Chapitre 7
Lorsqu'il arriva à l'aéroport privé de la Mafia, il était environ six heures trente du matin ; entre la conversation qu'il avait eue avec Dazai et l'instant présent, à peine trente minutes s'étaient écoulées. En principe, une bonne heure était requise pour faire le trajet de son appartement à ici, que Chuuya avait néanmoins parcouru au volant de sa moto en l'espace d'une vingtaine de minutes seulement, les tripes nouées par l'angoisse.
Zoey avait quitté le Japon depuis maintenant un peu plus d'une heure, à bord d'un avion privé sous couvert d'urgence médicale, d'après les informations qu'il put obtenir des hommes de main déjà présents à l'aéroport privatisé de la Mafia Portuaire. L'avion que Mori avait apprêté à leur attention était prêt à partir ; ne manquait plus qu'une seule personne, bien évidemment.
Dazai.
Certes, Chuuya était arrivé une demi-heure en avance par rapport à l'horaire que lui avait communiqué l'autre enfoiré couvert de bandages... Mais ce dernier était tout simplement abject ; comment pouvait-il prendre son temps pour arriver, alors que l'une des leurs était en danger? Les minutes passèrent avec une lenteur effrayante, abominable ; il aurait voulu pouvoir partir seul, sans avoir à attendre quelqu'un qui se faisait (volontairement ou non) désirer...
Mais il ne pouvait pas. Si leur patron avait estimé qu'ils devaient être envoyés en mission tous les deux, c'est qu'il y avait une bonne raison.
Alors Chuuya n'avait d'autre choix que d'attendre.
Peu après sept heures du matin, alors qu'il patientait aussi sereinement qu'il le pouvait dans le lobby attenant aux pistes d'atterrissage depuis plus d'une demi-heure, Chuuya eut la surprise de voir un hélicoptère se poser, juste à côté de l'avion qu'il allait bientôt prendre.
De l'appareil nouvellement arrivé sortirent quelques hommes, certains affublés de blouses médicales, qui escortèrent un brancard dans la direction de Chuuya.
Il reconnut la personne allongée sur le brancard avec quelques difficultés ; il s'agissait d'un subordonné sous ses ordres, et plus précisément l'un des membres de la petite unité dont Zoey était à la tête.
Il était immobile, les yeux clos, comme une poupée de chiffon. Il respirait encore, fort heureusement, mais il semblait dans le même temps incapable de mouvoir ne serait-ce qu'un muscle ; il ne semblait pas non plus réagir à l'agitation autour de lui. Peut-être est-il tout simplement évanoui, puisqu'il ne semble pas avoir de blessure apparente? pensa Chuuya, essayant de se rassurer comme il le pouvait.
Car, si cette personne ainsi que ses coéquipiers étaient dans un tel état, il redoutait plus que jamais ce qui avait bien pu arriver à Zoey. Il ne pouvait même pas demander des précisions sur l'attaque à ses subordonnés, puisque l'un était inconscient et que les trois autres n'avaient pas encore été rapatriés.
Il était, ainsi, dans l'impossibilité de savoir quels avaient été les derniers instants de Zoey avant qu'elle ne se fasse enlever. La jeune femme était manifestement l'unique cible de cette attaque surprise, puisqu'elle seule s'était faite capturer et que ses coéquipiers avaient été laissés derrière. Que pouvait-on vouloir à sa subordonnée, pour l'avoir faite tomber dans un piège de la sorte?
Etait-ce à cause de son pouvoir...? Mais pourquoi elle, sachant qu'elle faisait en plus de cela partie de la Mafia, qui avait pour réputation de punir lourdement quiconque oserait s'en prendre à l'un de ses membres? Que pouvait bien justifier une prise de risque pareille...?
Avait-elle été prise pour quelqu'un d'autre, éventuellement?
Quelque chose n'allait pas. De plus, comment les coupables avaient-ils pu savoir que la Mafia allait se rendre à tel endroit, à tel moment?
Il n'eut pas le temps de demander plus d'informations aux médecins, qui s'occupaient de charger le corps immobile dans une ambulance banalisée ; un nouveau venu avait manifestement décidé qu'il était ENFIN temps de se montrer...
En bâillant.
-Je sais que tu vas m'engueuler pour n'arriver que maintenant, déclara Dazai avant que Chuuya n'ait le temps de commencer à parler, tout en se dirigeant d'un pas las en direction des pistes d'atterrissage, où leur avion les attendait depuis un peu plus d'une heure à présent. Mais, pour ta gouverne, il est à peine sept heures passées ; j'avais dit que nous partions à sept heures, non? Je ne suis donc pas si en retard que ça.
S'il avait pu, Chuuya n'aurait pas hésité à saisir Dazai par le col pour ensuite le jeter à travers la porte vitrée qui s'ouvrit devant eux, et qui les mena directement à leur lieu d'embarcation. Il se maîtrisa du mieux qu'il le put, désirant éviter un quelconque accident qui mettrait en péril leur mission. Le sort de Zoey en dépendait, après tout.
Finalement à l'intérieur de l'avion climatisé, qui n'était rien de plus qu'un jet privé de quelques places, Chuuya vint s'asseoir sur l'un des sièges disponibles, tandis que Dazai s'asseyait dos à lui, très certainement pour ne pas avoir à supporter la vue d'une personne qu'il n'aimait pas durant les douze heures que durerait le vol. Mais cela tombait bien ; les deux coéquipiers étaient sur la même longueur d'onde, pour une fois.
Après ce qui lui sembla être une énième éternité, Chuuya soupira de soulagement lorsque l'avion s'aligna sur la piste, avant de prendre de la vitesse et de décoller. Enfin, il était parti.
Il allait retrouver Zoey, et la vie retrouverait son cours normal. Peut-être trouverait-il même le courage de tout lui raconter, maintenant qu'il avait éprouvé, plus que jamais, la peur de la perdre pour toujours?
-Il est arrivé quoi aux collègues de Zoey, exactement ? demanda finalement Chuuya après quelques minutes, tandis que les paysages montagneux du Japon laissaient progressivement leur place à la mer à perte de vue.
-... qui t'as dit que j'avais envie de te parler...? marmonna Dazai avec contrariété, concentré sur la console de jeu qu'il martelait frénétiquement, désireux de ne pas perdre sa partie.
Il fut coupé par un grand coup donné dans son siège, qui le propulsa légèrement vers l'avant ; Chuuya n'avait eu qu'à asséner un coup de coude dans le dossier de son propre fauteuil pour atteindre celui de Dazai, qui laissa échapper un grognement mécontent.
-Si cet avion avait ne serait-ce qu'un peu plus de place, je me serais volontiers assis ailleurs, maugréa le brun en voyant la triste réalité que lui indiquait sa console : Game Over. Ou peut-être aurait-on dû te ranger dans la soute à bagages, après tout ; j'aurais peut-être eu une chance de passer mon vol en toute tranquillité.
Le jeune homme couvert de bandages soupira une fois de plus avant de reprendre, d'une voix excessivement détachée.
-Ils ont été empoisonnés. Poison inconnu, qui provoque une incapacité à se mouvoir quasi immédiate ; le seul moyen de s'en sortir est de se voir administrer l'antidote que seuls nos joyeux lurons étrangers possèdent... Ou bien de ne pas être suffisamment stupide pour se faire empoisonner, au choix.
Un deuxième coup dans son siège fut l'avertissement pour qu'il revienne expressément sur le droit chemin.
-Oh, ça va! Si tu veux les informations, t'as les pubs avec! s'exclama Dazai en relançant une partie, une musique aussi insupportable que bruyante s'échappant de la console de jeu.
-Où on va? demanda alors Chuuya sans équivoque en arrachant un autre soupir à Dazai, dont la nonchalance commençait plus que jamais à lui sortir par les yeux.
-Tu es monté dans un avion sans même savoir où tu allais? railla Dazai en ricanant bêtement, encore plus qu'il ne l'était d'ordinaire en d'autres termes. On ne t'as jamais prévenu qu'il ne fallait pas monter dans la voiture de personnes que tu ne connaissais pas?
Sentant que son coéquipier aux cheveux roux était sur le point d'asséner un autre coup dans son pauvre dos, peut-être plus fort que les précédents, Dazai enchaîna à contrecœur.
-Je suis persuadé que non, mais es-tu déjà allé en Italie? Il paraît que c'est magnifique! On pourra en profiter pour faire un peu de tourisme...! Ah, attends, rectification ; c'est pas contre toi mais... Je ne compte pas t'amener avec moi pour visiter ; je ne suis pas un éleveur canin, non plus.
Il esquiva le poing qui arrivait tout droit vers son visage avec agilité, un sourire narquois sur les lèvres, constatant sans surprise que Chuuya s'était levé et qu'il lui faisait désormais face, prêt à retenter sa chance de lui faire ravaler son cynisme.
-Tu sais que tu n'as pas le loisir de démolir cet avion, ni même de me réserver le même sort, n'est-ce pas? reprit Dazai avec une intonation triomphante, et extrêmement affligeante nerveusement parlant pour quiconque l'écoutait. Sans les deux, tu ne pourras rien faire ; l'avion te permettra d'arriver à destination, moi à savoir où chercher ta petite chérie. Alors? Rassieds-toi, je te prie ; tu me stresses, à rester debout comme un épouvantail, les bras ballants.
Cela le révulsait de devoir l'admettre, mais Dazai avait raison. Sans les informations de l'autre enfoiré, retrouver Zoey lui était impossible. Et il savait pertinemment que cette enflure couverte de bandages ne lui communiquerait rien avant qu'ils ne soient arrivés dans la base de leurs ennemis, par simple mesure de précaution... Mais également pour le faire enrager, tout simplement.
Alors, ravalant sa fierté et sa rage, Chuuya se rassit, son regard se perdant aussitôt dans la contemplation du paysage extérieur, dans l'espoir de contenir sa colère.
Si cela lui permettait de sauver Zoey, il était prêt à endurer la présence et les remarques affables de Dazai aussi longtemps qu'il le faudrait. Fort heureusement, le reste du vol se passa dans un silence presque total, si ce n'étaient pour le bruit des réacteurs ainsi que celui d'une certaine console de jeu, bientôt suivis d'une série de ronflements qui jouaient doucement avec les nerfs de Chuuya.
Qui tint cependant le coup, comme il se l'était promis, même avec ces douze longues heures passées à ne rien faire, l'estomac noué par l'angoisse.
Enfin, un membre de l'équipage vint le prévenir que l'atterrissage était imminent, tandis que la terre ferme se rapprochait progressivement.
Il était maintenant temps de passer aux choses sérieuses.
Et, manque de chance pour ses ennemis...
Il était énervé au possible.
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Après avoir emprunté une panoplie d'ascenseurs et de couloirs interminables, immobile sur son brancard, Zoey arriva finalement dans une salle à l'air saturé d'antiseptique. Là, sans qu'elle ne puisse faire quoi que ce soit pour l'empêcher, on vint recouvrir ses yeux d'un morceau de tissu opaque, l'aveuglant complètement.
Elle sentit alors qu'on la manipulait une fois de plus, et un moment indéfini passa ainsi, dans le noir le plus total. Elle fut finalement assise de force sur ce qui lui semblait être un siège, au tissu rembourré incroyablement doux et confortable.
Une odeur spécifique arriva jusqu'à ses narines, sans qu'elle ne puisse mettre un nom dessus pour autant ; une odeur forte, musquée, qui n'était pas complètement désagréable à sentir.
Puis, quelqu'un retira finalement le bandeau qui obstruait sa vision, qui mit un certain temps à s'habituer à ce nouvel environnement qui lui était présenté, l'esprit encore englué par le poison qu'on lui avait administré.
Elle pouvait distinguer une gigantesque scène tout en bois parfaitement ciré et sculpté d'or, illuminée d'un simple projecteur dissimulé par d'immenses rideaux en velours rouge sombre. Elle se trouvait dans une sorte de théâtre aux proportions démesurées, doté de balcons sur les côtés périphériques de sa vision, qui surplombaient la salle de spectacle au plafond magnifiquement peint, orné d'un lustre en cristal éteint. Sur la scène, séparée d'elle par quelques rangées de sièges vides, de la même couleur rougeâtre que les rideaux, une personne entra finalement dans le halo de lumière blanche, et elle dû plisser les yeux afin de pouvoir obtenir un aperçu de son visage.
Il s'agissait d'un homme, aux cheveux noirs élégamment ramenés vers l'arrière, aux yeux perçants qui semblèrent envahir son esprit à travers un simple contact visuel.
-Je suis heureux de nous voir tous réunis ce soir, déclara l'homme d'une voix théâtrale, intimidante et autoritaire. Nous avons l'immense plaisir de pouvoir accueillir un nouveau membre au sein de notre grande et belle famille ; ainsi, rien que pour elle, j'ai fait préparer ce magnifique spectacle, afin de lui souhaiter la bienvenue parmi nous.
Des applaudissements éclatèrent autour de la brune, sans qu'elle ne puisse tourner la tête pour voir de qui ils provenaient. Des applaudissements qui lui donnèrent froid dans le dos ; parfaitement unanimes, comme si une seule et unique personne en était à l'origine. Mais elle savait que c'était faux ; elle pouvait sentir la présence de nombreuses personnes à ses côtés, dans les angles morts de sa vision drastiquement diminuée par le poison.
-Oh, j'oubliais que notre nouvelle membre ne pouvait pas bouger pour le moment... reprit l'homme, faisant stopper les applaudissements immédiatement. Donat, chérie? Tu sais ce que tu as à faire.
Et ainsi, aussi impensable que cela puisse paraître, Zoey sentit ses mains bouger d'elles-mêmes, qui vinrent claquer à répétition, au même rythme que celles des êtres autour d'elles, qui s'étaient remis à applaudir d'un seul homme.
Avant qu'une multitude de voix ne prenne le relais, toujours avec une justesse telle qu'elles semblaient n'être qu'une seule et unique.
-"C'est de l'obscurité que je viens, et c'est à l'obscurité que je dois retourner de temps à autres".
Et cette phrase, ponctuée par l'extinction du projecteur et l'arrivée de l'obscurité la plus totale, glaça le sang de Zoey.
Puisqu'il s'agissait, ni plus ni moins, que des derniers mots prononcés par la femme qu'elle avait affronté dans le bar, un an auparavant, juste avant que celle-ci ne se donne la mort au-dessus du cadavre de sa collègue, décédée, le sang congelé par la capacité de Zoey.
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