Chapitre 43
-Dis-moi tout Chuuya, maintenant que nous sommes seuls. Qu'est-ce qui te tracasse de la sorte? demanda Mori Ougai d'une voix mi-chaleureuse mi-glaçante.
Jetant un coup d'œil au cadavre du médecin, un peu plus loin dans le bureau plongé dans la pénombre, Chuuya avala difficilement sa salive. Il se savait assez puissant pour échapper à une simple balle de pistolet, là n'était pas le problème.
Le véritable problème, c'est qu'il devait obéissance et respect à son supérieur, et que cette loyauté lui imposait d'accepter la conséquence de ses erreurs. En l'occurrence, présentement, le fait d'avoir omis de parler de l'accident avec Yui Uemura, avec sa blessure qui n'avait cessé de saigner durant tout le trajet en voiture, allait potentiellement lui coûter cher, très cher.
Un homme venait de se faire exécuter pour avoir rapporté des informations cruciales en retard, lorsque le plan avait déjà été lancé depuis plusieurs jours. Sans cela, il était certain que les décisions de Mori Ougai auraient été légèrement différentes ; car, visiblement, la caractéristique de "personne hémophile" était extrêmement rare.
Chuuya voyait, maintenant, les similitudes évidentes entre leur fugitif et Yui Uemura, qu'il n'avait pas cru bon de relever auparavant. Même corpulence, même démarche, mais également le fait qu'elle soit une femme, et potentiellement hémophile en plus de cela. Pour s'être blessé sur un obstacle lors d'une course-poursuite, alors que les rues étaient larges, le fait d'être aveugle ne devait pas y être étranger.
De même, la blessure de Yui Uemura était située au niveau de son mollet, identique à la hauteur où avait été retrouvé le sang laissé sur le pot de fleurs, si l'on prenait en compte la taille de la jeune femme. La venue de Yui Uemura en ville coïncidait, en plus de cela, avec l'apparition de leur utilisateur de capacité.
Il n'était de ce fait pas étonnant que leur fuyard ait refusé de lui parler ou même de lui montrer son visage lorsque Chuuya l'avait sommé de le faire. Sinon, le roux n'aurait pas mis longtemps à reconnaître la personne qu'il avait eue en face de lui, cette nuit-là.
Tout concordait, maintenant qu'il lui manquait la dernière pièce du puzzle.
La promesse qu'il avait faite à la jeune fille, celle de garder pour lui l'histoire de sa blessure, lui revenait également à l'esprit. Yui Uemura savait qu'elle serait suspectée si jamais cette information venait à être divulguée. Elle était au courant de ce qui l'attendait. Et c'était pour cette raison qu'elle avait paru si désespérée de s'être faite surprendre en train de saigner de la sorte.
Mais il était un mafieux avant tout, non? Et la loyauté qu'il avait envers son patron passait avant la promesse faite à Yui Uemura. Cela lui faisait mal de devoir jeter la confiance que cette jeune fille avait placée en lui, mais avait-il le choix?
S'il ne parlait pas, il finirait comme le médecin, assassiné de trois balles dans le corps, voire pire. Les paroles encourageantes qu'il avait reçues de Yui Uemura ne seraient pour ainsi dire jamais réciproques, sachant ce qu'il s'apprêtait à révéler.
Mais il valait peut-être mieux que les choses se terminent ainsi, non? Yui Uemura était traquée par la Mafia, quoi qu'il arrive. Et abandonner la lutte était parfois bien plus sage que de continuer à se démener en vain.
Cette jeune fille avait déjà bien assez souffert, il pouvait le sentir rien qu'en écoutant certaines de ses paroles. Mais peut-être n'était-il qu'en train de s'inventer des excuses, afin de soulager sa culpabilité?
Il n'avait pas le choix, dans tous les cas.
Un genou à terre, son chapeau pressé contre son torse, le roux avoua tout, sous le regard attentif et visiblement déçu de son supérieur.
Qui sait ce qu'il adviendra de lui, dorénavant...?
Lui-même n'aurait su le dire, malheureusement.
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Ce n'était pas la première fois qu'on lui confiait des missions d'infiltration, loin de là.
Mais, aujourd'hui, un détail en particulier l'avait prise au dépourvu l'espace d'un instant : ne surtout pas tuer la cible.
Gin, une jeune femme employée par la Mafia en même temps que son frère, Akutagawa, avait cependant accepté sa mission sans discuter, et s'était empressée d'aller l'exécuter une fois la nuit bien entamée.
Les alentours de l'hôtel étaient calmes, un fait qui n'était pas bien étonnant sachant la classe sociale huppée des habitants du quartier, qui préféraient mille fois mieux rester dans leur habitation luxueuse à cette heure avancée, sans parler de l'épidémie qui avait renvoyé chez eux les potentiels promeneurs du soir restants.
Sa mission s'annonçait simple, ou c'est du moins ce qui lui semblait. S'agrippant à la gouttière située à l'arrière du bâtiment richement décoré, Gin l'escalada avec une agilité presque surhumaine, aussi silencieuse qu'une ombre.
D'après les informations données par Chuuya Nakahara, la chambre où résidait Yui Uemura se trouvait au premier étage. De ce fait, Gin allait devoir explorer l'ensemble de l'étage dans la plus grande des discrétions, ayant reçu l'ordre de se débarrasser des possibles obstacles sur le chemin si elle y était contrainte uniquement, en guise d'ultime recours.
La Mafia devait faire vite, avant que Yui Uemura ne soit convoquée au commissariat le lendemain. Si elle voulait mettre la main sur la potentielle capacité de la jeune fille, alors elle devait l'attraper avant que la police ne le fasse. Et, de ce fait, cette nuit-là était était également la dernière chance dont ils disposaient afin de capturer leur cible sans risquer une quelconque confrontation directe avec les autorités de la ville.
Même si Yui Uemura était l'une des principales suspectes du meurtre de ses parents, elle n'en restait pas moins une personnalité importante ; du moins de nom, puisque son visage n'était quasiment jamais montré à la télévision ou en public. Kidnapper une telle personne n'était pas sans conséquences ; le faire dans la discrétion la plus totale était donc indispensable.
Avec un peu de chance, sa disparition serait perçue, par les services de police et l'opinion publique, comme une fuite, témoin de son implication véritable dans l'assassinat de ses parents adoptifs. Personne n'allait de ce fait croire, aux premiers abords, qu'il s'agissait en réalité d'un enlèvement.
Gin avait une seule et unique chance. Si elle échouait, elle n'échapperait pas à une punition exemplaire, similaire à celle qu'avait reçue le médecin quelques heures plus tôt. Et celle que Chuuya Nakahara allait lui aussi recevoir dans les jours à venir.
En s'efforçant de respirer calmement, la jeune femme aux longs cheveux noirs arriva à hauteur d'une fenêtre du premier étage, bien entendu fermée de l'intérieur, mais qui ne résista pas longtemps face au couteau de Gin, dont la lame fut glissée entre les deux cadres séparant les fenêtres. Grâce à un mouvement de levier et un peu de force, la fenêtre ne tarda pas à s'ouvrir, avec un craquement discret, permettant à la jeune femme de se glisser à l'intérieur de l'hôtel.
A l'extérieur, l'orage grondait, signe qu'une tempête se préparait. La chaleur était plus accablante que jamais, et Gin accueillit l'atmosphère remplie de fraîcheur de la bâtisse avec soulagement.
Furtivement, ne perdant pas un instant, la jeune femme se mit en quête de sa cible, l'orage masquant avec habilité le bruit de ses pas, en adéquation avec le tapis épais, qui absorba le moindre son avec une rare efficacité.
Elle parcouru les longs couloirs à toute vitesse, vite ennuyée par les détecteurs automatiques qui allumèrent les appliques sur son passage, et qui furent détruits en moins de temps qu'il ne fallait pour le dire, afin d'éviter toute rencontre indésirable. Elle explora rapidement l'intégralité des chambres qu'elle croisa, sans rencontrer qui que ce soit pendant les dix premières minutes.
Au détour d'un couloir, elle finit cependant par tomber sur deux gardes, armés de pistolets solidement attachés à leur ceinture, qui ne l'avaient pas encore repérée. Elle se cacha à l'angle du mur, jetant un coup d'œil furtif à ces deux hommes, qui semblaient monter la garde devant une porte en particulier. Nul doute qu'il s'agissait là de la chambre de Yui Uemura, sa cible.
Dans le couloir, la lumière était allumée en permanence. Si Gin se risquait à briser le détecteur ou même l'ampoule, les gardes se poseraient alors des questions, et sa mission pourrait s'en trouver impactée, voire définitivement ruinée.
Mais elle savait désormais la localisation exacte de la chambre qu'elle cherchait.
Rebroussant chemin, dans la pénombre totale, Gin entra dans une chambre au hasard ; et, une fois sortie par la fenêtre, entreprit de sauter de balcon en balcon jusqu'à celui où se trouvait Yui Uemura.
A travers la vitre de la chambre, bien évidemment fermée, Gin pouvait apercevoir un lit à baldaquin, avec une forme humaine couchée dessus, sous les couvertures. Les rideaux étaient partiellement tirés, mais cela ne l'empêcha pas de se décider.
Une seule personne pouvait dormir dans une suite aussi luxueuse : la fille du propriétaire.
Glissant de nouveau sa lame entre les deux cadres de l'une des nombreuses fenêtres, la jeune femme parvint à l'ouvrir presque sans bruit.
Elle n'avait plus qu'à amorcer la dernière partie de sa mission, désormais.
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Remplie de terreur, Yui fut sortie de ses songes par un craquement discret, presque imperceptible. Si seulement elle avait été dotée d'une ouïe beaucoup moins développée que la normale, elle ne l'aurait certainement pas entendu, ou bien l'aurait confondu avec un craquement tout ce qu'il y avait de plus banal.
Mais pas là. Elle était certaine que ce bruit était celui de sa fenêtre, qui avait sans nul doute déjà été forcée à l'instant où ces pensées fusaient dans son esprit. Elle sentait une présence dans sa chambre, et cette personne était très certainement envoyée par l'un de ses désormais ennemis.
La Mafia Portuaire l'avait finalement percée à jour, et avait également été la plus rapide pour venir à sa rencontre. A choisir, la perspective de se faire capturer par la police lui semblait bien plus "intéressante", si elle pouvait se permettre ce terme. Sachant que, dans les deux cas, elle risquait de perdre sa liberté utopique à tout jamais.
La police allait certes l'accuser de meurtre, mais elle pouvait toujours prouver son innocence, peut-être avec l'aide des Détectives. Le seul problème, c'est que son visage allait se retrouver sur toutes les télévisions du monde, et qu'elle serait alors bien plus connue qu'elle ne l'était actuellement. Ce qui limitait encore davantage les chances d'échapper totalement au regard de cet homme.
La Mafia, elle, allait tout simplement l'enfermer jusqu'à ce qu'elle veuille bien mettre ça à son service, de gré ou de force. Elle tomberait alors dans l'oubli, et serait alors considérée comme une véritable criminelle qui, après avoir tué ses deux parents adoptifs de sang froid, avait disparu dans la nature sans laisser de traces.
Dans les deux cas, elle risquait gros.
Mais, après réflexion, la police était l'option la moins désespérée.
Ne tenait qu'à elle, désormais, d'échapper à cette Mafia toute puissante, dont l'un des membres avait justement été envoyé pour, de ce que Yui pouvait en conclure sur l'instant, la capturer et la ramener jusqu'à son quartier général.
Échapper à l'organisation ayant la plus grosse influence sur la ville, et qui avait des yeux partout, même au-delà de Yokohama...? Etait-ce réellement possible?
Était-elle à ce point acculée et désespérée, pour ne serait-ce que songer à réaliser une telle prouesse?
Elle ne doutait pas du fait que de nombreuses personnes avaient tenté de faire de même par le passé. Mais ces personnes étaient-elles encore en vie, au jour d'aujourd'hui?
Son pendentif bien serré entre ses doigts, toujours parfaitement immobile sous ses couvertures, alors que les pas se rapprochaient prudemment d'elle, Yui pris une profonde inspiration...
Tout en comptant jusqu'à trois.
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