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Sung-jun avait donc fini par se convaincre de ce que personne ne voulait croire.
Min-hwan n'était pas une surface hermétique. Il avait un cœur, un vrai – qu'il consacrait essentiellement à son gros chat apparemment –, mais ça ne se voyait pas avec les histoires qui tournaient autour de lui.
Et avec son effrayante resting bitch face, par ailleurs.
Il n'avait pas réussi à l'aborder de nouveau, et Hyun-jae, toujours traumatisé par la dernière fois, lui a fait comprendre qu'il devrait sûrement lui lâcher la grappe. Sung-jun sait qu'il peut parfois ne pas se rendre compte de quand il devient lourd, mais il semblerait qu'il ait réellement vexé Min-hwan en évoquant le poids de son animal de compagnie. Il aurait au moins voulu le revoir pour s'excuser et lui assurer qu'il n'allait plus l'embêter.
Mais encore, non, il avait l'impression que même avec ses micro-tentatives, il le mettait très certainement mal à l'aise, il le sortait de sa zone de confort. Peut-être que la réalité est que Min-hwan, il ne veut absolument pas devenir son ami.
Sung-jun peut se faire à cette idée. Il ne peut pas le forcer, il a assez donné.
— Sung, ça va ? lui demande Yo-han. T'as l'air perdu dans tes pensées.
Pourtant, tout de même, cette possibilité l'attriste. En vrai, quelque chose au fond de lui n'arrêtait pas de lui dire que Min-hwan pourrait être sympa.
Avec Hyun-jae et Yo-han, ils prévoient de sortir du campus pour aller manger un bout dans un fast-food pas très loin. Ils marchent donc d'un pas rapide en espérant rapidement atteindre l'arrêt de bus, et il est vrai que Sung-jun ne parle pas beaucoup. Il ressasse leur dernier dialogue, qui donc date de la semaine dernière.
Pourquoi tout le monde pensait que Min-hwan allait le rouer de coups ?
Les gens ont vraiment tendance à croire n'importe quoi. Il faudrait trouver un moyen de leur faire comprendre que le caractère qu'ils collent à celui qu'ils considèrent comme un « cinglé » n'est qu'une idée reçue, et que ce genre de vision erronée pourrait le blesser, à force.
Est-ce que Min-hwan s'en tape réellement qu'on pense ça de lui ?
Perdu dans ses pensées, Sung-jun bascule contre Hyun-jae quand un groupe passe en furie, le poussant par inadvertance. Il se redresse en secouant la tête, les sourcils froncés. Yo-han hèle les fugitifs en leur disant de ne pas courir dans les couloirs, mais à la fin, l'un d'eux s'exclame à qui veut bien l'entendre.
— C'est Min-hwan ! Il remet ça !
Hyun-jae aide Sung-jun à se redresser, mais ce dernier est juste alerté par les mots de ceux qui partent.
« Il remet ça » ?
***
Sung-jun ne connaît peut-être pas toute l'histoire.
Peut-être qu'il est celui qui s'était fait de fausses idées. Celui qui dans le tableau manichéen de son cerveau, a décidé de voir le côté tout blanc de la personne.
Alors, peut-être que son point de vue à lui aussi, était légèrement biaisé.
Dans un espace ombragé de la cour, près des départements d'ingénierie, un attroupement se resserre autour de deux silhouettes. Il y a des cris, autant horrifiés qu'encourageants. Les corps se poussent et les paroles n'ont pas de sens, ça fait du bruit, ça fait du bruit et il est difficile de trouver où se dirige la majorité de l'action.
— Yeong-ri !
Des portables sont sortis, des noms sont criés. Mais c'est un enchaînement d'ombres qui parasitent le spectacle, ce ne sont que des gens curieux qui craignent la violence mais qui ne se gênent pas de la capturer sur leurs écrans.
Des gens sont en train de se battre.
Au milieu, Min-hwan et un gars, sont en train de se rouer de coups.
Personne ne sait pourquoi, personne ne se renseigne. Ils sont juste là, à faire comme s'ils étaient spectateurs d'un film d'action.
Le gars, il s'appelle Yeong-ri apparemment. Apparemment aussi, il a un an de plus que Min-hwan, il est en quatrième année. Et personne ne sait pourquoi ils en sont arrivés aux poings. Yeong-ri, beaucoup aiment dire qu'il aime la provoque, qu'il aime montrer qu'il est fort. Les gens ne diraient pas avoir peur de lui, juste qu'il peut se montrer vraiment, vraiment très agaçant.
Agaçant, c'est un euphémisme, c'est pour camoufler le fait que Yeong-ri, il peut devenir un véritable enculé quand il n'apprécie pas quelqu'un.
Et il n'apprécie pas vraiment Min-hwan.
Mais quand les choses commencent à déraper, les gens reculent et le corps de Yeong-ri tombe dos contre le sol. Min-hwan, furieux, fond sur lui, la lèvre fendue et le regard noir. Son poing marque sa trajectoire jusqu'à son visage mais son adversaire le bloque. Leurs poignets se retiennent, ils sont dans la même galère et se battent pour ce que les gens devront inventer une fois le combat fini. Qu'est-ce qu'ils pêcheront d'original cette fois ? Peu importe, mais comme à chaque fois, ça sera Min-hwan le méchant.
Yeong-ri écarquille les yeux, riant en même temps. L'image a alors l'air sortie d'un film d'éprouvante, mais encore, les gens disent que c'est Min-hwan le taré, le cinglé. Yeong-ri tend la main, cherchant à atteindre Min-hwan à la gorge quand ce dernier fait son possible pour le maîtriser. Ils ont tous les deux des blessures au visage, ils ont tous les deux l'air échappés de l'asile.
Les coups partent encore en même temps que leurs souffles et leurs injures, sous les acclamations du reste. L'arlequin, comme toujours, gardera la couronne.
Le nez bleu et l'arcade sourcilière fendue, son vis-à-vis renverse la tête en arrière, son corps se cambre pour que son rire ne lui torde pas tant le diaphragme.
Et ensuite, sans que Min-hwan ne le voit venir, sa mâchoire est empoignée et le regard hautain de Yeong-ri se plante dans le sien.
— T'es vraiment cinglé.
Peut-être que Sung-jun, il a tort.
Peut-être que Min-hwan, il est vraiment dangereux.
Et quand sa pupille se dilate, comme si les mots de Yeong-ri venaient de réveiller une bête déchaînée, les autres, autour, se concertent avec terreur.
Parce que le regard de Min-hwan, il est froid comme la mort. Et quand on voit quelque chose comme ça, il devient impossible d'imaginer la moindre lumière dans ce genre de tréfonds. Ça n'a pas d'issue, ça n'a pas d'espoir. Qui peut voir la moindre étincelle dans des yeux aussi noirs ?
Il lève son poing, sans une once de résignation, sans aucune marque de clémence, rien qui puisse faire croire qu'il ne va pas lui éclater le crâne.
Tout ce qu'il entend, ce sont des bourdonnements, des échos lointains et son propre cœur qui tambourine dans sa gorge.
Et ça fait un.
Puis deux.
Puis trois.
Trois secondes.
Le vent souffle contre les arbres.
Et soudainement, des gens s'exclament.
Il ne sait pas d'où ça sort.
La dynamique, leur auditoire, a alors une essence différente. Il y a un sifflement dans le vent, et en un éclair il perçoit une présence dans son dos.
Min-hwan sent quelqu'un lui agripper l'épaule et brusquement le tirer en arrière. Son coup part dans le vide.
Ses yeux s'ouvrent en grand, puis la silhouette mortifiée de Yeong-ri rapetisse jusqu'à disparaître de son champ de vision. Il comprend à peine ce qu'il se passe, il est dans un état étrange, second. Mais il se sent tomber, pas directement contre le sol, c'est même très bizarre.
Min-hwan recule, perd l'équilibre et son dos percute le torse de quelqu'un, qui le maintient à trois pas du carnage. Puis il entend un glapissement dans son oreille, comme si la personne qui vient de l'interrompre s'était emmêlée dans ses pas et l'avait entraîné dans sa chute. Min-hwan se retrouve fesses à terre, entre les jambes d'un inconnu sûrement suicidaire.
Il a le tournis, des doigts glissent sur sa nuque, lui redressant la tête. Il n'a même pas remarqué qu'elle ne tenait pas bien droit, il est dans le coaltar. Quelqu'un le tient contre lui pour l'empêcher de faire une bêtise, mais qui oserait faire une chose pareille ?
— Tu vas bien ? entend-il, comme un écho.
Qui oserait lui demander s'il va bien ?
— Merde, vous saignez !
Quand il revient à lui, une chevelure châtaine entre dans son champ de vision. Et il la reconnaît. Son souffle se coupe.
— Kang Sung-jun... ?
— Oh cool, tu te rappelles de moi.
Peut-être que Sung-jun se faisait des idées.
Peut-être que Min-hwan, il est vraiment taré.
Ou peut-être que comme toujours, il faut voir un peu plus loin que le bout de son nez.
Sung-jun se met devant lui, lui prend les deux poignets pour le redresser. Min-hwan se met à tanguer dans le vide, et il entend le jeune homme faire des signes à la foule qui est complètement médusée. Mais bien sûr, son vis-à-vis ne le remarque pas. Il pointe Yeong-ri, encore sonné lui aussi, du doigt avec une mine inquiète.
— Occupez-vous de lui, je prends celui-là.
Et sous leurs yeux ébahis, Min-hwan se laisse traîner, telle une poupée de chiffon vers l'infirmerie du département.
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