Je sens sa respiration contre mes joues, ses cheveux se mêler aux miens, ses doigts enlacés dans mes mains. Nous fermons les yeux, et laissons nos pas contrôler la danse. Fusionnels sans avoir besoin de paroles, nous nous sommes compris. Je nous vois un peu comme les deux amants d'un roman, ceux qui ne peuvent pas finir ensemble. Le lecteur le sait, les amoureux le savent, et pourtant l'auteur trouvera toujours une façon de les mettre ensemble. Je suis sereine, on trouvera une solution.
La danse nous épuise, et bientôt notre valse ralentie. Au milieu de la salle de bal qui accueille la lumière de la lune et du ciel pas encore tout à fait sombre, je le regarde. Il prend mon visage dans ses mains, caresse mes joues, sourit une nouvelle fois, et nous admirons chacun les traits de l'autre, pour s'en souvenir un maximum. Il dépose un baiser délicat sur mon front qu'il fait durer un peu. On se détache bientôt l'un de l'autre, toujours les mains jointes cela dit. Quelque chose à changer dans le regard de Gabriel. Il semble enfin avoir retrouvé sa jeunesse d'antan, toute trace du passage du temps sur son visage semble envolée. Il est calme et serein, pleinement heureux. Je souris alors que nous partons nous reposer contre l'une des colonnes de pierre de la salle. Je glisse lentement par terre, épuisée par cette journée. Il me rejoint et me fait m'allonger sur ses jambes. Je peux le voir d'un autre angle, et passe une main distraite sur sa pomme d'Adam. Je le sens frissonner à mon contact. La position m'étant inconfortable au bout d'un moment, je me place entre ses jambes écartées et repose mon dos contre son torse. Je glisse ma tête lourde dans le creux de son épaule droite et ses bras viennent m'enlacer. Mes paupières papillonnent et je lutte pour ne pas m'endormir. Gabriel passe ses mains dans mes cheveux, m'embrasse le cou, remonte un peu, m'embrasse la joue, et finit par appuyer ses lèvres sur les miennes. Son cœur bat fort, le mien aussi. Je les sens pulser tous les deux dans une harmonie parfaite, et souris. Elles sont si douces, ses lèvres. Je veux les goûter encore. Je lève la tête pour les chercher, les rencontrent sans efforts, ris, et finis par me blottir dans ses bras. Je me laisse aller, j'ai confiance. Je suis plus en sécurité dans ses bras que n'importe où dans le monde, c'est mon petit abris où je ne risque rien. Mes yeux se ferment, et j'arrive à entendre la phrase que Gabriel prononce doucement dans mon oreille avant que je ne sombre dans un sommeil sans rêve.
- Reposes toi Claire, je veille sur toi. Je veillerai toujours sur toi.
Mon réveil est lourd, compliqué. Mon dos me fait un mal de chien et je suis gelée. Le sol n'est pas dur et froid comme j'aurais pu m'y attendre, mais chaud et me chatouille le visage. J'ouvre les yeux, péniblement. Je peux voir le ciel qui commence à prendre des couleurs, signe que l'aurore arrive bientôt. Les étoiles sont pourtant toujours là, brillantes et plus belles que jamais. Je me relève tant bien que mal, et mets du temps à m'habituer à la lumière. Je regarde finalement autour de moi et n'aperçois pas le château qui autrefois trônait au cœur de ce champs. Les arbres qui le bordaient non plus ne sont plus là, je suis juste seule dans une clairière. Où est Gabriel ?
- Gabriel ?
Le silence qui me répond est présage de quelque chose de mauvais.
- Gabriel où es-tu, j'ai peur.
Toujours rien. Je panique à mesure que je comprends. Je regarde partout, dans toutes les directions, mais aucune trace du bâtiment ni de Gabriel. Je cherche de longues minutes du regard, dans l'espoir idiot de le voir réapparaitre. Je frotte mes bras frénétiquement pour me réchauffer, mes dents claquent entre elles.
- Gabriel je t'en prie réponds moi, dit moi que tu n'es pas parti, que tu ne vas pas me laisser...
Ma voix chargée de sanglots se brise.
Il n'est plus là.
Il est parti.
Il me laisse seule.
- Tu n'es qu'un menteur...
Mon pied rencontre quelque chose qui se froisse un peu alors que je pleure comme une petite fille ; je l'attrape. Les larmes ne cessent de couler et elles me brouillent la vision. Une enveloppe scellée. C'est une lettre. Je sui prise de spasmes affreux. Je trouve à côté en laissant mes mains tomber au sol un petit objet. Je l'amène à moi et comprends que c'est un bijou. Une bague magnifique à la pierre verte, pareille à la couleur de ses yeux. La matière qui l'habille ressemble grandement à du fer et est d'un noir profond. De jolis arabesques pareils à ceux de la rambarde du château subliment le bijou et maintiennent la pierre en place. Je la glisse sur mon index et sens une grande chaleur me traverser, me donnant presque l'impression qu'elle m'enlace. Je sèche mes larmes qui, je suis sûre, finirons par reprendre dès que je commencerai la lecture de ces feuilles. Je décachète l'enveloppe lentement, redoutant ce que j'y trouverai. Je sors d'une main tremblante ce qu'elle contient, et avait bien raison. Ce sont des feuilles remplies de jolis caractères courbés, écrits très certainement à la plume et à l'encre. C'est très sophistiqué, très délicat, ça lui ressemble bien. Je commence à lire et les larmes inondent mon visage une nouvelle fois.
Claire,
Tu dors depuis une heure maintenant, et saches que je n'ai fais que t'admirer.
J'ai admiré chaque trait, chaque particularité, chaque infime partie de ton visage. J'ai gravé ton image dans ma mémoire pour m'en rappeler à jamais. Je te connais par cœur maintenant, et pourtant.
Dès que je lève les yeux et te vois, j'ai l'impression de te redécouvrir, encore et encore. Je le ferais des centaines d'années sans me lasser, si seulement le temps nous le permettais.
Comme j'aurais aimé passer l'éternité à tes cotés, ô comme il aurait été plaisant de vivre pour toujours avec toi pour seule compagnie.
Pourtant, je ne pourrais emporter avec moi que des souvenirs ; maudit que je suis. Ce château est comme mon fantôme, maudit. Voué à disparaître chaque jour passé minuit, et à réapparaître quelque part d'autre sur Terre, pour une durée maximale d'une journée.
Voilà ma punition, car tout pacte à sa contrepartie.
J'aurais aimé te parler plus en détails de ce qu'il en retourne, mais je vois déjà les contours du château s'estomper à mesure que nous approchons de l'heure fatidique.
Je peux juste te dire que je t'ai menti Claire, lorsque je t'ai dit ne pas savoir comment j'ai pu reprendre chair humaine. J'ai pactisé avec un démon, offert ma place au paradis contre une enveloppe charnelle dans l'espoir d'habiter ce monde pour toujours. Il y a 300 ans, j'étais assez naïf pour croire que la vie résiderait pour toujours dans ce château, que les sons des gens qui parlent résonneraient à jamais, que je ne serais pas seul. Je pensais pouvoir vivre au travers des gens qui vivraient ici, mais comme je me trompais. Je me suis fait dupé, et suis destiné à ne jamais trouver le repos, à me tourmenter l'esprit toute ma misérable existence, tout ça parce que la solitude m'effrayait.
Il est lâche de te laisser dormir paisiblement, toi qui ne te doutes de rien. Mais je ne peux me résigner à tout te dire en face, et voir la peine envahir ton visage.
L'heure n'est plus à la naïveté polie Claire, je me dois d'être réaliste. Je sais que tu pleurerai, et j'en ferai certainement de même. Mais ce n'est pas l'idée que je veux garder de toi tu comprends ?
Je veux que lorsque ton nom apparaîtra en ma mémoire, je ne me rappelle que de ton doux visage et de ce sourire si agréable qui te sublimait. Je ne veux me remémorer que ces beaux yeux rieurs que tu as, que ta fossette sur la joue gauche lorsque tu ris, que tes belles tâches de rousseurs qui parsèment tes pommettes.
Je couche sur le papier tout ce que je veux te dire, sans honte ni remords. Car vois-tu Claire, ceci n'est pas une lettre d'au revoir, mais bien une lettre d'adieux.
Jamais nous ne nous reverrons. Alors j'en profite pour te dire ce que j'ai sur le cœur une unique fois. Je n'ai jamais revu quelqu'un en 300 ans, tu es la seule et probablement l'unique personne que je ne rencontrerai jamais.
Avec toi j'ai pu me sentir vivant, chose que je n'ai pas été depuis des centaines d'années. J'ai eu l'impression, le temps d'une journée, d'être un jeune homme normal de 19 ans.
Je ne veux pas avoir de regrets, je ne peux pas avoir de regrets. Pas en sachant que je vivrai alors en ruminant toutes ces paroles non-dites pendant des milliers d'années.
Claire, ce que je m'apprête à faire est égoïste. Ça te brisera certainement plus que ça ne te réconfortera, j'en ai conscience. Mais je me dois de te le dire, alors excuse moi par avance.
Je t'aime Claire, dieu que je t'aime.
Je pense que j'étais prédestiné à tomber amoureux de toi. Rien ne peut expliquer pareille émotion, c'est simplement un fait. J'ai l'impression d'avoir rencontré celle qu'il me faut, celle que je pourrais aimer même jusqu'au fin fond des enfers.
Mais tout nous sépare Claire. Le moment, l'endroit, l'époque.
Le temps est joueur, et voir l'âme souffrir doit le rendre heureux.
Si seulement ça avait été a un autre moment, d'autres circonstances, si seulement nous n'avions pas 300 ans d'écart, si seulement je n'étais pas mort, si seulement j'avais vécu à ton époque. Tant de choses sur lesquelles je n'ai aucune emprise, tant de facteurs inconnus, tant de choses que je voudrais pouvoir changer.
Savoir que je ne te reverrai plus me détruis, et pourtant je ne peux m'empêcher de sourire niaisement. Je ressens enfin autre chose que de la nostalgie et de la tristesse, et pour ça Claire je ne te remercierai jamais assez.
Alors je t'en supplie, trouves toi quelqu'un de bien ; qu'au moins l'un de nous finisse heureux. Quelqu'un qui t'aimera de tout son être, quelqu'un qui saura t'offrir tout ce que je n'ai pas pu te donner.
Tournes la page rapidement, et ne pleures pas trop. La vie doit reprendre son cours inéluctablement, et regretter un fantôme ne te rendras pas la vie aisée.
Je ne te demandes pas de m'oublier, pitié ne le fais pas. J'aime l'idée que je traverserai de temps à autres ton esprit, et que j'amènerai sur ses lèvres que j'aurais tant aimé embrasser plus, un sourire mélancolique.
Je te glisse avec la lettre un petit présent. Je l'ai fabriqué à partir d'un morceau de ferraille de la rambarde sur laquelle je t'ai vu pour la première fois, et d'un petit fragment de mon âme.
La bague est taillée sur mesure à partir de ton index, et je l'ai ensorcelé pour que tu ne puisses l'enlever que si tu le veuilles, en prévention de toute perte éventuelle et accidentelle (c'est là le seul avantage que je n'ai jamais tiré de ma condition de fantôme, les infimes pouvoirs qui vont de pair).
Comme cela tu auras toujours avec toi un morceau de cet endroit et de moi, pour toujours te rappeler que cette journée était bien réelle.
C'était presque un conte de fées, tu ne trouves pas Claire ?
Il est temps pour moi de partir. Je vais aller t'admirer pour la dernière fois en déposant la lettre à tes côtés. T'ensorceler pour que tu ne te réveilles qu'au petit matin, emportée par un sommeil doux et agréable. C'est la dernière attention que je peux te faire, j'espère que tu apprécieras le geste.
Je veillerai sur toi pour le reste de l'éternité, j'en fais le serment.
Je t'aime, et ce pour le restant de mes jours.
Douce nuit mon amour,
Gabriel
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