Je n'ai évidemment pas beaucoup dormi cette nuit, et il ne me reste actuellement que trois minutes de voiture avant d'arriver au café dans lequel la mère de Jessica m'a donné rendez-vous. J'ai un sac avec les vêtements qu'il restait de Jessica sur le siège passager. Plus je me rapproche du lieu de rendez-vous, plus je stresse. Je sais que je ne devrais pas, que ça devrait bien se passer, mais je me demande comment pourrait réagir sa mère en voyant quelqu'un dont elle n'a entendu parler qu'en tant qu'ami qui était en fait le petit-ami de sa défunte fille. Je trouve une place dans la rue et me gare. J'attrape le sac de vêtements et sors de la voiture. Je me dirie vers l'entrée du café et je vois une femme assise seule à une table. Les mêmes cheveux blonds et la même forme de visage que Jessica. La femme lève les yeux de son téléphone et je peux remarquer qu'ils sont d'un vert profond, me rappelant encore une fois ceux de celle qui était ma petite-amie. C'est son portrait craché. J'hésite, n'ayant pas la certitude que ce soit elle, mais je finis par m'avancer.

- Bonjour...
- Bonjour, Timéo ? 
- C'est bien moi. 

Elle se lève et me tend une main que je sers.

- Enchantée, je suis Alicia, la mère de Jessica. 
- Moi de même, Timéo, j'étais le petit-ami de votre fille. 

Nous nous asseyons et un serveur ne tarde pas à venir prendre ma commande. Je prends, comme d'habitude, un chocolat chaud, je règlerai l'addition. Nous restons quelques minutes sans parler. Je ne sais pas par où commencer, et je pense qu'Alicia non plus. Elle finit néanmoins par prendre la parole.

- Alors... Hm... Excuse-moi de te poser cette question, mais pourquoi... 

Elle laisse passer un temps, cherchant ses mots. 

- Pourquoi je ne suis pas venu à l'enterrement ? 
- Oui, c'est ce que je voulais vous demander.
- Je n'ai appris le décès de Jessica que lorsque j'ai voulu lui rendre visite à l'hôpital et que le directeur de l'université a annoncé son décès. Je n'ai pas eu d'informations concernant l'enterrement. Mais croyez-moi que si nous avions eu la date et le lieu, Juliette, Alexis et moi serions venus. 

Je vois que le sujet la touche, elle retient ses larmes comme elle le peut.

- Je comprends... Pourquoi n'être entré en contact avec nous qu'aujourd'hui ? 
- Je... Pour être honnête, pour une raison que j'ignore, Jessica ne souhaitait pas que je vous rencontre. Elle s'arrangeait pour que je ne lui rende pas visite en même temps que vous. Elle me disait les jours durant lesquels je pouvais passer la voir. J'ai été détruit en apprenant son décès. Je suis resté enfermé dans ma chambre pendant deux semaines entières. Mes amis se débrouillaient pour me faire manger, les seules fois où je sortais étaient lorsque je devais prendre une douche. Je ne voulais plus penser à rien, et l'idée m'a traversé l'esprit plus tard, mais je n'avais pas osé. J'avais peur. J'avais peur d'arriver comme ça, en me présentant comme son petit-ami et que vous ne me croyiez pas, ou que vous refusiez net de me rencontrer. Et je ne savais pas ce que j'aurais eu à vous dire. 
- Je vois... Est-ce que... Est-ce que Jess' était heureuse ? 

Elle a enfin relevé le regard pour plonger ses yeux dans les miens. Je vois toute sa détresse dans ses yeux. Je pense que c'est important pour elle et elle a raison. 

- Oui. Je me souviens qu'elle me répétait souvent qu'elle était heureuse à la colocation, de nous avoir rencontré et qu'elle ne regretterait jamais. 
- Je sais qu'elle se plaisait avec vous trois. Elle parlait souvent de ses colocataires. Elle était ravie d'avoir pu vous rencontrer. Elle ne m'a jamais dit si elle s'était trouvé quelqu'un. À la façon dont elle parlait de vous, Timéo, je me suis doutée que peut-être, il avait pu y avoir une histoire ou des sentiments, mais elle ne me l'avait jamais dit clairement, à son frère non plus d'ailleurs. 
- Elle me parlait beaucoup de sa famille, en particulier de votre fils. Elle adorait son frère, mais elle s'inquiétait beaucoup pour lui. De ne pas être présente. Elle m'a plusieurs fois dit que vous ne vous entendiez plus très bien avec votre mari. 
- C'est exact. Les disputes ont cessé un moment lorsqu'elle a été hospitalisée, mais on savait tous qu'on ne faisait que reporter l'inévitable. Mathis savait également que nous finirions par divorcer, même s'il l'a particulièrement mal pris quand nous lui avons appris officiellement. 

Je ne sais pas pourquoi mais malgré que je sache que le frère de Jessica s'appelle Mathis, puisqu'elle m'en avait déjà parlé, l'entendre de la bouche de sa mère m'a rappelé le Mathis avec qui je parle par message. Mon esprit avait déjà été effleuré par cette possibilité, mais puisque je n'avais pas de preuve concrète si ce n'était que sa sœur s'appelait Jessica et qu'elle avait eu le même numéro que la fille d'Alicia, je ne peux m'empêcher de pense qu'il est peut-être le frère avec qui je cherche à entrer en contact. 

- Excusez-moi de vous poser cette question aussi soudainement, mais serait-il possible que je rencontre votre fils, un autre jour ? L'une des dernière choses que Jessica m'a dit était qu'elle regrettait de ne pas lui avoir parlé de certaines choses, je souhaitais donc le faire pour elle. 
- Bien sûr. Je... Je lui en parlerai. 
- Merci. 
- Hm... Avez-vous des photos de Jessica ? 
- Oui, bien sûr. 

Je sors mon portable et ouvre ma galerie. La moitié de ma galerie n'est composée que de photos de Jessica ou d'elle et moi. Je tends alors mon téléphone à Alicia qui les fait défiler, un léger sourire aux lèvres. Je la vois porter sa main à sa bouche et étouffer un sanglot. J'ai la chance de réussir à ne pas pleurer, mais en arrivant chez moi, je n'imagine même pas combien je vais pleurer. 

- Merci... Merci d'avoir rendu ma fille heureuse et d'être là aujourd'hui. 
- Je vous en prie... Je... Vous ai ramené quelques vêtements qui traînaient encore à l'appartement si vous souhaitez les récupérer. 
- Vous souhaitez me les rendre ou les garder ? 

Je reste silencieux un moment. Evidemment, que je souhaiterai au moins en garder quelques uns comme ceux que je lui avais offerts, pour garder des souvenirs, mais je pense qu'il est important que ce soit sa famille qui les récupèrent. 

- Je pense que vous devriez les prendre. Vous savez, j'ai encore toutes les choses qu'elle m'a offert pendant les six mois durant lesquels nous sommes sortis ensemble. J'aurais aimé avoir plus de temps pour l'aimer. Malheureusement, on ne contrôle pas la vie. 
- Je vais être honnête avec vous, quand j'ai vu le numéro de Jessica s'afficher sur mon écran, j'ai d'abord cru à une blague. 
- Je pense que je peux comprendre. Cela peut également paraître très étrange que j'ai récupéré son numéro, c'est même carrément bizarre, mais c'était mon dernier lien avec elle. Enfin, je ne souhaite pas vraiment en parler, excusez-moi. 

J'ai parlé trop vite en disant que je réussissais à ne pas pleurer. Les larmes montent et une s'échappe de chacun de mes yeux, ma voix tremble aussi. Je les essuie et renifle avant de reprendre.

- J'ai tous nos souvenirs encore. Je ne l'oublierais jamais, ça, c'est sûr. Mais je pense que vous devriez les récupérer. Je ne sais pas ce que vous en ferez, si vous regardez à l'intérieur, il y a certains de mes sweats qu'elle aimait porter. Je les lui avais donné et je ne les ai pas porté depuis. Je ne sais pas si j'en serais capable un jour.