Chapitre 18
L'état de Nora, proche de l'hypothermie, le préoccupait énormément. Se souvenant de ce qu'il avait lu ici et là, justement dans le but de se préparer à de telles situations, il se mit en action immédiatement.
Chuuya, visiblement paniqué, n'avait pas eu la présence d'esprit de faire tout ceci à sa place. Au moins, il avait eu le réflexe d'appeler Dazai, c'était déjà un bon début.
Son manteau toujours drapé sur Nora, le brun vint doucement la déposer à terre, sur une couverture que lui avait préalablement donné le barman qui demeurait silencieux comme une tombe. Il bascula la blonde sur le côté, afin de l'empêcher de s'étouffer toute seule, que ce soit à cause de sa langue ou de ses éventuels vomissements.
Dans le même temps, il avait rappelé le laboratoire de la Mafia, tombant à nouveau sur l'assistante peu douée, et Dazai demanda immédiatement à être mis en contact avec le second direct de Nora, Shun.
Il priait de tout son être pour que le blond soit revenu entre-temps, et lorsque son appel fut basculé sur une autre ligne, celle de Shun, il poussa un soupir silencieux. La voix grave du jeune homme aux joues tachées de rousseur résonna dans le combiné, et Dazai ne perdit pas plus de temps à lui demander de préparer de quoi prendre en charge Nora, dans le plus grand secret bien entendu.
La nouvelle que leur supérieure et cadre de la Mafia soit dans un tel état n'avait pas besoin de fuiter à droite ou à gauche. Non seulement parce que Nora ne le voudrait pas, mais également pour empêcher les personnes non concernées de jaser inutilement.
La blonde avait déjà été hospitalisée pendant plus de deux semaines, et cela avait déjà suffisamment inquiété ses subordonnés ou la Mafia en général.
Quelques minutes plus tard, une imposante voiture entièrement noire, l'une des ambulances que la Mafia utilisait, à la place des voitures blanches et extrêmement voyantes qu'employaient les civils, se gara devant le bar ; avant que Shun en descende, des cernes énormes sous les yeux, suivit par un autre homme.
En essayant de ne pas attirer l'attention des éventuels passants, aidés par la nuit bien avancée, les deux médecins entrèrent dans le bar, et se précipitèrent en direction de Nora, allongée à terre. Dazai, malgré sa réticence, n'eut d'autre choix que de les laisser faire leur travail.
Avec une efficacité sans pareille, surtout venant du blond, les deux hommes mirent Nora sur une civière, et l'amenèrent dans l'ambulance entièrement "banalisée" ; Dazai vérifia que personne ne se trouvait aux alentours, avant de monter à l'arrière du véhicule aux côtés de Nora et de Shun, qui s'affairait autour de sa supérieure, le regard dans le vague malgré tout.
L'homme qui avait accompagné le second de Nora prit quant à lui le volant, et les conduisit à toute vitesse en direction du complexe médical de la Mafia. Occupé à tenir la main de la blonde, Dazai ne vit absolument pas le temps passer ; il n'aurait su dire si cet instant avait duré plusieurs heures, ou bien quelques minutes seulement.
Ainsi, avant qu'il n'ait l'occasion de s'en rendre compte, ils étaient déjà arrivés à destination. Entrant par une porte latérale, qui ne servait habituellement qu'à l'évacuation en cas d'accident, le petit groupe se précipita en silence dans le bureau de Nora, là où elle avait déjà passé des journées entières alitée.
Mina n'était pas présente, désormais occupée sur les lieux de l'incident, et cela les arrangeait. Les deux médecins installèrent leur supérieure sur le lit, dans un silence presque religieux et extrêmement tendu ; Dazai attendait silencieusement sur le côté, son regard froid et neutre posé sur le visage strié de larmes et tacheté de sang de Nora. Elle s'était de nouveau évanouie quelques secondes seulement après avoir rouvert les yeux.
Le reste du laboratoire était silencieux, laissant penser que tous étaient occupés ailleurs ; que ce soit sur la scène de "crime" ou dans une autre aile de l'hôpital, à préparer l'arrivée des corps dissous.
Au bout de plusieurs longues minutes, l'état de Nora se stabilisa enfin, et Shun assura au cadre couvert de pansements que la vie de la blonde n'était plus en danger. Alors que le deuxième médecin, celui qui avait conduit l'ambulance, était sur le point de quitter la pièce, il fut soudainement arrêté par la voix de Dazai.
-Aucun mot sur ce qu'il s'est passé ce soir à qui que ce soit, c'est compris? déclara-t-il en parlant calmement, d'un ton aussi froid que la mort. Si j'apprends que l'information a fuité, c'est toi et tes proches qui en paierez le prix.
L'homme en question, d'une bonne trentaine d'années, hocha hâtivement la tête, s'éclipsant de la pièce après s'être incliné respectueusement devant le jeune cadre.
-Ça vaut aussi pour toi, reprit Dazai après que le silence soit retombé sur la pièce, en s'adressant cette fois-ci à Shun.
Il vit le blond acquiescer lentement, presque à contrecœur, sur le point de partir lui aussi, en indiquant à Dazai qu'il pouvait le contacter à tout instant s'il se passait quelque chose.
Puis, alors que la porte se refermait derrière lui, Dazai put constater quelque chose d'étrange venant de l'homme aux cheveux blonds.
Celui-ci se mordait les lèvres, à la limite de se faire saigner, et serrait les poings si fort que ses jointures étaient devenues blanches.
La porte claqua, emportant avec elle la scène étrange qu'il venait de voir.
Préférant ignorer cette information pour le moment, mais la conservant tout de même dans un coin de son esprit, Dazai reporta finalement son attention sur le corps allongé de Nora, posé sur le côté et recouverte d'une épaisse couverture ; le sang qui recouvrait précédemment sa peau avait été nettoyé, et ses vieux vêtements échangés contre une robe d'hôpital immaculée.
Une perfusion remplie de solution vitaminée était reliée à son bras, et son visage encadré de courts cheveux blonds s'était enfin détendu. La main habille de Dazai vint doucement essuyer les joues encore couvertes de larmes séchées de la jeune femme, cherchant encore et encore la raison qui l'avait poussée à boire jusqu'au bord de la rupture ce soir-là.
Tout ce qu'il pouvait déduire, c'est que quelque chose s'était passé avec ses trois assaillants de plus tôt. Lui avaient-ils dit quelque chose en particulier, qui avaient été en mesure de déclencher une telle réaction autodestructrice de la part de Nora?
Si seulement il avait été là, les choses auraient pu se passer autrement.
Il n'osait pas imaginer ce qu'il serait arrivé si Chuuya n'était pas passé dans ce bar ce soir-là, et surtout s'il ne lui avait jamais téléphoné.
Il était parfaitement au courant qu'il avait failli perdre quelqu'un qui lui était cher, aujourd'hui.
Et cela le terrifiait.
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Quelques jours plus tard, alors que le personnel médical était toujours en ébullition, que ce soit à cause des trois cadavres dissous qu'il fallait examiner sous toutes les coutures ou leur supérieure absente sans qu'ils ne sachent réellement pourquoi, Nora avait en secret été transférée chez elle, à l'abri des regards indiscrets.
Dans cet appartement stérile et dépourvu de chaleur, plongé dans la semi-obscurité, un homme se trouvait assis au chevet de la jeune femme inconsciente ; un homme couvert de pansements, qui demeurait tristement silencieux, le visage incliné vers un plafond de Placo blanc qu'il ne voyait même pas. Dans sa main, un objet aux bords tranchants tournoyait lentement, brillant à la lumière diffuse de la lune, qui peinait à se frayer un chemin dans cet environnent hostile ; un objet qu'il connaissait plutôt bien, puisqu'il s'agissait du scalpel de Nora.
L'outil médical avait été retrouvé au milieu de l'un des cadavres, de même que le manteau de la blonde quelque part au fond de la ruelle. Pour avoir ainsi oublié cet instrument médical auquel elle tenait tant, quelque chose de grave s'était effectivement passé.
C'était Mori lui-même, en guise de cadeau de bienvenue, qui avait offert ce scalpel à Nora. Après avoir formé avec grand succès la blonde, en à peine un an, elle avait alors hérité de la responsabilité de la section médicale, à tout juste dix-sept ans.
Le fait qu'elle n'ait plus rien à perdre avait très certainement été le moteur de sa détermination et de son acharnement sans précédents, mêlé bien évidemment à un soupçon non négligeable de talent personnel.
Seul Mori savait ce qu'il était réellement arrivé à Nora, par le passé. Dazai, lui, avait juste été le témoin en apparence désintéressé de cette nouvelle recrue aux cheveux blonds, au regard vide, qui lui rappelait énormément de lui-même par certains aspects. Si ce n'est pour un détail en particulier.
Cette étincelle d'espoir bien cachée au fond de ses yeux, qu'elle semblait reléguer dans les profondeurs de son regard sous l'effet d'un sentiment bien connu de l'espèce humaine : la honte.
Il n'aurait jamais l'honnêteté de l'avouer, surtout devant Nora ; mais il avait à cette époque pris l'habitude, en voyant que la nouvelle médecin était une aussi belle jeune fille, de se blesser plus souvent qu'auparavant, en prenant encore davantage de risques qu'il ne le faisait déjà.
Il avait ressenti le besoin de tout savoir sur elle, afin peut-être de comprendre la cause derrière ce regard énigmatique qu'elle détenait. Peut-être que, s'il multipliait leurs rencontres, il parviendrait à devenir comme elle...?
Sachant à quel point cette nouvelle recrue était prometteuse, il n'avait pas été étonné qu'elle soit nommée cadre un an seulement après son entrée dans la Mafia. Elle avait été formée par nul autre que Mori, et était un excellent membre ajouté à leur organisation. Un génie, presque autant que lui-même.
Personne n'avait contesté cette décision. Tous avaient compris qu'elle était destinée à cela, et qu'il ne pouvait en être autrement. Dazai, tout particulièrement, s'était rendu compte que quelque chose chez cette fille sortait de l'ordinaire ; quelque chose qui était cependant invisible aux yeux des autres.
Le regard qu'elle possédait, savant et déroutant mélange de désespoir, de rage de vivre et d'espérance, l'avait laissé sans voix. Comment quelqu'un doté d'autant de volonté de trouver sa place en ce bas monde pouvait-il, dans le même temps, espérer pouvoir mourir à ce point?
Comme une âme en peine qui aurait depuis longtemps tourné le dos au soleil, mais qui dans un coin de son esprit n'avait eu de cesse de se battre ; en espérant qu'une aide, de quelque nature qu'elle soit, ne tombe littéralement de ce même ciel qui l'avait abandonnée.
Il avait été fasciné par cette femme, qui lui ressemblait tant et en même temps si peu. Dès qu'il avait été persuadé de l'avoir enfin comprise, à cette époque, de multiples coups du sort n'avaient eu de cesse de se manifester afin de lui prouver qu'il n'en était en réalité rien.
Les êtres délaissés par Dieu sont souvent bien plus complexes que leurs pairs, bien plus usés par la vie que n'importe lequel de leurs congénères. Ces derniers n'arrivaient tout simplement pas à comprendre ce que signifiait vouloir tout abandonner sans se retourner.
Une envie difficilement répréhensible, qui rongeait ses hôtes de la plus putride des manières ; mais qui, dans de nombreux cas, n'arrivait pas complètement à pousser ces marionnettes pourtant dénuées de volonté de vivre dans la douce embrassade de la mort. Peut-être par crainte de cette fameuse mort, si crainte et pourtant si vénérée par une poignée d'êtres humains qui n'étaient pas nés au bon endroit?
Des êtres humains qui étaient trop épuisés pour continuer à vivre, et pourtant trop peureux pour pouvoir réellement mourir.
Nora et lui, sur ce plan-là, se ressemblaient énormément. Peut-être était-ce pour cette raison qu'ils s'étaient autant rapprochés en si peu de temps, une fois la glace brisée. Tout simplement car ils se comprenaient en réalité mieux que personne, et ce sans même avoir besoin de se parler. Sans avoir besoin de poser des questions inutiles.
Vivant cependant dans la peur constante que la seule personne qui les comprenait réellement finisse par trouver l'idée de la mort plus séduisante que leur désir de subsister dans un monde dont ils ne voulaient plus.
Tels deux équilibristes qui tanguaient au-dessus d'un précipice sans fin, main dans la main ; le premier qui lâcherait l'autre tomberait alors dans ce sombre néant dont personne ne pouvait s'échapper. Dans ce gouffre dénué de fond dont on ne connaissait au final pas grand chose.
Seulement, est-ce que la personne restante allait avoir assez de courage pour rester debout sur cette corde, seule, alors que l'autre avait été engloutie par les ténèbres à tout jamais? Ou allait-elle, à son tour, succomber à l'envie de rejoindre ce monde fantasmagorique qu'on appelait l'au-delà?
Qui, de lui ou de Nora, allait faire le premier pas qui les mènerait à leur perte?
La douce mélodie de la mort n'est jamais bien loin pour ceux qui savent tendre la bonne oreille.
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