J'appuie sur le bouton égal de ma calculatrice et recopie le résultat sur mon cahier. Mais j'ai un gros doute.

_ T'as trouvé trente-quatre aussi pour la question 2b ?

_ Non, quarante-six.

MinGyu se tourne vers moi. Il s'assoit toujours sur son bureau immense pour faire ses devoirs mais je préfère m'étendre sur son lit double. Quand nos regards se croisent, on soupire. On va devoir recommencer depuis le début.

_ On pourrait pas refaire juste des cercles au compas comme avant ? je râle. C'est devenu tellement chiant la géométrie.

_ Ouais mais faut bien passer par là si on veut construire des immeubles plus tard.

Parce qu'en plus d'avoir plein de points communs, on a le même projet d'avenir. Ça nous est venu quand on est allés visiter le salon des métiers il y a deux ans. C'était pour TaeHyung parce qu'il ne savait pas sur quoi s'orienter après sa dernière année de lycée. Même s'il avait encore toute une année pour y réfléchir, ses parents ont préféré l'emmener là-bas. Et j'étais de la partie. Bon, lui ça l'a pas aidé mais quand MinGyu et moi on est tombés sur le stand de l'architecte qui avait construit la nouvelle mairie, on a été éblouis. Depuis, on a qu'une idée en tête : devenir architectes à notre tour. MinGyu préfère créer des logements mais c'est pas trop mon truc. Je préfère les bâtiments plus hauts.

Alors on recommence l'exercice depuis le début et on trouve qui s'est perdu en chemin. C'est lui cette fois. Mais à la question d'après, c'est à mon tour de faire de la merde. Quand on passe enfin à l'exercice suivant, la porte de la chambre s'ouvre et ma bonne humeur revient.

_ Salut !

TaeHyung rentre et vient directement vers moi, le sourire aux lèvres, ce qui fait redoubler le mien.

_ Salut hyung, lui lance MinGyu.

Mon petit-ami vient non pas s'asseoir à côté de moi mais se jeter sur moi pour m'écraser de tout son poids.

_ Salut toi, me chuchote-t-il au creux de l'oreille.

Je suis content de le voir. Je suis toujours content de le voir. Mais là, il me coupe le souffle et c'est pas à cause de sa beauté. Même si je ne pourrais jamais lui en vouloir : il a parfois une façon bizarre de faire des câlins, c'est tout, et j'ai toujours trouvé ça mignon.

_ Tu sais que tu pèses plus lourd qu'une plume ? je lui lance, amusé.

_ C'est pas possible, sourit-il.

Mais au lieu de se dégager, il reste écroulé sur moi.

_ On a plein de devoirs. Et t'as pas un gros dossier à faire ?

_ Si mais...

Ses lèvres viennent chercher et trouver les miennes. Son baiser est tendre mais je sens qu'il sourit toujours.

_ J'avais besoin d'un peu de carburant.

Je ris puis l'embrasse à nouveau. Je sais bien que c'est niais mais on s'en est jamais excusés.

_ J'ai une surprise, ajoute-t-il.

_ Ah bon ? C'est quoi ?

_ Je vais pas te le dire, c'est une surprise.

Il éclate de rire à son tour en se relevant. Il nous lance ensuite un « bon courage » puis sort de la chambre. Je sais que je suis censé retourner à mes devoirs mais je suis trop curieux pour ça.

_ Qu'est-ce que c'est ?

_ Si tu crois que je vais bosser pour deux, me taquine MinGyu.

_ Mais non, je râle en levant les yeux au ciel. Sa surprise. C'est quoi ?

_ Aucune idée. Mais plus vite on finit, plus vite tu l'auras.

J'ai pas très envie de finir mes devoirs mais je sais bien que ma récompense m'attend. Alors je m'y remets et demande toujours à mon meilleur ami si mon résultat est identique au sien.

_ Ouais, j'ai ça aussi. Bon, enfin fini. On a un devoir d'Anglais pour la semaine prochaine, tu veux le commencer maintenant ?

_ Non, c'est encore un truc à la con et ça va me prendre la tête. On demandera de l'aide à Wonwoo hyung.

_ Ça me va, sourit-il.

_ Le contraire m'aurait étonné.

Ça fait des lustres qu'il a arrêté de rougir quand je parle de mon frère et je trouve ça dommage. J'aimais bien le taquiner là-dessus. Bon, y a toujours WooYoung à faire chier mais comme il est sorti avec son dieu humain hier soir, c'est moins drôle aussi. Il n'arrête pas de nous rabâcher que San est génial, que San a dit ceci, que San a fait cela. Avec YunHo, on hésite à l'étouffer dans son sommeil mais WonWoo hyung a dit que c'est plus difficile que ça en a l'air. Du coup, je compte sur YunHo pour trouver autre chose.

_ MingHao m'a invité à venir dormir chez lui ce weekend.

Mon attention repart illico vers MinGyu.

_ Chez l'écrivain ? je m'écrie. Trop bien !

Il est super riche. Genre encore plus que les Kim qui ont pourtant une maison avec piscine. Je suis bien placé pour le savoir.

_ Je sais pas si je vais accepter.

_ Pourquoi pas ? Tes parents veulent pas ?

_ Eomma a dit qu'il viendrait me déposer pour rencontrer l'écrivain et voir que tout était okay. Tu sais comment il est...

_ Ouais, beaucoup trop protecteur.

Mais c'est pourtant le meilleur cuisinier et le plus adorable des parents que j'ai rencontré.

_ Appa aussi a dit que ça serait sympa. Mais je sais pas trop.

_ T'as pas envie d'y aller ?

_ Je suis pas vraiment ami avec MingHao.

MinGyu baisse la tête, un peu gêné. Je comprends tout de suite pourquoi.

_ Ouais, il a plus envie de te mettre dans son lit que d'être ton ami.

Je souris en repensant à la façon dont le chinois appelle mon ami. Babe. Je trouve ça ridicule.

_ Il a déjà un petit-ami.

_ Je sais. Mais franchement, il est loin et je suis sûr que MingHao a ça en tête. Personne ne sait pourquoi il te colle mais il a pas l'air méchant. Je suis sûr qu'il va pas te violer.

_ Wow, merci, tu me rassures beaucoup.

Il le prend à la rigolade parce qu'on sait tous les deux que MinGyu sait se défendre. On fait du taekwondo une fois par semaine après les cours depuis des années et je l'ai déjà vu porter HongJoong plusieurs fois. En plus, MingHao a l'air vraiment gringalet à côté de lui. Je n'ai aucune inquiétude quant au fait que MinGyu ne mettrait que deux secondes à le mettre K.O si besoin.

_ Nan mais sérieux, si tu le sens pas, n'y vas pas.

_ Eomma pense que ça serait bien que je me trouve d'autres amis.

_ Sympa pour moi.

_ Non mais c'est pas ça. Comme toi, tu as TaeHyung et que HongJoong traîne un peu avec cet artiste maintenant, Eomma pense que c'est une bonne chose que MingHao veuille être mon ami. Ou plus. Et il a insisté sur le plus. Peut-être que... que je devrais tenter ?

_ Et mon frère alors ? je m'étonne, un peu outré.

_ Arrête, on sait tous que j'ai aucune chance. Il sait même pas que j'existe.

_ Faux, archi-faux !

Wonwoo hyung a peut-être souvent la tête dans un bouquin mais même quand il est concentré, il sait quand Mingyu est à la maison ou non.

_ T'as compris ce que je voulais dire. Tu crois vraiment qu'il va se réveiller un matin et accepter de sortir avec moi ? J'ai arrêté de rêver Kook.

_ Mais je t'ai dit qu'on était sur le coup les jumeaux et moi. Il va bientôt se réveiller, je te le jure.

_ Mouais... En attendant, je peux toujours traîner avec MingHao. En plus, il a l'air de parler à presque personne.

_ Il est pas facile à approcher non plus. Il fait aucun effort pour se faire des potes. À part toi.

_ Raison de plus pour accepter. Peut-être qu'il se sent seul.

_ Si tu veux lui tenir compagnie, fais-toi plaisir.

Je ne sais pas si c'est une bonne chose de l'encourager sur ce terrain mais s'il se sent prêt, je ne vais pas le contredire. Et je serais là pour le réconforter si ça se passe mal.

_ Parait qu'il a un jacuzzi, j'ajoute.

_ Je te dirais tout, promis.

_ Y a intérêt.

On se sourit puis on range nos affaires. Au revoir cahiers et manuels et à moi la surprise !

Le dos collé contre le buste de TaeHyung, j'attends qu'il lance l'épisode. Et j'attends surtout la surprise.

_ J'ai un cadeau pour toi.

_ Ah ! je m'exclame, enthousiaste.

Au moins, il n'a pas oublié. Il se penche sur le côté, ouvre le tiroir de sa table de chevet et en sort un paquet de chocolats fourrés aux noisettes. Mes préférés.

_ Trop cool ! Merci.

Je les accepte, ouvre le paquet et en mange directement un. Puis je me rappelle de lui donner un petit bisou pour le remercier correctement.

_ Ça, c'est une bonne surprise.

Je souris tout en mangeant et ça le fait éclater de rire.

_ C'est pas ça ma surprise.

Il dépose un baiser sur mon front et se ré-installe confortablement mais j'attends la suite en prenant un deuxième chocolat.

_ C'est quoi alors ?

_ Patience. D'abord un épisode.

J'en suis un peu déçu mais le laisse faire. Je me cale à nouveau contre lui, le paquet de chocolat entre nos deux torses. Juste en face de son lit, l'épisode se lance sur la télévision. Je trouve ça trop génial d'avoir une télévision dans sa chambre. Surtout parce que je sais que j'en aurais jamais dans la mienne. D'abord parce que ce sont les jumeaux qui ont récupéré l'ancienne, ensuite parce qu'on a pas l'argent pour s'offrir un tel luxe et surtout parce que WonWoo hyung deviendrait dingue. Mais de toute façon, tout ce qui l'empêche de lire le rend dingue. Et quand il devient dingue, il nous balance ses plus gros livres à la figure. Et je sais d'expérience que c'est dangereux les livres. C'est pour ça que je les lui laisse.

_ Mange pas tout, tu vas avoir mal au ventre après.

La voix tendre de mon petit-ami me ramène sur terre. J'en prends encore deux puis ferme le paquet et le lui tends pour qu'il le range. Il se replonge rapidement dans la série qu'on regarde mais j'ai la tête ailleurs.

_ C'est quoi la surprise ?

Le sourire amusé de TaeHyung m'éblouit. J'aime son sourire géométrique. Je le trouve magnifique quand il sourit. Il est beau tout le temps, malgré ses oreilles un peu trop grandes, mais quand il sourit, c'est une autre personne.

_ Après.

Je grogne. Je peux me montrer très patient pour certaines choses mais quand il s'agit de cadeau, j'ai tendance à vite devenir chiant.

_ Un indice ?

_ Chut. Regarde.

En fait, c'est de sa faute. S'il ne m'avait pas annoncé de surprise, je l'aurais laissé tranquille. Mais puisqu'il m'en a parlé...

Je me tourne encore plus vers lui et niche mon visage dans son cou. Du bout des lèvres, je lui fais de petits bisous et après quatre ou cinq, je l'entends gigoter.

_ Arrête.

Mais sa voix est joueuse alors je continue.

_ Sois sage.

_ Sinon quoi ? J'aurais pas ma surprise ?

Peu importe sa réponse, je continue à me coller encore plus contre lui et à lui faire des baisers dans son cou. Puis sa nuque, sa joue, son menton.

_ Kook...

Je passe mes mains sur ses hanches et rapidement sous son t-shirt. Je caresse la peau de son ventre, remonte sur ses côtes puis redescends jusqu'à ses reins. Et dans mon propre corps, je ressens le désir monter. Mon bas-ventre frétille. Je sens mon pénis se tendre, mon vagin s'émoustiller. Et sous mes doigts, les frissons que mon petit-ami ressent.

_ Dis-le si t'as plus envie de regarder.

_ J'ai envie de toi.

Mes lèvres trouvent les siennes, déjà entrouvertes, et le baiser devient vite passionné. Mais j'ai envie de plus. Ma langue vient titiller la sienne qui l'accueille pour jouer. Ses mains viennent se perdre dans ma nuque et mes cheveux et ça me donne le feu vert pour aller plus loin. Je fais remonter mes doigts le long de son dos et nos lèvres se séparent juste le temps de lui retirer son haut. Puis mes doigts redescendent en commençant leur chemin par ses épaules, ses côtes, ses hanches. Ses jambes s'écartent, viennent entourer mon bassin et son corps entier plonge un peu plus entre les coussins.

Je bande complètement mais un truc me perturbe. Lui, non. Pourtant à ce stade, il devrait bander autant que moi. Je sais par habitude qu'il a plus de sensation lorsque c'est moi qui le pénètre mais il jouit des deux côtés à chaque fois. Pourquoi ne bande-t-il pas ?

Je continue mon exploration. Mes lèvres redescendent dans son cou, lui mordillant le lobe de l'oreille puis le creux entre son cou et son épaule. Il soupire de plaisir. Je sais que c'est son point faible. Et c'est toujours là que je lui laisse un suçon. Je colle mon sexe étriqué sous mes vêtements contre le sien mais c'est toujours le calme plat. Et ça commence à m'agacer sérieusement.

Pendant que ma langue joue avec sa partie sensible et que mes oreilles ont l'agréable plaisir de l'écouter gémir, je passe une main sous son pyjama et son sous-vêtement. En premier pour palper ses fesses dont la peau est toute douce puis le haut de sa cuisse et je la ramène sur le devant. J'ai toujours en tête le schéma qu'on nous file en cours de bio quand je passe ma main entre les jambes de mon petit-ami. Je sais pas pourquoi. Ce cours m'a marqué. Et depuis que mon corps a changé par accident, j'y pense encore plus.

D'abord, je sens sous mes doigts les lèvres, ou scrotum, qui sécrètent les spermatozoïdes uniquement transmissibles par le liquide éjaculateur du pénis et qui longent et englobent notre appareil reproductif. J'ai toujours détesté ces termes scientifiques. Entre les deux, se trouvent le pénis au devant et juste derrière le vagin. C'est par le pénis qu'on urine mais les bébés sortent du vagin. Deux choses bien distinctes, chacun avec sa fonction propre.

Sauf que mon petit-ami a un truc qui déconne aujourd'hui. Je sens ses lèvres, je sens bien l'entrée de son vagin mais il y a les petites lèvres, bouts de peau difformes, au lieu de l'habituel pénis. Et là, mon corps entier se tend. En même temps, mon pénis se ramollit complètement.

Ça, c'est vraiment pas une bonne nouvelle. Parce qu'on sait tous que le pénis se rétracte, diminue et se transforme en petites lèvres lorsqu'une personne est enceinte. Soit-disant pour laisser plus de place au ventre qui accueille le bébé.

De mes propres yeux, je n'ai vu le phénomène qu'une fois. Sur mon propre corps. J'ai refusé d'y toucher si ce n'était pas nécessaire. Parce que je trouve ça immonde. Parce que j'avais l'impression de ne plus être dans mon corps, d'être coincé dans celui de quelqu'un d'autre. Ça m'a mis mal à l'aise et j'ai remercié Dame et Sir Nature quand mon pénis est revenu, intact. Je ne pensais pas qu'il aurait pu me manquer autant un jour.

Quand je me rends alors compte que ma main est toujours à un endroit inapproprié, je la rétracte en moins d'une seconde, comme si ça m'avait brûlé. Je lève les yeux vers mon petit-ami, priant intérieurement pour que ce soit un cauchemar et que je vais me réveiller.

_ Tae...

_ Surprise ?

_ Merde.

J'arrive pas à y croire. C'est ça sa surprise ? Et il pensait que ça allait me faire plaisir ?

_ Putain TaeHyung, c'est une blague ?!

_ Non...

Je ferme les yeux. À cet instant, je le déteste. Je crois même que jamais je ne l'ai détesté autant. Même quand c'était moi qui étais enceint. Parce que c'était une erreur et qu'on en fait tous. Mais là... Là, je sais que c'est différent. Parce que je sais qu'il voudra le garder.

Hors de moi, je sors du lit. Je ne veux plus le toucher, toucher ce corps que je ne connais pas et qui me répugne, qui m'angoisse. Il représente mon pire cauchemar. Je l'ai déjà vécu et je ne pensais vraiment pas le revivre un jour. Ou plutôt pas à peine quelques semaines plus tard.

_ Merde Tae, on peut pas le garder ! Je suis encore mineur et tu travailles pas. Tu crois vraiment qu'on peut le garder ? Réfléchis deux secondes enfin !

Il se redresse dans son lit mais je ne veux pas le regarder.

_ Kook, je...

_ Réveille-toi, merde ! Ça t'a pas suffi la dernière fois ? Tu crois vraiment que j'ai changé d'avis en un mois ? T'es vraiment pas croyable ! J'ai envie de t'étriper là.

_ Je ne...

J'entends sa voix encore plus proche de moi mais je ne veux pas l'écouter.

_ Pourquoi tu m'en parles pas ? Pourquoi tu m'exposes ça comme ça ? T'as vraiment cru que c'était une surprise qui me ferait plaisir ? C'est un cauchemar pour moi. Tu peux pas savoir à quel point j'ai mal vécu...

_ Je ne suis pas enceint.

_ Tu sais pas ce que ça fait d'avorter, de changer de corps comme ça. Ça m'a vraiment...

Je sursaute quand je sens ses doigts autour de mes poignets. Je ne l'avais pas vu venir jusqu'à moi.

_ Kook, je sais que ça a été horrible pour toi et si on pouvait revenir en arrière pour l'éviter, on le ferait sans hésiter.

_ Alors pourquoi tu m'infliges ça ? Tu sais qu'on peut pas le garder. On est trop jeunes.

_ Je ne suis pas enceint. Y a pas de bébé Kook.

_ Mais...

Malgré son air sérieux, je sais ce que j'ai senti. Et il me l'a confirmé. Son corps a changé.

_ J'en ai parlé avec Eomma. C'est normal. Ça ne veut pas dire que je suis enceint. Alors calme-toi, okay ?

Il passe une main sur mon front, écartant mes cheveux pour qu'ils arrêtent de tomber dans mes yeux.

_ Je ne suis pas enceint, répète-t-il à nouveau. Mais je suis prêt. Je veux un enfant et mon corps est prêt aussi. Normalement, mes seins vont commencer à pousser.

_ Mais...

_ Je sais Kook. Je sais qu'on peut pas en avoir un maintenant. Mais c'est pas parce que mon corps est prêt à en accueillir un que je vais tout de suite tomber enceint comme par magie. Eomma a attendu plus d'un an avant d'être enceint de moi. Alors qu'il était prêt et que c'était ce qu'il voulait le plus au monde. On continuera de se protéger en faisant attention, je te le promets.

Sauf qu'il y aura toujours plus de risques. Tomber enceint en étant tous les deux neutres, c'est un accident peu fréquent mais qui arrive malheureusement. On nous le dit en cours. Mais on sait tous que tomber enceint quand une des deux personnes du couple devient femelle est la norme. C'est comme ça qu'on fait les enfants. Tout le monde le sait. Et TaeHyung aussi.

Alors s'il se sent bien dans ce corps, très bien pour lui, mais je ne me sens pas capable de le toucher à nouveau. Il y aura toujours un risque et je ne veux vraiment pas le prendre. Un accident m'a suffi.

_ Tae, je...

_ On fera attention.

_ On a fait attention aussi l'autre fois et ça s'est mal fini.

_ Simplement parce que tu n'as pas voulu qu'on le garde mais...

Je le repousse. Parce que c'est de ma faute ? Bordel, je déteste quand il agit comme ça ! C'est lui le plus vieux, lui qui est censé être le plus mature. Pourquoi est-ce qu'il ne comprend pas ? Toute cette situation me fait perdre mes moyens. J'ai juste envie de fuir, de rentrer chez moi, de me rouler en boule sous ma couette et de ne plus y penser.

_ Kook, ça va aller.

Il continue de parler mais j'ai vraiment plus envie de l'écouter. Je tâtonne les poches de mon jean et sens mon téléphone dans l'une d'elles. Sans même le regarder, je m'approche de la porte de sa chambre.

_ J'ai besoin de cinq minutes.

Je sors, rejoins la première salle de bain que je trouve ouverte. La dernière fois qu'on s'est un peu disputés, j'avais rejoint la chambre de MinGyu, parce que j'avais besoin de me plaindre de mon petit-ami auprès de mon meilleur ami. Et MinGyu m'avait réconforté comme le parfait meilleur ami qu'il est et on avait fini par faire une nuit blanche à force de plaisanter et de dire des conneries. Mais là, j'ai juste envie de rentrer chez moi et de ne parler à personne.

J'appelle le seul qui pourrait venir me chercher sans poser de questions. Il décroche à la troisième sonnerie.

_ Quoi ?

Je sais que je le dérange mais je sais aussi qu'il viendra.

_ Est-ce que tu peux venir me chercher ?

_ T'es où ?

_ Chez TaeHyung.

_ Je me mets en route.

_ Merci hyung. Je serais au bout de sa rue.

On raccroche tous les deux. Je soupire. Plusieurs fois. Je serais bientôt soulagé d'être chez moi, mais avant, je dois faire quelque chose de vraiment pesant.

Je retourne dans la chambre de TaeHyung. Il est assis sur le bord de son lit et se redresse quand il me voit rentrer.

_ Kook, ça va ?

_ Pas vraiment. Je suis fâché contre toi Tae. J'arrive pas à croire que tu me fasses un coup pareil.

_ Kook, c'était pas prémédité, je te le jure.

_ Encore heureux !

Je me déplace dans la pièce, récupère mon sac, mes quelques affaires qui traînent.

_ Kook, s'il te plaît.

_ Écoute, là j'ai besoin de temps pour digérer tout ça et je crois que toi, t'as surtout besoin de temps pour y réfléchir sérieusement. Je crois que... que c'est mieux si on fait une pause tous les deux.

_ Tu veux rompre ?

Il a l'air sur le cul. Je n'aime pas voir sa bouille toute triste. D'habitude quand je le vois blessé, j'ai envie de le serrer dans mes bras, de lui donner tout l'amour du monde et de le faire rire. Mais pas là. Maintenant, j'ai juste envie qu'il soit plus mature.

_ Je ne suis pas en train de rompre.

_ On sait tous les deux que faire une pause ça signifie que...

_ Ce n'est pas définitif TaeHyung mais si tu continues de penser comme un égoïste, ça le deviendra.

Je vois bien que mes mots le percutent violemment. Il est triste, je suis en colère, nous sommes tous les deux blessés par l'autre. C'est une dispute mais pas une rupture. Parce que je ne veux pas le perdre.

_ Je t'aime, me lance-t-il.

_ Je t'aime, je réponds, parce que c'est toujours le cas depuis que j'ai quatorze ans. Je t'appelle.

Mon sac sur mon épaule, je lui tourne le dos. Je salue ses parents dans le salon en passant par le rez-de-chaussée. Je sais qu'ils sont surpris de me voir partir à cette heure mais je sais aussi qu'ils vont tout de suite monter voir TaeHyung pour lui demander pour quelle raison on s'est disputés. Ils nous connaissent trop bien.

Dans la rue, la nuit est encore claire. Il n'y a qu'un voisin qui promène son chien et on se salue d'un signe de tête. On le croise souvent quand on fait des balades nocturnes en amoureux. On en fait de temps en temps quand on n'a pas trop la flemme de quitter la couette. TaeHyung trouve ça hyper romantique et j'ai pas la foi de le contrarier.

Je poireaute deux minutes avant de voir des phares dans ma direction. La voiture s'arrête près de moi et je me dépêche de m'y engouffrer. Alors que j'attache ma ceinture, mon frère redémarre.

_ Merci hyung.

_ Pas de souci. Tu veux en parler ?

_ Non.

Il hoche la tête puis appuie sur un bouton de l'autoradio. Aussitôt, une voix retentit dans l'habitacle mais je n'y fais pas attention. Depuis qu'il conduit, il s'est trouvé une passion pour les livres audio. Et si on l'empêche d'écouter, il s'arrête sur le bas-côté et nous demande de sortir et de finir la route à pied. On l'avait pas cru au départ mais les jumeaux et moi savons désormais à quoi ça ressemble de faire le trajet à pied. Alors quand il pleut, on se tait et on met bien sagement nos écouteurs pour ne pas finir trempés.

Quand on arrive à la maison, c'est calme. Il est presque minuit, les jumeaux sont certainement déjà en train de dormir ou de s'éclater les yeux sur leur téléphone et Papa doit déjà être dans son lit depuis longtemps aussi. On rejoint notre chambre sans faire de bruit après avoir vérifié qu'on a bien fermé la porte d'entrée à clé. WonWoo hyung déjà en pyjama se recouche directement dans son lit, retrouvant son livre qu'il a dû délaisser.

J'enlève mon pull et mes chaussettes, laisse mon sac traîner sur mon bureau, n'ayant aucune envie d'en enlever la moindre affaire. Peut-être que je retournerais chez TaeHyung demain. Peut-être qu'il va m'envoyer un message dans la nuit pour s'excuser et qu'on se pardonnera. Peut-être que j'en aurais marre de me dire que je risque de le perdre pour une broutille.

Mais ce n'est pas une broutille. Un bébé, c'est quelque chose d'important. C'est un être vivant. C'est pas comme une plante qu'on peut oublier d'arroser un jour.

Allongé dans mon lit, la question revient sans cesse dans ma tête. La même qui m'a hanté pendant plus d'une semaine quand j'étais enceint. Et aussi après, quand je l'étais plus. J'ai vu un psy après mon avortement, une seule fois. Il voulait juste s'assurer que j'allais bien et c'était le cas vu que j'étais soulagé d'avoir retrouvé mon corps et que ma vie pouvait continuer sans changement. J'avais oublié cette question mais elle revient maintenant en boucle.

De l'autre côté de la chambre, WonWoo hyung est dos à moi mais ne dort pas encore. La petite lampe est toujours allumée et j'entends qu'il tourne les pages. Je sais qu'il va me détester une demi-seconde mais j'ai besoin d'être rassuré.

_ Hyung ?

_ Hm.

Même si ce n'est pas vraiment un mot, je sais qu'il va m'écouter.

_ Est-ce que t'as envie d'avoir un bébé toi ?

_ Non.

Il n'a même pas fait de pause avant de me répondre. MinGyu va certainement être déçu en le sachant.

Comme je ne réagis pas, parce que ce n'est pas vraiment étonnant de sa part, il se tourne vers moi.

_ Et toi ?

_ Je sais pas. En fait, je m'étais jamais posé la question avant... tu sais quoi.

Il hoche la tête. Si toute la famille de TaeHyung est au courant, pas la nôtre. On n'a pas dit aux jumeaux que j'avais eu un accident et que j'ai dû aller à la clinique pour que tout redevienne normal. WooYoung n'aurait pas compris et YunHo se serait fichu de moi à longueur de temps. Ou alors l'inverse, je sais pas trop. Dans tous les cas, ça ne les concerne pas et Papa et WonWoo hyung l'ont compris.

_ Tu te la poses maintenant ?

_ Ouais. On s'est disputés à cause de ça avec TaeHyung. Son corps n'est plus...

J'allais dire normal mais ce n'est pas le bon mot.

_ Neutre.

_ Je vois. Tu as raison de ne pas être d'accord, vous êtes encore jeunes. Mais tu ne peux pas l'obliger à ne pas avoir de désirs. Lui se projette et c'est normal parce que vous sortez ensemble depuis longtemps.

_ Mais je suis même pas encore majeur.

_ Et il n'est pas vraiment adulte non plus mais ce n'est pas vraiment le sujet.

Je hausse un sourcil, un peu perdu.

_ C'est quoi le sujet alors ?

_ Est-ce que toi tu te projettes dans le futur ? Avec TaeHyung ? Ou sans d'ailleurs.

L'idée même d'être vieux sans TaeHyung me paraît fade et vraiment nulle. Mais le futur, c'est vraiment dans longtemps.

_ Je pense pas aussi loin.

_ Le futur, ça peut aussi juste être l'année prochaine.

_ L'année prochaine, je rentre à la fac où je pourrais le voir plus souvent.

Parce que même si on sera pas dans la même année et pas dans la même branche, on sera sur le même campus et on pourra peut-être même manger ensemble le midi.

_ Donc vous êtes encore ensemble dans ce futur.

_ Bah oui. Enfin, ça me semble logique. Mais je serai en première année, lui en deuxième. On sera encore trop jeunes pour faire autre chose qu'aller en cours et profiter de la vie.

_ Et lui, il en pense quoi ?

_ J'en sais rien. Quand on parle du futur, c'est surtout pour des conneries. Du style, ça serait trop bien d'avoir une maison comme-ci, comme-ça ou ça serait trop bien si on habitait près de la mer pour profiter de la plage. On a même déjà parlé d'acheter un micro-ondes. Mais pas d'avoir un enfant.

_ Peut-être que vous avez simplement besoin d'échanger vos points de vue. Vous ne semblez pas avoir les mêmes choses en tête et ça serait peut-être bien si vous essayiez de vous projeter dans le futur de l'autre. Maintenant laisse-moi, il me reste seulement cent pages.

_ Mouais, merci quand même.

Un peu bourru, je le vois me tourner le dos et je l'imite, un peu contrarié. Déjà que les profs nous bassinent avec notre avenir professionnel, je pensais avoir un peu de répit avec mon petit-ami. Le futur, c'est loin. La maison, le mariage, les enfants. Ça me semble être dans une autre vie. Quand j'aurais au moins trente ans. Je n'aurais jamais pensé que TaeHyung puisse l'imaginer maintenant. Et est-ce que j'ai vraiment envie de rêver au même futur ? Pas sûr.