Sans comprendre, la troisième silhouette encapuchonnée déposa son regard, déconcerté, sur le corps situé quelques pas devant elle, gisant dans son propre sang.

La cheffe du secteur médical et cadre de la Mafia toute puissante, Nora, venait tout bonnement de se suicider devant elle, après lui avoir donné tant de fil à retordre, à elle et à ses camarades, et surtout après avoir tant fanfaronné.

Elle laissa un ricanement moqueur lui échapper, en observant la blonde gisant sur le côté, les yeux fermés et le visage détendu, avec une petite flaque de sang sous elle qui grossissait lentement.

Elle ne bougeait plus, et même les mouvements de sa cage thoracique, qui auraient dû accompagner chacune de ses respirations, s'étaient envolés.

Mais était-elle morte pour autant? Cette saleté de mafieuse était connue pour être relativement coriace, bien que les quelques informations qu'on lui avait fourni sur la blonde restaient très évasives.

Pour faire simple, personne ne semblait être au courant de la potentielle capacité que détenait Nora, hormis très certainement les autres cadres et le boss de la Mafia.

La silhouette encapuchonnée s'avança alors prudemment vers la blonde, n'arrivant pas à croire que les choses s'e soient terminées aussi facilement.

Du moins relativement facilement. Car, sans qu'elle n'ose regarder dans leurs directions, elle savait que ses deux camarades n'avaient pas eu autant de chance.

-Vos sacrifices ne seront pas vains. Je vous le promets, chuchota-t-elle sans s'adresser à quelqu'un en particulier.

En songeant à l'excellente nouvelle qu'elle allait pouvoir rapporter à sa propre hiérarchie, elle sentait cependant son cœur se gonfler de joie et de fierté.

Elle allait recevoir une récompense à hauteur de ses actions, c'était certain. Un couteau dans une main, prête à riposter si jamais la mafieuse venait miraculeusement à se relever, la silhouette vint s'accroupir près de la blonde couverte de sang, le bout de ses bottes pataugeant dans le liquide rouge qui s'accumulait lentement à terre.

Puis, les doigts fébriles, elle vint déposer son index et son majeur contre le cou de la blonde, du côté qui n'avait pas été entaillé par le couteau, afin de vérifier le rythme cardiaque de sa victime.

Ses doigts eurent à peine le le temps d'effleurer la peau de la mafieuse qu'un mouvement soudain la fit reculer, brandissant son arme d'instinct.

Son adversaire à terre n'était visiblement pas encore morte, puisqu'elle avait trouvé la force de venir saisir sa main, celle qui ne tenait pas le couteau. La silhouette dissimulée derrière sa cape noire laissa un cri de stupeur lui échapper, sentant la main glacée de Nora entourer son poignet, avec une force qu'elle n'aurait jamais cru possible pour quelqu'un qui se trouvait aux portes de la mort.

Elle s'apprêtait à abattre son couteau dans le visage de son ennemie, avant de croiser le regard de cette dernière.

Elle lui souriait, d'un sourire en coin qui lui donna froid dans le dos, ses pupilles bleues assombries par ses paupières à moitié closes.

-Tu en as mis du temps, parla alors la blonde d'une voix calme, qui contrastait avec l'expression pleine de noirceur qu'elle avait. J'ai bien failli mourir avant d'avoir pu t'envoyer dans la tombe.

La silhouette, ne comprenant absolument pas de quoi parlait la blonde, sentait la terreur monter en elle, mais fut finalement capable de retrouver l'usage de sa main.

Sans qu'elle ne sache pourquoi, une fraction de seconde plus tard, elle entendit le tintement de son couteau qui venait d'entrer en contact avec le sol.

L'instant suivant, elle s'écroula juste à côté, laissant un cri étranglé lui échapper, mélange de surprise et de douleur.

Elle porta instinctivement ses mains à son cou, ne comprenant pas immédiatement que du sang s'écoulait à présent de son propre corps, par une blessure qui n'était pas là quelques secondes plus tôt.

Les larmes brouillant sa vision, la femme à terre parvint malgré tout à apercevoir sa cible se relever tranquillement, qui la dominait à présent de toute sa hauteur. Les rôles avaient été inversés en l'espace d'un battement de cœur.

-C-comment...?

Elle vit Nora faire craquer sa nuque avec une grimace, avant que son regard ne retombe finalement sur elle, l'humiliant encore davantage, surtout lorsqu'un grand sourire effronté se dessina sur les lèvres de la blonde.

-Comment j'ai fait pour te blesser, tu veux dire? C'est pas bien compliqué, j'ai utilisé ma capacité. Tu te souviens de ma question de plus tôt? Si tu savais quel était le prix d'une vie?

Elle interpréta le silence de son assaillante comme une réponse positive.

-C'est le nom de mon pouvoir: Le prix d'une vie. Je suis capable de transférer mes blessures sur le corps de ceux qui me touchent. En principe, c'est quelque chose que je n'aime pas vraiment utiliser, car je risque quand même de mourir si je rate mon coup, mais je n'ai pas toujours le choix... La curiosité morbide et le plaisir malsain qui poussent à s'assurer que son ennemi est bel et bien mort, afin de se délecter de cette sensation, finissent toujours par l'emporter, de toute manière.

Nora vint asséner un coup de pied dans les côtes de son adversaire, l'envoyant valser à quelques pas de là, qui continua de se tordre de douleur en gémissant lamentablement. Elle essayait de se redresser, tenant fermement sa plaie béante au cou dans l'espoir d'arrêter le saignement, mais tous ces efforts étaient vains.

La blonde vint alors s'agenouiller auprès de la silhouette, dont la capuche avait glissé, découvrant des cheveux aux reflets roux coupés courts, encore plus que les siens, ainsi que des yeux verts apeurés.

Un air neutre sur le visage, la mafieuse vint saisir les cheveux de la brune, soulevant le haut de son corps, de plus en plus froid, à la seule force de ses doigts.

-Je t'avais prévenue, n'est-ce pas? chuchota Nora, comme si elle était en train de partager un secret avec sa confidente. Que les rumeurs étaient bien souvent basées sur une part de vérité. Pourquoi est-ce que tu crois que personne n'est en mesure de dire en quoi consistent mes pouvoirs? Je vais te donner un indice : parce qu'ils sont tous morts avant d'avoir eu la chance de raconter quoi que ce soit.

Les yeux de la brune mortellement blessée, piégés au beau milieu d'une mer de terreur, semblèrent vouloir la fusiller sur place malgré tout, mais Nora ne broncha pas le moins du monde. Elle laissa au contraire la tête de son assaillante retomber violemment sur le sol couvert de sang, qui éclaboussa les alentours avec de petites mouchetures cramoisies.

Nora se redressa finalement, réfléchissant à ce qu'elle allait devoir faire désormais. Cela ne l'arrangeait clairement pas, mais la soirée était encore loin d'être terminée. Elle qui avait tant rêvé d'un bon lit et d'un bon verre de Whisky, ils étaient condamnées à rester en l'état pour une durée encore indéterminée.

Les deux autres filles étaient très certainement mortes à l'heure actuelle, mais si elle se dépêchait elle pouvait parfaitement sauver celle restante pour pouvoir l'interroger.

Avec un peu de torture, peut-être pourrait-elle en tirer quelques petites choses, comme par exemple la raison derrière cette attaque surprise?

Où avait-elle posé son manteau, déjà? Elle n'avait qu'à passer un simple coup de téléphone pour demander à ses subordonnés, parmi ceux encore présents au laboratoire, de venir chercher la fille blessée ; qui avait de bonnes chances de survie si tout était fait dans les temps.

La blessure qu'elle s'était faite au cou n'était pas si profonde que cela, si les soins nécessaires étaient administrés au plus vite.

Tout ce sang pouvait paraître impressionnant aux premiers abords, mais au final elle s'en tirait plutôt bien comparé à d'autres fois.

Savoir faire la morte se révélait fort utile, de temps à autres.

Elle s'apprêtait à se retourner, afin de se diriger vers son manteau abandonné, lorsqu'une voix l'interrompit, une voix pleine de douleur et rendue rauque sous l'effort que cela impliquait de prononcer un seul mot convenablement.

Tout particulièrement pour quelqu'un qui n'était pas habitué à la douleur.

-Tu ne t'en tireras pas comme ça, espèce de salope! cracha la fille, en même temps qu'une gerbe de sang. Peu importe si je meurs, d'autres viendront finir le travail derrière moi, pour te faire payer tes crimes passés! 

Voyant qu'elle était parvenue à faire se stopper la blonde, elle laissa un sourire victorieux poindre sur ses lèvres couvertes de sang.

-Fais bien attention à tes proches, sale pute. Qui pourrait bien être le prochain...? Pourquoi pas ce fameux démon prodige de la Ma-

Elle n'eut pas le loisir d'achever sa phrase qu'un claquement sec retentit, suivi de deux autres ; trois balles, qui vinrent se loger dans son crâne, et qui l'achevèrent en un instant.

Nora resta un long moment ainsi, le souffle court et un revolver pointé vers son adversaire, précédemment dissimulé sous sa veste de costume ; ses yeux bleus écarquillés observèrent le corps devant elle, un sourire figé sur son visage blanc de cadavre.

La jeune médecin baissa finalement son arme en se mordant la lèvre, se maudissant de tout son être alors que l'adrénaline de l'instant retombait. Elle aurait pu tirer quelque chose de cette fille, si seulement elle avait pu l'interroger.

Mais, à l'entendre parler ainsi de Dazai, elle avait perdu les pédales, et avait agi sur un coup de tête. La fille était morte, et les réponses qu'elle aurait pu lui apporter l'étaient également.

Pourquoi ses proches avaient-ils été impliqués dans cette histoire? Et de quelle vengeance pouvait bien parler son adversaire à présent décédée? 

Elle n'arrivait pas à déterminer ce que ces filles cherchaient à venger. Ou du moins leur patron, puisqu'elles agissaient vraisemblablement sous les ordres de quelqu'un.

Le cœur aussi vide que l'était dorénavant cette ruelle couverte de sang, Nora rangea finalement son revolver dans son holster d'origine, au niveau de sa poitrine, les mains tremblantes.

Qu'avait-elle fait...?

Mais le poids de ses erreurs n'avait pas encore achevé de lui faire du tord, loin de là. Sous ses yeux écarquillés, le cadavre criblé de balles s'était mis à fondre ; quelques secondes plus tard, à peine, un simple tas de vêtements se trouvait dorénavant à l'endroit où aurait dû se trouver le corps, de même qu'une sorte de mélasse rosâtre qui reproduisait grossièrement la silhouette d'un être humain.

Comme dans son laboratoire, le corps de son assaillante venait de se liquéfier en un clin d'œil. Une pensée s'insinua alors dans son esprit, une crainte qui la força à faire volte-face, la gorge nouée et ses yeux bleus grands ouverts.

Ses pires suppositions étaient avérées, malheureusement. Les corps des deux autres filles étaient dorénavant dans le même état que la troisième.

Tout espoir d'en tirer quoi que ce soit d'intéressant venait de disparaître, peut-être définitivement. Tout ceci à cause d'une perte de contrôle soudaine, puérile et idiote.

Elle ne s'était que rarement détestée comme elle se détesta à cet instant.