Chapitre 44
A/N : J'ai écris il y a quelques jours le dernier chapitre de cette histoire... 😇 Bonne lecture à vous!
Derrière elle, la respiration régulière de Dazai lui indiquait qu'il s'était assoupi. Mais elle, de son côté, n'avait pas réussi à faire de même ; elle avait essayé de toutes ses forces, mais le fait d'avoir remué le passé de la sorte l'avait privée de toute envie de dormir. Et, bien évidemment, elle n'avait pas songé à prendre ses somnifères avant de partir de chez elle, qu'elle prenait de temps à autres lorsqu'elle n'arrivait pas à s'endormir.
Elle avait tout raconté à Dazai, du début à la fin. Elle ne savait pas si elle avait été cohérente dans son récit, mais elle avait réussi à le mener à bien, ce pour quoi elle était déjà impressionnée.
Le mois de septembre était bien avancé, à présent, et elle était sur le point d'avoir dix-neuf ans, le trente novembre prochain. Cela faisait trois ans qu'elle avait rejoint la Mafia, et qu'elle avait laissé son ancienne vie derrière elle, pour la seconde fois. Cela faisait trois ans qu'elle s'était elle-même infligé une stérilisation forcée, afin de ne plus jamais être capable d'avoir un enfant, sachant la tragédie que ce genre de petit être avait été capable de causer jadis.
Elle ne voulait plus en avoir. Elle n'arrivait pas vraiment à savoir si, lorsqu'elle était tombée enceinte, elle l'avait réellement voulu là aussi. Ce bébé n'avait-il pas été qu'un simple outil destiné à retenir un homme pourri jusqu'à l'os? Quelle mère aurait-elle été si cet enfant avait vu le jour, dans l'environnement cruel et toxique qu'elle avait connu? D'une mère aussi dégoûtante, totalement idiote et âgée d'à peine seize ans?
Elle n'avait jamais accordé une seule once de valeur à cet enfant, mis à part à son potentiel de vulgaire objet de chantage. Quoi de plus normal pour elle, qui n'avait jamais su la valeur d'une vie?
C'était on ne peut plus vrai tout au long de son existence. Depuis son enfance, tout lui avait semblé fade ; les personnes qui l'entouraient avaient été toutes plus oubliables les unes que les autres, et aucune n'avait réussi à attirer réellement son attention pour la détourner de son ennui incommensurable, mis à part son ancien petit ami, pendant un peu plus d'un an. Il avait laissé une marque indélébile en elle, malgré tous ses efforts pour oublier, dans le plus mauvais sens du terme.
Aujourd'hui, après dix-neuf années d'existence, elle avait enfin l'impression d'avoir trouvé une place à elle, dans un monde étranger à celui des autres êtres humains normaux, celui dans lequel elle avait toujours vécu, jusqu'à très récemment. Maintenant, elle avait trouvé des personnes pour qui elle était prête à tout, si cela lui permettait de les protéger. Elle avait réussi à trouver ce fragment d'espoir qu'elle avait tant cherché ; qui, elle en était certaine, saurait lui donner la force de continuer son combat contre la vie et la mort encore un peu plus.
Mais, pour une raison qui lui était inconnue, elle n'arrivait pas à réaliser que ces espoirs lui étaient véritablement octroyés. Elle se sentait... Trop à sa place, en un sens.
Encore une fois.
En tournant la tête dans la direction du lit double, sur lequel était allongé un homme aux cheveux bruns endormi, elle laissa un sourire triste étirer ses lèvres, avant de ramener ses jambes contre elle, posant sa tête contre ses genoux, un sentiment mitigé en elle. Elle se sentait mélancolique, étrange.
Elle avait envie de rentrer chez elle, mais elle savait pourtant que, peu importe ce qu'elle imaginait, elle n'avait aucun endroit à appeler ainsi. Toutes les maisons qu'elle avait connues, elle les avait fuies sans se retourner, tout comme sa véritable identité. L'appartement qu'elle occupait, depuis qu'elle était entrée dans la Mafia, elle ne le considérait pas comme son foyer, mais juste comme un endroit où elle pouvait rentrer de temps à autres, lorsqu'elle avait un peu de temps libre.
A dire vrai, son laboratoire se rapprochait davantage de l'idée qu'elle se faisait d'une maison que cet appartement insipide. Mais il ne l'était nullement, en réalité ; ce n'était rien de plus qu'une illusion de son cœur peiné, à la recherche d'un endroit où il pourrait enfin se reposer. Au sein de son laboratoire, elle avait l'obligation de laisser son cœur et sa raison de côté pour accomplir ses tâches, toutes plus macabres les unes que les autres, alors cette sensation de foyer n'était pas réelle. Il se contentait d'anesthésier ses sentiments le temps d'une dissection, le temps de remplir ses papiers qui arrivaient sans discontinuer sur son bureau, qui avaient la capacité de lui faire oublier tout le reste.
C'était l'alcool qui se chargeait du reste, la plupart du temps. Lorsqu'elle n'avait plus de travail à se mettre sous la dent afin de tromper son ennui indescriptible. Lorsque tout devenait hors de contrôle, lorsqu'elle se sentait au bord du gouffre une fois de plus.
L'alcool avait le pouvoir de la sauver sur l'instant, mais pas sur le long terme. En buvant comme elle le faisait, elle savait qu'elle ne faisait rien de plus que de retarder sa souffrance et d'écourter son existence.
Elle se souviendrait pour toujours de l'instant où Mori l'avait recueillie au sommet de cet immeuble, quelques secondes avant qu'elle ne saute dans le vide. Elle s'était demandé, pendant longtemps, comment il avait fait pour la trouver, et pourquoi elle en particulier. Surtout à un tel instant.
Tout simplement parce qu'il avait découvert son passé, et son appartenance à une famille de chirurgiens renommée. Depuis qu'elle avait fugué de chez elle, il gardait une trace lointaine de ses déplacements, aussi terrifiant cela lui avait paru une fois qu'elle l'avait su. Il avait donc été le premier au courant du meurtre qu'elle avait commis, et donc de la capacité qu'elle détenait, dont elle n'avait eu aucune connaissance jusqu'à cet instant fatidique.
Mori n'avait pas hésité à la prendre sous son aile une fois sa vie totalement détruite, comme un ange salvateur qui l'aurait traînée encore un peu plus loin en enfer. Il lui avait appris tout ce qu'il savait en ce qui concernait la médecine, complétant les informations qu'elle avait déjà acquises aux côtés de son père. Il l'avait formée dans l'optique de lui confier le tout nouveau complexe médical de l'organisation, et elle avait accepté son sort, ne voyant pas d'intérêt à se débattre une fois de plus pour tenter de changer son destin.
Elle avait déjà essayé par le passé, et elle voyait parfaitement où une telle idiotie l'avait menée. Si elle n'avait jamais fugué de chez ses parents, qui sait ce qu'elle serait devenue aujourd'hui? Aurait-elle reprit le flambeau familial, aurait-elle réussi à se débarrasser de cet ennui qui lui collait à la peau depuis toujours? Aurait-elle réussi à aimer sa vie telle qu'elle était, à accepter de n'être qu'un humain parmi tant d'autres, au lieu de se sentir telle une anomalie qui n'avait rien à faire ici, à peine croisait-elle le regard de quelqu'un?
Elle ne savait pas. Et, d'une certaine manière, elle le regrettait. Vivre comme une personne normale aurait été une expérience incroyable, elle le savait. Et pourtant. Elle savait qu'elle n'aurait très certainement jamais pu s'en contenter, qu'elle n'aurait jamais pu comprendre comment ne serait-ce qu'y parvenir. Elle n'avait jamais été douée pour jouer la comédie, et pour jouer un rôle qui n'était pas le sien, en se calquant sur les émotions des autres. Elle n'aurait jamais été authentique ; elle n'aurait tout simplement pas compris comment tous ces individus faisaient pour agir tels de véritables êtres humains.
Elle aurait tellement aimé que quelqu'un lui vienne en aide, alors qu'elle n'était qu'une gamine écervelée. Afin de ne jamais avoir commis toutes ces erreurs, afin d'avoir mené une vie normale depuis le début. Mais elle n'aurait jamais pu comprendre, encore et encore.
Et, désormais, il n'y avait plus de retour en arrière possible.
Mariko, une jeune femme que Nora avait placé à la tête de la section chirurgie, avait en quelque sorte permis à la blonde de fuir l'héritage de son père, en confiant la responsabilité de sauver des vies à quelqu'un de plus compétent qu'elle. Quelqu'un qui avait ne serait-ce qu'une once de considération pour la valeur d'une vie.
Nora s'était tournée vers la mort de son plein gré, et effectuait désormais des tâches tournant autour de cette douce mélodie funèbre qu'elle écoutait constamment, que ce soit dans le lointain, dans une partie reculée de son esprit, ou même au premier plan, emplissant sa tête de ses notes néfastes pour sa santé mentale lorsque tout dérapait de nouveau.
Au cours des dernières semaines, cependant, cette triste mélodie n'avait nullement eu le loisir de se jouer, et Nora en était presque effrayée. Elle l'avait connue depuis des années, à longueur de journée, et sa disparition la faisait reprendre espoir... La rechute n'en serait que plus violente, elle le savait. Elle en expérimentait les prémisses en ce moment même.
Ce n'était pas tant le fait d'avoir remué ses souvenirs qui la mettait dans un tel état ; même si pouvoir le raconter à quelqu'un lui avait, dans un sens, fait un bien fou. Non. Elle ne pouvait pas s'empêcher d'avoir peur, en sachant que Dazai pouvait la fuir, maintenant qu'il savait quelle personne détestable elle avait été.
Elle voulait croire que celui qui était devenu l'homme le plus important pour elle allait rester à ses côtés, aussi longtemps que possible. Sans finir par la jeter aux ordures une fois qu'il aurait terminé de jouer avec elle. Pas lui.
Elle voulait y croire. Elle sentait que, avec Dazai, elle était enfin capable de comprendre ce qui dormait au fond d'elle, de mettre des mots sur ce qui n'allait pas chez elle.
Mais l'espoir est une chose fragile, surtout pour quelqu'un qui n'en connaît pas la véritable valeur.
Un peu plus tôt dans la soirée, après que Nora et Dazai eussent terminé leur bain, Mariko lui avait envoyé un message, en s'excusant de devoir la déranger pendant ses vacances... Mais qu'elle avait une demande importante pour elle.
Intriguée, encore remuée par les aveux sur son passé, Nora avait donc laissé de côté le journal qu'elle lisait distraitement et avait directement appelé sa subordonné, qui était censée être partie en congés maternité depuis quelques mois. Comment se faisait-il qu'elle la contactait de la sorte?
-Madame Nora? Quel plaisir de vous entendre de nouveau, vous m'avez manquée! s'était exclamée Mariko, de sa voix aussi joviale que d'ordinaire, arrachant un minuscule sourire à la blonde. J'aurai une petite demande à vous faire... Mais vous n'êtes pas obligée d'accepter...!
Intriguée, laissant de côté ses inquiétudes pour le moment, Nora l'avait autorisée à continuer, et un petit silence avait suivi, son interlocutrice cherchant manifestement ses mots.
-Comme vous le savez, ma fille vient de naître il y a quelques jours, mais nous n'avons toujours pas déclaré de prénom car nous voulions attendre votre avis...
Nora, en fronçant les sourcils de confusion, avait cependant attendu que sa subordonnée achève d'elle-même sa phrase.
-On se demandait, mon mari et moi... Si nous pouvions appeler notre fille "Nora"? Je comprendrai que vous refusiez, c'est juste que je voudrais lui donner le prénom de celle qui m'a sauvé, et sans qui elle n'aurait jamais vu le jour...!
Complètement déboussolée, Nora était restée silencieuse pendant de longues secondes, le regard perdu dans le vide. Quelqu'un voulait nommer son enfant en rapport avec elle, elle qui n'avait pas hésité une seconde à avoir un bébé si cela lui permettait de gagner les faveurs de son ancien petit ami?
-... tu veux réellement appeler ta fille ainsi? "Nora" n'est pas prénom joyeux, tu sais... Je ne vois pas pourquoi je refuserai, mais...
Elle était perdue. Pourquoi vouloir appeler sa fille ainsi, "errante"?
-Vous ne savez pas? avait reprit Mariko, d'une voix affectueuse. Nora a plusieurs-
La suite de la phrase, Nora ne l'avait cependant pas entendue, car ses yeux avaient eu le malheur de se poser sur une page du journal qu'elle lisait auparavant sans grande conviction.
Dans le coin supérieur gauche, la photo d'un homme aux cheveux grisonnants et au visage parfaitement rasé, vêtu d'une blouse de médecin, flanqué d'une expression qui respirait la distinction et qui forçait le respect de quiconque s'adresserait à lui.
Un homme qui avait vieilli depuis la dernière fois qu'elle l'avait vu, mais qu'elle reconnaissait toujours malgré tout.
Cet homme, c'était un chirurgien renommé. Malgré cette popularité sans pareille au sein de son métier, il n'apparaissait jamais dans le journal, puisqu'il était rare qu'une information concernant un médecin intéresse les lecteurs.
Sauf si, bien entendu, quelque chose venait à lui arriver. Quelque chose de grave.
Ce que le titre scandait haut et fort, d'ailleurs.
"Le docteur Seishû, grand nom de la chirurgie, a été retrouvé mort à son domicile hier dans la matinée. L'enquête est en cours pour tenter d'identifier le coupable".
Le téléphone qu'elle avait pressé contre son oreille lui avait échappé des mains, alors qu'elle relisait encore et encore ces quelques lignes, puis celles du texte en lui-même.
Son père était mort.
L'homme qui l'avait élevée pendant quatorze ans était mort. Assassiné, de ce que disait la suite de l'article. D'un coup de couteau en plein ventre, qui l'avait forcé à se vider de son sang jusqu'à la fin.
Et cela avait manqué de la faire vomir, alors que certaines images du passé étaient remontées, plus réalistes que jamais. Une sensation de déjà-vu omniprésente, qui l'avait hantée tout au long de la soirée, et qui la tenait éveillée depuis.
Était-ce une simple coïncidence? Que son père soit mort de la même manière que son ancien petit ami? Que cette tragédie arrive exactement au moment où elle avait enfin réussi à révéler son passé?
Les fantômes d'une époque qu'elle avait cru révolue étaient-ils finalement parvenus à la rattraper, à s'en prendre à ceux qui l'avaient côtoyée à un moment ou à un autre?
Combien de temps ses proches allaient-ils encore être sains et saufs de ces spectres vengeurs? Elle n'avait pu s'empêcher de repenser aux paroles de cette fille qu'elle avait exécuté de trois balles en pleine tête, avant que son corps ne se liquéfie sous ses yeux, dans cette ruelle froide et odorante.
Un être en quête de vengeance avait émergé de son passé, et s'était peut-être donné pour mission de rayer de sa liste les personnes affiliées à Nora d'une manière ou d'une autre, les unes après les autres. A commencer par l'un de ses parents.
Elle ne savait pas pourquoi elle était aussi perturbée de savoir son père décédé, alors qu'elle l'avait abandonné d'elle-même, en son âme et conscience, plus de cinq ans auparavant. Elle n'avait jamais souhaité le retrouver, par fierté et surtout par honte, alors que lui n'avait eu de cesse de la chercher à travers tout le pays : en témoignaient les nombreux avis de recherche qui étaient éparpillés ici et là, encore aujourd'hui.
Une photographie de sa quatorzième année se trouvait affichée aux côtés d'un portrait robot de la police, qui donnait une interprétation de sa possible apparence quelques années plus tard. Nora devait avouer que ce portrait hypothétique ne lui ressemblait absolument pas, de même que la photographie de son ancienne apparence. Depuis sa fugue, elle avait tellement changé physiquement et mentalement que les efforts de ses parents étaient voué à l'échec depuis le début.
Son appartenance à la Mafia, combinée à sa nouvelle identité, avait été le dernier clou dans le cercueil, ce dont elle était relativement satisfaite. Ses parents n'avaient aucune chance de la retrouver désormais, et personne ne serait jamais en mesure de la reconnaître.
Alors pourquoi avait-elle si mal, de savoir que ce père biologique, qui était devenu un parfait inconnu avec le temps, avait brusquement trouvé la mort?
Elle s'était jurée de laisser son ancienne vie derrière elle, au moment où elle avait fugué.
Alors pourquoi cela n'avait-il pas fonctionné...? pensa-t-elle en ramenant un peu plus ses jambes contre son torse, sa silhouette recroquevillée illuminée par la lueur argentée de la lune, incapable de laisser ses larmes couler pour autant.
Pourquoi continuait-elle à ressentir de la douleur, de la culpabilité, pour quelque chose qu'elle avait abandonné sans se retourner?
Pourquoi n'avait-elle pas réussi à se débarrasser complètement de ce passé, de cette gangrène qui la rongeait de l'intérieur?
De ce nom qu'elle avait jadis renié et dont elle ne voulait plus?
Celui d'Hanaoka Seishû, une fille qui était désormais une parfaite étrangère à ses yeux...
Ou elle l'avait du moins pensé, jusqu'à aujourd'hui.
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