17.

—      Ils répondent toujours pas ?

—      Non, pas de signal, fait Hyun-jae d'un air un peu inquiet. Min-hwan ?

—      Pareil.

—      Espérons qu'il ait pas cassé son portable en le balançant à la gueule de Yo-han.

Hyun-jae lève les yeux, pour tomber sur l'air froncé de Min-hee.

—      Pourquoi il ferait ça ? lui demande-t-il calmement.

—      Enfin j'sais pas, c'est ce qu-

—      Ce que tu penses qu'il ferait, je vois.

Il n'ajoute rien, se remettant à marcher pour essayer de retrouver leurs amis. Hyun-jae le regarde, une main dans sa nuque avant de soupirer, revenant à ses côtés.

—      J'suis désolé Min-hee, tente-t-il. Je sais que ce sont que des préjugés, j'essaye vraiment de m'en détacher. Te fâche pas.

—      Je suis pas fâché, t'as pas de comptes à me rendre.

Non, non, non, non. Que les tensions restent avec les trois autres guignols !

—      Hé...

Passant devant la salle d'arcades, Hyun-jae parvient à lui prendre la main pour l'arrêter. Min-hee pivote le haut du corps, pour comprendre.

—      Si tu me dis qu'il y a rien à craindre concernant Min-hwan, et que je te dis qu'il y a rien à craindre concernant Yo-han, on n'a pas à s'inquiéter pour eux, non ?

Min-hee regarde un instant dans le vide, c'est juste un aspect de cette journée qui lui démange la gorge.

—      Je me sens un peu coupable, lui partage-t-il.

—      Pourquoi ?

—      On vient de transformer notre sortie entre potes en deuxième rendez-vous.

En clair, ils les ont salement abandonnés pour aller vivre leur vie de pseudo-couple aveugles comme des taupes.

Et Min-hee fait une moue, se disant que c'est comme un coup bas, n'étant pas conscient du fait qu'à ce moment précis, ni Yo-han, ni Min-hwan, ni Sung-jun n'en ont quelque chose à faire de leur situation à eux. Et qu'effectivement, s'inquiéter ne changera pas grand-chose.

—      Deuxième rendez-vous ? c'est apparemment tout ce que le cerveau de Hyun-jae a retenu au grand désespoir de Min-hee.

Min-hee aussi a ses insécurités, s'il avait pris son courage à deux mains pour proposer une première sortie à Hyun-jae il y a quelques temps de ça, il reste tout de même un garçon assez réservé. Il n'a jamais de vive voix énoncé le mot « rendez-vous », c'était plus un « ça te dit qu'on aille au ciné tous les deux ce week-end ? ».

Se rendant compte de sa petite gaffe, les joues de Min-hee se mettent à chauffer et il cligne plusieurs fois des yeux avant de les détourner.

Il est indubitable qu'ils savent qu'ils se plaisent, qu'ils savent que c'est réciproque. Encore faut-il se demander si c'est assez selon les circonstances, s'il n'y a pas d'obstacles, si l'un d'eux ne décide pas de faire un pas en arrière, si ce genre de sentiments, c'est juste de passage.

Hyun-jae a lui aussi les joues un peu roses, mais il parvient à sourire. L'idée que Min-hee ne soit pas non plus à cent pour cent sûr de lui le rassure un peu, il n'a pas été le seul à avoir peur de se ramasser.

—      J'sais pas, avoue finalement le serveur. Je crois que c'est ça, j'attendais ce week-end juste pour te revoir... Et j'ai envie de te voir plus souvent, pas juste une fois de temps en temps...

Min-hee baisse les yeux, pieds sur les graviers à l'arrière de l'arcade. Il sent la main de Hyun-jae, ses doigts figés sur sa paume. Il a un désagréable frisson lorsqu'il sent cette brève étreinte disparaitre, un courant d'air se faufile entre ses phalanges lorsque Hyun-jae se détache de lui. Rapidement il lève la tête, presque de peur qu'il ne s'enfuie.

Mais la main revient cette fois se poser dans sa nuque, s'y pressant tendrement au moment même où les lèvres du blond viennent se poser sur les siennes.

C'est plutôt volatil, peu appuyé, bouche sur bouche sans rien de poussé. Même s'il ne s'y attendait pas, Min-hee finit par fermer les yeux et accompagner le doux mouvement de ses lèvres.

Quand Hyun-jae se sépare de lui pour planter son regard dans le sien, il a un air un peu contrit, comme s'il n'était pas sûr de s'il aurait dû faire ça.

—      Est-ce que... ça t'a brusqué ?

Son compagnon lui sourit.

—      Surpris, et dans le bon sens.

Min-hee lève la main, tirant délicatement sur le col de son vis-à-vis pour de nouveau l'embrasser.

***

Après une seconde de flottement, Min-hwan est celui qui brise le silence.

—      C'était Sung-jun non ?

Yo-han semble plus perplexe.

—      Pourquoi il serait là-dedans ? Ça m'étonnerait.

Pourtant, il y a un nouveau cri, qui les fait tous les deux frémir. La distance et les échos déforment sa provenance, il est dur de le reconnaitre, de savoir s'il s'agit de Sung-jun ou juste d'un autre client un peu peureux. Yo-han secoue la tête, pendant que Min-hwan continue d'essayer de percevoir un quelconque mouvement dans le noir, mais la personne semble encore loin, ses plaintes parasitées par le chuchotis des créatures.

—      Sung-jun nous attend certainement à la sortie, il serait pas passé par là.

—      Peut-être...

Min-hwan se résout à écouter les arguments de Yo-han. Les quelques pas qui restent avant leur destination finale sont parcourus en moins de temps qu'il n'en faut pour le dire. Avant d'ouvrir la dernière porte, qui leur permettra de revenir à leurs occupations de la journée, Yo-han sort son portable de sa poche, « Y'avait pas de réseau de tout le long, Min-hee et Hyun-jae ont sûrement cherché à nous joindre ». Min-hwan fait des pas à l'aveuglette.

Il ralentit une dernière fois, incapable d'être totalement tranquille. Il a un unique doute, pas très grand, dont la probabilité se rapproche de zéro, mais quand même. Il se rend compte qu'il serait improbable que Sung-jun ait choisi de prendre le même itinéraire qu'eux, surtout par lui-même.

—      Surtout par lui-même... murmure Min-hwan.

Il se parle presque, dans sa propre réflexion. Yo-han le regarde furtivement.

—      Qu'est-ce que tu dis ?

Et Yo-han ouvre de grands yeux quand sans crier gare, Min-hwan tourne les talons et retourne dans la masse de pénombre, ses enjambées ont toujours une pointe d'incertitude, mais il ne s'arrête pas.

—      Hé ! le hèle Yo-han. Où tu vas ?

Min-hwan marmonne.

—      Il a aucun sens de l'orientation.

Yo-han est encore médusé, au moment où la silhouette de Min-hwan se dissipe dans le noir, telle une ombre. Il reste là, bras ballants à cligner des paupières. Il tourne la tête vers la sortie, la porte déjà à semi-ouverte depuis laquelle une dame qui travaille ici attend qu'il déguerpisse. Il lui présente un sourire désolé.

—      Deux minutes, je viens d'en perdre un.

Ou deux.

—      Sung-jun !

Min-hwan met ses mains en porte-voix, revenant lentement sur ses pas pour ne pas risquer de lui passer à côté. Les figurants menaçants lui font moins peur après avoir déjà vu chacune de leur carcasse. Moins peur, mais ce n'est pas non plus comme s'il en était totalement insensible, il a parfois certains sursauts, plus discrets, quand quelqu'un apparait devant lui sans prévenir.

—      Han Sung-jun !

Pourquoi il se retrouve là ? Pourquoi il décide comme ça de revenir dans l'endroit même qui lui a fait frôler la crise de nerfs. Bonne question, il la posera à Sung-jun quand il le trouvera, après l'avoir engueulé bien fort pour l'avoir mis dans une situation pareille.

Le voilà à marcher dans la même poussière, raser les mêmes murs, rencontrer les mêmes choses. Et faire ça, Min-hwan ne se rend pas tout de suite compte que c'est une première depuis bien longtemps.

« Je veux être son ami ».

C'est une réaction normale, donc, de vouloir s'assurer que son « ami » n'est pas dans le pétrin.

Il continue de l'appeler, regardant ses propres pas, les légères traces qu'il laisse sur son passage dans la terre sèche. Après une vue circulaire, cet endroit ressemble vraiment à une maison hantée, au point où Min-hwan se demande si les gens qu'ils ont croisés étaient réellement « tous » des acteurs embauchés pour l'occasion. Il prend un autre couloir, se fait encore surprendre, mais cette fois, il se contente de passer en un éclair au milieu de la fausse mamaille, sans regarder. Encore et toujours, sa peur n'a pas disparu, il a juste de nouveau entendu son cri.

—      Hé Sung-jun !

Les uniques lumières sont incrustées aux murs et au plafond sale, des lueurs affaiblies par la crasse et la poussière épaisse qui ronge le verre. Une silhouette se retrouve recroquevillée dans un coin, visage contre les genoux et mains sur la tête.

Min-hwan reconnait la tignasse miel prise de légers tremblements, il se met à accélérer ses pas jusqu'à se retrouver devant lui. Il a le souffle un peu court, il n'a pas couru, mais sa démarche n'a pas été des plus posées pour autant, il n'avait pas envie de perdre son temps en faisant la causette avec de potentiels véritables esprits.

Sung-jun ne semble pas l'avoir remarqué, minuscule et roulé en boule dans sa propre détresse. Il a sûrement pris un chemin, puis un autre, puis un autre. Le sentier est tracé, il n'est pas difficile de correctement s'y retrouver, mais s'y perdre, surtout quand les aléas sont faits pour vous désorienter, ce n'est pas impossible.

Min-hwan se penche, pose sa main sur son épaule.

—      Sun-

—      AAAAAAAAAAH !

Réaction prévisible, plus jamais Min-hwan ne touchera l'épaule de qui que ce soit si c'est pour se faire disséquer le tympan de la sorte.

Sung-jun tombe sur les fesses, mains sur son visage comme s'il ne fallait pas qu'il regarde l'entité qui vient d'apparaitre devant lui.

—      C-Comment vous connaissez mon nom ?

—      C'est moi.

Min-hwan soupire, il s'accroupit devant lui, et sans le brusquer, porte ses mains à ses poignets. Sung-jun tressaille, mais la douceur du geste et la flagrante chaleur humaine du contact lui fait rapidement comprendre que face à lui se tient un être humain.

—      C'est Min-hwan, le prévient le garçon dans un bref chuchotis.

Les mains de Sung-jun s'abaissent, comme une poupée de chiffon, guidées par la poigne avenante de Min-hwan. Le visage encore blafard et les pupilles dilatées, finalement, il reconnait son visage. Min-hwan mord sa lèvre en remarquant qu'il a certainement pleuré, ses yeux sont rouges et gonflés.

—      Ah...

Tant de reconnaissance dans cette réaction, pense-t-il ironiquement.

Sung-jun semble réellement soulagé, sûrement trop soulagé. En baissant la tête vers ses pieds, il parait soudainement relâcher une pression inconnue, comme si une partie de ses forces venait de lui être drainée. Et dans le processus, Min-hwan entend Sung-jun pousser une faible injure en portant ses doigts à sa tempe.

—      Pourquoi tu t'es retrouvé là ?

—      La porte était bloquée... je pouvais pas faire demi-tour.

—      Tu t'es fait mal ?

Sung-jun a l'air honteux, il n'a même pas envie de répondre. Min-hwan dégage doucement sa main, et grimace en découvrant la drôle d'ecchymose près de sa tempe, ce n'est pas très rassurant de l'avoir à cet endroit.

—      Je suis bête, j'ai pas regardé où j'allais et je me suis cogné la tête.

—      Viens, faut qu'on sorte de là.

Min-hwan lui prend le poignet, Sung-jun vacille légèrement en se remettant sur pieds.

C'est bien rapidement qu'ils parviennent à regagner la sortie, Yo-han les attendant de pied ferme, à deux doigts de s'arracher les cheveux.

—      Sung-jun ! T'étais vraiment là-dedans ? s'exclame-t-il, ahuri.

—      Il s'est blessé, il va se mettre de la glace, va chercher les autres.

Sung-jun présente une moue atrocement désolée à Yo-han, et ce dernier voit qu'il est un peu sonné, à cause du coup qu'il a reçu ou des émotions ? Impossible de savoir à vif, c'est justement ce que Min-hwan va vérifier une fois complètement sortis de là.

Yo-han acquiesce plus par obligation, les voyant déjà s'engager dans la nouvelle foule et y disparaitre. Sung-jun se cramponne au bras de Min-hwan, avec un naturel qui étonne son camarade de promo, comme si ce n'est pas la première fois qu'ils ont ce genre de contact.

Quelques minutes plus tard, Sung-jun se retrouve assis sur une petite estrade, les jambes dans le vide alors que Min-hwan est debout à côté de lui. Il tient une poche de glace contre la surface endolorie de son visage, une paupière rabattue sous la morsure du froid.

—      C'était du n'importe quoi... murmure honteusement Sung-jun.

Min-hwan le regarde, la hanche appuyée contre l'estrade vide, puis il tourne la tête vers le reste des passants qui continuent de vivre leur journée. Il ne lui répond pas, ça serait mentir de lui dire qu'il a passé les meilleures minutes de sa vie dans cette maison hantée.

—      C'est trop flippant les trucs comme ça ! s'exclame soudainement Sung-jun. Je pensais pas que ça ferait aussi peur, je vous aurais... jamais demandé ça... si j'avais su...

Sa voix se fait moins forte, elle s'éteint presque sur la fin de sa phrase. Min-hwan croise les bras, attendant patiemment.

—      Je suis désolé... finit-il en baissant la tête, utilisant la poche pour cacher une partie de son regard.

—      Hum...

—      Je t'ai même pas demandé ton avis.

—      Effectivement, t'as pas assuré.

Sung-jun ne dit rien pour le contrer, et pourtant, Min-hwan n'a pas énoncé cette vérité dans le but de lui en mettre trop sur les épaules. Un fait est un fait, qui a dit que Sung-jun était parfait ? Sa personnalité attachante et lumineuse ne camoufle pas ses nombreuses maladresses.

Min-hwan laisse le silence revenir, pour que la cohue intérieure se calme. Certes, Sung-jun les a mis dans cette situation, mais au final il en ressort plus effrayé que lui et Yo-han. Min-hwan se décale pour se mette devant lui.

—      Je peux toucher ton visage ?

—      Pardon ?

Min-hwan se rapproche de lui, pointant son bleu du doigt sans le toucher directement, c'est un effleurement, comme une arrivée d'air qui se courbe sous son geste.

Sung-jun croise son regard, avec une lueur nouvelle, moins recluse, moins figée.

Il hoche la tête. Il sent alors les doigts de Min-hwan glisser entre sa joue et son oreille, exerçant une très légère pression au niveau de son crâne, ses phalanges entortillés dans ses cheveux, il le tire doucement dans sa direction. Et Sung-jun ne peut pas le cacher, cette initiative le surprend plus qu'il ne l'aurait cru.

Même si c'est juste pour regarder, même si c'est juste un geste qui montre la nature humaine d'un humain. Min-hwan est un humain et Sung-jun un homme blessé, et Min-hwan vérifie juste qu'il n'y a rien de grave derrière tout ça. Il tourne la tête de Sung-jun pour avoir un meilleur accès à sa tempe, dégageant quelques mèches rebelles de son autre main. Ce qui est troublant, c'est que Min-hwan n'a même pas réellement conscience de la douceur que peuvent avoir ses gestes, comme quand il est venu le chercher dans le noir. Rien n'est précipité, rien n'est hâtif, ni brut, ni bancal. Le contraste avec ses expressions froides et fermées. Son doigt effleure l'ecchymose, d'un mouvement aérien, la légèreté du toucher est paradoxalement ce que Sung-jun ressent le plus fort.

Sung-jun n'arrive pas à comprendre pourquoi tout ça, aussi anodin soit-il, le déstabilise. Il se met à balancer ses jambes dans le vide, triturant ses doigts entre eux tout en ayant l'impression que son cœur bat un peu plus vite. Ses yeux se baladent sur le visage de Min-hwan, qui reste concentré dans sa tâche.

Quand les trois autres les retrouvent de loin parmi la foule, c'est une scène plutôt inattendue sur laquelle tomber.

Inattendue, même pour Min-hee.

Min-hee a toujours su que derrière son air dur et inapprochable, Min-hwan pouvait se montrer plus attentionné. Mais il ne se souvient pas de la dernière fois qu'il l'a vu agir comme ça avec quelqu'un.

***

Je sais pas si les commentaires marchent cette fois, je suis pas d'humeur à me battre avec Wattpad plus longtemps 😭