Chapitre 42
Dorian
Papa qui participe à une course contre Glenders est atypique, mais tellement une évidence quand on y pense. Toute sa vie, il a combattu cet homme. Reste à savoir dans quelle circonstance tout cela s'est déroulé. Nous arrivons au poste où l'on nous fait attendre trop longtemps. Même Brandon se présente trois heures plus tard, les yeux fatigués.
Je laisse aller Lana la première, car elle pourra retourner à l'hôtel avec Brandon. Quant à mon frère, il ne parle pas tellement. Il semble qu'il n'a pas eu toutes les réponses puisque le témoignage de Glenders n'est toujours pas terminé. De toute manière, nous sommes séparés par un policier qui s'assure que nous ne discutons pas des détails. Ils veulent des témoignages véridiques. S'ils savaient que mon père est sûrement aussi coupable que Mark, les enquêteurs ne croiraient pas que nous voulons une vengeance contre Glenders. Ils seraient même surpris de ce que je pense du grand Charles Firsten. Le temps s'éternise pendant que nous attendons notre sœur puis, elle revient la mine neutre, sans pleurer, sans s'effondrer.
À mon tour, on me traîne dans une salle d'interrogatoire. Le policier me pose les mêmes questions que dans ma chambre, mais cette fois-ci, il note tout. On me fait signer ma déclaration puis, un second agent vient nous rejoindre avec une pile de documents. Il m'offre ses condoléances avant de s'installer à côté de son collègue. L'enquêteur soulève quelques papiers, se frotte le front et finit par me regarder dans les yeux.
— Monsieur Glenders a confirmé, après plusieurs heures à l'interroger, que c'est lui qui a initié la course qui a enlevé la vie de votre père.
— Je sais très bien comment cela s'est produit. Il lui a parlé de maman, papa l'a très mal pris, ils ont monté le ton et Mark a réussi à lui faire faire une connerie. Dans ce cas présent, une course de rue dont il n'est pas sorti vainqueur.
— C'est exact, Monsieur Firsten. Comment pouviez-vous être au courant ?
— Ils ont toujours été ainsi. Glenders a détruit le mariage de mes parents de cette manière, mais avant tout ça, il avait répété son modus operandi des dizaines de fois. Il n'y a rien de sorcier. Demandez à n'importe quel pilote qui a couru contre eux et vous aurez toujours la même réponse : Mark était le pire des fauteurs de trouble et Charles ne supportait pas que maman soit toujours l'objet de ses mauvaises blagues.
— Très bien monsieur Firsten, nous prendrons le temps de confirmer tout ça.
— Dorian, appelez-moi Dorian.
L'homme soulève un sourcil, mais n'ajoute rien. À la place, il ouvre un document et en sort un sac avec les effets personnels de papa. Il les pousse doucement vers moi et énumère les objets : son porte-feuille, son cellulaire et le plus surprenant, deux fioles de médicaments. Déjà qu'il en ait une est insolite, mais qu'il y en ait deux me laisse sans voix. Ce qui est inscrit sur les flacons ne m'indique pas vraiment de quoi il s'agit.
Quand il s'aperçoit que je m'attarde sur les deux contenants, l'enquêteur reprend la parole.
— Ce sont des cachets pour traiter la dépression. Depuis combien de temps était-il sous antidépresseurs ?
Si je croyais être sans voix à la vue des flacons, je dois reconsidérer le tout car, cette fois, j'en perds même le souffle. Papa dépressif ? C'est inconcevable. Mis à part les jours qui ont suivis la venue de Jenny, il n'y avait rien pour nous mettre la puce à l'oreille. Il faut remonter à son accident sur le circuit pour noter un changement notable dans son attitude. Je ne peux pas voir, au cours des dernières années, où tout a basculé pour lui.
Le policier m'observe toujours. Il attend une réponse à sa question. Je n'ai rien à lui répondre. Il nous a caché son état, comme s'il se sentait honteux de nous en parler. Bien sûr que ça le répugnait, lui qui ne cessait de se plaindre de ma soi-disante faiblesse. Jamais nous ne l'aurions su.
— Ça devait être récent, finis-je par répondre. Je ne crois pas que personne n'ait su pour sa maladie.
— L'ordonnance date de près d'un an. Elle arrivait à échéance sous peu. Nous vous suggérons d'investiguer davantage pour s'assurer que votre père n'a pas commis un geste volontaire, ce soir. La dépression amène à faire ce genre de choses, parfois.
J'hoche la tête pour la forme. Il est mort, qu'est-ce que ça changera de parler à son médecin ?
Les deux agents se lèvent d'un seul mouvement, ce qui met fin à l'entretien. Je suis ramené à l'entrée du commissariat où Brandon et Lana sont toujours installés sur des chaises droites. Ils n'auraient pas dû m'attendre. Ma soeur a les yeux fermés, la tête sur l'épaule de notre frère qui est lui-même endormi, les jambes étendues et le dos de son crâne contre le mur, la bouche à demi-ouverte. Si ce n'était pas une nuit si morbide, je les regarderais dormir encore quelques minutes. Ils sont encore si jeunes. Leurs traits détendus leur confèrent un air encore plus angélique.
C'est l'agent qui me raccompagne qui racle sa gorge assez fort pour les réveiller. Bien sûr, il doit avoir hâte de se débarrasser de nous, alors au diable la douceur. Lana et Brandon se lèvent et, sans rien dire, nous quittons la réception. Les journalistes sont déjà là. Je comprends maintenant pourquoi ma fratrie est restée dans la salle d'attente. D'un geste protecteur, je les pousse derrière moi et fonce dans la foule. Des questions fusent de partout. Cette fois, Brandon ne peut pas les détourner car il est lui-même celui à qui on pose les questions. Je me contente de marcher le plus vite possible jusqu'à ce que nous rejoignions la voiture.
Les journalistes cessent de nous accaparer dès l'instant ou la dernière porte est claquée. Ils se ruent tous vers un policier derrière un lutrin. Nous ne sommes même pas encore sorti du stationnement que Brandon reçoit une notification venant de l'un de ses contacts dans les médias.
La terre entière est au courant !
Il pianote quelques fois sur son téléphone puis, il se laisse tomber contre le dossier arrière. Il ne peut même pas respirer trente secondes que d'autres notifications viennent nous agresser.
On ne veut pas savoir que des millions de fans sont atterrés par la mort de papa. Il a rendu sa famille malheureuse pendant trop longtemps pour qu'on ressente la moindre compassion pour des inconnus. Ils vont survivre à notre mutisme.
Lana prend son propre téléphone et compose un numéro puis, attend qu'on lui réponde.
— Allo, maman ?
— ...
— Oui. Tu as déjà vu ? C'est bien lui. Il est mort.
— ...
— Nashville, on retourne à l'hôtel.
— ...
— D'accord, on va t'attendre.
Ma petite sœur raccroche et me regarde du coin de l'œil. Elle n'a pas besoin d'en dire plus. Maman viendra nous rejoindre. Telle que je la connais, elle ne veut pas rester seule. Papa est l'unique véritable amour de sa vie. Même si elle ne l'avouera jamais, je sais qu'elle n'a jamais cessé d'espérer retrouver l'ancien Charles. Nous sommes semblables tous les deux, je n'ai jamais cessé d'espérer.
Daryl
Des funérailles pour Charles Firsten. Je ne pensais pas que je serais aux premières loges de cet événement. La cérémonie est restée intime, mais à présent, National Broadcast News diffuse, en direct, la sortie du cercueil vers le dernier repos du plus grand coureur automobile de NASCAR de tous les temps.
Je roule des yeux à tous ces superlatifs dégoulinants que la presse déferle concernant cet homme odieux. Il détestait Dorian et n'avait pas une once d'amour envers son fils. Ça me rend dingue qu'on fasse l'éloge d'un homme aussi égoïste.
Et là, derrière le cercueil, surgit de l'ombre, l'homme le plus beau qui existe. Une crampe à mon cœur me rappelle tous les beaux moments qu'on a eus ensemble. C'est difficile de le voir sans pouvoir le toucher. Ce sera le lot de ma vie, Dorian n'aura plus jamais un regard vers moi. Je dois m'y habituer, je suis si laid, avec toutes mes cicatrices, jamais il ne reviendra. Il est passé à autre chose dès qu'il a vu toutes ces balafres qui parcourent mon torse.
Je touche le téléviseur, juste pour m'imaginer que c'est lui qui est sous la pulpe de mes doigts. Je ferme les yeux pour contenir mes larmes. Ses yeux énigmatiques, qu'est-ce que je donnerais pour les revoir une toute dernière fois. Lui dire adieu serait la pire des douleurs, mais au moins j'aurais la chance ou la malchance de le revoir. Il m'a fait si mal et, pourtant, je n'arrive pas à le haïr. Au fond, je le comprends de ne pas vouloir d'un homme qui lui rappellerait son père en permanence.
Je recule jusqu'à mon lit et me frotte l'épaule. Chaque jour, elle me fait un peu plus mal parce que je n'arrive pas à me rendre au centre de soins qui m'aide, enfin, qui m'aidait avec ma réhabilitation.
De loin, je ne vois pas les yeux de Dorian. Cela me permet de l'oublier quelques secondes et de porter mon attention sur la femme derrière lui. C'est Sharon ! Cette femme est tout aussi courageuse que son fils. Charles l'a humiliée d'une autre manière. Une humiliation qu'elle a laissé de côté le temps d'enterrer le père de ses enfants. Elle tend la main derrière elle et une tête qui ne m'est pas inconnue sort de la chapelle pour la rejoindre et lui offrir son bras. J'aurais compris que ce soit Dorian ou Brandon, ou même un parfait inconnu, mais CARLOS !
Sharon prend son coude et redresse la tête. Carlita tapote la main de mon ex-belle-mère puis, ils avancent jusqu'au cercueil, suivis par Lana et Papi. Brandon ferme le cortège de la famille Firsten avec une grande blonde que je ne connais pas. Ce n'est pas surprenant étant donné que cela fait plus d'un mois que j'ai eu mon accident. Je ne suis pas au fait de tout ce qui se passe dans le clan Firsten. La seule chose qui me percute, c'est que Dorian est seul. Il n'a personne pour le soutenir. Bien sûr, il ne doit pas être sur le point de s'effondrer, mais tout de même, j'aurais été là, moi.
D'ailleurs je reviens à Carlita. Je peux comprendre pour Papi, mais pourquoi mon coéquipier se trouve avec eux. Il est revenu avant-hier d'Europe. Il n'a même pas daigné venir prendre de mes nouvelles, moi qui l'ai encouragé depuis le début de la saison. Et là, il est le cavalier de Sharon. Est-ce que Dorian l'a monté contre moi ? J'espérais que mon beau brun ne serait pas ce genre de gars qui déteste son ex pour la seule raison que c'est son ex. Je vois que je me suis fait une image idyllique du fils alors qu'il a des ressemblances frappantes avec son père. Je croyais le connaître, mais maintenant, je sais à quoi m'en tenir.
Je n'ai plus envie de le voir. J'entre sous les couvertures et me cache la tête. Les journalistes ne cessent pas de commenter, ce qui me frustre encore plus. Je cherche à l'aveuglette la télécommande.
« Dorian est le digne successeur
de Charles Firsten. »
« Nous sommes impatients de
le revoir sur les circuits. »
Ces derniers mots se perdent alors que je trouve le bouton et que je ferme le téléviseur sans quitter la noirceur de mes draps. Je n'ai aucune envie de savoir qu'il est encore plus populaire qu'il ne l'était.
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