Chapitre 35
Dorian
J'ai à peine réussi à retrouver mon sang froid que les haut-parleurs crachotent l'arrivée du vol de ma mère. À contrecœur, Daryl relâche son étreinte afin que je me lève.
Maman est là !
Il faut que je reste calme, surtout que je veux lui présenter mon petit ami. Celui-ci semble d'ailleurs assez stressé. J'ai une idée assez précise de ce qu'il doit ressentir. Lorsque Jenny m'a donné la main, j'ai eu un moment d'inconfort, sachant que Daryl n'a jamais été en couple. Je suis le premier ! Rien pour se sentir en pleine possession de ses moyens. Alors mon ange qui doit rencontrer sa belle-mère, sans attirer sa méfiance, doit particulièrement le rendre dingue.
Il a un sourire crispé et les mains moites. Je resserre ma prise pour lui donner un peu de courage, mais je vois bien que ce n'est pas suffisant. Il frotte son front à plusieurs reprises, signe de la tension intérieure qui l'habite. Je ris de le voir si démuni. Mon petit ami impulsif n'a tout simplement plus rien de fougueux. Celui-ci passe maintenant sa main sur son bermuda pour contrôler la panique qui l'accable.
— Allez, coeur de lion, elle va t'apprécier, tenté-je en lui offrant un chaste baiser.
— J'aimerais qu'au moins un de tes parents me voit autrement que comme un gars avide de popularité, répond mon amoureux. Je veux bien faire les choses avec toi.
— Maman ne va pas te castrer, tu sais. Elle te ressemble beaucoup, en fait. Je suis certain que vous allez bien vous entendre.
Nous arrivons à la porte de débarquement, tous les deux anxieux pour différentes raisons. Jenny et Carlos restent un peu en retrait et discutent de tout et de rien. L'hispanique ne semble pas draguer, ni même être sur le point de bégayer en face d'une femme.
En revenant vers la porte, j'aperçois maman qui traîne une minuscule valise derrière un vieux couple qui doit frôler les quatre-vingt-dix ans. Les deux personnes âgées se tiennent la main et trottinent vers nous.
— Mon amour, je suis si excitée à l'idée de revenir ici, à l'endroit de notre lune de miel, roucoule la dame aux cheveux d'un blanc immaculé.
— Prête pour passer une nuit endiablée ? taquine l'homme avec une canne.
— On verra bien qui aura le plus d'énergie, Monsieur le vantard.
Sans nous consulter, Daryl et moi rions de leur petite discussion. Ils font fondre mon coeur. Même à cet âge vénérable, ils réussissent à s'amuser comme des gamins. Leur ressembler plus tard est quelque chose que je souhaiterais, surtout si je peux le vivre en compagnie de Daryl. Tout en les regardant s'éloigner, je rêvasse quelques secondes de mon ange : rendu à quatre-vingt-dix ans, il me lance une répartie pleine d'amour et de sous-entendus pour me faire savoir qu'il ne s'est pas encore lassé de moi.
Je n'ai pas le temps de m'attarder plus longtemps que les bras de maman s'enroulent autour de mon cou et qu'elle m'embrasse partout comme si j'étais encore son petit garçon.
— Bonjour maman, dis-je en essayant d'éviter d'autres baisers sur le front. Tu as fait un beau voyage ?
— Le plus adorable qui soit, réplique-t-elle aussitôt. Le couple que tu vois partir au loin n'a pas arrêté de se couvrir de petites attentions. Je les aurais volontiers adoptés si je n'avais pas encore mes propres parents.
Elle se recule finalement et reconnaît aussitôt mon copain qui penche la tête pour nous laisser le temps de nous retrouver.
— Serait-ce le beau Daryl White !? s'exclame-t-elle, heureuse de sa découverte.
— C'est bien lui, confirmé-je en prenant la main gauche de mon amant. Maman, je te présente mon petit ami.
Inutile d'en rajouter. Les yeux espiègles de maman me narguent une fois de plus.
— Petit ami, hein ? Il me semblait t'avoir entendu dire que vous n'étiez que des amis.
— M'man ! Je suis certain que Lana t'a déjà raconté. Pourquoi tu fais toujours tout pour me rendre mal à l'aise ?
— Peut-être que j'attendais depuis une semaine que tu viennes me rejoindre à la maison et que tu n'as pas daigné me donner un seul coup de fil depuis cette conversation !
D'accord, je l'ai mérité, mais j'aurais préféré que Daryl n'entende pas que je le considérais seulement comme un ami, il y a une semaine.
— Enchanté, Madame Cofield, finit par articuler mon ange en tendant sa main. J'étais impatient de voir enfin la maman chérie de mon beau brun.
— Pas de madame, s'il te plaît. Je tente par tous les moyens d'oublier mon âge. Tu peux m'appeler Sharon, réplique-t-elle en s'approchant pour l'embrasser bruyamment sur les deux joues.
Daryl hoche la tête après s'être séparé de maman et vient pour prendre sa valise, mais c'est sans compter sur Carlos qui la lui vole des mains tout en se présentant.
— Bonjour Sharon, moi c'est Carlos Cortez. Je suis le coéquipier de Daryl. Vous êtes magnifique. Je comprends maintenant d'où vient la beauté de Lana. Elle ne vous arrive pas à la cheville, cela dit.
— Tu es charmant, jeune homme. Merci beaucoup pour ce compliment. Il y a bien longtemps qu'on ne m'a pas flattée de cette manière.
Ma mère rougit un peu alors qu'elle tapote la joue de Carlos. Il prend sa main, puis vient déposer un baiser galant sur ses doigts. J'hausse un sourcil en remarquant que maman ne tente pas de se dérober.
J'ai la berlue ou quoi ?
J'ose un regard vers Daryl qui fronce les sourcils avant d'étouffer un rire. Je lui mets un coup de coude dans les côtes pour l'arrêter immédiatement.
— Ouch ! Qu'est-ce que j'ai fait ? se plaint mon amoureux.
— Sérieusement ? Tu vois bien que Carlos exagère. Tu pourrais lui dire d'arrêter de draguer ma mère !
— Il applique à la lettre ce que tu lui as toi-même conseillé : être un gentleman en toute circonstance.
— Et il se débrouille parfaitement, confirme maman.
Daryl
Sharon est une vraie perle. En fait, elle me fait penser à ma propre mère. Bien sûr, elle est plus vieille que l'était ma petite maman, mais pour son âge, elle est vraiment très belle. Ses cheveux courts, faussement blanchis, sont parcourus de longues mèches lilas qui traversent son front. Chacune est placée à la perfection comme seule sait le faire une excellente styliste. Si je ne connaissais pas son âge, je lui donnerais la trentaine. Ses yeux sont d'ailleurs à l'image de ceux de Dorian et Lana : d'un brun foncé s'approchant presque du noir. Quant à sa silhouette, grande et élancée, elle lui donne des airs de mannequin. En comparaison, Lana a presqu'une tête de moins. Cette femme m'a plu immédiatement avec sa réplique concernant l'attitude de Carlos.
Et en parlant de ce tout récent adulte, je confirme qu'elle lui plaît plus que nécessaire. Au moment d'entrer dans notre camionnette, il lui ouvre la porte pour l'inciter à monter à ses côtés alors qu'il oublie de faire pareil avec Jenny. Ainsi, nous nous retrouvons à l'arrière tandis que mon coéquipier jacasse avec Sharon de tout et de rien, comme s'ils se connaissaient depuis des lustres. Lui qui a l'habitude d'avoir les cheveux presque rasés sur les côtés, elle lui offre de rafraîchir sa coupe avant de faire de même avec Dorian et moi.
J'accepte sans enthousiasme, car mon petit ami ne m'a jamais vu les cheveux courts. En fait, je vois qu'il n'est pas plus enclin que moi à revêtir une coupe fraîche, se lamentant que cela peut attendre une semaine ou deux.
– Je me porte volontaire pour être le premier, s'écrie Carlos. Je suis sûr que tes mains sont magiques et que ce sera un chef-d'œuvre.
– Toujours aussi charmeur, Carlos.
– Non, je dis ce que je pense.
– En leur parlant de cette façon, toutes les femmes doivent tomber sous ton charme.
– Nan, c'est Dorian qu'il faut remercier. Votre fils est une vraie inspiration.
– Si tu veux parler de la manière dont il se rebute chaque fois que je veux retoucher ses cheveux, on ne parle pas du même fils, c'est certain. Brandon est bien moins rabat-joie.
– Mi querida, il n'y a pas de doute. Dorian m'a fait voir la vie différemment. Je pense d'ailleurs qu'il doit tenir tout ça de sa mère.
Je jette un œil à mon copain, puis à ma sœur. Nous sommes tous sidérés qu'il l'ait appelée «Mi querida». Il a osé l'appeler «Ma chérie» ! Cela fait moins d'une heure qu'il la connaît et il déballe déjà le grand jeu. Bien que Dorian ne dise rien, je le sens se tendre pour le reste du voyage. Les questions innocentes de Jenny restent, pour la plupart, sans réponse. Quelque chose l'inquiète. Si c'est l'attitude de Carlos, il ne devrait pas. C'est un grand parleur, mais il n'irait jamais jusqu'à vouloir plus avec Sharon.
D'ailleurs, si ma sœur n'a plus de réponses de la part de mon amant, je suis dans la même situation. À court de sujets de conversation à sens unique, je m'informe auprès de Jenny si sa petite famille va bien tandis que je jette un œil à ce qui se déroule à l'avant. Sharon rit aux éclats alors que Carlos lui fait du plat. Si j'étais à la place de Dorian, j'aurais presque le goût de frapper mon coéquipier tellement il y met du cœur pour l'éblouir.
Ce n'est que lorsque nous arrivons près de la piste que je sens Dorian se détendre. Il sait que Lana et Brandon vont occuper leur mère et que Carlos va être mis de côté. Et comme prévu, Lana lui saute dans les bras dès que nous sortons du pick-up. Carlos, pour sa part, reste en retrait pour sortir les deux bagages de Jenny et Sharon. J'en suis presque sans voix. Le môme a finalement des membres qui fonctionnent quand il s'agit de faire des tâches ingrates.
Comme je sais que Dorian est de meilleure humeur, j'en profite pour m'approcher et lui entourer la taille. Il reste surpris de mon geste car nous sommes en public où certains journalistes ont déjà commencé à envahir les environs. Son père ne l'a jamais autorisé à faire son coming out. Je viens pour reculer afin de ne pas l'obliger à faire quelque chose qu'il ne désire pas quand je suis aspiré vers son torse en un rien de temps.
— Où vas-tu ? s'indigne-t-il.
— Je croyais que tu n'étais pas prêt, soufflé-je à son oreille.
— Papa n'était pas près, mais puisqu'il ne semble plus vouloir m'adresser la parole, je vais faire ce qui me plait, répond-il d'un ton rauque tout en m'embrassant à la base du cou.
— Chat de gouttière, j'adore cette voix.
Je roucoule de bonheur en penchant davantage la tête pour lui laisser un meilleur accès.
— Et si on laissait les autres discuter un peu ? On pourrait avoir le camping-car juste pour nous, continue mon amant. Tu crois que c'est faisable ?
— Si ta mère n'était pas à côté, j'aurais déjà crier à mon équipe que la place est prise pour les deux prochaines heures.
— Une petite vite, c'est aussi très très libérateur. Maman ne lâchera pas son idée de couper nos cheveux, m'explique-t-il en riant. Il va falloir être rapides, avant qu'elle nous repère.
Sérieusement ?
Je rencontre sa mère pour la première fois et il veut baiser derrière un mur de quelques centimètres d'épaisseur ?
Ma stupéfaction doit être perceptible car il redouble son éclat de rire. Je recule pour lui faire face. Mes mains s'agrippent aux mèches de son cou pour le tenir bien droit devant moi. Il a ce regard félin que je lui ai vu pour la première fois quand il essayait de me faire craquer, lors de cette fameuse première nuit. Je dérape un instant devant cette vision trop sexy.
— Allez mon ange. Maman sait très bien que nous ne sommes pas chastes et vertueux.
— Moi qui te croyais prude !
— Si tu ne connais pas maman, tu apprendras vite que son sujet de conversation préféré est de tout savoir sur la vie de ses enfants, incluant le sexe. Elle ne met jamais un de mes amants à la porte comme le fait papa. Je dirais plutôt que ce sont eux qui partent en courant, bien trop intimidés par ses questions indiscrètes. Est-ce que tu crois que tu pourras le supporter ?
— Tu plaisantes ? C'est la belle-mère de mes rêves. Carlos et Papi ont tout entendu. J'aurai enfin un nouveau public !
Cette fois, c'est Dorian qui semble surpris. Peut-être que Sharon est moins ouverte que ce que je m'imagine.
— Garde tout de même quelques informations pour toi, finit-il par répondre. Je suis encore en mode apprentissage, avec toi.
— Bon alors, je vais te laisser répondre à ses questions, mais dès que je sens que ta mère m'accepte, je balance tout.
— On verra, Don Juan. Tu parles vraiment trop, aujourd'hui. Je vais finir par croire que tu n'as pas le goût de t'envoyer en l'air.
Il a cette intonation volontaire et provocante qui diffuse de légers frissons d'expectation dans mon bas ventre. Dorian n'a pas tort, mais sachant maintenant comment est sa mère, je lui attrape la main et le tire sans un mot vers notre maison mobile.
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