Chapitre 7
Même si son plan était finement établi, elle n'omettait pas l'option d'un dysfonctionnement à un moment donné. Malgré tout, elle n'avait aucune intention de faire machine arrière, alors qu'elle était si proche de son but premier, la première étape de sa quête utopiste.
Elle devait avoir confiance en ses prédictions. Ne disait-on pas, après tout, que l'on obtenait rien sans risque?
Une fois tous les préparatifs terminés, ses poches soigneusement remplies et ses gants en cuir souple enfilés, la jeune femme avait ainsi quitté sa chambre par une fenêtre, afin de ne pas attirer l'attention des gardes et domestiques, reconnaissante du fait qu'elle se trouvait seulement au premier étage. Et que, en plus de cela, sa chambre donnait sur la rue, selon ses demandes antérieures.
Jamais personne n'aurait pu se douter que cette requête camouflait une envie irrépressible d'aller prendre l'air à une heure du matin, n'est-ce pas? Et, surtout, qui aurait pu prévoir que le pantalon en toile noire et le sweat à capuche rose qu'elle avait fait emballer serviraient à mieux glisser le long des gouttières?
Elle avait également récupéré l'une de ses nombreuses paires de baskets, qu'Aiko avait placé dans l'une de ses valises pleines à craquer, celle réservée aux chaussures.
Après plusieurs minutes de manœuvres habiles et silencieuses, Yui sentit finalement ses pieds toucher le sol, et la dureté de ce dernier lui indiqua qu'elle se trouvait sur un trottoir en béton.
En prenant bien soin de ramener sa capuche sur ses cheveux noirs et blancs attachés en chignon serré, dissimulant par la même occasion le bandeau qu'elle portait sur ses yeux, la jeune femme se mit en route d'un pas déterminé, mais non moins prudent, sachant qu'elle ne pouvait pas se servir de ses yeux et qu'elle n'avait pas apporté sa canne.
Elle avait appris par cœur le chemin de son hôtel jusqu'à l'Agence des Détectives Armés, à l'aide des instructions qu'avait dicté la voix robotique de son ordinateur, avant de bien entendu effacer toute trace de son historique.
Elle connaissait chaque embranchement à prendre et à éviter, mais elle n'était pas à l'abri d'un obstacle imprévu sur le chemin.
Remontant à présent une grande avenue, elle savait que le troisième embranchement était celui qu'elle devait prendre. Elle compta le nombre de fois où elle passa devant une rue adjacente, grâce au courant d'air qui s'engouffrait dedans et qui venait caresser son avant-bras, tendu en toute connaissance de cause, avant d'arriver à destination, sans aucune difficulté. Les alentours étaient calmes.
Désormais rendue devant le bâtiment qu'elle désirait trouver, elle se mit à chercher l'emplacement du café qui devait normalement se situer sous l'agence, sachant que le bâtiment était fermé à cette heure de la nuit.
Alors, sortant une enveloppe épaisse et cachetée au toucher incroyablement doux, témoignant de son prix exorbitant, Yui la glissa sous la porte du café, sachant pertinemment que ce dernier transmettrait sa lettre à l'Agence.
Comment le savait-elle? Simple. Avec un café ainsi situé dans le même bâtiment que cette Agence, il était obligé que les membres de cette dernière viennent quotidiennement dans l'établissement.
Même si ce n'était pas le cas, elle était certaine que le café ferait remonter l'enveloppe au destinataire mentionné dessus.
Mais si, malgré toutes ces prédictions, l'enveloppe venait à tomber entre des mains indésirables, elle avait pris une énième précaution. Plusieurs, même.
Elle aurait très bien pu glisser sa lettre dans une boîte postale et attendre que la lettre arrive naturellement, mais elle savait que cette méthode était beaucoup trop longue. Il aurait fallu attendre plusieurs jours pour que la lettre arrive à destination, et elle ne pouvait pas se permettre de gaspiller du temps de la sorte.
Avec un sourire satisfait, la jeune femme tourna les talons, ses baskets crissant silencieusement sur le sol en béton lisse, et entreprit de faire le chemin inverse, afin de retourner à son hôtel le plus rapidement possible.
Avant que qui que ce soit ne puisse s'apercevoir de son départ, en d'autres termes.
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Parcourant les longs couloirs tapissés de moquette rouge, et aux murs lambrissés de noyer, la femme jeta un œil à la montre accrochée à son poignet, qui indiquait presque deux heures du matin.
Aiko, tout juste trente ans, domestique des Uemura depuis une décennie environ, poussa un soupir de lassitude, le bruit de ses pantoufles étouffé par le tapis richement décoré qu'elle foulait sans remords. Sa longue robe de chambre mauve, qui lui parvenait aux chevilles, accompagnait le moindre pas de sa marche silencieuse.
Sur son chemin, les appliques accrochées aux murs s'allumaient une à une, grâce aux capteurs automatiques qui percevaient son mouvement. Déversant sur les couloirs leur lumière ambrée et chatoyante, dans ces longs couloirs qui semblaient comme hors du temps.
Par moments, elle croisait un garde de patrouille, mais à part cela tout était calme.
Aucun son, sachant que l'hôtel avait été privatisé le temps du séjour de sa maîtresse, limitant les chances de voir cette dernière importunée par d'autres clients. Rien de plus simple lorsqu'on était la fille du patron, après tout.
Au bout d'un long moment de flottement, Aiko arriva finalement vers l'un des quartiers réservés aux clients les plus prestigieux, au comble du luxe, encore plus que le reste de cet hôtel déjà hors de prix.
Une nuit dans la suite où logeait sa maîtresse équivalait à presque une année de son salaire de femme de chambre. Et, encore, elle devait s'estimer heureuse, contrairement à certaines de ses collègues.
Elle avait eu la chance de pouvoir être assignée à un poste important, avec le salaire qui allait de pair. Car son employeur, Yuuto Uemura, et surtout sa femme, qui s'occupait de tout ce qui touchait à la tenue de leurs différentes résidences, n'étaient pas vraiment connus pour leur grande générosité.
Mais bon, elle ne devait pas se plaindre. Car, grâce à cette promotion obtenue à l'arrivée de sa nouvelle maîtresse, elle pouvait vivre dignement, sans avoir besoin de trimer pour survivre au jour le jour.
Si elle avait été rebutée par cette tâche, au tout début? Evidemment. D'un côté parce que cette nouvelle venue était couverte de crasse et de vêtements déchirés lorsqu'elle l'avait vue pour la première fois, la faisant paraître bien plus jeune qu'elle ne l'était en réalité.
Mais, une fois lavée et habillée, ses cheveux coiffés correctement, Aiko avait finalement pu voir la jeune fille de quinze ans qui se cachait sous la saleté et les mèches folles. Le seul défaut majeur, dans cette apparence presque parfaite, c'était le bandeau qui obstruait sa vision, de nuit comme de jour.
De l'autre côté, elle s'était sentie repoussée par le devenir de cette fille, qui allait très certainement suivre le même chemin que son frère et sa sœur, malgré les attentes de son richissime et illustre père, devenant à son tour une enfant pourrie gâtée jusqu'aux os.
Mais, contre toute attente, Aiko était parfaitement bien traitée par sa nouvelle maîtresse. En plusieurs années de travail dans cette famille, presque dix, elle n'avait jamais été aussi bien considérée.
La première fois que la demoiselle lui avait dit merci, elle avait cru avoir mal entendu, et était restée bouche bée devant elle, avant de se reprendre, espérant que sa maîtresse ne puisse effectivement pas la voir, à cause de ses yeux dissimulés.
Mais, même avec cela, Aiko restait méfiante envers celle qu'elle servait. Une riche restait une riche, et le fait qu'elle ait été pauvre par le passé n'arrangeait pas les choses.
Maintenant qu'elle avait tout ce qu'elle désirait, n'allait-elle pas finir par craquer et succomber à tout cet argent désormais à sa disposition? Le fait que ses parents soient aussi intransigeants et envahissants n'allait-il pas avoir l'effet inverse que celui escompté, et transformer cette jeune fille souriante en véritable monstre avide de matérialisme et remplie d'attirance pour la déviance, comme il en était le cas pour sa délicieuse petite fratrie?
Tôt ou tard, Aiko était certaine que sa maîtresse suivrait les pas de ses prédécesseurs. Devenir riche du jour au lendemain n'apportait pas que du bon, loin de là.
Bientôt, les "merci" ne seraient plus que de l'histoire ancienne. A son plus grand regret.
Arrivée au bout du couloir, la femme aux courts cheveux noirs et aux yeux marrons s'arrêta une fraction de seconde, afin de contempler la nuit étincelante à travers la fenêtre gigantesque, située au bout du couloir, recouvrant intégralement le mur d'une bonne dizaine de mètres. Devant, un petit salon, tout aussi scintillant de cuir rouge et de tapis luxueux, agrémentés par des plantes démesurément grandes, grimpant de chaque côté.
Puis, discrètement, Aiko vint abaisser la poignée d'une porte en particulier, non sans avoir déverrouillée cette dernière au préalable, derrière laquelle résidait sa maîtresse le temps de quelques jours. Comme l'avait ordonné Monsieur Uemura, il était de son devoir de veiller à ce que sa fille fasse toujours ce qu'on lui avait demandé, afin de tuer dans l'œuf toute tentative de dévier de ses projets initiaux et bien tracés.
...
Comment une jeune fille pouvait-elle vivre, ainsi?
Les quartiers de la demoiselle étaient plongés dans l'obscurité, les rideaux du grand salon abaissés, tels qu'Aiko les avait laissés lorsque sa maîtresse s'était couchée, quelques heures plus tôt.
Seule la lumière du couloir éclairait de sa lueur ténue la pièce principale de cette immense suite, réservée aux clients les plus prestigieux. En manquant de se prendre les pieds dans une table basse, Aiko se dirigea vers la chambre principale, située derrière l'une des nombreuses portes à sa disposition, à sa droite.
Là, elle l'ouvrit avec autant de précautions que la précédente, sachant que sa maîtresse avait l'ouïe extrêmement fine, révélant une chambre éclairée par les rayons de la lune, qui filtraient à travers la fenêtre restée entrouverte.
Aiko manqua de s'étrangler en voyant cela, et se précipita aussi silencieusement que possible pour aller fermer la fenêtre, se maudissant d'avoir laissé une telle erreur se produire. Et si quelqu'un profitait de cette opportunité pour entrer dans la chambre de sa maîtresse pendant son sommeil?
Elle vérifia d'un coup d'œil rapide que la clé de la porte du balcon était toujours en place, dans la serrure, et que les autres fenêtres étaient bien verrouillées, se retournant prestement afin de faire face au lit de sa patronne.
Le silence planait sur la chambre, un silence tendu. La domestique s'approcha lentement du lit, constatant avec un certain soulagement qu'une silhouette humaine se trouvait bel et bien sous l'épaisse couche de draps.
La demoiselle qu'elle servait avait toujours été très frileuse lorsqu'elle dormait. Même en été, elle ne se séparait pour ainsi dire jamais de sa couette.
Aiko avait tendu la main, s'apprêtant à doucement soulever les couvertures, et ainsi s'assurer que tout allait bien avec sa maîtresse.
Comme il en avait été question à partir du moment où elle était devenue sa domestique personnelle.
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