A/N : avant de commencer, je rappelle que cette histoire contient des scènes susceptibles de choquer les plus sensibles. Bonne lecture!

-Madame...? Je peux vous poser une question...?

La voix de son assistante brisa soudainement le silence, légèrement étouffée par le masque qu'elle portait. Nora se surprit à gémir intérieurement, elle qui avait volontiers pris goût au manque de bruit, autre que le tintement de ses instruments et le grattement d'un stylo sur du papier.

Maintenant qu'elle revenait à la réalité, la lumière qui éclairait la table sur laquelle elle travaillait lui paraissait aveuglante. De même, la rugosité de son masque et celle de sa blouse semblaient la démanger de toutes parts. Elle avait soif.

-Oui? De quoi s'agit-il, Mina? répondit la blonde en ne levant pas les yeux de son travail pour autant, faisant glisser son scalpel sur la peau froide de son "patient" avec une précision et une maîtrise ahurissantes.

-Je ne sais pas si j'ai le droit de vous demander une chose pareille, et je comprendrais si vous ne vouliez pas m'apporter de réponse, mais...

Finalement, un sentiment de frustration commençant à poindre en elle, Nora laissa son travail de côté pour quelques secondes, se redressant en faisant craquer sa nuque endolorie et regarda sa jeune assistante de ses yeux bleus foncés fatigués.

-Si tu veux vraiment me demander quelque chose, fais-le vite s'il-te-plaît, déclara la blonde en essayant de poser sa voix, afin de ne pas trahir le fait qu'elle était contrariée. Il reste encore un corps à faire et toute la paperasse ensuite, sans compter le reste et les possibles urgences de dernière minute.

Mina tritura ses doigts gantés quelques secondes de plus, ses lunettes reflétant le corps entièrement nu allongé sur la table d'opération, en pleine autopsie. Mais, alors que Nora était sur le point d'ajouter quelque chose, peut-être des remontrances cette fois-ci, la brune se décida à parler.

-Quelle est votre relation avec Monsieur Dazai, exactement...? Il me semble que vous êtes arrivés ensembles ce matin et qu'il est très souvent avec vous, je me posais la question... Vous souriez aussi beaucoup plus lorsque vous êtes avec lui...

Nora mit un long moment avant de saisir la totalité de cette demande saugrenue. Pour au final froncer les sourcils de confusion.

-Pourquoi tu veux savoir un truc comme ça? Surtout là tout de suite, alors que j'ai littéralement les mains plongées dans un cadavre?

Mina avait toujours été imprévisible. Mais, cette fois-ci, elle battait des records. Sa jeune assistante la regardait de derrière son carnet de notes, où elle inscrivait chaque détail de l'autopsie que Nora réalisait, tout en détournant les yeux du corps aux organes à découvert, pas encore accoutumée à ce genre de vision d'horreur.

Pourquoi Mina voulait-elle savoir une chose pareille? Pourquoi s'intéressait-elle à ce qu'il y avait entre elle et Dazai, sachant qu'en plus de cela elle était sa supérieure? Et Dazai aussi?

A moins que...

Une pensée s'insinua dans l'esprit de Nora, alors que sa réflexion s'égarait. Mais l'idée qu'elle avait eue n'était pas à jeter à la poubelle pour autant... Sait-on jamais.

La blonde observa attentivement son assistante, dont même le masque en papier n'était pas suffisant pour cacher ses joues rougies.

-... tu ne serais pas intéressée par Dazai, à tout hasard?

Lorsqu'elle vit Mina sursauter en étouffant un bruit de surprise, elle sut qu'elle avait tapé dans le mille. La brune ne savait même pas comment se défendre de cette affirmation, qui devait donc très certainement être vraie.

Une fille toute fragile et naïve comme elle, qui avait le béguin pour l'un des cadres de la Mafia les plus redoutés? Qui avait, en plus de cela, la réputation d'être sans pitié avec ses ennemis et un briseur de cœurs invétéré?

Étrange. Pour ne pas dire carrément inquiétant.

Il était vrai que le jeune homme n'était pas le même lorsqu'il était avec leurs amis en commun, tels que Oda et Ango, et surtout lorsqu'ils étaient juste tous les deux, Nora et lui, et qu'ils laissaient de côté leurs faux semblants...

Mais, à part son apparence loin d'être repoussante (si l'on omettait les pansements), qu'est-ce qui avait pu pousser Mina à le trouver à son goût?

-... on est de bons amis depuis que l'on s'est rencontrés, on va boire des verres ensemble de temps à autres... Je ne sais pas quoi te dire de plus, notre relation n'est pas vraiment exceptionnelle.

Et le reste était totalement privé, pensa Nora sans le dire à haute voix.

-Quand même un peu! intervint Mina en prenant par surprise sa supérieure, aillant vraisemblablement oublié sa gêne de tantôt. Je ne vous ai jamais vue aussi proche de quelqu'un d'autre que Monsieur Dazai, et lui aussi n'est plus le même lorsqu'il est avec vous... Son sourire est plus... Comment dire... Authentique...? Et il n'arrête pas de venir dans votre bureau à sa guise sans que vous ne disiez grand chose, à l'inverse des autres qui viennent mais qui se font jeter aussitôt...

Nora grimaça en entendant cela, reprenant en main son scalpel qui avait légèrement glissé de ses doigts tachés de sang. Elle devait reconnaître que Dazai était quasiment le seul à pouvoir entrer ici sans craindre de représailles. En même temps, il était cadre, non? Elle aussi, mais pas avec une influence aussi élevée que la sienne.

Mais, maintenant qu'elle y pensait, elle permettait beaucoup à Dazai, et lui faisait de même avec elle. Il avait la clé de chez elle, dormait dans son lit à sa guise sans que cela ne la dérange, et en connaissait beaucoup plus sur elle que quiconque.

De l'autre côté, elle aussi avait la clé de chez Dazai (bien qu'elle n'y aille quasiment jamais) et pouvait se permettre de rire de lui ou lui donner des petites tapes amicales quand il devenait un peu trop bête, sans qu'il ne lui en tienne rigueur pour autant. Elle savait également que, lorsqu'elle était soûle, Dazai serait là pour s'assurer qu'elle rentrait chez elle en toute sécurité, et inversement.

Et, plus que tout, Dazai était assez à l'aise avec elle pour retirer ses bandages en sa présence, et pour la laisser l'appeler par son prénom. C'était bien là la définition d'un ami, non?

Mais pourquoi se prenait-elle la tête avec un truc pareil, au fait? Juste parce que son assistante avait révélé être attirée par son collègue et ami? En reprenant son autopsie là où elle l'avait laissée, Nora s'efforça de faire disparaître toutes ces questions de sa tête, en répondant malgré tout à Mina.

-C'est purement amical. Et puis, si je peux te donner un conseil... Oublie-le. En ce qui concerne les relations amoureuses, c'est loin d'être le choix idéal, crois-moi.

Du coin de l'œil, elle vit la brune baisser la tête, sa frange cachant son regard couleur noisette, en plus du cahier derrière lequel elle était déjà à moitié dissimulée. Sans nul doute attristée, ou même contrariée qu'elle n'approfondisse pas et qu'elle lui déconseille même de chercher à se rapprocher de Dazai, amoureusement parlant.

Elle en savait quelque chose, question relations merdiques. Bien que le fait d'associer son passé personnel avec Dazai ne lui plaisait guère. Son collègue méritait mieux que ça, après tout...

Il n'était pas aussi pourri de l'intérieur, et de loin. Dazai pensait sûrement l'être, au fond de lui, mais il s'agissait  simplement de la vision qu'il avait de lui-même. Il était un homme bien, elle en était certaine.

Il était l'une des rares personnes à avoir été autorisées dans sa nouvelle vie, après tout, pensa la jeune femme en souriant doucement derrière son masque. Sans Dazai, Oda, Ango, et quelques autres qui se comptaient sur les doigts d'une main, elle ne serait pas là où elle était aujourd'hui.

Jamais elle n'aurait eu le courage de continuer à avancer, au lieu de succomber à la douce facilité de tout laisser tomber.

Elle espérait simplement que Dazai soit réellement d'accord avec ses idées personnelles... Même si celui-ci n'était pas connu pour fréquenter des personnes qu'il n'aimait pas, surtout aussi intimement.

Sans qu'elle ne le sache réellement, le sourire affectueux qu'elle eut en pensant à Dazai n'échappa nullement à son assistante, malgré le masque qu'elle portait. La petite brune se mordit la lèvre tout en reprenant ses notes, le bruit du stylo se faisant à nouveau entendre dans ce que Nora appelait son "labo".

-D'accord, merci Madame, murmura Mina à sa supérieure, qui achevait d'autopsier la première dépouille.

Son assistante semblait déçue ; mais c'était aussi pour son propre bien que Nora avait été sincère avec elle. Elle n'avait pas envie de consoler la brune lorsque Dazai viendrait à la jeter comme les nombreuses autres avant elle, ce qui était quasiment certain avec cet idiot de service.

Nora n'avait jamais vu d'un très bon œil les nombreuses conquêtes de Dazai. A chaque fois, elle se sentait étrange. Un sentiment qu'elle peinait à identifier, mais qui revenait systématiquement.

Ou plutôt qu'elle n'avait pas envie de nommer.

Le cours de ses pensées fut stoppé lorsqu'elle se trouva face au deuxième corps, ayant achevé de recoudre entièrement le premier, après avoir replacé les organes à leurs places originelles une fois examinés avec minutie. Elle avait déterminé que la mort était due à une strangulation, causée par ce qu'elle imaginait être une corde.

Sur ce deuxième corps, cependant, aucune trace de strangulation autour du cou de la victime. Alors que Mina entreposait la première dépouille dans l'un des tiroirs réfrigérés disponibles, sa supérieure avait retiré les vêtements de sa camarade d'infortune, et était tombé sur une chose étrange.

Là, au niveau de l'estomac de cette seconde victime, une plaie d'une bonne vingtaine de centimètres, grossièrement refermée à l'aide de points de suture aussi noirs que le charbon. Nora fronça les sourcils en voyant cela, se demandant ce qui avait pu causer une telle blessure, et quelle était la raison de son existence.

Avait-elle été la cause de la mort? Mais, dans ce cas, pourquoi s'être embêté à recoudre derrière, si c'était pour jeter le corps à l'eau par la suite?

La blessure était peut-être le résultat d'une opération qu'avait subit la morte peu avant sa mort? Mais, dans ce cas, pourquoi les sutures étaient-elles aussi mal faites?

Un sentiment de malaise grandissant en elle, Nora procéda cependant dans le même ordre que d'habitude pour l'autopsie. D'abord un examen externe, dont elle fit prendre quelques notes à son assistante, puis plus poussé.

Se saisissant de nouveau de son scalpel, Nora s'aventura alors à défaire les sutures une à une, avant de demander à Mina d'autres outils pour approfondir ses recherches.

L'estomac avait lui aussi été refermé avec les mêmes sutures noirâtres, qu'elle retira également et qu'elle déposa précautionneusement sur un petit plateau en métal, qu'elle plaça ensuite sur le chariot roulant, a côté de ses autres instruments.

Enfin, elle pu ouvrir complètement l'estomac. Et ce qu'elle découvrit dépassa toutes ses prédictions, même les plus folles.

Elle sentit la sueur couler le long de ses tempes, alors que ses yeux grands ouverts fixaient le spectacle morbide devant elle, et que son propre estomac manqua de rejeter le maigre petit-déjeuner qu'elle avait pris ce matin-là.

Jamais elle n'avait autant regretté d'être devenue médecin-légiste qu'avant cet instant.