Chapitre 18
Après plusieurs longues minutes de pure agonie, Yui s'était relevée, titubant quelques instants, comme si les souvenirs plus douloureux les uns que les autres lui avaient fait oublier comment se tenir debout, et comment palier au manque que lui imposait sa cécité.
La douleur à sa jambe, à cause du pot de fleur qui l'avait éraflée, s'était doucement réveillée. Pas assez pour la faire grimacer sous le coup de la souffrance, mais assez pour lui rappeler qu'elle devait aller se soigner au plus vite.
La voix robotisée de son téléphone lui indiqua qu'il était désormais deux heures du matin.
En se séparant de ses baskets, qu'elle laissa sous l'un des meubles en attendant de vérifier si elles étaient bien propres, la jeune femme se dirigea vers l'une des salles de bain de sa suite, celle la plus éloignée du couloir de l'hôtel, où patrouillaient des gardes de temps à autres.
Là, elle se déshabilla rapidement, laissant de côté son sweat et son pantalon, ce dernier malheureusement déchiré au niveau du mollet droit et très certainement taché de sang. Yui sauta dans la douche, l'eau glacée lui permettant de reprendre contenance, et de laisser ses pensées se regrouper.
Malgré l'imprévu répondant au nom de Chuuya Nakahara, et par extension de la Mafia Portuaire, tout s'était passé selon ses prédictions. Elle avait réussi à endormir Aiko, sortir sans se faire prendre, récupérer ce que l'Agence lui avait laissé au parc, et à remonter dans sa chambre sans attirer l'attention.
Les seuls bémols, c'était la course poursuite qui s'était déroulée, qui lui avait donné une égratignure qu'elle n'était pas certaine de pouvoir cacher et qui allait très probablement avoir du mal à cicatriser. De même, il allait falloir qu'elle trouve un moyen de se débarrasser de son pantalon déchiré, sous peine de faire face aux questions indiscrètes de sa domestique, même si elle possédait déjà un début de plan pour cette difficulté-ci.
Et, bien évidemment, elle n'oubliait pas son recours désespéré à ça. Alors que l'eau dévalait sa peau, elle laissa son front reposer contre le mur carrelé de la douche, sentant les cascades glacées couler sur ses paupières éternellement closes, dissimulant au monde leur inutilité la plus totale, remplissant le rôle de son bandeau noir, retiré le temps de prendre sa douche.
Ses cheveux, qui atteignaient le bas de son dos, lui collaient à la peau, cette peau qui était parcourue de frissons, que ce soit à cause de l'eau ou même à cause des souvenirs, qui ne cessaient de se jouer encore et encore derrière ses paupières fermées, et ce malgré tous ses efforts.
Il fallait qu'elle termine tout ceci au plus vite. Car, le plus tôt elle serait en mesure d'accomplir son rêve, le plus tôt elle serait libérée de ses tourments les plus obscurs.
Sa douche terminée, Yui se sécha rapidement à l'aide de sa serviette, en utilisant une deuxième pour essorer ses cheveux, priant pour que ces derniers aient le temps de finir de sécher avant le lendemain. Elle n'oublia également pas d'envelopper sa blessure à l'aide d'un bandage propre étroitement serré, non sans avoir désinfecté la plaie au préalable, à l'aide du nécessaire de premiers secours qu'elle avait trouvé dans la salle de bain.
Puis, en ramassant ses vêtements précédemment jetés à même le sol, la jeune fille se dirigea silencieusement vers sa chambre, dont elle ferma doucement la porte derrière elle.
Là, en rangeant sous son matelas le sac en plastique que lui avait "confié" l'Agence, ainsi que ses vêtements sales et notamment son pantalon ensanglanté et roulé en boule, Yui se jeta dans son lit, épuisée au possible, que ce soit physiquement ou mentalement.
Un bandeau de nouveau passé autour de ses yeux, la jeune femme aux cheveux noirs et blancs s'efforça de faire le vide dans son esprit, afin de s'endormir au plus vite, caressant lentement le métal froid de son pendentif entre ses doigts.
Malheureusement pour elle, le sommeil n'eut de cesse de la fuir pour le reste de la nuit.
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-Je suis désolé, boss. Il a réussi à s'enfuir, et je n'ai pas pu voir de qui il s'agissait. Je ne sais pas s'il est étranger à la ville ou non, mais il possède une capacité, c'est certain. Et je pense qu'il peut s'agir d'une femme.
L'homme devant lui, aux cheveux mi-longs ramenés en arrière et à l'écharpe rouge vive, l'inspecta un instant de ses yeux améthystes, et Chuuya se sentit de plus en plus mal à l'aise, voire rempli de honte.
Il avait laissé un individu lui échapper, alors que ce dernier était seul. Et, pire encore, il n'avait aucun début de piste pour le retrouver, et encore moins pour identifier quel était son pouvoir.
La Mafia n'avait aucun moyen de déterminer si, oui ou non, cette personne était dangereuse pour leur organisation et leurs activités. Ils n'avaient encore jamais entendu parler d'un utilisateur de capacité qui serait en mesure de disparaître de la sorte. Hormis ce gamin de l'Agence, qui avait le pouvoir de produire des illusions.
Était-ce un pouvoir dans le même genre? Ou même de téléportation...?
Dans tous les cas, Chuuya avait échoué dans sa mission. Celle de régler discrètement le compte d'un réfractaire à "l'ordre" impartial qu'imposait la Mafia sur Yokohama, mais également celle de s'assurer que les témoins étaient tous soit tués soit capturés.
Il n'avait aucune excuse.
-Relève toi, Chuuya, répondit son boss après plusieurs secondes de silence, d'une voix neutre, dépourvue d'une quelconque émotion. J'aimerais te dire que ce n'est pas grave, mais ce n'est pas vraiment le cas... Si cette personne possède une capacité non connue par nos services de renseignements, alors il nous est indispensable de la retrouver et de l'identifier. Qui sait ce qu'elle pourrait faire, laissée en liberté?
Chuuya s'était relevé, enlevant son genou précédemment déposé à terre, mais conservait malgré tout une apparence tendue, les mains crispées derrière son dos.
-Je m'en occupe, patron, répondit-il avec fermeté et assurance, souhaitant rattraper son erreur du mieux qu'il le pouvait. Ce genre de chose ne se reproduira plus.
Il vit un minuscule sourire se former sur les lèvres de son boss, Mori, malgré la pénombre dans laquelle était plongée le bureau.
-Je n'en attends pas moins de toi, Chuuya. Je sais que tu es digne de confiance.
Puis, un peu plus légèrement, s'appuyant contre le dossier de sa chaise, l'homme aux cheveux noirs reprit.
-Il est essentiel de retrouver cette personne afin de lui soutirer autant d'information que possible... Sans la tuer, de ce fait. Tu peux avoir recours à l'unité du Lézard Noir, mais fait bien attention à ce qu'Akutagawa ne perde pas de vue sa mission principale. Tu vois ce que je veux dire?
Le roux retint une grimace de justesse, alors qu'il venait presser son chapeau contre son torse, s'inclinant légèrement en signe de respect.
Akutagawa était bien plus connu pour foncer dans le tas sans réfléchir une seule seconde aux conséquences de ses actes, voire même en ignorant les directives de ses supérieurs. Sans cet abrutit de Dazai pour le brider, Akutagawa n'était rien de plus qu'un chien de garde à qui on aurait oublié de remettre la muselière. Aussi triste que cela puisse paraître.
-Cette personne pourrait potentiellement nous être utile, si l'on venait à trouver comment s'en servir une fois que l'on aura compris de quelle manière fonctionne sa capacité.
N'ayant pas d'objection, Chuuya se contenta d'acquiescer silencieusement, se dirigeant vers la porte afin de partir s'atteler à la préparation d'une véritable chasse à l'homme, qui allait se révéler bien plus éprouvante que ce qu'il redoutait déjà.
Mais, avant que les doubles portes du bureau ne s'ouvrent, la voix de Mori le fit s'immobiliser.
-J'ai failli oublier. Pour l'entrevue avec le représentant de la famille Uemura, j'aimerais que tu sois également présent. Tu as déjà eu plusieurs contacts avec lui, je pense que ce sera utile lors du rendez-vous.
Chuuya s'inclina une seconde fois en répondant bien évidemment par l'affirmative, et disparu finalement derrière les portes gigantesques.
Laissant derrière lui un bureau plongé dans l'obscurité de cette nuit remplie d'étoiles, visibles par-delà la fenêtre donnant sur l'extérieur du bâtiment principal de la Mafia, dans lequel il se trouvait actuellement, au dernier étage de la gigantesque tour de verre. La ville de Yokohama était aussi magnifique que d'habitude, mais c'était un spectacle dont il ne se lassait pour ainsi dire jamais.
En observant attentivement chaque lumière et chaque bâtisse en contrebas, désormais debout devant les immenses baies vitrées, Mori laissa un air pensif se glisser sur ses traits.
Où était leur petit fuyard, à l'heure actuelle? Quelle lumière, parmi toutes celles de cette ville sans fin, était la sienne?
Aussi amusante qu'était la perspective d'une petite battue, cela ne l'enthousiasmait cependant pas entièrement.
Pendant leurs recherches, qui empêchait leur utilisateur de capacité inconnue de sortir de la ville? Qui l'empêchait de se cacher sans jamais refaire surface?
Que faire si quelqu'un d'autre mettait la main dessus avant eux?
Mais les capacités d'investigations de la Mafia n'étaient pas non plus à prendre à la légère. Il était rare de passer inaperçu dans cette ville, sur laquelle la pègre avait la main quasiment partout.
Et puis, désormais, une autre perspective d'avenir allait bientôt se présenter, pas plus tard que le mardi suivant. Oui.
Grâce au réseau, aux moyens et à l'influence de cette fameuse famille Uemura, il pourrait alors compter sur un soutien supplémentaire et considérable dans la recherche de leur fuyard.
Il fallait juste que le courant passe bien entre ces deux organisations distinctes, si similaires et pourtant si différentes.
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