Chapitre 21
Du sac en plastique étanche, s'efforçant d'être la plus discrète possible, Yui en sortit lentement les différents éléments à sa disposition, souriant lorsque ses doigts se refermèrent sur un objet en particulier.
Sa chambre baignée dans une lueur estivale de milieu d'après-midi, qu'elle ne voyait bien entendu pas, la jeune femme déposa le nouveau téléphone fourni par l'Agence sur son bureau, écartant les différents dossiers et contrats d'un revers de manche.
Du bout des doigts, elle inspecta avec minutie le téléphone, qui était un vieux modèle à clapet, qu'elle trouva le moyen d'ouvrir après quelques essais laborieux.
Un petit claquement retentit dans la chambre, entièrement vide si ce n'est pour sa locataire temporaire. Cherchant du doigt n'importe quelle touche, elle eut la surprise de n'entendre aucun son lorsqu'elle appuya sur l'une d'entre elles, juste une petite vibration, alors que le téléphone était bien entendu allumé.
Elle laissa un sourire parcourir ses lèvres, satisfaite. L'Agence avait même pensé à supprimer le son que provoquait le clavier, en plus d'avoir songé à lui prendre un ancien modèle, qui était presque impossible à tracer.
Elle ne fut pas au bout de ses agréables constatations puisque, en triturant l'autre objet auparavant contenu dans le sac, elle constata qu'il s'agissait là d'un morceau de papier. Couvert de trous, qu'elle n'eut aucun mal à sentir sous la pulpe de ses doigts.
La lettre était plutôt longue, et elle s'attela tout de suite à la lecture, désirant réduire le temps que ce nouveau téléphone passait à l'air libre, et ainsi réduire considérablement les risques de se faire surprendre.
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Chère cliente mystérieuse,
Je suis heureux de vous adresser aujourd'hui ce magnifique téléphone dernière génération qui, je l'espère, saura répondre pleinement à vos attentes.
Je me suis permis d'intégrer le numéro de l'Agence dans le répertoire, ainsi que le mien, au cas-où vous auriez besoin de me contacter. Le téléphone est par défaut mis sur silencieux, mais je vous explique quelques lignes plus bas comment faire pour changer cette fonctionnalité si vous le souhaitez, au même titre que plusieurs autres petites choses.
Seuls vous, moi et l'Agence ont accès au numéro attribué à ce téléphone.
Je reste moi-même joignable, ainsi que l'Agence, à tout instant, très chère Nozomu.
Signé: Dazai Osamu, employé à l'Agence des Détectives Armés.
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La jeune femme, s'arrêtant momentanément dans sa lecture, laissa un petit rire lui échapper face à la légèreté dont faisait preuve son correspondant, mais également en se remémorant le pseudonyme qu'elle avait utilisé auprès de l'Agence, dans sa seconde lettre.
Espoir, hein?
On se fourvoyait comme on le pouvait, pensa-t-elle en revenant aux lignes sous ses doigts, poursuivant sa lecture.
Il avait compris que ce genre de téléphone n'était absolument pas quelque chose dont elle avait l'habitude, et lui avait ainsi détaillé la moindre des fonctions principales, que ce soit pour allumer ou éteindre le téléphone, le charger, ou même appeler et envoyer des messages.
Elle n'était pas vraiment douée en matière de technologies, mais s'était quand même relativement accoutumée à ses propres téléphones dernier cri, qui énonçaient à voix haute tout ce qu'il se passait à l'écran.
Sur un téléphone aussi vieux, aucune aide de la sorte n'était disponible, et elle allait devoir se guider à l'"aveugle", ironiquement. Fort heureusement, les touches étaient dotées de points en relief qui la guidaient habillement dans sa navigation, et dans sa reconnaissance des différents caractères à sa disposition.
Si elle suivait les instructions données par ce fameux Dazai, qui était sans aucun doute le détective qu'elle avait rencontré au parc, quelques jours plus tôt, elle arrivait dans le répertoire avec facilité.
Elle sélectionna lentement le numéro qui venait en deuxième, celui de son correspondant, et ouvrit l'option de messagerie, se retrouvant très certainement avec un écran blanc devant elle, de même qu'un clavier qui n'attendait qu'à être utilisé.
S'aidant des repères en reliefs, Yui tapa lentement son message, espérant ne pas s'être trompée et avoir correctement retenu la disposition des différentes touches, comme elle l'avait appris lors d'un cours antérieur, qui se faisait vieux elle devait se l'avouer.
Peut-être que son père avait raison, après tout? Un peu plus de leçons sur le sujet allait forcément lui être utile... Mais pas pour les mêmes raisons qu'imaginait son père, cependant.
Appuyant sur la touche qu'elle imaginait être celle d'envoi, le cœur battant la chamade, Yui mit de côté le téléphone, afin de se recentrer sur son travail malgré l'euphorie qui grandissait en elle. La jeune femme ne put cependant écrire plus de quelques lignes avant d'être interrompue par une vibration.
Une réponse était visiblement déjà arrivée, montrant que son correspondant était extrêmement réactif. Elle attendit cependant quelques instants de plus sans bouger et, une dizaine de secondes plus tard, un autre message arriva, ce qui lui confirma la signification sans même avoir besoin de lire.
"Ici Nozomu, merci de votre travail, Détective. Est-ce que tout est bon de votre côté? Pour dire non, envoyez-moi un simple message, et pour oui deux messages espacés de dix secondes environ", avait-elle écrit précédemment.
Elle avait donc reçu une réponse affirmative. Puisqu'elle ne pouvait pas lire les messages, et que son téléphone non plus, elle n'avait pas d'autre choix que d'avoir recours à ce petit stratagème.
"Pourrai-je vous appeler dans les jours à venir, afin que l'on puisse parler un peu plus librement de ma requête? Il s'est passé quelques petites choses, ces derniers temps, qui me font rencontrer certaines difficultés à parler à voix haute pour le moment."
Elle ne mentait pas. Après l'histoire d'Aiko et des somnifères, ainsi que de la course poursuite avec la Mafia, elle allait patienter encore un instant avant de tenter de nouveau quoi que ce soit de dangereux. Il fallait qu'elle soit prudente, plus que jamais.
Puisque la Mafia semblait vouloir faire durer les négociations, elle allait très certainement avoir un peu plus de "vacances" que prévu à sa disposition.
Encore une fois, une réponse positive à sa question.
"Je vous remercie, Détective. Passez une bonne journée, j'espère vous reparler au plus vite".
Deux messages espacés de dix secondes furent le signe que son interlocuteur avait accepté ses propos. Après un instant de silence, durant lequel elle serra étroitement le téléphone à clapet, elle laissa échapper un soupir, presque de soulagement.
D'espoir.
Mais avait-elle raison d'espérer, seulement? Depuis toujours, la moindre de ses espérances n'avait eut pour effet que de la guider toujours plus au bord du gouffre, encore et encore. Mais elle voulait croire que, cette fois-ci, il s'était réellement passé quelque chose, et que toutes ces années de souffrance allaient finalement être récompensées, même si ce n'était que partiellement.
Elle était preneuse d'une simple étincelle de bonheur, d'un seul et unique rayon de soleil dans l'obscurité de son existence s'il le fallait réellement.
Tout, tant qu'elle ne revivait plus jamais ce genre de choses.
Et c'était là qu'intervenait cette fameuse Agence de Détectives. Il allait falloir qu'elle repense minutieusement à ce qu'elle allait leur révéler et leur demander, dans les moindres détails.
Elle n'avait pas le droit à l'erreur.
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Le soir même, elle s'était couchée à dix heures tapantes, sautant sous sa couette avec un soulagement sans bornes, à la perspective de pouvoir récupérer quelques heures de sommeil perdues.
Cette nuit, elle n'avait rien d'autre à faire que dormir. Pas de téléphone à aller récupérer, de mafieux à fuir, de domestique à endormir... Et, surtout, pas de souvenirs douloureux à ressasser sans discontinuer, qu'elle s'était efforcée de reléguer au second plan, quelque part au fond de son esprit.
Elle devait être en forme pour les jours à venir. Car, si le lundi à venir allait être banal au possible, le mardi suivant n'allait pas suivre la même logique.
Et ce mardi arriva bien vite, malheureusement. Aiko, au courant que sa maîtresse avait un rendez-vous extrêmement important à venir, si important qu'elle n'avait pas l'autorisation d'escorter Yui jusqu'au lieu de la rencontre, avait redoublé d'efforts pour faire briller la jeune femme de milles feux.
Après deux bonnes heures de travail intensif, Aiko avait finalement pris un peu de recul, et avait admiré les fruits de son labeur, qu'elle savait dénué de marge d'erreur, surtout suite à l'appel mouvementé qu'elle avait eu avec sa patronne quelques jours plus tôt.
Sa jeune maîtresse était comme toujours coiffée de sa natte aux mèches noires et blanches entrelacées, parcourues de parts et autres d'un long ruban en satin rose et de fleurs artificielles, qui semblaient cependant on ne peut plus réelles, avec bien entendu un bandeau recouvrant sa vision, qui était blanc et or cette fois-ci.
Une robe aux épaules dénudées, attachée au niveau du cou de la jeune femme par un morceau de tissu délicatement dentelé de rose. Le reste du vêtement, en soie bleue pâle, était lui aussi agrémenté de dentelles ici et là, notamment au bout des manches longues et transparentes qui partaient un peu en-dessous de ses épaules, pour descendre jusqu'aux poignets. Ceinturée au niveau de la taille par une sorte de corset lacé, rose et bleu, la robe poursuivait sa course jusqu'aux genoux de sa propriétaire, les extrémités volantes bien évidemment couvertes d'un mélange complexe de dentelles roses et blanches.
Des chaussures à talons, d'une couleur identique à celle des rubans, achevaient la tenue à la perfection, ainsi qu'une paire de bas entièrement blancs.
Lorsqu'Aiko était tombée sur la blessure de sa maîtresse, au niveau de son mollet droit, cette dernière s'était contentée de lui sourire, ses lèvres rosées s'étirant irrésistiblement.
-Je crois m'être égratignée en passant un peu trop près d'une porte, dimanche matin...
Aiko n'avait rien ajouté de plus, les joues écarlates de gêne. Dimanche matin, c'était le jour où elle n'avait pas réussi à se lever avant au moins onze heures. Et sa jeune maîtresse s'était faite mal alors qu'elle n'était pas à ses côtés?
Si Yuuto ou Katsumi Uemura venaient à l'apprendre, elle était certaine de pouvoir dire adieu à son travail pour de bon. Elle se contenta donc de panser correctement la blessure, appliquant un bandage qu'elle espérait passer inaperçu, sous les chaussettes hautes que Yui enfila en toute connaissance de cause.
Sa canne dans une main, son sac dans les bras d'Aiko, la jeune femme aux cheveux bicolores se releva de sa chaise, contente que la séance d'habillage soit finalement terminée.
Elle n'avait jamais réellement aimé ce genre de passe-temps. Absolument pas, même.
D'un pas assuré, elle s'était dirigée vers la sortie de sa chambre, puis vers le hall d'entrée de l'hôtel, s'installant dans un petit salon adjacent vraisemblablement doté d'une fontaine, au vu du doux clapotis de l'eau qu'elle entendait non loin d'elle.
Elle n'attendit pas longtemps dans ce silence presque complet, durant lequel elle pouvait sentir Aiko se noyer dans son anxiété juste à côté d'elle.
-Mademoiselle? appela l'un de ses gardes du corps personnels, la forçant à tourner la tête dans sa direction. Votre client est arrivé.
La jeune femme se releva lentement, faisant bien attention à ne pas froisser le tissu de sa robe. Puis, désormais debout, Yui se détourna un instant pour faire signe à Aiko de venir près d'elle, et la domestique s'exécuta immédiatement.
-Ne t'inquiètes pas pour mes parents, murmura Yui à voix basse, afin que seule Aiko puisse l'entendre. Ils n'ont pas continuellement besoin de savoir tout ce qu'il se passe autour de moi, et par extension autour de toi... Tu vois ce que je veux dire?
Elle avait achevé sa tirade avec un sourire, mais Aiko pouvait sans peine déterminer le sens caché de cette phrase.
C'était du donnant-donnant.
Sa maîtresse possédait désormais, plus que jamais, les moyens de la faire renvoyer d'un claquement de doigts si elle le voulait réellement. Mais, pour une raison qui lui était encore inconnue, elle n'avait toujours rien rapporté à ses parents.
Encore plus incompréhensible, elle avait même pris sa défense face à Katsumi Uemura, alors même que Yui était au courant qu'elle rapportait le moindre de ses faits et gestes à ses employeurs.
Si elle voulait garder son travail, aux conditions et à la rémunération qui suscitaient bien des envieux, Aiko devait désormais se plier aux directives de sa jeune maîtresse, au même niveau que celles de ses employeurs premiers.
Était-ce une bonne chose, ou bien pas du tout? La jeune Demoiselle était bien plus douce et compréhensive que ses parents, non...?
Aiko était perdue. Mais Yui le savait, et cela la satisfaisait pour le moment. Elle avait réussi à semer le doute dans l'esprit de sa domestique, dont la loyauté envers la famille Uemura était doucement en train de vaciller. A terme, Yui était certaine de pouvoir mettre Aiko de son côté, et ce entièrement.
Définitivement.
La gentillesse et l'altruisme n'étaient pas que des inventions humaines inutiles, après tout. Et ce malgré les enseignements de son très cher père, pour qui rien ne comptait plus que sa propre personne. Et l'argent qu'il pouvait créer, bien entendu.
Laissant Aiko à sa réflexion, Yui s'avança en direction de la sortie, d'une démarche fluide et élégante, sa canne balayant doucement le sol à la recherche d'un quelconque obstacle.
Son sac en main, le ruban de son chapeau noué autour de son cou, elle descendit les quelques marches en marbre qui la séparaient de la voiture qui l'attendait patiemment, celle que lui avait envoyé la Mafia.
-Bonjour, Mademoiselle Uemura, déclara une voix qui lui était encore inconnue, celle d'une femme, légèrement stressée malgré ses efforts pour le cacher. Si vous voulez bien me suivre, je vais vous ouvrir la porte.
Yui se laissa guider sans opposer de résistance, entrant gracieusement dans l'habitacle climatisé d'une voiture incroyablement spacieuse, presque autant que ses propres voitures.
La Mafia aimait faire les choses en grand, au même titre que ses chers parents. Ils pouvaient se le permettre, alors pourquoi s'en priver?
L'argent pouvait vraiment tout acheter, n'est-ce pas?
Après être rentrée dans l'habitacle, la porte se referma derrière elle, et Yui en entendit une seconde s'ouvrir, avant qu'une autre personne ne vienne à son tour se glisser dans la voiture. Cette personne vint s'asseoir juste en face elle, sur l'autre banquette de la limousine, le malaise de cette inconnue très clairement palpable sans même que Yui ne se force en quoi que ce soit.
-Puis-je vous demander votre nom? déclara Yui d'une voix mélodieuse, son doigt traçant doucement le nom gravé sur le médaillon dissimulé dans l'intérieur de sa manche, là où le tissu n'était pas transparent.
La voix incertaine de la femme de plus tôt lui répondit, légèrement angoissée malgré, encore une fois, tous les efforts déployés pour le dissimuler.
-Je... Je m'appelle Higuchi Ichiyo. Je fais partie de la Mafia en tant qu'assistante de Monsieur Akutagawa, un haut placé dans l'organisation... Et je... Je suis venue vous escorter sous l'ordre direct de Monsieur Mori.
-Enchantée dans ce cas, Mademoiselle Higuchi, déclara Yui en souriant doucement, tendant une main devant elle. Merci d'avoir pris le temps de vous déplacer pour moi.
Elle entendit des bafouillages, certainement destinés à appuyer le fait que ce n'était pas un problème, ainsi qu'une main tremblante et fébrile se poser dans la sienne, tandis que la voiture se mettait en marche, amenant leurs occupants dans une direction qui était totalement inconnue à la jeune femme aux yeux bandés.
Mais, depuis le temps, n'était-elle pas habituée à être ballottée ici et là contre son gré?
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