Chapitre 28
Daryl
Toute la journée, j'ai jeté un œil attentif à mon beau brun pour m'assurer qu'il ne se sentait pas trop délaissé. Après tout, il ne connaît que Carlos. Je suis satisfait de constater que mon ami ne le lâche pas une minute et que Dorian semble beaucoup apprécier sa présence. Si je ne savais pas mon coéquipier si hétéro, je pourrais presque être jaloux : sentiment qui m'étreint d'ailleurs pour la toute première fois.
Par contre, mon serrement au cœur s'adoucit en découvrant les regards que mon chaton porte sur moi au moment où je passe à toute vitesse sous son nez. Je souris, incapable de faire autrement, quand j'entends Dorian me lancer des encouragements.
J'aime trop ce mec !
Les derniers essais se terminent alors que je m'approche du groupe pour rejoindre Carlos et mon petit ami. Il me semblait que les deux hommes se trouvaient à quelques pas d'ici quand je suis passé pour mon dernier tour. Pourtant, je ne réussi pas à repérer mon amoureux. Il était bien avec mon coéquipier, mais il a disparu.
— Tu sais où est Dorian ?
Ma question s'adresse à Carlos qui me sonde de ses yeux sombres. Il doit se douter que je m'informe parce que je suis en manque et non par simple inquiétude. Il prend son temps pour savourer l'emprise inhabituelle qu'il a sur moi. Somme toute, je doit admirer cet instant, car il a appris du meilleur : moi, en l'occurrence.
— Il a dit qu'il retournait à la chambre, finit-il par me révéler. C'était plutôt bizarre, on aurait dit qu'il venait de voir un fantôme.
— Chat de gouttière ! Il faut que j'aille le voir.
— Mouais ! Dis plutôt que tu as hâte de lui sauter dessus.
— Tu veux que je t'explique ce qu'on a fait pendant nos deux journées sans ta magnifique compagnie ?
Son sourire coquin se fane puisqu'il sait à quel point j'aime détailler mes nuits torrides.
— Ça n'arrivera pas ! réponds-je à la volée.
Il est tout aussi surpris de ma réponse que je le suis moi-même, mais il se reprend aussitôt.
— Alors le beau Daryl a vraiment été percuté par Firsten. Tu ne t'es jamais gêné pour tout raconter. Mon pote, ce n'est pas qu'un petit coup dans les genoux que tu as reçu. Ça ressemble plutôt à un train qui t'est passé sur le corps.
Je gronde comme simple réponse. Qu'est-ce que cela peut bien lui faire ?
Je n'attends pas plus longtemps pour me précipiter à la recherche de Dorian car je sais maintenant reconnaître ses changements d'attitude. À mon avis, il ne va pas bien. Il faut que je le trouve avant que tout parte de nouveau en vrille. Ma présence a semblé le rassurer ces derniers jours, alors je me dois d'être présent. Carlos s'arrangera avec la moto. De toute manière, c'est lui qui a les clés de notre atelier mobile.
À l'intérieur de l'hôtel, je ne prends même pas la peine d'utiliser l'ascenseur et m'engouffre plutôt dans la cage d'escalier, grimpant, quatre à quatre, les marches jusqu'à notre étage. Quand j'arrive enfin dans notre suite, je ne trouve pas tout de suite Dorian. La pièce commune est vide ainsi que la salle de bain. Je suppose qu'il n'a pas choisi de se rendre dans la chambre de Carlos et je passe donc directement à la chambre principale.
Dès que j'ouvre la porte, les sanglots de Dorian se répercutent jusqu'à mon cœur. Il est assis à même le sol, dans le coin le plus inaccessible, derrière l'énorme lit qui ne laisse entrevoir que sa tête. Son front repose sur ses genoux remontés. Quant à ses coudes, il les a plaqués contre ses cuisses alors que ses mains sont croisées derrière son cou. Il fait de légers mouvements de balancier dans une tentative désespérée pour se réconforter lui-même.
Je ne fais ni une ni deux et accours vers mon beau brun pour le soutenir. Cet homme a tellement de souffrance en lui que c'est presque suffisant pour que je me mette à pleurer avec lui, mais il faut que je reste fort.
— Chaton, je suis là, dis-je en m'asseyant à ses côtés.
Je passe un bras par-dessus ses épaules et le rapproche afin qu'il vienne s'appuyer tout contre mon torse. Il résiste une seconde puis se jette sur moi comme un naufragé sur une bouée. Les pleurs se transforment en de longues lamentations. Je le berce, ne pouvant pas communiquer avec lui pour le moment. Il a besoin d'évacuer tout ce qui le fait souffrir avant d'être capable de discuter.
Le temps passe, assez pour entendre la porte de la suite s'ouvrir. Carlos reste discret et n'insiste pas pour nous rejoindre. Peut-être croit-il réellement que je suis en pleine séance de sexe avec Dorian. Peu importe ce qu'il pense, je ne sortirai d'ici que lorsque j'aurai l'assurance que ça va mieux pour mon petit ami. Toutes ces crises qu'il fait ne peuvent avoir qu'une seule raison : Charles Firsten. Je hais ce monstre à un point qui ne se dit même pas.
Afin de me calmer, je passe mes doigts dans la chevelure de mon amant, tentant du même coup d'apaiser son âme torturée. Ses doigts, accrochés à ma combinaison, finissent par se relâcher puis, il relève la tête vers moi. Ses yeux rougis me remercient, mais il ne garde pas le contact longtemps. Dorian préfère se perdre un moment dans l'observation du ciel à travers la fenêtre.
À quoi pense-t-il ?
Je sais qu'il a droit à son jardin secret. Cependant, je veux aussi qu'il me fasse confiance. J'enlace nos mains et j'attends qu'il dise quelque chose, n'importe quoi.
— Je suis bon pour me jeter du haut d'un pont, finit-il par murmurer.
— Ne dis pas ça ! Je vais m'imaginer que je fais un piètre petit ami, réponds-je pour tenter de lui mettre un sourire sur le visage.
— Putain ! Je suis même en train de t'attirer dans ma noirceur. Tu ne vois pas que je remplis ta vie de négatif ?
— Chaton... Je savais déjà comment tu étais avant que nous soyons ensemble. Je t'interdis de penser que personne ne te mérite.
— J'ai encore craqué.
— Et alors ? Si c'est comme ça que tu dois te libérer, je m'en fous.
— Tu veux savoir pourquoi je suis dans cet état ?
— Seulement si tu le veux.
Il soulève les épaules pour me signifier qu'il n'y voit pas d'inconvénient. Il revient s'installer tout contre moi puis il parle enfin.
— Jack Strobovsky.
— Euh ! Il est venu te voir aujourd'hui ?
— Non, c'est que je l'ai vu avec Mark Glenders. Tu le connais ?
— Glenders ? C'est le père de Strobovsky. Il l'a retrouvé l'an dernier. Sa mère croyait que ce n'était pas une bonne idée qu'il le connaisse, mais quand elle est morte, elle lui a révélé son identité dans son testament.
— Je comprends tout.
— Si tu pouvais développer, que je puisse aussi savoir ce qui te rend si mal.
— Glenders est la cause de la séparation de mes parents et de la rage irrationnelle de mon père.
— Oh !
— Mark était un pilote de NASCAR au temps où papa courrait. Ces deux-là se détestaient comme chien et chat. Un jour, maman s'est retrouvée au centre de leur bagarre parce que Glenders l'avait sifflée. Tu sais comment papa peut être rancunier, alors il se sont battus avant une course. Cela s'est poursuivi sur la piste et cette fois, c'est Mark qui a gagné. Papa s'est retrouvé à l'hôpital, invalide à vie de son bras droit. Il a rejeté la faute sur ma mère qui portait des mini-jupes en permanence. C'était l'objet de leur bagarre : les cuisses de maman. Bref, le grand Charles Firsten n'a jamais digéré sa défaite et l'a durement fait payer à maman. Elle est restée avec lui bien après son accident, mais ses infidélités ont eu raison de ma mère. J'avais déjà commencé à faire de la course en amateur quand elle l'a laissé, alors j'étais la cible idéale : jeune, malléable, timide. Depuis ce temps, mon père me pousse au maximum, dans le but de battre le record de championnats. Il en a besoin pour démontrer à Glenders qu'il n'est pas le meilleur.
— Chat de gouttière ! Je suis désolé Dorian. Avoir su tout ça, je ne t'aurais pas traîné jusqu'ici.
— Ne t'en fais pas. Ce serait arrivé un jour ou l'autre. Tu vois, je l'ai côtoyé un peu au début de ma carrière professionnelle. Ce n'était pas si mal. J'ai juste eu des flash-back de tout ça.
— Tu devrais vraiment voir quelqu'un pour t'aider. En toute honnêteté, je peux être là dans la plupart des cas, mais c'est très profond comme traumatisme. Tu as besoin d'aide Dorian. Tu ne peux pas vivre avec ces crises toute ta vie.
— Je sais, mais j'ai une réputation à tenir. Ce serait un affront que de proposer cela à mon père. Il n'acceptera jamais que je sois faible.
— Charles est en partie responsable de ce que tu es. Il peut bien aller se faire foutre par qui il veut, je t'aurai un rendez-vous que ça lui chante ou pas.
— C'est ce que j'aime chez-toi, tu ne lâches jamais. Mais je n'ai pas toujours été aussi résigné. Il a juste trouvé le moyen de me retenir à chaque fois que je m'opposais.
— On verra bien qui tient le plus à toi, chaton. Je vais me battre pour toi. Tu as le droit d'être heureux, de ne pas faire de cauchemars ni de crises.
— Merci, je sais que tu veux me protéger. Je te demande par contre de faire attention, papa est extrêmement bon quand il s'agit d'obtenir ce qu'il veut.
Dorian
Je reste dans les bras de Daryl pendant encore plusieurs minutes. Je n'ai toujours pas le goût de faire face à Carlos qui aura un tas de questions, mais mon ventre affamé finit par gagner sur mon angoisse.
Daryl me tire par le bras alors que nous franchissons la porte. Le coéquipier de mon amant est debout, face à la porte-fenêtre qui donne sur la piste. Sa posture me rappelle celle qu'a adopté mon père le jour où j'ai enfin réalisé qu'il ne serait plus jamais le paternel que j'ai eu dans mon enfance. Sans m'en rendre compte, ma main se crispe sur celle de mon ange qui se retourne aussitôt pour vérifier si tout va bien.
Je fais mine de sourire pour cacher mon trouble et cela semble suffisant pour le rassurer. Malheureusement, moi je ne me sens pas du tout en confiance. Sous mon épiderme, mon sang oscille dans tous les sens, créant une respiration chaotique. Malgré tout, je m'efforce de ne pas y penser, pour éviter de gâcher les moments précieux que nous avons encore. Dans quelques jours, nous serons séparés afin de briller sur nos bolides respectifs.
C'est une odeur de thaïlandais très alléchante qui finit par distraire mon attention. Il semble que Carlos a eu le temps de faire une virée jusqu'au resto pour nous ramener à manger. Le temps ne m'a pas semblé si long et pourtant, en y regardant de plus près, je découvre que la nuit s'impose. Les nuages laissent une traînée orangée tirant vers le rose sur un fond de ciel au bleu vibrant tel qu'on en retrouve au coucher du soleil. Il est bien plus tard que je ne l'aurais cru.
Daryl me tend un sac et ouvre le second pour en sortir son propre repas. Nous nous asseyons au comptoir lunch et profitons du calme pour nous ressourcer. Carlos est résolument muet, ce qui est très inhabituel. Peut-être a-t-il tout entendu et il ne veut pas me rendre mal à l'aise. Ceci dit, le silence ne reste pas longtemps. La porte de notre suite s'ouvre en grand sur Papi qui traîne une valise rose.
Rose ?!
Nos regards interloqués doivent être fascinants, car il rit dans sa barbe avant de venir nous saluer.
— Tu en a mis du temps, finit par chouiner mon amoureux en serrant le quadragénaire avec force. J'ai eu peur que tu ne viennes pas.
— Je serai toujours là, blondie. J'avais juste un gros problème à régler.
— Qu'est-ce qui peut être plus important que moi ? répond-il aussitôt en se reculant pour que je lui donne la main.
— C'est compliqué, mais je me suis dit que c'était préférable de venir accompagné.
Daryl arrête de rire puis lance un regard vers la valise et ensuite vers Carlos. On dirait qu'il a avalé de travers tant ses yeux sont exorbités.
— Une femme ! s'exclame Carlos. Je n'aurais jamais cru voir ça ! Qui est donc cette déesse qui a réussi à conquérir le cœur de mon gros toutou ?
— Oh ! Elle préférait faire un appel avant d'entrer. Elle sera là dans quelques minutes.
Daryl commence à m'inquiéter quand il reprend sa place au comptoir et qu'il ne rajoute rien à ce qu'a répondu Pascal. Peut-être qu'il connaît l'inconnue. Je suis moins familier et je préfère entamer quelques phrases de courtoisie.
— Le chemin s'est bien passé ?
— Parfaitement, la balade était agréable.
— Oui, en charmante compagnie, réponds-je en m'apercevant qu'il rosit.
Il est sur le point de parler de nouveau lorsqu'un coup léger heurte la porte à trois reprises. Papi revient rapidement sur ses pas et ouvre à la femme qui est toujours dans l'ombre. Ils se chuchotent quelques mots, puis il la fait entrer.
Ma fourchette de plastique, que je tiens toujours, s'effondre sur la moquette.
C'est Lana !
Je fronce les sourcils, ne comprenant pas ce qui se passe. Ses yeux sont cernés, son habituel entrain ne semble pas au rendez-vous et, surtout, elle ne lâche pas la main de Pascal, comme si elle cherchait à se protéger.
— Moucheron ?
— Salut lover boy, répond-elle sans émotion.
— Mais pourquoi es-tu ici ? Papa a sûrement besoin de toi pour ajuster sa voiture pour le duel entre Daryl et lui.
— J'ai délégué.
Elle a les épaules voûtées, le regard morne et surtout, elle ne porte aucun maquillage, ce qui est très inhabituel. Elle hésite un peu, puis elle vient vers moi pour me serrer à m'en couper le souffle. Bien sûr, on est très proches, cependant, j'ai du mal à comprendre son attitude. Ce n'est pas la première fois que je pars seul. Quand je vais chez maman sans elle ou inversement, il n'y a jamais d'effusions aussi démonstratives à notre retour.
Je passe une main dans ses cheveux et lui embrasse le sommet du crâne. Cela me fait du bien de la tenir dans mes bras. Depuis que j'ai quitté l'hôtel de Montréal, elle ne m'a laissé aucun signe de vie alors que je lui ai écrit à quelques reprises. Elle voulait sans doute me faire la surprise et c'est pour ça qu'elle ne répondait pas.
— Je suis heureux de te voir, moucheron !
— Je suis tellement désolée, Dorian. Je ne savais pas.
— Qu'est-ce que tu ne savais pas ?
— Papa ! crie-t-elle dans mon chandail. Il est si horrible !
Mon cœur ne fait qu'un tour, ma tête se met à tourner en m'imaginant pourquoi elle s'accroche à moi aussi fort.
Il ne l'a jamais fait.
Je ne veux pas m'imaginer le scénario qui prend forme dans mon cerveau. Pourtant, sa posture repliée, son non-maquillage, ses sanglots qui traversent mes vêtements pour raisonner sur ma poitrine, tout m'indique ce que j'ai toujours craint. Je peine à retenir mes émotions, mais je choisis tout de même d'en avoir le cœur net.
— Qu'est-ce qu'il a fait ? demandé-je avec appréhension.
Elle ne répond pas sur le champ, ce qui est encore plus inquiétant.
— Je suis désolée, répète-t-elle. Je n'avais aucune idée de comment cela pouvait être difficile. Je le déteste, hurle-t-elle maintenant tout en gardant ses bras autour de ma taille.
Je jette un coup d'œil rapide autour de nous. Les trois gars ont un air soucieux, surtout Pascal. Je n'ai pas encore compris comment ce dernier a manœuvré pour me rapporter Lana, mais il est clair qu'il mérite toute ma gratitude.
— Merci, dis-je sincèrement à l'homme.
Ma voix est éraillée et mes mains tremblent en m'imaginant les horreurs que papa a pu lui dire. J'aurais dû rester, j'aurais dû encaisser, j'aurais dû la protéger. Lana n'aurait jamais dû vivre cela. Putain ! J'ai été lâche de ne pas réussir à lui faire face.
Ma petite sœur s'effondre dans mes bras, incapable de supporter davantage son poids. Je la prends en position de jeune mariée et me dirige vers la chambre libre. Au moment où je l'étends sur le lit, elle s'accroche de toutes ses forces à moi. Je n'ai plus qu'une solution, me coucher auprès d'elle pour la réconforter. C'est à mon tour de la soutenir et il n'est pas question que je me défile. Un doute subsiste. Si papa s'en est pris à Lana, peut-il aussi avoir abusé de Brandon ? Il a l'air fort vu de l'extérieur, mais il me ressemble beaucoup : ses émotions ne seront jamais sur la sellette.
Les jours qui ont suivi le départ de maman, je l'ai souvent retrouvé en pleurs dans son lit. À l'époque, il entrait à peine dans l'adolescence, alors il a vite compris que cela n'était pas très viril, mais je sais comment il est. Il faudra que je m'assure qu'il est en sécurité. Cependant, ma seule préoccupation, en ce moment, c'est de rassurer Lana.
— On va discuter plus tard, moucheron. Pour le moment, tu as besoin de repos.
— Je suis désolée, murmure-t-elle encore une fois.
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