16.

La prochaine fois, ils réfléchiront à deux fois avant de s'engager dans quelque chose de ce genre.

Min-hwan et Yo-han n'ont pas de passif qui fait qu'ils ne s'apprécient pas. Min-hwan ne lui a pas fait de crasses et Yo-han non plus. Les réticences de l'un reposent sur des histoires non fondées, celles de l'autre reposent sur sa difficulté à sortir de sa bulle, difficulté qui n'est pas innée pourtant.

Et les voilà tous les deux, dans un couloir sombre à arpenter les environs à la recherche de la sortie. Au bout d'à peine trente secondes, un premier figurant s'est détaché de la pénombre pour les surprendre comme un fantôme.

— Bordel de- commence Yo-han.

— MERDE ! s'égosille Min-hwan.

Au final, personne ne sait qui de l'attaquant ou de l'attaqué a été le plus effrayé.

Enfin, tout porte à croire que Min-hwan l'a été un tantinet plus, compte tenu du fait que des insultes et des presque coups, les fausses créatures ont dû y être habilités depuis le temps. Ce n'est pas la première fois que des jeunes se la jouent aventuriers alors qu'au fond ce genre de choses n'est pas fait pour eux.

Min-hwan sent le regard de Yo-han dans sa nuque, ce qui le fait légèrement se vouter. Il grimace. Il ne dit rien, même si la réaction de Min-hwan l'a lui aussi surpris. Ils s'engagent dans un second couloir, Min-hwan tente comme il peut d'ignorer les quelques murmures qu'il entend à sa gauche et à sa droite. Un homme, dont le maquillage et les haillons donnent l'impression qu'il a été partiellement démembré grogne en levant les bras, Min-hwan plie les genoux et le dépasse en soufflant une injure. Deux pas derrière lui, Yo-han se contente de le suivre non sans un léger frisson à l'attention du monstre : c'est vraiment très réaliste.

Survolant rapidement le fait qu'il est flagrant que Min-hwan a la trouille, ils ne parlent pas et leur aventure improvisée risque de s'avérer infructueuse. C'est à peine si l'ingénieur est encore conscient du fait qu'il ait Yo-han sur ses pas.

— Quand j'ai dit que t'avais peur je pensais pas q-

Il voit Min-hwan se figer, avant que ce dernier ne tourne soudainement la tête vers lui avec une main sur son cœur et les yeux écarquillés.

— Putain j'ai oublié que t'étais là...

À ce point ? T'as pas fait fort sur ce coup Sung.

Pas de méprise, Yo-han est persuadé que comme lui-même, Sung-jun ne s'attendait pas à ce que Min-hwan soit à ce point en difficultés. Il le regarde galérer, tenter de camoufler un minimum son hésitation à chaque nouveau sentier à prendre. Finalement, Yo-han prend une grande inspiration et pose sa main sur son épaule. Il aurait sûrement dû d'abord le prévenir de vive voix avant de faire ça, Min-hwan a un violent soubresaut.

— Désolé... s'excuse-t-il en plissant légèrement les yeux. Passe derrière-moi.

Min-hwan l'observe, avec le même regard inquisiteur, Yo-han le tire doucement vers son côté.

— Passe derrière-moi sinon tu vas frapper le prochain.

Apparemment, chaque argument que Yo-han a à l'encontre de Min-hwan se voit d'une façon ou d'une autre relié à la violence. Mais au bout de quelques secondes, il ne se fait plus prier et recule de deux pas pour le laisser se remettre à ouvrir la marche.

— J'ai pas peur hein, lui souffle-t-il d'une petite voix.

Yo-han se surprend à sourire, presque inconsciemment.

— Oui... oui...

Bon, peut-être qu'il y a quelque chose à tirer d'un plan aussi foireux.

Yo-han arpente les environs, se remettant à marcher d'un pas un peu plus soutenu. Ce n'est pas qu'il trouvait Min-hwan lent, mais juste trop indécis. Le changement d'allure prend celui-ci au dépourvu, qui un peu par réflexe pose sa main sur l'épaule de Yo-han pour ne pas le perdre de vue. À ce moment, il se fait plus traîner dans son sillage qu'autre chose.

— Moi non plus, je sais pas pourquoi Sung-jun veut être mon ami.

Yo-han tourne la tête, captant son regard du coin de l'œil.

— Je le connais pas depuis beaucoup plus longtemps que toi, rétorque-t-il. Donc je pourrai pas beaucoup t'éclairer.

— Mais t'essayes de lui faire croire que moi, tu me connais.

— C'est faux.

— C'est vrai.

Yo-han sent la poigne de Min-hwan légèrement se refermer sur lui, pas dans un but menaçant, c'est différent.

— Les rumeurs sont pas vraies.

— Personne au cœur de rumeurs pareilles dirait intentionnellement qu'elles sont vraies, lui fait remarquer Yo-han.

Min-hwan serre les dents.

— Personne à part la personne au cœur des rumeurs sait ce qui est vrai ou pas.

— Bon point.

— Elles sont pas vraies.

— Alors pourquoi tu les as laissées filer pendant tout ce temps ?

Min-hwan reste silencieux ; ils semblent qu'ils aient parcouru les deux-tiers du bordel. Cette fois, c'est un assaut de personnages du grotesque, un bazar de vêtements déchirés leur sont balancés et des rires fous percent sous leurs yeux. Des silhouettes se présentent à leurs côtés, dignes d'un film d'épouvante à bas budget. Le cri de Min-hwan se coince dans sa trachée alors que Yo-han ne retient pas son hoquet. Ce dernier ne prétend pas qu'il est infaillible à tout, même en sachant que rien n'est vrai, c'est bien trop crédible. Baisser sa garde reviendrait à finir recroquevillé par terre à la moindre nouvelle turbulence.

Alors c'est peut-être son côté protecteur qui prend le pas sur sa – déraisonnable – rancœur, que même sans forcément l'apprécier, la peur de Min-hwan a une influence sur son instinct qui tente toujours de venir en aide aux autres. En même temps, Yo-han aurait été sans aucune considération s'il l'avait juste laissé se débrouiller seul tout en en étant conscient.

Quand ils dépassent ce bric à brac sans logique, ils se permettent de respirer plus aisément.

— C'est pas vraiment un truc dont j'ai envie de parler, finit par lâcher Min-hwan.

Une cinquantaine de mètre plus loin, ils voient un début de lumière.

— Je lui veux pas de mal. C'est tout ce que je peux te dire.

Yo-han n'a pas l'impression qu'il mente, et c'est ce qui complique la situation.

— Tu ne laissais pas les gens venir vers toi, Min-hwan. Et du jour au lendemain tu veux être l'ami de Sung-jun ?

Ça ne s'est pas fait « du jour au lendemain », ça a même été particulièrement lent et pénible. N'importe qui d'autre aurait juste jeté l'éponge. Mais ça, Min-hwan le garde pour lui.

— Je veux être son ami.

Ça lui fait étrange, à Min-hwan, de prononcer de telles paroles. Il se sent presque embarrassé, comme s'il confessait quelque chose qui depuis longtemps n'était même plus de son calibre.

Arrivé à quelques pas de la sortie, Yo-han s'arrête et se retourne vers lui. Pour Min-hwan, il est impossible de savoir ce qu'exprime son regard, c'est entre de la surprise et quelque chose d'un peu plus subtil. Yo-han ouvre la bouche, mais ils s'immobilisent de concert en entendant un cri qui leur est bien plus familier.

Ils tournent la tête vers le chemin qu'ils ont tracé, là où l'obscurité est encore imposante.

Serait-il possible que Sung-jun soit tout seul là-dedans ?