Chapitre 47
Daryl
Est-ce que je peux encore faire confiance à Dorian après ce qu'il m'a fait subir ces derniers mois ? C'est bien ça le problème. Il m'a prouvé que je ne le rebutais pas, mais il y a plus que ça. J'ai peur qu'il recommence dès l'instant où l'un d'entre nous sera frappé par un malheur. Saura-t-il me réconforter ou prendra-t-il la fuite dès que la vie s'en prendra à moi ?
Il attend une réponse. Est-ce que je dois mettre fin à cette mascarade immédiatement ou tenter le tout pour le tout, au risque de souffrir ?
Ses yeux ! Ils m'ont tant manqué !
— Je te laisse une seule chance de me prouver que je peux te faire confiance. Si tu ne fais qu'un seul faux pas, on rentre tout de suite.
— D'accord, mon ange. Tu as besoin d'aide pour mettre ton t-shirt ?
Je lui ai menti tout à l'heure. Je n'ai pas appris à mettre mes chandails. Jenny ou Franco m'aident, la plupart du temps. Quelques fois j'y arrive, quand c'est un vêtement ample, mais c'est plutôt rare. Cela voudrait dire que mes marques seraient davantage exposées. Heureusement, j'ai choisi la facilité ce matin.
— Non, je vais me débrouiller. Comme je te l'ai dit, j'ai appris sans toi !
Son regard s'assombrit, mais il tente de me le cacher. Pourquoi ? Pourquoi il a sorti son air de chien battu ?
— Je t'attends à la voiture, alors, finit-il par murmurer.
Il part sans un autre regard tandis que je m'habille. En passant par la salle à manger, je découvre Jenny, les bras croisés. Pas besoin d'être devin pour comprendre qu'elle m'en veut toujours pour hier.
— Je te conseille d'écouter Dorian, gronde-t-elle. Il a ses torts, je ne peux pas le nier. Par contre, il fait des efforts pour se faire pardonner et, crois-moi, ses raisons sont justifiables quand on connaît son histoire. N'oublie pas que nous sommes dimanche et qu'en ce moment même, il devrait être en train de courser.
— Mais...
— Il n'y a pas de mais qui tienne. Vous vous aimez comme des fous tous les deux. Il te rendra heureux si tu consens à lui donner une deuxième chance.
— Je suis prêt à sortir de cette foutue maison. Si ça ce n'est pas lui donner une seconde chance, je ne vois pas ce que je peux faire de plus. Je suis resté cloîtré ici depuis l'accident.
— Bien ! Surtout, tu l'écoutes, me dit-elle d'un ton satisfait.
Sans lui répondre, je franchis la porte extérieure avec appréhension. Le temps est doux et le soleil brille. Si cela ne voulait pas dire que mes cicatrices seraient encore plus exposées, je pourrais presque apprécier ce temps idéal pour une balade. Je remonte un peu les épaules de mon chandail puis, je me dirige vers la voiture de Dorian qui tient la porte ouverte pour m'éviter de l'ouvrir. Je passe devant en lui offrant un regard mitigé avant de m'installer. Lorsqu'il est certain que je suis confortable, il referme sans précipitation et contourne l'automobile pour y prendre place à son tour.
Je m'attendais à une destination pas très loin, mais nous roulons depuis presque une heure. La voiture file en direction de Fort Worth, là où se déroule la course de NASCAR de cette semaine.
Je remarque avec surprise que Dorian bifurque avant d'arriver à l'embranchement qui nous mène vers le site du circuit automobile.
— On ne va pas dans la bonne direction ! m'exclamé-je pour qu'il prenne le bon chemin.
— Oui, nous sommes au bon endroit. On ne va pas au Texas Motor Speedway.
— Mais pourquoi ? C'est ton travail.
— J'ai remis ma démission à Lana, hier.
— Quoi ? Tu es malade ! Dorian, tu ne peux pas renoncer à tout ça.
— Oh que si ! Je le peux, et je l'ai fait.
— Pourquoi ?
— Hier je suis arrivé devant mon bolide avec la sensation qu'il manquait quelque chose. Lorsque j'ai embarqué dans la voiture, ma cage thoracique s'est serrée. Je me sentais englouti, dans l'incapacité de bouger la moindre parcelle de mon corps. Malgré les encouragements des techniciens, je n'ai pas réussi à me rendre sur la piste. Après plusieurs minutes, j'ai compris que la seule raison pour laquelle je continuais la course ne s'immiscerait plus jamais dans ma tête. Papa n'était pas là pour m'obliger. Je ne ressentais plus cette urgence d'accomplir mon devoir.
— Tu vas vraiment arrêter la course ?
— Je n'en sais rien. J'ai encore besoin de rouler à haute vitesse, mais je suis bloqué, car je dois trouver une autre motivation. Malheureusement, la seule autre personne qui pouvait me pousser à bien performer, je l'ai laissée tomber.
C'est impossible ! Il ne peut pas.
— Dorian, tu es le meilleur de ta génération. Tu dois continuer.
— Dit celui qui a gagné le championnat du Superbike de l'an dernier et qui ne veut même pas faire ses traitements de rééducation.
— Ce n'est pas du tout la même chose.
— Si j'étais resté, tu n'aurais jamais eu le moindre doute pour ta carrière. Tu aimes ton métier tellement plus que j'aime le mien. Et pourtant, tu as tout abandonné. Je suis là, maintenant. Je vais te motiver et te rendre ta lumière car, la moto, c'est toute ta vie, ta raison de vivre.
Dorian tourne un visage serein vers moi. Ses yeux brillent d'un éclat que je ne lui ai jamais vu. Il va vraiment abandonner sa carrière pour moi ?
— Tu n'avais pas à te sacrifier !
— Je ne le fais pas que pour toi, mon ange. Je vais débuter ma propre thérapie avec le collègue de Jenny. On a parlé un peu, tout à l'heure. C'est le meilleur de leur clinique et c'est à quelques minutes de l'endroit où je t'emmène.
Je reste longtemps silencieux, essayant tant bien que mal de comprendre où nous allons. On s'enfonce dans la forêt pendant trop longtemps pour que ce soit un endroit public. Mille et une questions me triturent l'esprit. C'est au détour d'un grand virage que j'aperçois enfin autre chose que des arbres.
Un lac se dessine à l'horizon et une maison aux tons colorés trône devant la petite plage qui lui sert de cour arrière. Tout dans cet endroit respire la gaieté. Les volets bleus contrastent sur le revêtement peint en jaune canari. La toiture rouge et mansardée brille sous les derniers reflets du soleil. Au loin un quai s'étire au-dessus du lac. L'endroit est tout simplement époustouflant.
Dorian
— On est arrivé !
Je vois que Daryl est impressionné par l'endroit. Ce n'est pas le but que je recherche, mais si ça lui plaît, cela me rend un peu plus déterminé à lui montrer à quoi ressemblait ma vie. Avant.
Je sors du véhicule et me dépêche de le rejoindre afin de lui ouvrir sa propre portière. J'ai l'habitude, je l'ai fait pendant des années avec papa. Au début, du moins, quand il s'en prenait encore à maman et non à moi.
Même s'il ne veut pas l'admettre, je vois que Daryl est heureux que je le fasse. Il sort de la voiture et avance à grands pas vers la plage.
— C'est ici que tu loges ? me demande-t-il en analysant la vue imprenable que nous avons sur le lac.
— C'est mon héritage, la seule chose que j'ai voulu garder de papa.
— Tout ça, c'est à toi ?
— Le lac est plus petit que dans mes souvenirs. Je n'y ai pas remis les pieds depuis mes treize ans. Mes parents louaient cet endroit, quelques fois par année. Mes plus beaux souvenirs d'enfance sont ici.
— Tu vis dans le passé. À quoi ça te sert de revenir ici ?
Sa voix froide m'indique que je vais devoir lui expliquer un peu plus sérieusement. Il doit comprendre que papa était heureux et qu'ils nous rendaient aussi très heureux.
— Je sais que tu n'as pas eu la chance de connaître papa avant son accident, mais moi je me souviens de qui il était.
— Papa ! Encore papa ! Il t'a poussé à la limite, Dorian. Pourquoi tu te fais autant souffrir ?
C'est le moment le plus difficile pour moi : lui montrer les photos que j'ai retrouvées dans son album. Je sors mon téléphone et lui tends afin qu'il ait accès aux dizaines de clichés que maman a pris de nous.
La première est simple, mais pour moi, c'est un souvenir émouvant. Je tiens le fil d'une canne à pêche au bout duquel pend un minuscule poisson ; le premier que j'aie pris. Papa est derrière moi et a un énorme sourire sur le visage tout en ayant le pouce levé.
— Il était fier de moi, c'est ce que je veux me souvenir. La fierté que je sois son fils.
Daryl, lâche un soupir de découragement puis il glisse à la photo suivante. Je suis endormi aux creux des bras de papa.
— On avait fait une randonnée, ce jour-là. Le tour du lac, juste lui et moi. Lana était fiévreuse et Brandon commençait à tousser. Maman avait passé la nuit à s'occuper d'eux. Papa voulait qu'ils se reposent et m'a proposer cette balade. Un pique-nique à l'autre bout du lac où on a fait la connaissance d'une famille de ratons. Je lui ai posé un millier de questions avant de repartir vers le chalet. Il m'a expliqué comment ils vivaient, ce qu'ils mangeaient, tout ça. La tête pleine de nouvelles informations, j'ai papillonné vers les racines des arbres, à la recherche d'un habitat pour cette petite famille. Je courais partout jusqu'à ce que je rencontre le museau d'une moufette dans l'un de ces fameux trous. Aussitôt, papa m'a pris dans ses bras et a couru aussi vite qu'il le pouvait pour nous éloigner du danger. Quand il a arrêté, j'ai demandé à rester dans ses bras. Il l'a fait sans rechigner, même si je devais être plutôt lourd. On a passé deux heures à discuter de tout ce qu'on avait vécu jusqu'à ce que je m'endorme à un moment donné. Nous sommes arrivés ici, et maman a pris la photo. Tu vois son visage. Il m'aimait, je le sais.
— Tu es si mignon, souffle Daryl. Mon petit chaton...
— Un chaton qui s'est retrouvé cloué au lit à la suite du virus de Lana. Elle l'a transmis à toute la famille. J'ai été le plus durement touché, avec papa.
Daryl change de photo et on nous retrouve, papa et moi, dans le grand lit de mes parents.
— C'est la chambre principale du chalet. Pour moi, c'est comme si c'était hier.
Papa a passé un bras par-dessus mon corps qu'il serre tout contre lui. Il a sa bouche dans mes cheveux alors que nous dormons paisiblement, les joues rougies par la fièvre.
Daryl relève les yeux vers moi, une larme à l'œil. Je pense qu'il comprend maintenant à quel point c'est important pour moi de me rappeler ce qu'il était avant et non ce qu'il est devenu après son accident.
— Cet endroit est ce que je veux me rappeler de papa. Tu comprends ? De beaux souvenirs avec lui. De lui. De nous.
Il hoche la tête et continue à passer les photos. Il y a notre feu de camp, où on a mangé des guimauves, le quai duquel nous sautions avec papa. Toutes sont des souvenirs uniques et inoubliables de mon père.
Sans dire un mot, il me remet le téléphone et regarde le lac d'un nouvel œil. Il peut voir l'endroit comme je me le remémore.
— Ce sont de beaux souvenirs, me dit-il avec sérieux. Charles semblait vraiment être un bon père.
— Il l'était...
Daryl soupire longuement puis se tourne vers moi. Il semble lui aussi très nostalgique.
— Tu vois maintenant comment il était. Et je ne veux pas que tu changes comme il a changé. Je vais t'aimer, balafres ou pas. Je vais t'aimer, quoi que tu penses de toi. Je vais t'aimer, parce que tu es la plus belle personne que j'ai rencontrée. Mon cœur ne réussira jamais à te voir comme un monstre.
Daryl essaie de rester de marbre face à ma déclaration, mais je vois que j'ai touché une corde sensible. Est-ce le fait d'avoir parlé de mon père ? Peut-être que je lui ai fait revivre ses propres histoires d'enfance.
— Et toi, as-tu de beaux souvenirs de tes parents ?
— J'en ai un, en effet. C'est un beau moment, mais aussi un des plus difficiles à revivre.
— Tu n'es pas obligé de me le dire si c'est trop douloureux.
Je ne sais pas pourquoi, mais je sens qu'il a besoin que je sois plus près de lui. Sans brusquer, je me rapproche et l'entoure de mes bras. Il pose sa joue sur mon épaule tout en regardant le coucher du soleil. Nous restons ainsi jusqu'à ce que la noirceur ait pris possession du lieu.
— Papa était astronome.
Cela me prend quelques secondes à comprendre ce qu'il essaie de me dire.
Les étoiles ! Il aime tellement les étoiles. Je le laisse continuer à son rythme puisque je sais ce que ça fait de ressasser de tels souvenirs.
— La veille de son entrée à l'hôpital, on a dormi sur le trampoline derrière la maison. Il savait qu'il ne ressortirait jamais.
Il est nostalgique, ça se comprend. J'ai le goût de passer une main dans ses cheveux, juste pour qu'il sente que je suis là pour lui. Je le fais le plus doucement possible, pour ne pas qu'il me repousse. Dès que je sens la chaleur de son cuir chevelu, il me serre avec force en émettant un petit couinement de tristesse.
— Ce soir-là, il m'a dit qu'il serait toujours auprès de moi. Que je n'aurais qu'à regarder les étoiles quand je serais triste.
— Et c'est pour ça que tu m'as laissé les regarder avec toi, pour que je me sente moins triste ?
— Je ne sais pas. Ça me fait du bien, à moi. Ça m'a semblé normal de vouloir que tu te sentes mieux en les regardant.
— Tu es encore plus un ange que ce que je m'imaginais, ne puis-je m'empêcher de répliquer. Viens avec moi, je veux que tu vois une dernière chose.
Je le tire vers le bout du quai, là où sont les chaises de bois de style Adirondack dans lesquelles s'asseyaient mes parents pour nous surveiller quand nous pataugions dans l'eau peu profonde. Les deux sièges sont tournés vers le lac. Je lui désigne la place de droite et prend moi-même celle de gauche.
Il reste silencieux, attendant que je lui dise pourquoi nous sommes ici. Il n'y a plus moyen de voir l'eau tellement c'est sombre.
— Papa disait qu'ils viendraient vivre ici, lorsque maman et lui seraient retraités. C'est ce que je veux, vivre ici en me rappelant de qui il était. Et si je réussis à te convaincre, j'aimerais que ce soit avec toi. Tu aurais la plus belle vue sur les étoiles que tu puisses imaginer. On pourrait les regarder tous les soirs. Ensemble. Toi et moi. Et se rappeler qui étaient nos pères.
Daryl ne bronche pas. J'espère que je ne suis pas allé trop loin en lui disant que je veux être avec lui. Je le veux si fort que je n'ai pas pu m'empêcher de le lui faire savoir. Sa tête se soulève vers le ciel. La vue est exceptionnelle, ce soir : aucun nuage, que la lune qui se pointe derrière les arbres et les étoiles d'une clarté étonnante.
— Regarde comme elles brillent... Elles te ressemblent.
Je tends la main vers lui, dans l'espoir qu'il en fera autant. Son visage se tourne lentement vers moi. À la lueur de la lune, je peux apercevoir des perles d'eau poindre au coin de ses yeux. Il me sourit. Ce sourire que j'ai bien cru ne plus jamais revoir.
Il ouvre le bras et vient prendre ma main pour l'entrelacer à la sienne.
— Je ne suis pas le seul à briller, chaton.
Fin
N/A
Ne partez pas tout de suite, j'ai des annonces à faire dans le prochain chapitre.
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