Chapitre 12
Sans comprendre pourquoi l'espace d'un instant, Dazai vit leur petite poseuse d'énigmes lever une main à hauteur de son visage, celle qui ne tenait pas sa canne.
Il ne tarda cependant pas à deviner qu'elle s'adressait silencieusement à d'autres personnes, leur intimant très clairement de rester là où ils étaient.
Du coin de l'œil, le brun voyait deux hommes, vêtus de chemises et de pantalons tout à fait banals, avec des lunettes de soleil, à quelques mètres derrière le banc. Les deux inconnus, il le détermina plutôt rapidement malgré leurs vêtements "civils", étaient des gardes du corps, ceux de la jeune femme aux cheveux noirs et blancs, sachant qu'elle leur avait ordonné de ne pas bouger.
Qui était cette fille, pour être ainsi accompagnée? Au vu des vêtements qu'elle portait, qui avaient l'air d'être hors de prix, il pouvait sans aucun doute affirmer qu'il s'agissait de quelqu'un de très riche et de très influent.
Pourquoi avait-elle requit l'aide de l'Agence, alors qu'elle semblait être capable d'embaucher n'importe qui pour remplir sa requête? Et, surtout, pourquoi prendre autant de précautions pour fixer un rendez-vous, et pourquoi dans un endroit aussi bondé en plus de cela?
Pourquoi n'était-elle pas directement venue au bureau des Détectives?
La réponse, il ne tarda pas à la trouver. A voir comment les gardes étaient sur le qui-vive au moindre inconnu qui s'approchait un peu trop près de leur "patronne", il était évident qu'ils souhaitaient plus que tout la protéger. Mais Dazai soupçonnait que cela cachait quelque chose d'autre.
Même maintenant, cette jeune inconnue continuait de le considérer comme un passant normal, et non comme un détective. Et le fait que la rencontre se fasse dans un cadre neutre et facile d'accès ne voulait dire qu'une seule chose.
Cette fille était contrainte par quelque chose, ou même quelqu'un, et n'avait aucun contrôle sur sa vie privée. Les gardes restaient à une distance raisonnable, mais Dazai était certain qu'ils pouvaient écouter chaque mot de leur conversation apparemment innocente.
Quant à savoir pourquoi la lettre qui avait démarré tout ceci avait été retrouvée au petit matin, il pouvait déduire que cette jeune fille, ou quelqu'un de confiance, était venu directement en pleine nuit pour déposer l'enveloppe mystérieuse.
S'il voulait que cette inconnue aux yeux bandés puisse lui dire ce qu'elle désirait de l'Agence, il allait devoir jouer le jeu du parfait petit citoyen banal, qui passait par là de façon tout à fait fortuite.
-Et vous, pourquoi êtes-vous ici? demanda la jeune femme de sa voix douce visiblement caractéristique, jouant à merveille la carte de l'innocence.
Il observa une fraction de seconde le vent secouer légèrement le chapeau bleu de son interlocutrice, les fleurs et les plumes accrochées au sommet ondulant elles aussi, en même temps que sa natte aux couleurs noires et blanches entrelacées.
Elle possédait un sourire magnifique, qui avait le pouvoir de mettre n'importe qui en confiance. Même s'il savait qu'il lui fallait rester impartial, il ne pouvait s'empêcher de se laisser amadouer par ce sourire, qui pouvait parfaitement cacher une toute autre chose.
Par le passé, il avait déjà croisé nombre de personnes dans ce cas-là, qui étaient douées pour la dissimulation de leurs véritables intentions, derrière un masque bienveillant.
Il devait rester sur ses gardes. Il renvoya le sourire de la jeune femme, même s'il était certain qu'elle ne pouvait pas le voir. Elle pouvait au moins l'entendre à l'intonation de sa voix, il en était persuadé.
-Je suis ici sous les conseils d'une amie, répondit-il d'une voix légère, presque chantante. Elle m'a affirmé que la vue d'ici est saisissante, et elle ne m'a pas menti! Je suis heureux de l'avoir écouté, et cela m'a permis de laisser de côté le travail, même pour quelques heures! Travailler dans un café peut être épuisant par moments, surtout lorsque des clients se permettent de nous laisser des commissions à faire sans même nous payer... acheva-t-il en gémissant de façon dramatique, comme si ce qu'il disait était vrai.
Il entendit l'inconnue rire doucement, d'un rire qui sonnait comme celui d'un ange, signe que le bon message avait réussi à passer, et qu'elle avait compris le sens caché de sa phrase. Elle avait son visage tourné vers l'horizon invisible à ses yeux aveugles, et du coin de l'œil il pouvait toujours apercevoir les deux gardes du corps, dont le regard acéré semblait sur le point de creuser un trou à l'arrière de sa tête.
Visiblement, sa présence les contrariait de façon virulente. Dazai était certain que, si son interlocutrice n'était pas intervenue pour leur dire de ne pas bouger, ils n'auraient pas hésité une seule seconde à lui sauter dessus pour le faire déguerpir d'ici.
-Vous avez raison de prendre un peu de temps pour vous reposer, je suis dans le même cas que vous actuellement... Mon employeur est très exigeant, mais il a considéré que j'avais suffisamment travaillé pour mériter de souffler l'espace d'une journée...
-Vous vous entendez bien avec votre employeur? demanda Dazai d'une voix curieuse, jouant parfaitement le jeu.
Il vit la jeune femme esquisser une grimace, invisible aux gardes derrière elle. Ses lèvres bougèrent silencieusement l'espace d'une fraction de seconde, mais il comprit sans peine le message qu'elle avait voulu lui faire passer.
"Non. Il s'agit de mon père adoptif".
-Oui, répondit-elle finalement comme si de rien n'était. Il s'agit de quelqu'un de plutôt proche de moi, alors je m'entends forcément très bien avec lui. Il est comme une seconde famille pour moi.
De l'extérieur, cette jeune femme semblait simplement être prudente dans ce qu'elle disait, comme pour ne pas révéler trop de choses sur sa vie privée, surtout à un étranger.
Mais il avait pu arriver à plusieurs conclusions. Cette inconnue était visiblement fortunée, était sous la surveillance constante d'une personne, qui était sûrement le père adoptif qu'elle avait mentionné en bougeant silencieusement ses lèvres. Celui qui était également son patron, et qui était ironiquement "comme une seconde famille pour elle".
Si elle avait été adoptée, c'était effectivement une seconde famille. Et le fait qu'elle ne la considère pas comme sa première ne pouvait signifier qu'une chose: elle n'avait pas encore tiré un trait définitif sur son ancienne famille, même après son adoption.
Il commençait à comprendre ce que cette jeune fille voulait de l'Agence. Et surtout pourquoi son père adoptif ne devait absolument rien savoir.
Elle voulait que les Détectives Armés l'aident à retrouver la trace de sa véritable famille. Et tout cela, bien évidemment, dans le plus grand des secrets.
Cela s'annonçait encore plus excitant que prévu, songea Dazai en souriant, préparant sa question suivante avec soin.
-J'espère que votre père et votre mère ne sont pas trop jaloux... De la si bonne entente entre vous et votre employeur, je veux dire...
Le sourire de la jeune femme se tinta de tristesse l'espace d'un instant, alors que la main agrippant sa canne resserra son emprise sur cette dernière. La voix qu'elle avait en lui répondant, cependant, était aussi claire que les fois précédentes, malgré cet état bien plus morose dans lequel elle avait été plongée.
-Cela fait un moment que je ne les ai pas vus, surtout ma mère. Elle est toujours occupée à droite à gauche, alors les occasions de la voir se font extrêmement rares... Elle me manque, si je puis être honnête.
La voici, la requête, pensa Dazai en souriant mentalement, prenant cependant un air concerné, paraissant sincèrement attristé par cette nouvelle. La demande de cette femme, avait-il compris, était relativement simple, du moins sur le papier : retrouver sa mère biologique, disparue depuis longtemps. Peut-être même bien avant son adoption.
Un son strident brisa soudainement le calme de cette fin de matinée, manquant de faire sursauter Dazai, avant qu'il ne se rende compte qu'il s'agissait seulement d'une sonnerie de téléphone. Aussi étrange était-elle.
Qui venait de la direction de la jeune femme, qui fronça les sourcils en l'écoutant elle aussi.
-Ah, je m'excuse mais je vais devoir répondre, c'est un appel important... pépia-t-elle cependant d'une voix insouciante, tapotant le banc à l'aide du bout de sa canne tout en se relevant. Ce fut un plaisir de discuter quelques instants avec vous, je souhaite que la vue était à votre goût et que vous ne regrettez pas d'être venu ici. Au revoir, Monsieur!
Il lui communiqua ses propres salutations, et l'observa s'en aller d'un pas rapide, assurée comme si elle avait encore l'usage de ses yeux, et s'il ne pouvait pas voir la canne dans la main de cette jeune fille il aurait pu jurer qu'elle était aussi normale que les autres passants. Très vite, la longue robe bleutée et les petites chaussures cramoisies disparurent au détour d'un topiaire, et il les perdit définitivement de vue.
Il se posa un instant la question de comment elle avait fait, sachant son handicap, pour savoir qui l'appelait ainsi, et surtout pour savoir que c'était un appel important.
Puis, l'évidence de la réponse s'imposa à lui la seconde suivante. C'était évident qu'elle avait une sonnerie dédiée à chaque personne de son répertoire, ce qui lui indiquait l'identité de l'appelant sans même avoir besoin de lire le nom de ce dernier sur l'écran.
Vu la tête qu'elle avait faite, la personne qui l'avait appelé n'était pas quelqu'un qu'elle portait dans son cœur. Mais il n'avait aucune manière de savoir qui était-ce exactement. Et puis, ce n'était pas son travail.
Il s'assura que les deux gardes étaient partis à leur tour avant de bouger de nouveau, arrêtant de contempler l'immense roue de Yokohama sans même la voir.
Sans attirer l'attention de qui que ce soit, agissant naturellement, le brun se pencha en avant et fouilla quelques secondes sous le banc, avant de mettre la main sur ce qu'il cherchait.
Dans ses mains, une autre enveloppe, identique à celle qu'avait reçu l'Agence quelques jours plus tôt. Une enveloppe que lui avait discrètement indiqué l'inconnue, lorsqu'elle avait tapoté le banc à l'aide de sa canne.
Attendant quelques instants de plus, afin de s'assurer que la voie était libre et que plus personne ne le surveillait, Dazai se leva finalement, s'étirant de tout son long, non sans avoir glissé la lettre dans la poche de son manteau au préalable.
Il était temps de rentrer à l'Agence, maintenant. Histoire de découvrir ce que désirait réellement cette cliente somme toute intrigante.
Bạn đang đọc truyện trên: Truyen247.Pro