Daryl

Les spectateurs sont arrivés entre le moment où je me suis éclipsé en compagnie de Papi et mon retour sur le terrain avec ma tenue de course. Celle-ci est vert lime et arbore les logos de mes commanditaires dont certains n'ont pas participé aux fonds obligatoires pour mon inscription. Malgré tout, ils sont des partenaires précieux qui me permettent de vivre de mon sport. Cela ne me dérange donc pas de les afficher, surtout qu'ils sont de potentiels donateurs sur lesquels j'aurai un levier de plus pour les inciter à s'impliquer l'an prochain.

J'arrive auprès de Papi et Carlos qui m'encouragent à grands coups sur l'épaule et dans le dos. Évidemment, j'aimerais que Dorian soit là, mais les règles sont ainsi faites pour cette course : aucun individu autre que le mécanicien et un technicien. Bon, c'est vrai que Carlos n'est pas technicien, mais il fera l'affaire. Ce n'est pas comme si les autres ne l'avaient jamais vu. Dès que mon casque est attaché, je passe une jambe par-dessus mon bolide et viens la camper au sol afin de bien soutenir la moto. J'ose un regard vers les estrades, à la recherche de mon sweat rouge. Aussitôt, mon chaton se lève et crie des encouragements avec ses mains en porte-voix. Cette démonstration de solidarité me prouve à quel point Dorian est à fond. Il tire même sur le chandail de Lana qui est forcée de le suivre. Sans surprise, elle ne se prive pas d'ajouter sa voix claire à celle de son frère qui est quelques octaves plus graves. Malgré le coup d'éclat de Jack, elle a gardé le moral.

Je n'ai jamais vu une famille aussi unie dans l'adversité. Ce duo qui sautille dans les gradins vit de si durs moments, et pourtant, ils réussissent à s'amuser. Oh ! Je ne suis pas dupe, leur boucan ne va pas me faire oublier que Dorian a besoin de soins. Ce matin, j'ai passé un coup de fil à ma grande amie, Jenny. Nous avons vécu dans la même famille pendant près de 3 ans. Bien qu'elle soit ce qui se rapproche le plus d'une sœur à mes yeux, il est impossible de comparer son physique à celui de Lana. Quand celle-ci a de longs cheveux presque noirs, Jenny a une coupe au carré d'un blond presque blanc. La cheffe mécanicienne détient des yeux très sombres alors que ma sœur porte le ciel dans ses superbes iris. Jenny me dépasse de quelques centimètres et avec son métier de psychologue, elle revêt toujours des tailleurs de marque. En définitive, nos sœurs n'ont rien en commun, de totales opposées, tout comme Dorian et moi.

Jenny m'a promis de passer la fin de semaine en notre compagnie. Comme ça, elle pourra connaître Dorian et le référer à l'un de ses collègues. Elle m'a expliqué qu'il n'était pas question pour elle de prendre mon petit ami comme client car elle risquerait gros pour sa carrière. « Ce n'est pas éthique », qu'elle dit. Du coup, elle va analyser un peu ce qui se passe quand Dorian est près de son père, mais ce n'est que pour lui trouver le meilleur thérapeute. Elle a même suggéré de faire venir Charles à l'une des rencontres... Cette idée a rapidement été mise de côté quand mon beau brun a refusé que le grand patron sache qu'il voit quelqu'un.

La crainte... Je deviens excellent pour la déceler dans les yeux de mon chaton. Il a cette aura énigmatique pour cacher le vrai lui, l'homme joyeux qui me fait de grands signes d'encouragement depuis les estrades.

Dorian est si enjoué aujourd'hui que même si je cours pour mes parents, j'espère gagner pour qu'il profite pleinement de la vie et du simple bonheur d'être libre de faire ce qu'il veut. S'il souhaite manger un hot-dog, il le fera. S'il préfère m'embrasser devant l'assistance toute entière pour me féliciter de ma victoire, je lui répondrai avec joie. Tout cela, il le fera, car je veux voir ses yeux briller. Cette journée, elle est bien plus pour lui que pour mes parents.

Je vais gagner pour Dorian. Oui, il va redécouvrir toutes les joies qui viennent avec un trophée au lieu de rester prostré dans sa chambre d'hôtel.

Les officiels s'installent de chaque côté de la piste pour laisser les motos se ranger le long de la ligne de départ. À la différence des voitures, nous partons tous sur un pied d'égalité. Jack est à trois motos à ma droite. Bien que nous soyons sur la même rangée, je sais qu'il n'a pas la meilleure place. Il se retrouvera vite poussé vers l'extérieur dans le premier virage. Tirage au sort oblige, il n'a rien pu contesté. D'ailleurs, j'étais prêt à monter aux barricades s'il osait dire un seul mot. Après la honte qu'il a provoquée tout à l'heure, j'ai comme l'impression que je ne serais pas le seul à lui remonter les bretelles bien comme il faut.

Les coureurs sont prêts, les deux pieds au sol. Chacun attend avec impatience le signe de départ. Le président de la Société canadienne du cancer lève le bras puis, le redescend aussitôt pour lancer la course. Ça ne fait pas très formel, mais ce n'est que pour s'amuser. Tel que je l'ai prédit, les autres gars ne donnent aucune chance à mon ancien coéquipier qui doit fulminer d'être aussi vite relégué en dernière place. Je ne comprends pas l'entêtement de Jack à vouloir participer à cette course. Il n'y trouve aucun plaisir.

Le but non voilé de Mark est bel et bien que son fils remporte encore la première place. Charles Firsten est colérique et intransigeant, mais Mark Glenders est un provocateur de sang pur. Je vois très bien ce qu'une telle rencontre entre les deux champions a dû déclencher.

Étincelles

Flammes

Brasiers

Feux de forêt

Le simple fait de m'imaginer Dorian qui tente depuis des années d'éteindre ce maelström incontrôlable muni d'un pauvre fusil à eau ravive ma détermination. Ce n'est pas vrai qu'il va voir Glenders se repaître d'une victoire remportée par son fils.

Je prends des risques contrôlés, laissant Jack se fatiguer à vouloir envoyer balader tous les concurrents qui se trouvent sur sa route. Comme toujours, Papi a réussi à se surpasser. Cette fois-ci, je soupçonne une jolie brunette de l'avoir aiguillé. Il en résulte l'alliance parfaite entre puissance et rapidité. Je souris de toutes mes dents. Cette année, je serai vainqueur. Je fonce vers la ligne d'arrivée, voyant une tache rouge au travers de cette marée de gens. Mon chaton est là, plus excité que jamais.

Il est si beau quand il sourit...

Dorian

Je crois que je n'ai jamais autant crié en une seule journée. Daryl a remporté cette course sans même s'inquiéter des autres concurrents. À mes côtés, Lana hurle aussi fort que moi. Après être littéralement tombés dans les bras l'un de l'autre, je la soulève un peu pour l'embrasser sur le front. Je la repose ensuite par terre, ressentant cette fébrilité comme si j'étais le gagnant.

En dirigeant à nouveau mon regard vers la piste, je vois mon petit ami qui est en train de faire des accolades aux deux autres finalistes. C'est définitif, ce sport est bien plus cordial que celui de la course automobile. Mon cœur se sert quand je vois Daryl frapper le fessier de l'un d'entre eux. Bien qu'il soit très clair concernant ses sentiments pour moi, le doute s'insinue toujours.

Je me déteste tellement.

Ce n'est pas en Daryl que je n'ai pas confiance, mais en moi-même. Je cherche toujours à ne pas sombrer, à chaque instant de ma putain de vie, alors que lui, il respire la libre insouciance. Si je ne fais rien, un jour, il comprendra que je ne suis pas fait pour lui. Sans doute que je devrais essayer quelque chose de différent et tenter de lui donner ce qu'il désire. De cette manière, il m'aimera peut-être plus longtemps.

C'est décidé, je vais lui offrir ce qu'il a si bien quémandé ce matin. Il ne faut pas que je me défile, même si j'ai cette crainte que tout parte en vrille.

De l'endroit où je me trouve, je peux voir Daryl qui me fait un grand signe de la main tandis qu'il monte sur le petit podium installé au centre de la piste. Le simple fait de voir mon copain aussi heureux me remplit à nouveau de bonheur. J'ai mal aux joues à force de sourire. Étant dans l'estrade réservée aux V.I.P., Lana et moi nous précipitons vers la terre ferme afin d'aller le féliciter.

Jack est là, la mine basse. Ses yeux sont remplis d'une noirceur cruelle que je ne connais que trop bien. Il a ce regard, identique à celui de papa, chargé d'amertume à peine contenue. Il prépare un mauvais coup, j'en mettrais ma main au feu. Même si c'est inquiétant, je ne dois pas m'attarder sur son état d'esprit. Il faut plutôt que je passe à autre chose et que je tente de ne pas tout ramener à mes craintes infondées. Il a fini bon dernier, ses raisons d'être frustré sont fort légitimes.

Je fais quelques pas de plus et arrive sous la marche du vainqueur. Aussitôt, Daryl s'accroupit et vient m'embrasser avec force, laissant mes doutes être relégués au second plan. Oui, je ferais tout pour mon ange, même ce que je n'aurais jamais imaginé avant ce matin.

— Je suis si content pour toi, lui crié-je à l'oreille. Tes parents seraient fiers de toi.

Son sourire s'illumine puis il me répond avec toute la sincérité que je lui connais.

— Cette victoire, elle est pour toi, beau brun. Je t'aime tellement.

Mes yeux s'emplissent de larmes. Il a choisi de me dédier sa course. Comment ne pas l'aimer encore plus ?

Les autres concurrents descendent du podium, suivis de mon petit ami qui ne se gêne pas pour s'accrocher à mes épaules.

— Un resto avec les potes pour fêter mon nouveau trophée, ça te dit ?

— Je préférerais rester un peu seul avec toi. On est trop envahis depuis quelques jours.

— Tu veux me récompenser convenablement ? susurre-t-il auprès de mes lèvres.

Putain ! S'il me parle de cette manière, je le récompenserai avec plaisir. Par contre, l'angoisse s'insinue en moi. Serai-je à la hauteur ? Ses attentes sont sûrement bien plus élevées que ce que je pourrai lui donner.

Être positif, c'est ce que je dois me mettre dans la tête. Tout ira bien, ce sera avec mon amoureux, rien ne pourra mal se terminer. Et puis d'ailleurs, comment résister à ce charme ? Sans plus attendre, je fonds sur ses lèvres et l'embrasse avec autant de passion qu'il m'est possible de le faire.

Dès que nos lèvres se quittent, je le serre tout près de moi, mon front contre le sien.

— Je loue une chambre juste pour nous ?

— Je suis bien d'accord... Je n'ai envie que de t'entendre, toi, glousse-t-il en resserrant ses bras autour de mon cou.

Mon cœur est en apnée, en défaillance totale. Ses yeux émeraude me dévorent d'une façon que je ne lui ai encore jamais vue. J'espère ne pas tout faire foirer.

C'est son nez qui frotte tout doucement contre le mien qui me ramène à la réalité.

— Je t'aime, mon ange.

— Je l'espère bien, beau brun. On a encore toute la soirée pour que tu me le prouves.

Je pouffe de rire, légèrement angoissé. Oui, il a des attentes extrêmement élevées. Comme si tout semble normal, il prend ma main et m'attire vers l'hôtel.

— Dorian et moi on va faire la fête, seuls. Interdiction de venir nous déranger ! hurle-t-il à ses amis qui attendaient pour le féliciter.

Le rouge me monte aux joues à la vitesse grand « V ». J'ose un regard vers le petit groupe laissé derrière. Carlos à la bouche grande ouverte. Quant à Papi et Lana, ils se regardent dans les yeux. J'ai l'impression que ma sœur a baissé la garde avec cet homme qui passe un bras autour de ses épaules. C'est assez déroutant, mais elle mérite d'être traitée comme une reine. Sans le vouloir, je croise à nouveau les yeux de Jack qui dévisage Lana sans qu'elle ne le sache. Un démon couve derrière ses pupilles sombres. Une chance que Pascal est là, sinon, je ne l'aurais pas laissée seule avec ce cinglé dans les parages.

Je reviens vers Daryl qui me tire plus fort parce qu'il a senti ma résistance.

— Allez chaton ! Ils s'en remettront.

— Et moi, alors ?

— D'ici quelques minutes, on va s'envoyer en l'air. J'espère que ça te suffit.

Je préfère ne pas répondre car j'ai déjà du mal à penser correctement. Mes doutes sont plus présents que jamais alors que Daryl semble si à l'aise d'étendre sa vie sexuelle à tout vent.