Chapitre 49
-... tu n'as pas dormi de la nuit, n'est-ce pas? Et je pense pas que ça ait quelque chose à voir avec mes ronflements, cette fois-ci...
Aux paroles de Dazai, Nora laissa un sourire en coin se glisser sur ses lèvres, malgré son épuisement évident. Encore une fois, il avait presque tout deviné avant qu'elle n'ait le temps de prononcer un seul mot.
Regardant distraitement le paysage qui s'étendait au-delà de leur chambre d'hôtel, la blonde laissa son petit déjeuner de côté pour l'instant, l'appétit lui faisant cruellement défaut ce matin-là. Elle sentait le regard inquiet de Dazai sur elle, ce qui la rassura quelque peu, et lui donna le courage d'agir.
Elle attrapa le journal de la veille, qu'elle avait laissé sur le rebord de la fenêtre qui avait été son refuge le temps d'une nuit, et le tendit à son désormais petit ami, ouvert à la page fatidique.
Un petit silence s'ensuivit, au cours duquel Dazai parcouru le journal du regard, tombant très vite sur l'article qui avait ainsi miné le moral de son amoureuse. Il avait senti que ce changement d'humeur n'était pas totalement dû aux révélations qu'elle avait faites sur son passé, sachant que tout lui raconter lui avait fait un bien fou, il l'avait facilement remarqué.
Et il avait été contenté à l'extrême de voir à quel point Nora lui faisait confiance.
C'était bel et bien cet article qui était la cause de sa soudaine détresse, et de la nuit blanche qu'elle venait de passer. Et il ne mit pas longtemps à comprendre qui était cet homme, à l'apparence soignée et distinguée ; un grand nom de la chirurgie, de ce qu'il pouvait lire.
Cet homme était le père de Nora, il en était certain. Il savait que la blonde ne l'avait pas vu depuis presque cinq ans, depuis qu'elle avait fugué de chez elle, mais il pouvait sans peine s'apercevoir que la nouvelle de sa mort affectait profondément Nora.
Ce qui était une réaction parfaitement compréhensible. Bien que Nora elle-même paraisse plus étonnée que quiconque de constater que cette mort la touchait de la sorte. Il est impensable d'imaginer oublier si facilement ceux qui nous ont élevé pendant quatorze ans, n'est-ce pas?
-Tu penses que la mort de ton père a quelque chose à voir avec les deux tentatives de meurtre auxquelles tu as échappé il y quelques semaines? C'est fort probable, mais ce qui ne l'est en revanche pas c'est que le coupable et ton ancien petit ami ne fassent qu'un. Il est mort, tu l'as bien vu.
Il vit la blonde se mordre la lèvre, le regard toujours perdu dans le vague, contemplant un horizon qu'elle ne voyait en réalité pas. Devant les yeux de Nora, le jour où elle avait tué pour la première fois, contre son gré, défilait très certainement encore et encore, comme un vieux disque rayé qui aurait depuis longtemps perdu de ses couleurs.
Mais dont le souvenir était bien plus vibrant de vivacité que n'importe quel autre.
Doucement, il vint poser sa main sur celle de la jeune femme, qui ne perdit pas de temps pour enlacer la sienne, leurs doigts se croisant tendrement, de façon à se donner mutuellement du courage.
-Je pense que tous les évènements sont liés, en effet, reprit Nora d'une voix calme, reportant son regard sur leurs doigts entrelacés. Et, comme tu l'as dit, il est impossible que cet homme ait survécu ; je l'ai vu être atteint par la rigidité cadavérique de mes propres yeux, et Mori ne m'a jamais rien dit concernant son éventuelle survie. Le coupable est forcément quelqu'un qui le connaissait, cependant.
-Sa femme, éventuellement? proposa Dazai d'une voix très sérieuse, son esprit réfléchissant intensément. Elle a appris d'une manière ou d'une autre que son mari voyait quelqu'un d'autre, qui est également à l'origine de sa mort. Comme elle ne sait rien de plus, elle a dû penser que tu étais coupable sans même essayer de chercher plus loin ; et elle t'as traquée pendant tout ce temps pour te faire payer.
Il avait à de nombreuses fois répété à Nora que tout ce qu'il s'était passé n'était pas de sa faute, loin de là. Mais la blonde avait encore beaucoup de mal à l'accepter ; à ses yeux, elle était en tort, et le fait que quelqu'un se soit lancé à sa poursuite en quête d'une vengeance sanglante n'apaisait pas sa culpabilité, loin de là.
Ne restait plus, à présent, qu'à trouver le coupable au plus vite, avant que les morts ne commencent à s'accumuler de trop.
Dazai pouvait d'ores et déjà affirmer que le responsable était à l'origine des attaques qu'avait essuyées Nora au cours des dernières semaines ; celle qui avait eu lieu dans son laboratoire, et celle qui s'était déroulée dans une ruelle aléatoire de Yokohama. Son adresse n'avait été divulguée à personne, hormis aux cadres et bien évidemment au patron de la Mafia Portuaire, mais le coupable ne pouvait décemment pas se trouver parmi ces personnes-là. Toutes étaient bien trop dévouées à la Mafia pour ce faire.
Cependant, l'homme qu'ils recherchaient désormais était suffisamment proche de Nora pour connaître ses habitudes de vie ; ce que Dazai pouvait hypothéquer en sachant qu'elle avait été attaquée sur le chemin de son appartement, peu de temps après qu'elle ait décidé de rentrer chez elle, alors qu'elle ne le faisait quasiment jamais.
De plus, il était désormais convaincu que le coupable était parfaitement au courant que c'était Nora la responsable des autopsies, et avait piégé le cadavre en toute connaissance de cause ; il ne savait pas encore, en revanche, si cette attaque du corps piégé avait été perpétrée dans le but de véritablement tuer sa petite amie, ou bien seulement pour tâter le terrain et tester de potentielles manières de l'atteindre.
Les trois femmes qu'elle avait affrontées dans la ruelle, la dernière fois, avaient certainement été envoyées pour jauger la force de Nora, et éventuellement pour découvrir la nature de sa capacité. Et si le combat avait été épié par quelqu'un d'autre, cette nuit-là? Nora l'aurait très certainement senti, alors cette hypothèse était légèrement bancale ; sauf si l'auteur de cette attaque avait eu recours à un pouvoir afin de masquer sa présence.
Mais, s'il partait de l'éventualité que leur homme avait réussi à observer Nora sans se faire remarquer par cette dernière, alors le responsable était désormais au courant de la nature de son pouvoir, et avait certainement affiné sa stratégie en conséquence.
La preuve, il avait désormais décidé de s'en prendre aux proches de Nora, peut-être dans l'optique de lui faire peur et pourquoi pas de la faire baisser sa garde. Ce qu'attendait cette personne, en tuant le père biologique de Nora, c'était de la faire revenir à Yokohama, il en était certain ; la nouvelle de cet assassinat, d'un homme qui était décédé de la même manière que l'ancien petit ami de la jeune femme, allait forcément passer aux informations, et la concernée allait forcément l'apprendre à son tour.
Le coupable savait donc que Nora était partie en vacances. Et, si ses craintes étaient fondées depuis le début, l'adresse de sa petite amie était désormais connue du cerveau derrière toute cette machinerie ; démontrant, encore une fois, que leur homme était proche de Nora.
Et la blonde l'avait manifestement compris, elle aussi, sachant à quel point elle était perturbée. Elle affectionnait chacun de ses hommes avec sincérité, ayant tissé de nombreux liens avec eux au fil des années. Même avec son assistante, à l'utilité que Dazai trouvait chaque jour un peu plus douteuse que le jour précédent ; mais, puisqu'elle avait été recommandée par Mori lui-même, ils pouvaient d'ores et déjà rayer cette fille de la liste des suspects.
Mori n'était pas stupide. Si une personne était mal intentionnée, il le remarquerait immédiatement, puisqu'il avait des yeux partout. Il n'était pas assez fou pour risquer la vie de son élève de la sorte, alors qu'elle était si précieuse à la Mafia.
-On pourrait leur tendre un piège, qu'en penses-tu? demanda finalement Dazai, après un long silence.
Enfin, il croisa le regard de Nora, ces yeux bleutés et fatigués qu'il aimait tant.
Il aurait aimé n'avoir à revenir à Yokohama pour rien au monde, mais il savait que c'était inévitable. Nora n'accepterait jamais de rester ici alors que des personnes étaient en danger par sa faute à l'autre bout du pays ; et leurs amis se trouvaient encore là-bas, des amis qu'ils ne voulaient perdre sous aucun prétexte.
-Ça ne me plaît absolument pas, mais on peut essayer de simuler une dispute aux yeux de tous, afin qu'ils croient que l'on s'est bel et bien embrouillés. Le coupable ne ratera pas une telle opportunité de t'attaquer en te sachant seule ; il agira très probablement le lendemain de notre "dispute", puisqu'il aura hâte de t'atteindre sans pour autant se risquer à trop de précipitation. Si on en croit les faits jusqu'à présent, leur objectif n'est pas de te tuer, du moins pas dans l'immédiat ; ils essaieront certainement de te capturer, dans un premier temps.
Et cette perspective, en plus des autres, ne plaisait absolument pas à Dazai.
-... on peut demander à Chuuya de me prêter main forte, non? proposa Nora après une intense réflexion, tout en caressant doucement du pouce la main de Dazai, toujours enlacée dans la sienne. C'est un cadre, lui aussi ; je pense qu'il est digne de confiance. Et il sait où j'habite, alors les choses seront plus rapides à mettre en place.
Elle ne manqua pas la grimace de dégoût qui élit domicile sur le visage du brun, dépourvu de bandages en cette magnifique matinée d'automne. Elle eut ainsi tout le loisir de voir la désapprobation étinceler dans les pupilles du jeune homme, ce qui la fit rire légèrement.
-Tu sais très bien que Chuuya est le mieux qualifié pour ce travail, reprit Nora d'une intonation amusée. Et puis, avec lui, je pense que je ne risque absolument rien. Il vaut bien une bonne centaine d'hommes armés jusqu'aux dents à lui tout seul.
Il s'apprêtait à dire, par pur esprit de contradiction, qu'il était tout aussi compétent que cette limace gluante en ce qui concernait le combat au corps-à-corps, mais il savait que c'était faux. Cela lui coûtait de devoir l'admettre, surtout dans une telle situation, mais Chuuya était doté d'une force physique qui dépassait largement la sienne ; avec lui, Nora était plus en sécurité qu'avec quiconque.
-... d'accord, concéda-t-il finalement, clairement grognon. Mais je vais quand même envoyer plusieurs de mes hommes parmi les plus dignes de confiance, juste au cas où. Pour surveiller les alentours et venir maîtriser nos "visiteurs" en toute tranquilité.
Elle lui répondit avec un sourire, avant de venir déposer un baiser sur sa main, observant avec une certaine fierté le visage de Dazai devenir légèrement rouge, alors que ses yeux s'écarquillaient de surprise.
-Je compte sur vous pour me protéger, mon chevalier servant, déclara alors la blonde, narquoise.
-J'espère que tu ne vas pas dire ça à l'autre Poil de Carotte, marmonna Dazai en détournant le regard, gêné sans vouloir l'admettre.
-Aucune chance, assura Nora, catégorique. Je n'ai besoin que d'un seul et unique chevalier en armure brillante, et c'est toi. Mais je ne dirai pas non à un peu d'aide de la part de Chuuya pour cette fois ; je te laisserai la partie où tu viens me sauver sur ton cheval blanc une autre fois, si tu veux.
Elle ne put s'empêcher de rire en voyant les joues du brun devenir de plus en plus rouges, avant qu'elle ne délie doucement leurs mains, reprenant son petit déjeuner là où elle l'avait laissé.
-Je n'ai pas vraiment hâte de retourner dans cet appartement, pour être honnête, dit-elle avec un petit soupir, son humeur s'étant nettement améliorée depuis le début de leur conversation. Peut-être que je devrai commencer à en chercher un nouveau, comme on me l'a si souvent répété...
Ce fut à cet instant qu'elle croisa le regard de Dazai, qui se détourna presque immédiatement, chose tout à fait étrange. Il était certes gêné par ses actions précédentes, mais pas suffisamment pour susciter une réaction pareille.
Pourquoi...?
Sans qu'elle ne sache comment, un souvenir refit surface, qui provenait de quelques jours auparavant. Dazai avait manifestement joué un tour à Chuuya, encore une fois, et cette information lui mit la puce à l'oreille.
Elle ne tarda pas à relier les deux observations.
-Osamu... Tu n'aurais quand même pas demandé à Chuuya de servir d'agent immobilier, n'est-ce pas? demanda-t-elle en plissant les yeux, d'une voix d'où perçait l'exaspération qui s'emparait doucement d'elle.
Le fait de voir le brun baisser encore un peu plus la tête, très clairement coupable, lui indiqua qu'elle avait tapé dans le mille.
Il n'eut ainsi aucune chance d'esquiver les deux baguettes qui volèrent droit dans sa direction, heurtant sa tête avec un petit bruit sourd et une exclamation de sa part, mélange de douleur et de surprise.
Il savait qu'il n'avait pas la possibilité de cacher quoi que ce soit à la blonde, puisqu'elle était bien trop perspicace pour cela. Mais, malgré tout, il avait essayé.
Il avait compté sur la honte de Chuuya, afin que celui-ci ne révèle rien quant à son implication dans cette histoire d'appartement ; et accessoirement pour que Dazai récolte tous les honneurs de cette initiative génialissime.
Force était de constater qu'il avait échoué sur toute la ligne.
Au moins, s'il devait être positif...
Nora avait semblé retrouver un peu de son attitude habituelle, et c'était tout ce qui comptait pour le moment.
De voir ce sourire qu'il aimait tant.
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