Chapitre 2
Sa nouvelle vie, comme elle l'avait redouté, était faite de libertés restreintes et de journées sans saveur. Elle avait déjà plus ou moins compris, au moment de son adoption, que sa famille ne l'avait pas recueillie par amour pour les enfants en général.
Non. Ses nouveaux parents, loin d'être doués de bonnes attentions, n'avait seulement pensé qu'à leur succession. Ils avaient déjà des enfants, certes, une fille et un garçon. Mais ces deux-là n'étaient pas ce qu'on pourrait appeler... des enfants dociles, loin de là.
Plus préoccupés par leur compte en banque, alimenté par l'argent de poche de leurs parents richissimes, et surtout par les dépenses qu'ils pouvaient en faire. A quoi bon faire attention à ce qui n'était pas à eux, après tout? Leurs parents n'étaient plus à ça près, avec tout l'argent dont ils étaient les propriétaires.
Mais, étrangement, ces derniers n'étaient pas vraiment d'accord avec leurs enfants, qui ne venaient en plus de cela jamais leur rendre visite, autrement que pour demander de renflouer leurs comptes bancaires. Les malheureux géniteurs avaient alors pensé à un stratagème afin de palier en partie à ce problème, surtout dans le futur.
Ils n'avaient aucune envie de laisser un héritage aussi conséquent à des enfants qui dépenseraient tout n'importe comment, en si peu de temps. Yui était donc arrivée dans la famille afin de modifier la donne.
Ses nouveaux parents l'avaient ainsi désignée comme héritière unique de leur fortune, au grand désespoir de leurs enfants biologiques, qui avaient très mal digéré cette nouvelle, de même que leur argent de poche qui fondait à vue d'œil, leur père préférant investir davantage dans sa nouvelle fille, qu'il comptait éduquer parfaitement, afin qu'elle ne suive pas le chemin de ses demi frères et sœurs.
Yui, du haut de ses quinze ans, s'était laissée ballotter par les flots de cette nouvelle vie, acceptant tout ce qu'on lui demandait, proposait ou imposait sans broncher une seule seconde. L'argent, ce n'était pas cela qui l'intéressait, alors elle s'en fichait pas mal.
Car l'argent ne pouvait pas tout acheter. Elle l'avait appris à ses dépends, au cours de son passé tumultueux.
Pourquoi des gens aussi riches, à cheval sur les apparences et les exigences, étaient-il allés recueillir une fille qui n'avait même plus l'usage de ses yeux? C'était ce qu'avaient pensé leurs connaissances du grand monde, avant qu'ils ne se laissent adoucir par la symbolique et la noblesse de la manœuvre.
Une jeune femme aveugle n'était théoriquement pas attachée aux choses matérielles, et serait assurée de dépenser son argent sciemment et intelligemment, dans des choses qui en valaient la peine. Donner sa chance à une enfant comme elle était en plus de cela altruiste au possible, cette pauvre petite enfant qui n'avait jamais rien connu que la pauvreté et la misère, qui n'avait jamais pu observer le monde et ses merveilles de ses propres yeux.
Une enfant qui était douce, gentille, docile, en un mot comme en cent la fille parfaite. Détonnant complètement avec ses demi frères et sœurs, qui ne pensaient qu'à dépenser grossièrement l'argent de leurs parents si généreux.
Une histoire émouvante, du moins en apparence. Yui, elle, était parfaitement au courant qu'elle avait été adoptée par simple intérêt, sans aucune once de pitié de la part de ses parents. Mais, si elle devait voir le bon côté des choses, c'était qu'elle était désormais dans une situation confortable, sans avoir besoin de lutter pour survivre chaque jour qui passait.
Deux ans étaient ainsi passés depuis son adoption, et elle pouvait dire que sa nouvelle famille était satisfaite d'elle. Elle n'avait jamais un mot plus haut que l'autre, apprenait ce qu'on lui demandait d'apprendre, et était parfaitement éduquée. Elle ne demandait jamais rien, et avait un sourire que tout le monde adorait, même s'il ne s'agissait que d'un compliment parmi tant d'autres, dans ce monde où l'on mentait comme on respirait.
En secret, lorsque ses parents ou les domestiques ne regardaient pas, Yui était cependant occupée à une toute autre chose, tapotant sur son ordinateur flambant neuf avec difficulté, elle qui ne s'était jamais vraiment faite à toute cette technologie, surtout puisqu'elle ne pouvait rien voir. Depuis tout ce temps, elle passait parfois des heures entières à rechercher des informations sur ce pourquoi elle était ici, la première étape de son ascension vers sa liberté tant espérée. Du moins, elle l'espérait.
Elle avait recueilli tout ce qu'elle pouvait sur ce sujet, bien conservées dans un cahier couvert de trous, où elle avait bien évidemment utilisé l'écriture en braille pour ce faire, sachant qu'elle ne pouvait que difficilement lire autrement et qu'elle désirait plus que tout que personne ne tombe dessus par mégarde.
Des écouteurs dans les oreilles, afin d'écouter la voix digitalisée qui sortait de l'ordinateur pour la guider dans ses recherches, elle prenait des notes consciencieusement, sans oublier de supprimer son historique de recherches à peine celles-ci terminées, afin que ni l'un ni l'autre de ses parents ne puisse s'en apercevoir.
Ce n'était pas la première fois qu'elle trouvait son ordinateur ou son espace de travail en général dans un ordre différent où elle l'avait pourtant laissé. Signe que chaque mouvement qu'elle faisait était épié par sa nouvelle famille, afin de contrôler et de maîtriser tout élément différant de leur éducation stricte et parfaite.
C'était en partie pour cette raison que les recherches de Yui avaient pris autant de temps, sans bien sûr oublier ses yeux inutilisables. Mais, depuis quelques jours, elle avait finalement réussi à dénicher ce qu'elle désirait tant trouver depuis toutes ces années.
Elle manqua d'éclater en sanglots lorsqu'une phrase en particulier retentit dans ses oreilles, en cette nuit durant laquelle elle était censée être assoupie, sachant qu'elle devait rencontrer ses professeurs particuliers pour ses leçons hebdomadaires et assister à un bal de charité le lendemain.
Elle s'efforça ainsi de rester silencieuse, se mordant l'intérieur de sa joue, dans sa chambre plongée dans l'obscurité totale, si ce n'est pour la lumière de son écran qu'elle ne voyait de toute manière pas, qui filtrait à travers sa couette, sous laquelle elle était dissimulée.
"Vous êtes désormais sur le site internet de l'Agence des Détectives Armés", indiqua la voix artificielle dans ses oreilles.
-Quelle est l'adresse rattachée à l'endroit? murmura-t-elle dans le petit micro rattaché à ses écouteurs, obtenant une réponse après quelques secondes de silence.
Elle s'empressa de noter le tout sur son carnet, en faisant plusieurs trous à la suite, avant de le refermer, poussant un soupir de soulagement incommensurable. Enfin. Elle avait réussi la première étape.
La suivante, cependant, allait se révéler bien plus compliquée que cette formalité, qui lui avait pourtant pris plus de deux ans. Elle avait désormais dix-sept ans, et était sur la bonne voie pour réaliser son plus grand rêve.
L'échec n'était pas une option. Il fallait qu'elle y arrive.
L'étape suivante n'était ni plus ni moins que de convaincre ses parents de pouvoir se rendre à Yokohama, où se trouvait cette fameuse Agence, alors qu'elle-même se trouvait en plein cœur de Tokyo.
Mais, comme tout, elle avait préparé un plan depuis bien longtemps déjà.
Pour l'heure, il était urgent pour elle de s'endormir, sans oublier de supprimer toute trace de ses recherches virtuelles au préalable, de déposer son ordinateur portable sur sa table de chevet et de dissimuler son carnet sous son matelas.
Pile au moment où sa tête se déposait finalement sur son oreiller, comme il aurait dû en être le cas depuis plusieurs heures maintenant, des pas se firent entendre dans le couloir, qu'elle distingua sans problème bien que leur propriétaire faisait de son mieux pour être discret.
Sa porte, sans surprise, s'ouvrit doucement l'instant suivant, déversant un rai de lumière dans sa chambre plongée dans le noir autrefois total, et quelques secondes passèrent sans que personne ne bouge, les yeux inutilisables de Yui comme d'habitude dissimulés derrière son bandeau, alors qu'elle faisait sa meilleure imitation de la jeune fille endormie.
Finalement, la porte se referma lentement, et la chambre fut de nouveau recouverte d'obscurité, que la jeune fille ne pouvait de toute manière pas voir. La lumière et l'obscurité, à ses yeux, n'étaient ni plus ni moins que des concepts inconnus.
Elle ne mit pas davantage de temps à s'endormir, épuisée par la journée et la veille prolongée qu'elle venait de passer, soupirant d'ores et déjà de lassitude à la perspective du programme du lendemain.
Le silence total retomba dans la gigantesque bâtisse, seulement troublé par le discret va-et-vient des quelques domestiques quelque part dans le manoir.
Bạn đang đọc truyện trên: Truyen247.Pro