A l'Encre Noire
J'étais là.
Ou du moins, mon corps l'était.
Mais mon esprit, lui, manquait à l'appel, écrasé par le poids de son regard penché au-dessus de moi. Écrasé par les interrogations.
Kyle me fixait, dur comme le marbre, impénétrable, la mâchoire contractée à s'en casser les dents.
Colère ? Haine ? Et si ce qu'il cachait derrière ses prunelles était pire qu'un simple ressentiment. Et si je possédais quelque chose qu'il convoitait au point de me détester ?
Mais quoi ?
Quelle objet de convoitise, aussi précieux était-il, pouvait amener un homme à renoncer à son humanité ?
Il adressa alors un regard à Mathias qui, toujours posté près de l'endroit où j'étais allongée s'était fait oublié l'espace d'un instant. Ce dernier s'approcha alors et comme pour s'excuser de son absence, plaqua mes poignets contre la table.
Il appuya si fort et si brutalement dessus qu'un cris s'échappa d'entre mes lèvres. Le genre de cris aiguë qui casse ou débouche un tympan. Mais au fond, est-ce que j'en avais vraiment quelque chose à foutre de l'état de leurs tympans ? Est-ce que j'en avais seulement quelque chose à foutre de tout ça maintenant qu'ils allaient m'emprisonner sur cette foutue table d'opération ?
Instinctivement, mes jambes se débattirent dans le vide, comme si mon audace téméraire allait me servir, comme si par magie j'allais pouvoir m'enfuir et tout gommer pour recommencer. Comme si tout ça n'avait jamais existé. Envolé, détruit, une feuille de papier qu'on aurait brûlé, un dessin sur le sable, effacé par le reflux des vagues, un bonhomme de neige fondu au soleil, un arc-en-ciel après la pluie. Comme si tout n'avait été qu'éphémère.
Mais non. Tout était réel, en train de se jouer, là, sous mes yeux, sous le poids de ses yeux à lui.
J'étais là. Ou du moins, mon corps l'était. Mais mon esprit, lui, manquait à l'appel.
En moins de temps qu'il ne faut pour compter jusqu'à dix, Kyle avait fait le tour de la table et avait noué mes chevilles entre elles. C'était donc pour ça, la corde.
De son côté, Mathias ne m'avait pas vraiment ménagé. Je dirais même que comparé à lui, Kyle avait été doux. Il tenait si fermement mes poignets qu'à chaque fois que je m'essayais à une quelconque résistance il refermait un peu plus son emprise sur ma chair. Le contact était douloureux, accentué par la forme de ses bagues dorées qui transperçaient encore et encore ma peau blême.
J'ai honte de dire ça, mais à cet instant, mon corps abandonna la lutte, il se mit en position de repli, il avait enclenché le bouton OFF de l'interrupteur, il avait éteint les lumières. Et tout sembla soudainement tellement plus facile. Tout sembla si calme, si paisible. C'était de lutter qui était dur, pas l'inverse.
Kyle prit place sur un tabouret à roulette et s'avança pour arriver à ma hauteur. Il enfila une paire de gants en plastique avec toujours, dans le coin droit, caché comme un baiser, cet air satisfait collé aux lèvres.
- Qu'est-ce que je peux bien faire pour vous aujourd'hui Mademoiselle Romanova ? Un tatouage me dite-vous ? Hmmm. Voyons donc ce que je peux vous offrir.
Mathias se mit à rire comme un dindon à qui on venait de voler sa farce.
Mes yeux s'écarquillèrent comme des soucoupes volantes. Il était hors de question que ce fou touche ne serait-ce qu'un centimètre de ma peau. Si ma mère savait ça. Elle serait sans doute revenue d'entre les morts juste pour empêcher ce qui allait s'en suivre. Je l'entendais me réprimander dans ma tête, et ça me faisait du bien d'entendre sa voix, de m'en souvenir à nouveau.
Entre temps, Kyle avait déniché un carnet bourré de croquis. Tous, sans originalité apparente reprenait le même motif de base, un scarabée ailée.
Ils étaient numérotés, pour la plupart, tandis que d'autres, encore orphelins était laissés pour compte, à l'abandon, en attente de se trouver un propriétaire.
Et je compris que bientôt, j'allais sauver un de ces scarabées. J'allais lui donner un foyer, ma peau. Moi.
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