Chapitre 52
Tapotant rapidement ses doigts sur la table à laquelle elle était attablée, la silhouette affublée d'un masque à gaz laissait libre court à sa nervosité, et également à sa frustration.
Elle n'avait toujours aucune nouvelle de la part de ses deux larbins, et cela la contrariait au plus haut point. Leur mission était pourtant simple : s'introduire chez la cheffe de la section médicale de la Mafia Portuaire, et laisser sa petite camarade à huit pattes faire le reste.
Alors pourquoi n'avait-elle toujours pas reçu de rapport sur la situation? Elles n'étaient pas mortes, c'était certain ; elle l'aurait senti, sinon. Elles étaient donc encore vivantes, mais dans l'impossibilité de contacter leur supérieur.
Ce dernier avait pris de nombreuses précautions afin de s'assurer de la confidentialité de ses informations ; ainsi, si elles étaient sur le point de se faire capturer ou même de mourir, ses subordonnées devaient croquer la pilule de poison située dans leurs bouches. Et, si cela leur était impossible, une précaution supplémentaire avait été prise : le lavage de cerveau, grâce à la capacité qu'il détenait, et qui lui permettait notamment de contrôler une partie de la conscience de ses victimes.
La silhouette laissa malgré tout un sourire étirer doucement ses lèvres, en pensant à la dernière surprise qui attendait quiconque souhaiterait retirer l'emprise qu'elle détenait sur ses larbins ; peu importe ce que cette salope pourrait tenter sur les deux filles qui étaient certainement ses prisonnières à l'heure actuelle, elle ne pourrait rien faire. Lorsque son pouvoir atteignait le cerveau de ses victimes, il était déjà trop tard pour elles.
Elle déplorait simplement le fait de ne pas avoir réussi à étendre sa domination sur le corps et l'esprit de cette femme, qu'elle détestait de tout son être. Mais ce n'était qu'une question de temps avant que cet objectif devienne finalement réalité.
Passant doucement ses doigts gantés sur le corps ébène de son compagnon, qui l'observait silencieusement de ses multiples yeux rouges, lové sur ses genoux, la silhouette laissa échapper un petit rire. Partagée entre la hâte et l'envie, aussi irrésistibles l'une que l'autre.
Elle allait souffrir pour cette vengeance, certes, mais c'était un mal pour un bien. Elle le savait.
Elle tentait simplement d'oublier la douleur qu'elle ressentait constamment dans son bras gauche, dont la peau décharnée par endroits était habilement dissimulée derrière un bandage, ainsi que derrière sa manche longue et ample.
Tout allait bientôt se terminer ; et peu importe si elle y laissait la vie. Tout ce qui comptait, c'était l'accomplissement de sa vengeance.
Elle était déjà morte ce jour-là, après tout.
Même si une nouvelle raison de vivre s'était depuis peu de temps profilée à l'horizon, qui l'avait fait remettre en question nombre de choses. Qui aurait pu le croire, au beau milieu de tout ce chaos sans nom...?
Et pourtant.
S'il lui avait été accordé de pouvoir ressentir de la haine à cause de cette femme...
Qu'en était-il de l'amour...?
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Elle se réveilla d'un sommeil sans rêve et hautement réparateur en soupirant, sachant pertinemment qu'elle aurait aimé pouvoir dormir quelques heures supplémentaires. Il était actuellement six heures du matin, ce qui signifiait qu'elle avait grapillé un peu plus de quatre heures de repos.
Mais elle devait se lever, de manière à avoir le fin mot de toute cette histoire, et résoudre le problème de la prisonnière incapable de parler même sous la torture la plus extrême. Et, ainsi, peut-être pouvoir obtenir un indice sur l'identité de celui ou celle qui voulait sa peau.
Elle s'extirpa comme elle le put des bras de Dazai, qui poussa un grognement mécontent à cela, sans qu'il ne daigne ouvrir les yeux une seule seconde. Nul doute qu'il était encore en train de dormir, et Nora n'avait pas le cœur de le réveiller.
Elle quitta ainsi la chambre sur la pointe des pieds, non sans avoir récupéré des vêtements propres pour elle-même et en avoir sorti à l'intention de son petit ami, qu'elle déposa bien en évidence sur la commode. Une chance qu'elle avait pensé à ramener quelques affaires appartenant à Dazai en même temps que les siennes lors du transfert d'appartement ; sinon, le brun se serait baladé avec des vêtements qui sentaient affreusement mauvais toute la journée ; il n'avait pas accompli des tâches qui respiraient la propreté, après tout, comme tout bon mafieux qui se respecte. La torture en était un parfait exemple ; le sang qui séchait ne possédait pas vraiment une odeur fascinante à respirer.
Nora se lava en vitesse, avant de passer ses vêtements propres et de prendre un petit-déjeuner rapide, dans le but de se rendre au plus vite à son laboratoire. Mais, alors qu'elle était sur le point de sortir de chez elle, une lumière discrète attira son attention, qui semblait provenir de la poche d'un manteau, entièrement noir. Qu'elle reconnu facilement comme étant celui de Dazai.
En fouillant à l'intérieur, elle tomba sans surprise sur le téléphone du brun, et elle ne manqua pas le nom d'appelant qui s'affichait actuellement sur l'écran ; ni même les TRÈS nombreux appels manqués et messages, qui apparurent une fois que la personne à l'autre bout du fil tomba sur la messagerie vocale.
Ce qui étonna le plus Nora, ce fut l'identité de celui qui tentait si désespérément de contacter Dazai. Le contact était enregistré sous le pseudonyme de "limace", mais la blonde savait parfaitement de qui il s'agissait.
Elle n'eut pas le temps de faire quoi que ce soit d'autre que l'écran s'alluma de nouveau, et que le nom "limace" apparut une fois de plus. Nora n'hésita qu'une fraction de seconde avant de décrocher, sachant que Dazai était encore en train de dormir et que Chuuya semblait avoir une urgence (si elle se basait sur le nombre ahurissant d'appels et de messages reçus en l'espace d'une petite demi-heure seulement).
La première chose qu'elle entendit, en acceptant l'appel, fut une insulte. Sans grande surprise, Dazai avait ENCORE dû faire quelque chose qui n'avait absolument pas plu à Chuuya ; la routine, en somme.
-Tu réponds enfin, espèce d'enfoiré!! T'as pas fini de me faire chier à ce point-là??
Éloignant le téléphone brièvement, après cet éclat de voix qui lui avait vrillé le tympan, Nora répondit d'une voix calme, quoique légèrement amusée.
-Bonjour à toi aussi, Chuuya. Quelle énergie dès le matin, j'en serai presque jalouse! Que puis-je faire pour toi?
Un petit silence suivit sa tirade plus qu'ironique, et elle imagina sans peine le regard déconcerté que devait avoir son ami à l'heure actuelle. Avant que celui-ci ne pousse un soupir, et, si Nora ne le connaissait pas si bien, elle aurait pu jurer qu'il était rempli de honte.
-... évidemment que vous êtes encore fourrés ensemble, marmonna le jeune homme à l'autre bout du fil, d'une voix à la fois exaspérée et déçue. T'as pas l'autre enfoiré dans les parages? J'ai quelques comptes à régler avec lui, acheva-t-il en parlant rapidement, désirant très certainement dissimuler sa gêne en expédiant cette conversation au plus vite.
-Il dort, malheureusement, répondit Nora en souriant. Mais je peux lui demander de t'appeler une fois qu'il sera réveillé ; si c'est moi qui lui demande, il le fera.
Elle n'avait pas le cœur à demander ce que Dazai avait encore pu faire subir à ce pauvre Chuuya, alors elle n'ajouta rien de plus sur le sujet ; et elle pouvait sentir que son ami lui en était silencieusement reconnaissant. Dans un sens, elle se sentait légèrement coupable ; la veille, si elle avait insisté pour aller réveiller Chuuya elle-même, ce dernier n'aurait jamais été aussi remonté envers Dazai. Bien qu'elle ne sache pas encore ce qu'il s'était passé ; elle ne doutait pas de sa capacité à tirer les vers du nez à son petit ami, cependant.
Dans un sens, elle était plutôt touchée de constater que Chuuya ne pensait pas une seule seconde qu'elle était responsable de quoi que ce soit, ce qui était vrai. Son ami lui faisait confiance, mine de rien.
Chuuya la remercia rapidement avant de raccrocher, non sans avoir scandé qu'ils devaient se voir dans les jours à venir afin d'aller boire un coup ensemble, bien évidemment sans parasite pour les importuner. La routine, en somme.
Nora ne put répondre que par l'affirmative, et la ligne retomba dans le silence la seconde suivante. Elle ne put empêcher un rire de lui échapper, qu'elle étouffa à l'aide de sa main, en pensant à ce qui attendait Dazai lorsqu'il serait réveillé.
Toujours en silence, elle alla poser le téléphone de son petit ami sur la table du salon, de même qu'un petit mot où elle écrivit : "je ne sais pas ce que tu as fait, mais Chuuya n'a pas apprécié. Rappelle-le dès que tu pourras. Bonne journée".
Elle s'éclipsa ensuite de l'appartement en s'assurant de bien fermer derrière elle.
Direction : son laboratoire, pour commencer sa journée qui s'annonçait chargée.
Et elle était encore bien loin d'avoir complètement raison.
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Après un coup de téléphone passé aux subordonnés de Dazai chargés de surveiller les deux prisonnières, Nora s'était directement rendue à son laboratoire, qui fourmillait de médecins et de patients comme à son habitude à cette heure de la journée.
Le soleil n'était pas encore tout à fait levé, mais ce n'était pas cela qui allait décourager les hommes de Nora ; les équipes de nuit venaient tout juste d'être relayées par celles de jour, beaucoup plus nombreuses, ce qui ne faisait qu'ajouter un peu plus d'animation à la section médicale dissimulée au milieu d'une forêt dense, aux abords de Yokohama. Il était vrai que le monde de la Mafia tournait majoritairement autour de la nuit, mais ce n'était pas vraiment le cas de la section médicale, qui effectuait la majeure partie de son travail lorsque la lune laissait sa place au soleil.
L'entrée du complexe était gardée par plusieurs gardes armés, qui fouillaient chacun des visiteurs avec une extrême minutie ; un rituel qui s'était considérablement durci depuis l'attaque au gaz quelques semaines plus tôt.
Les hommes de main la reconnaissant aussitôt, ils la laissèrent passer sans aucun problème, et sans même l'avoir fouillée. Quelle était l'utilité de vérifier l'identité de celle qui gérait l'endroit, et qui était une haut placée de la Mafia, après tout? Elle était simplement satisfaite de constater que la sécurité se soit renforcée de manière aussi efficace. Mori n'avait pas lésiné sur les moyens pour apporter son soutien à sa précieuse unité médicale, c'était certain.
Le complexe était bondé de monde, sans que cela ne soit dérangeant pour autant. Chacun savait où il se rendait, et les allées et venues étaient parfaitement ordonnées ; si bien que circuler au milieu de la petite foule était relativement simple. Elle ne manqua pas les salutations nombreuses et joviales qu'elle obtenait des personnes croisées sur son chemin, médecins comme patients, ou encore visiteurs. Elle leur répondit avec un petit signe de la tête ou de la main, sans que le cœur ne soit de la partie pour autant.
Elle n'arrivait toujours pas à croire que l'une des personnes présentes ici, voire plusieurs, était responsable des attaques qui l'avaient prise pour cible il y a de cela quelques semaines. Elle avait elle-même recruté la majeure partie de ses subordonnés et en avait formé une part non négligeable, se contentant de superviser la formation des autres par manque de temps. Qui aurait pu croire qu'un traître prêt à tout pour la tuer se cachait au milieu de ces personnes, qu'elle considérait comme des collègues extrêmement précieux?
Allait-elle devenir paranoïaque, allait-elle devoir se méfier du moindre individu au sein de ce laboratoire qu'elle avait un jour considéré comme une maison, qui n'était désormais plus qu'un endroit hostile et potentiellement rempli de personnes qui souhaitaient sa mort?
Elle ne s'était pas attendue à ce que cette réalisation la touche de la sorte ; comme elle ne s'était pas attendue à ce que la mort de son père l'affecte à ce point. Elle avait une faculté à tolérer les blessures physiques bien supérieure à la moyenne, mais cette réalité ne s'appliquait pas à son esprit, loin de là.
Mentalement, elle était extrêmement faible. Elle l'avait toujours su, malgré ses efforts pour se voiler la face et tromper les autres. Chaque petite contrariété du quotidien avait la possibilité de la faire sombrer de nouveau, dans les méandres de son subconscient destructeur.
En secouant la tête, afin de chasser ces pensées de plus en plus sombres, Nora se dépêcha de rejoindre son bureau personnel, qui avait été solidement verrouillé conformément à ses volontés, afin que personne ne puisse se rendre à l'intérieur en son absence. Des gardes armés avaient été dépêchés sur place pour dissuader quiconque s'approcherait de la pièce d'un peu trop près, et il en était de même pour l'accès à la morgue attenante à son bureau, dont la double porte débouchait sur un parking situé à l'arrière du complexe.
Elle put entrer dans son petit bureau familier sans aucun problème, et referma la porte derrière elle en soupirant. Tout était tel qu'elle l'avait laissé en quittant les lieux la veille ; se souvenant de ses bonnes résolutions, elle se décida à entrouvrir les fenêtres de son bureau, qui recouvraient la partie supérieure des murs. Un air frais et bienvenu s'insinua dans la petite pièce aux bureaux couverts de dossiers en tous genres, que Nora n'avait pas encore eu le temps de vérifier dans leur intégralité.
Puis, descendant les marches menant à son labo, elle déboucha sur une salle, spacieuse, silencieuse et étincelante de propreté, parsemée de tables en acier inoxydable et bordée de casiers réfrigérés, sans compter les nombreux équipements médicaux disséminés ici et là.
Elle prépara ses différents outils, qui allaient lui être utiles pendant les examens qu'elle allait devoir pratiquer sur ses deux "patientes". Cela faisait une éternité qu'elle n'avait pas examiné des sujets vivants, alors il était possible qu'elle ait légèrement perdu la main. Mais, comme elles étaient potentiellement capables de survivre à l'interrogatoire de Dazai, Nora avait encore de la marge.
Quelques minutes plus tard, quelqu'un toqua à la porte menant au parking arrière, et Nora fut satisfaite du parfait timing ; l'arrivée de ses "invitées" coïncidait parfaitement avec la fin des préparatifs pour les accueillir au mieux.
Elle ouvrit la porte en ayant attendu que les hommes de l'autre côté se présentent, par simple mesure de sûreté. Cinq hommes armés entrèrent, escortant de près les deux prisonnières encore salement amochées. Les yeux et la bouche bandés, les oreilles recouvertes d'un casque qui obstruait le moindre son et les bras entravés par des camisoles de force, elles étaient de ce fait incapables de se repérer sans l'aide de quelqu'un d'autre.
On leur avait retiré la moindre chance de pouvoir s'enfuir, de se faire du mal et de communiquer entre elles ou avec l'extérieur.
L'une des deux filles, celle à la hanche émiettée, fut allongée et solidement attachée sur l'une des nombreuses tables, tandis que sa collègue au nez cassé l'était à une chaise, attendant patiemment son tour dans l'ignorance la plus extrême.
Vêtue d'une blouse noire, d'un masque chirurgical et d'une charlotte retenant ses cheveux blonds, Nora attendit de se retrouver seule avec ses "patientes" pour enfiler ses gants, se tournant vers sa première victime avec un sourire dissimulé par ses équipements médicaux.
Elle retira avec toutes les précautions du monde le casque ainsi que le bandeau de son sujet de test, qui pouvait désormais la voir et l'entendre à sa guise, sans pour autant pouvoir bouger.
-On y va, déclara Nora d'une voix sinistre, constatant avec une joie à peine dissimulée que la fille attachée sur la table d'opération, un bâillon devant la bouche, tremblait de la tête aux pieds.
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