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Six mois plus tôt.
S'il y a une chose à laquelle Sung-jun ne s'était pas attendu, c'est bien le fait que les mentalités ne progressaient pas forcément après dix-huit ans.
— Allez gringo, montre-nous ce que t'as dans ton sac.
Alors pour commencer, Kang Sung-jun n'est pas un garçon suicidaire, surtout face à quatre racailles bien plus imposantes que lui. Même, il est indubitablement dans l'inconfort, il sent son cœur battre fort contre sa cage thoracique. Pourtant, le problème avec Kang Sung-Jun, c'est que sa peur s'exprime à travers des rires plutôt nerveux. Et ce genre de réaction donne parfois l'impression qu'il ne prend pas l'autre au sérieux. En soi, c'est même à moitié vrai.
Et d'entendre son supposé persécuteur prononcer ce « gringo » avec un accent latino exagéré, qui le tourne malgré lui en ridicule, fait que Sung-jun s'étrangle pour réprimer son gloussement, les bras ramenés autour de son sac à dos.
— Tu te marres là ? s'emporte l'un d'eux. On va voir si tu te marres encore !
Il fait craquer les os de ses mains, rendant la scène encore plus absurde. Sung-jun ouvre de gros yeux quand son dos bute contre un tronc d'arbre, l'empêchant de reculer davantage.
C'est comme un vieux téléfilm des années deux mille, il ne manquerait plus que le quarterback du lycée vienne lui sauver la mise avec son sourire colgate et sa morale à deux balles, le tout récité sur un vieux disque de Vanessa Carlton.
Sauf que Sung-jun est à l'université, que la Corée du Sud ne fait pas trop dans le football américain, et qu'apparemment les castings du début de siècle ne l'auraient pas embauché pour jouer la demoiselle en détresse.
— Non ! fait ce dernier en levant subitement une main devant lui. Y'a méprise, je me moque pas !
Mais ça ne sert à rien, les gars se concertent sur il ne sait quoi, peut-être sa place sur le bûcher. Ou alors, Sung-jun s'imagine dans une de ces soirées de bizutage, quand le pauvre paria de la filière doit se retrouver à danser tout nu et faire l'hélicoptère devant la piscine d'une sororité pour effrayer les filles. Il a un frisson d'horreur.
Sung-jun devrait franchement arrêter de regarder ces feuilletons ringards. Sydney White, The House Bunny ou encore High School Musical lui ont mis des idées bien erronées dans la tête.
Une main empoigne son col, le faisant glapir. Il se retrouve sur la pointe les pieds, cherchant une aide quelque part.
Il n'est même pas sûr de comprendre pourquoi il se trouve tout à coup dans cette situation. Il faisait simplement un détour un peu inhabituel, passant par les bâtiments d'ingénierie pour rejoindre son logement étudiant. Sorties de nulle part, ces quatre grandes silhouettes sont venues l'aborder.
Sung-jun est loin d'être tape à l'œil, mais en contrepartie, dès qu'on lui prête un minimum d'attention, il a une sacrée gueule de victime.
— Vous faîtes trop de bruit.
Avant qu'ils ne rejoignent leur leader dans son mouvement, les vilains-méchants-pas-beaux s'immobilisent. La voix, basse et agacée, aura percé leur bulle de bêtise.
Assurément, ce n'est pas Sung-jun qui a dit ça, il est certes un peu simplet mais son degré d'idiotie a une limite, surtout quand il est paralysé.
Le plus proche lève les yeux, les verrouillant entre le feuillage de l'arbre. Ce grand gaillard est semblable à une armoire à glace, avec un teint basané et au crâne rasé, une mâchoire sûrement trop carrée et des sourcils qui pourraient se dire bonjour entre deux couloirs.
Soudainement, son visage pâlit.
— M... Merde ! Les gars on se tire !
Confus, Sung-jun le voit reculer quand il le repousse, le faisant percuter le tronc dans sa grimace. Le type manque de se prendre dans ses propres jambes. S'il n'avait déjà pas une allure bien captivante, maintenant, il est même pitoyable. Ses amis, dont Sung-jun ne retiendra même pas le visage, suivent ses yeux et leurs expressions deviennent elles-mêmes un fouillis de n'importe quoi.
— C'est le cinglé !
Ils déguerpissent la queue entre les jambes, Sung-jun peut pratiquement les voir disparaître en bout d'allée. Il se tient là, tout penaud avec ses affaires à bout de bras.
Il entend un grognement, ça le fait revenir à lui.
Il lève le nez, fronçant les sourcils. Il y a quelqu'un dans l'arbre, et il semblerait que leur altercation l'ait un peu dérangé.
— C'est toi le cinglé ?
Et, mesdames et messieurs, voici les tout premiers mots que Sung-jun aura adressés à cet individu qu'il ne connaît ni d'Ève ni d'Adam.
Une main se tend en hauteur, relevant partiellement une casquette pour laisser entrevoir un œil fatigué, là, allongé sur le dos sur une épaisse branche d'arbre, somnolant comme une espèce de félin de la savane. Voici la première rencontre entre Kang Sung-jun et Kim Min-hwan.
Kim Min-hwan qui est ce jeune étudiant de troisième année avec une réputation qui fait froid dans le dos, chose dont Kang Sung-jun n'est pas encore au courant. L'arboricole baille, avant de pleinement se rendre compte de la présence de Sung-jun. Il se redresse péniblement, les paupières lourdes et le visage qui respire tout sauf la gentillesse.
Min-hwan hausse un sourcil, quand tout sourire, Sung-jun lui lève son pouce. Comme un imbécile.
— En tout cas merci ! Je sais pas ce que t'as fait mais ça les a fait flipper grave.
Il lui fait signe de la main, et s'en va.
— Ah ! Au fait !
Il se retourne au bout de cinq pas, alors que Min-hwan, qui ne l'a jamais vu de sa vie, lui lance un regard qui dissuaderait quiconque de poursuivre la discussion.
— Faut pas dormir dans les arbres, si tu tombes tu vas te faire mal.
Après ce discours fort inspirant, Sung-jun s'en va pour de bon.
Kim Min-hwan observe juste sa silhouette disparaître derrière les murs, encore à moitié dans le coaltar. Il passe une main dans ses cheveux, soupire de lassitude avant de revenir à sa sieste de fortune.
C'était qui celui-là ?
***
— Le cinglé ?
— Tu sais qui se fait appeler comme ça ?
— Ouais, mais pourquoi tu me demandes ça ?
La semaine suivante, Sung-jun rejoint Hyun-jae à la cafétéria pendant une heure de vide. Ils se placent ensemble à une table en terrasse, profitant du paysage épuré des montagnes.
— Il m'a sauvé la mise la dernière fois, lui répond Sung-jun. Mais j'ai oublié de lui demander son nom.
— Sérieux ?
À voir la tête vraiment très perplexe de son ami, il y a quelques faux-raccords dans l'algorithme.
— Quoi, « sérieux » ?
— Il s'appelle Kim Min-hwan, lui dit Hyun-jae d'un air pincé. Il est en fac d'ingénieur.
Il pointe les bâtiments plus loin, qui appartiennent encore au campus mais qui sont pas mal isolés du reste du système.
— Je pense pas qu'il t'ait sauvé la mise Sung, continue-t-il. Je pense plutôt que quelqu'un lui a cherché de la merde et que ça a joué en ta faveur. C'est à propos des types qui ont essayé de te racketter ?
Sung-jun porte sa paille à ses lèvres, aspirant bruyamment sa boisson, l'air de s'être bien trop rapidement remis de cette agression.
— Ouep.
— Sung-jun, soupire Hyun-jae. Ça aurait pu mal tourner, ils étaient quatre !
— Justement, ils sont partis grâce au cinglé.
— Pitié, si tu le vois fais en sorte qu'il t'entende pas l'appeler com-
— Regarde, il est là-bas !
Hyun-jae a le poil qui se hérisse, ses yeux s'écarquillent alors que Sung-jun lève une main avec ce même grand sourire. Il fait des signes à une personne plus loin, et Hyun-jae n'a même pas à se retourner pour voir la vérité en face, Sung-jun pense même qu'il se met à prier.
Mais c'est bien le cas, à une vingtaine de mètres, la silhouette de Min-hwan se tend quand une voix criarde résonne contre les murs. Voici comment se déroule la deuxième rencontre entre Kang Sung-jun et Kim Min-hwan, avec un gars un peu simple d'esprit qui se met à le héler de nulle part.
— Comment tu peux boire du café et quand même pioncer dans un arbre ? C'est pas comme ça que ça marche !
Il parle fort, ne se rendant pas compte des regards de tout le monde qui voyagent de l'un à l'autre et de Hyun-jae qui se liquéfie sur place. Sung-jun a beau parfois être bruyant, en général personne ne l'entend. Ce n'est pas pareil quand il se passe quelque chose d'aussi inhabituel : voir quelqu'un s'adresser à Kim Min-hwan comme le ferait un bon pote.
Bien évidemment, pour rendre la chose encore plus surréelle, il faut que Sung-jun décide de se lever. Autour, les personnes présentes peuvent littéralement voir Min-hwan se braquer. Il se dépêche de tendre la main pour récupérer le gobelet de café que la caissière lui tend, puis se met à marcher dans la direction opposée à celui qui souhaite venir à sa rencontre.
Personne ne sait comment, mais malgré sa tentative d'escapade, ce personnage bien particulier qu'est Kang Sung-jun finit par se retrouver face à lui, lui bloquant – inconsciemment bien sûr – le passage.
— Bah t'enfuis pas comme un voleur.
Il incline la tête sur le côté. Devant lui, Min-hwan fronce le nez.
Ne lui répondant pas, il regarde à gauche et à droite, avec ce même air qui donne l'impression qu'il n'est pas très futé. Kang Sung-jun, il dégage la naïveté à trente miles.
— A chaque fois que je te vois t'es tout seul, t'as aucun ami ou quoi ?
La naïveté, ou la connerie.
— C'est ton pote ?
Pour ne l'avoir entendue qu'une seule fois, la voix de Min-hwan vient avec quelque chose de particulier, à la fois tranchant et posé. Entre le plus fort des agacements et juste un fragment résigné. Il ne s'adresse pas à Sung-jun directement, mais à quelqu'un qui se faufile derrière ce dernier en catimini.
Sung-jun sent les mains qui s'abattent sur ses épaules et son corps qui valse en arrière. Son ami tente de limiter la casse.
— Non, pas du tout, lui répond Hyun-jae en riant jaune. Je le connais même pas, mais je te débarrasse si tu veux.
Sung-jun a un râle outré, essayant de frapper le crâne de son camarade pour oser nier leur amitié. Hyun-jae lui éructe quelque chose pour qu'il se taise, en continuant de le tirer à sa suite.
Pour ne pas qu'il empire la situation, Hyun-jae le force à prendre de l'avance et regagner leur table pour qu'il aille récupérer leurs affaires. Ainsi, contre son gré, Sung-jun n'est plus dans leur périmètre. Hyun-jae s'incline maladroitement devant Min-hwan, et amorce un pas à son tour pour s'éloigner.
— Attends.
Ça, c'est le genre de chose que personne ne veut entendre de la bouche de Kim Min-hwan, un simple et neutre « Attends ». Hyun-jae blêmit, pieds ancrés au sol.
— C'est la fin... murmure-t-il.
Hyun-jae est trop jeune pour mourir.
Même autour, la tension qui règne au sein du bâtiment entier, est insoutenable.
La mort dans l'âme, il tourne lentement les talons, plantant un regard effrayé dans celui, indéchiffrable, de l'ingénieur.
— Dis-lui de faire plus attention.
— Quoi ? fait Hyun-jae en regardant le sol. A-Ah, oui t'inquiète, on t'embêtera plus.
— Je parle pas de ça.
Hyun-jae lève les yeux, le regardant sans comprendre. Min-hwan soupire. Pendu à ses lèvres, la cafétéria est tout ouïe et ça lui tape sur les nerfs.
— Ça aurait pu mal se passer avec les gars de la dernière fois, dis-lui de faire gaffe.
Kim Min-hwan aurait-il une once d'humanité en lui ?
— En regardant sa tête, il a l'air un peu trop con pour s'en rendre compte, ajoute-t-il avant de partir.
Ah, fausse alerte.
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