Chapitre 7
Côtoyer la mort. Quoi de plus normal pour une fille comme elle, qui ne méritait pas de vivre autrement que couverte de sang?
La douleur qu'elle avait ressentie, cette fois-là, elle n'était rien face à celle qui régnait depuis toujours dans son esprit. Le couteau et le carrelage n'étaient rien face à ce qui se tramait au plus profond d'elle-même.
Elle savait parfaitement que quelque chose n'allait pas chez elle. Et pourtant, elle ne faisait rien. Était-ce parce qu'elle avait peur de faire face à la réalité? Ou peut-être redoutait-elle que, en accordant un quelconque crédit à ce qui reposait en elle, ces anciens et sinistres démons reviennent la tourmenter encore et encore, de façon toujours plus virulente que par le passé? Qu'ils finissent par devenir réalité une fois de plus?
Elle ne pouvait pas fuir éternellement. Mais le déclic qui lui permettrait de se retourner et de faire face à tout ceci n'était encore jamais arrivé. Elle continuait de s'enfuir, mais la réalité la rattraperait très vite, elle le sentait.
A chaque nouvelle journée qui s'écoulait, l'échéance funeste se rapprochait encore un peu plus.
Les yeux vides et ternes des nombreux morts qu'elle avait croisés au cours de sa vie se superposaient, jusqu'à ce qu'elle ne puisse plus les différencier les uns des autres. Puis, venait cet instant.
L'instant où elle repensait à lui. Et, à partir de là, la descente en enfer reprenait de plus belle. Les corps qu'elle autopsiait, lorsque la fatigue était présente, revêtaient alors le visage de cet homme.
Et pourtant, elle ne voulait pas arrêter d'exercer ce métier. Parce qu'elle n'avait pas le choix, tout simplement. Une ordure comme elle n'avait aucun autre endroit où aller, si ce n'est les ténèbres. Et la Mafia remplissait ce rôle à la perfection.
C'était un cercle vicieux qui ne s'arrêterait que lorsque son corps et son esprit ne pourraient plus le supporter. Lorsqu'elle serait contrainte de s'avouer vaincue, après avoir trouvé ou non le courage de riposter. De se battre pour son futur.
Elle n'en avait nullement envie. Elle voulait juste que tout s'arrête.
Elle voulait juste tout oublier.
Seulement, ceux qui exaucent les vœux ne se préoccupent nullement des personnes ordurières. Ils préfèrent les héros courageux, altruistes, gentils...
Elle n'était rien de tout cela.
Elle était juste une fille perdue, une fille sans nom.
Nora.
Alors que ses sens lui revenaient, ce fut la douleur qui se présenta en premier ; ce qui n'était pas bien étonnant, sachant tout ce qu'elle avait enduré. Mais, désormais, elle s'y était habituée.
La douleur physique s'était en grande partie anesthésiée, et ce depuis bien longtemps. Seule la douleur mentale parvenait encore à lui faire mal, sans qu'elle ne sache pourtant comment la faire taire à tout jamais. L'alcool était une bonne option, mais elle était temporaire.
Elle ouvrit ses yeux bleutés avec lassitude, ne prenant même pas la peine de gémir pour extérioriser la douleur plus que familière. Un plafond en lambris sombre lui faisait face, surmonté de plusieurs néons à la lumière blanche aveuglante.
Elle entendait une douce mélodie non loin, qu'elle reconnu immédiatement : elle venait de son phonographe personnel. Elle se trouvait dans son bureau, très certainement dans le lit qu'elle utilisait lorsqu'elle ne rentrait pas chez elle des jours durant.
Elle se trouvait dans la pièce adjacente à celle où l'horreur avait eu lieu, la salle d'autopsie, l'endroit qui l'avait forcée à évacuer le bâtiment tout entier. Elle revoyait les fils, les œufs, la fumée, les lumières rouges tourbillonnantes...
Elle revoyait le sang qu'elle avait vomi au pied de l'arbre et les hallucinations qu'elle avait eues, quelques minutes seulement après être sortie du complexe médical. Que s'était-il passé, pour qu'elle finisse ainsi? La fumée était-elle empoisonnée?
Pour l'heure, aucune sorte de réponse n'était disponible. Il allait falloir qu'elle se réveille complètement pour parvenir à quelque chose, si seulement quelqu'un se trouvait à son chevet.
Si elle se trouvait dans son bureau, cela voulait donc dire que la fumée avait été évacuée du bâtiment. Elle espérait que tout le monde soit indemne, surtout Mina, qui s'était trouvée dans la même pièce qu'elle au moment de l'incident.
Si elle devait sombrer pour quelque raison que ce soit, elle voulait s'assurer de le faire seule. Entraîner quelqu'un d'autre dans sa chute était hors de question.
Elle était la seule responsable, la seule coupable de ce qui lui arrivait.
-Réveillée?
Elle se retint de lever les yeux au ciel, lorsqu'elle se rendit compte à qui cette voix appartenait ; une voix parfaitement audible malgré la musique classique qui se jouait en fond.
Elle aurait voulu lui répondre, mais elle ne pouvait malheureusement pas. Un tuyau était enfoncé dans sa gorge, qui lui permettait très certainement de respirer. Pas étonnant qu'elle se sente aussi misérable, encore une fois, soupira-t-elle mentalement sans rien laisser paraître.
Son regard rencontra celui de Dazai, sans surprise, qui se pencha au-dessus de son lit avec un petit sourire en coin, l'observant attentivement. Si Nora se risquait à la pensée, elle était certaine d'avoir aperçu une lueur inquiète mais également soulagée dans l'œil couleur café de Dazai, celui qui n'était pas dissimulé derrière ses éternels bandages.
Incapable de parler, elle se contenta de froncer les sourcils, prenant un air ennuyé.
-Heureusement que tu t'es réveillée, reprit Dazai sur un ton presque normal, comme s'il vivait ce genre de choses quotidiennement. Encore quelques jours et ils t'intubaient en t'ouvrant la gorge... Je sais plus comment ils ont appelé ça.
Nora grimaça en entendant cela. Elle savait parfaitement de quoi voulait parler le brun, puisqu'elle avait déjà pratiqué ce genre d'intubation sur de nombreux patients. Une trachéotomie. Si l'on mettait un patient sous assistance respiratoire pour une longue période, il était beaucoup plus simple d'ouvrir directement le larynx et de passer une canule pour apporter l'air nécessaire au patient.
Elle était contente de s'être réveillée à temps pour ne pas avoir à subir cela.
En sortant de ses ruminations, elle se rendit finalement compte que Dazai avait disparu de son champ de vision, et ce depuis quelques instants maintenant ; elle savait cependant qu'elle ne devait pas tourner la tête pour le chercher du regard, à cause du tube coincé dans sa gorge. Même si la douleur physique était une constante pour elle, elle ne voulait pas tenter le diable plus que de raison.
Elle était déjà assez misérable comme ceci, là tout de suite.
Son collègue revint quelques secondes plus tard, alors qu'elle étouffait un énième soupir de soulagement. Elle ne l'avouerait jamais à voix haute, mais le fait de se retrouver à son tour à la place du malade était tout sauf agréable. Si elle avait appris quelque chose, pendant ses quelques années de pratique, c'était bien ça : un visage familier était la manière la plus efficace de rassurer un patient angoissé.
Elle et ses collègues, ainsi, s'efforçaient toujours de nouer des liens avec les autres membres de la Mafia, afin que leur possible séjour entre ces murs se passe au mieux, et qu'il guérissent dans les meilleures conditions. Même si son visage et sa présence à elle avaient plutôt tendance à terroriser le patient ; elle préférait en général déléguer la tâche de s'occuper des vivants à d'autres plus compétents dans ce domaine, et surtout bien moins effrayants.
Elle vit alors une autre personne apparaître dans son champ de vision, l'un de ses nombreux subordonnés, qui devait sans nul doute vérifier que tout allait bien avec elle. Elle était tellement frustrée.
Elle ne pouvait pas parler, et elle savait que le temps de récupération après une telle opération allait être long et ennuyant. Elle était la cheffe de cet endroit, et en tant que telle de nombreuses et importantes responsabilités l'attendaient quotidiennement.
Elle ne savait pas combien de jours elle avait dormi, et ainsi combien de jours de travail elle avait manqué. Le complexe avait-il réussi à se débrouiller sans elle? Elle n'en doutait pas, sachant qu'elle avait formé ses subordonnés de manière à ce qu'ils puissent agir seuls si nécessaire, mais elle ne pouvait s'empêcher de s'inquiéter malgré tout.
Elle revint à la réalité une fois de plus lorsqu'une main fut posée sur ses cheveux, caressant doucement sa tête, comme pour la rassurer. Comme si cet idiot de Dazai était capable de lire dans ses pensées.
-Ne réfléchis pas trop, dit-il à voix basse alors que l'infirmier s'affairait quelque part dans la pièce. Tu risquerais de malmener encore davantage ce petit cerveau, acheva-t-il en tapotant son crâne du doigt. Si seulement il y en a encore un là-dedans.
Ce qui la fit ouvrir les yeux en grand, du moins aussi grand qu'elle le pouvait sans ressentir une douleur fulgurante se répandre dans ses orbites. Si un simple regard pouvait tuer, Dazai serait déjà mort à l'heure actuelle.
Mais, à la place, il se contenta de rigoler, comme un enfant qui aurait fait une farce à quelqu'un, lui faisant lever les yeux au ciel encore une fois.
Elle croisa de nouveau le regard du brun, qui s'adoucit quelque peu en établissant ce contact visuel. Nora repensa alors, sans savoir pourquoi, aux paroles que lui avait dites son assistante.
"Monsieur Dazai n'est plus le même lorsqu'il est avec vous... Son sourire est plus... Authentique."
Était-ce la réalité, ou bien imaginait-elle des choses maintenant que Mina lui avait mis ces idées saugrenues dans la tête?
Était-elle réellement capable de faire sourire Dazai, même un peu?
A la pensée de cette éventualité, elle sentait son estomac s'alléger quelque peu, comme si des papillons s'étaient doucement mis à voleter à l'intérieur. Et cela lui fit instantanément peur.
Cette sensation lui était malheureusement familière. Beaucoup trop, même.
La main apaisante du brun, qui continuait affectueusement de caresser ses cheveux, eut finalement raison de sa volonté de rester éveillée, et surtout celle de combattre cette sensation aigre-douce qu'elle ressentait.
Elle n'avait pas envie que tout recommence encore une fois. Mais, présentement, elle n'avait aucune force à consacrer à cette bataille qu'elle savait quasiment perdue d'avance, pour le meilleur et pour le pire.
Ses yeux se fermèrent tous seuls, sans qu'elle ne puisse faire quoi que ce soit pour les en empêcher. La musique classique de l'un de ses nombreux disques vinyles l'accompagna jusque dans le pays des rêves, la berçant en harmonie avec la douce caresse sur ses cheveux.
Lui rappelant leurs mains enlacées alors qu'ils s'endormaient côte à côte, dans son lit et par extension dans son appartement. Ajoutant une touche de chaleur à cet environnement stérile et vide de vie, qui était également l'endroit censé remplir le rôle de maison pour elle.
Ajoutant une touche d'espoir à son cœur douloureusement vide.
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