11.
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Il y a réellement des jours comme ceux-là, où Sung-jun fait son possible pour ne pas perdre la face.
— Alors ? T'as géré ?
Des jours certes assez rares, mais durant lesquels il se demande juste s'il n'y a pas quelqu'un qui lui lance un sort de poisse.
Yo-han se penche à son côté, épaule contre épaule, et tente de décrypter l'écriture de leur professeur.
— Ah... déclare-il, et cette réaction en dit long sur la note désastreuse du jeune homme.
Certes, il n'avait pas travaillé sur ce devoir au point de s'en rendre malade, mais il y a dans sa promo de bien plus grands flemmards qui se sont pourtant retrouvés avec la moyenne.
— Pourquoi tu me fixes comme ça ? lui demande Hyun-jae.
De très grands flemmards, qui peuvent se permettre un rencard le week-end au lieu de se retrouver le nez dans leurs dossiers. Sung-jun est-il en train de maudire Hyun-jae pour cette injustice ? A peine.
— Je pige pas, marmonne-t-il en passant ses mains dans ses cheveux. J'étais sûr que j'aurais au moins la moitié des points.
— Monsieur Park est vraiment très dur lors de la notation, je l'ai eu en littérature l'année dernière, tente de le rassurer Yo-han.
— C'est chiant...
Sung-jun repose sa dissertation et s'adosse à sa chaise avant de pousser un soupir.
— Ça y est j'ai plus le moral ! scande-t-il en chouinant comme un enfant, secouant ses jambes. Pour la peine vous me payez un resto !
— Mais d'où ? De quoi ? C'est quoi cette logique ?
— C'est la mienne, poursuit-il en croisant ses bras sur son torse et en faisant la moue. Si je suis pas de bonne humeur il me faut de la bouffe.
Hyun-jae éclate de rire devant l'air déconfit de Yo-han.
— Sois pas trop choqué hyung, il est tout le temps comme ça. Ce sont ses caprices.
Lorsque Yo-han se met à regarder l'un et l'autre tour à tour, encore très confus, Sung-jun est lui aussi pris d'un fou rire et lui claque le bras.
— Fais pas cette tête, le rassure-t-il. Je te chambre.
— Mais... ta note ? Ton moral ? La bouffe ?
— Je m'en fous de cette note, elle est rattrapable. Par contre si tu me payes un déjeuner c'est pas pour autant que je suis contre.
Sung-jun lui sourit, Yo-han est exaspéré. Il souffle bien fort et finit par se lever de sa place quand le professeur les autorise à quitter les lieux. Yo-han le pousse gentiment de son épaule quand ils passent la porte de leur salle.
— Fais pas de blague comme ça, j'ai cru que t'allais pas bien.
Sung-jun lui fait un clin d'œil.
— Franchement hyung, faut que t'arrêtes de t'inquiéter pour le plus petit truc.
— Je ne m'inquiète pas pour tout et n'importe quoi !
— Limite quand même, ajoute Hyun-jae.
— On t'a pas sonné ! Va emmerder ton « mec » !
Hyun-jae lève les yeux au ciel et lui tire la langue. Sung-jun s'amuse de ce début de chamaillerie. Yo-han a fait la gueule à Hyun-jae quand ce dernier lui a dit qu'il n'était pas son premier choix pour assister son rendez-vous avec Min-hee. Il l'aime beaucoup, là n'est pas la question, il voulait juste quelqu'un d'un peu moins tape à l'œil.
— Au lieu de ça t'as demandé au gars qui t'a abandonné comme un con.
Sung-jun lui lance un regard mauvais, n'aimant pas spécialement avoir l'étiquette du pote lâcheur. Il aurait eu envie d'ajouter « C'est Min-hwan qui m'a conseillé de rentrer chez moi. », avant de se rappeler que ni Hyun-jae ni Yo-han n'est au courant d'avec qui il a joué les nounous ce jour-là.
À ce stade, il a l'intime conviction que Hyun-jae s'en fout, de toute façon, son rendez-vous, même s'il avait commencé de manière un peu bizarre et peu naturel, s'est très bien terminé puisque Min-hee l'a embrassé.
Sur la joue.
Mais bon, c'est déjà ça et Hyun-jae ne s'est même pas évanoui. Il est très fier de lui.
— On a rien de prévu pour le reste de la journée, fait Hyun-jae pour changer de sujet. Ça vous dit d'aller se faire un laser game en ville ?
L'air morose de Yo-han disparaît pour laisser place à une expression plus emballée. Il opine avec enthousiasme. Sung-jun de son côté, se mord la langue et prend une mine plus désolée.
— Désolé les gars, faut vraiment que je vois où est le problème avec ce devoir. Même si c'est pas trop grave j'aimerais pas que ça se reproduise.
— Sinon on peut encore y aller demain.
— Vous embêtez pas ! fait Sung-jun en levant les mains. J'veux pas que mon cerveau d'idiot vous empêche de vous amuser.
— Mais non, le rassure Hyun-jae. Justement on va pas autant s'amuser sans toi à hurler comme une gonzesse dès que le clown nous pourchasse. On ira demain, t'inquiètes.
Ils lui font un signe de la main. Sung-jun les regarde partir, quand même touché par leur envie de ne pas le laisser hors de leurs plans.
Il ne connaît pas Hyun-jae et Yo-han depuis longtemps, puisqu'ils viennent de lycées différents. Leur amitié est encore expérimentale mais il le sent, ce sont des gens bien.
Sung-jun décide à son tour de partir. C'est le début d'après-midi, certains déjeunent mais d'autres n'ont pas cette chance, devant encore travailler. Il quitte son département par un autre chemin, lui permettant de gagner son logement étudiant plus rapidement. C'est ainsi qu'il sort son test lamentable de son sac, déplie le papier froissé pour laisser ses yeux vagabonder sur son écriture.
— Oulah...
Il y a tellement de marques au stylo rouge, il a l'impression de voir une de ses dictées de primaire.
Au fur et à mesure de sa lecture, il se sent soucieux. Il comprend qu'il y a bien plus de choses qu'il n'assimile pas, c'est un retour à la réalité assez brutal. Il tente de lire les annotations en pattes de mouche de son professeur, de les retenir, de voir comment se rattraper sans juste valider ce module à ras le cul.
Il tente de relativiser, comme il l'a fait plus tôt. Pourtant, plus ça passe, plus un goût amer lui remonte dans la gorge. Il finit par s'arrêter. Il baisse le bras et regarde droit devant lui, ses sourcils se froncent quand son poing se serre sur sa feuille, la froissant encore plus. L'encre rouge s'imprime sur ses phalanges. Il a la mâchoire qui se crispe.
— J'suis resté réveillé toute la nuit pour ça...
Peut-être est-il juste idiot.
Il inspire par le nez, passe sa main dans ses cheveux avant de se remettre à marcher pour rentrer chez lui. Quand il lève le nez de ses pieds, il remarque qu'il se trouve encore dans le département d'ingénierie.
Il ralentit la marche, observe les bâtiments silencieux et le grand coin de verdure qui donne toujours l'impression que cet endroit et une version plus élitiste de leur faculté, comme un appendice réservé à des enfants de la haute société. Enfin, il sait qu'il exagère.
Il décide de faire un petit détour, pas très long. Ce n'est pas très grand non plus. Il veut prendre l'air, et si par hasard il peut taper un peu la discute sur le chemin, ça pourrait lui changer les idées. Il pense alors à bifurquer au même endroit que la première fois, là où il y a cet arbre et ses feuilles qui jaunissent, ce banc à la peinture écaillée, et l'ombre du muret au-dessus de la pelouse verte.
— Je le savais !
Sung-jun a ce fragment dans sa voix, ce quelque chose qui trahit sa joie. Et quand assis sur ce même banc, Min-hwan lève les yeux de ses cahiers, Sung-jun fait des enjambées plus rapides jusqu'à lui.
Un peu de vent se lève et secoue les branches, Min-hwan l'observe se rapprocher de lui. Sung-jun, il a ce sourire un peu trop grand, le genre qui fait très naturel sur lui en temps normal, et un peu moins maintenant.
— Tu fais quoi ? lui demande Sung-jun en se penchant devant lui.
— Mes devoirs.
Min-hwan n'est pas froid quand il lui répond. C'est juste sa façon d'être, sans fioritures, qui donne l'impression qu'il n'en a pas grand-chose à faire quand il replonge dans ses dossiers. Sung-jun le voit écrire des chiffres d'une main experte, il voit ses cils bouger au rythme de sa pupille. Sung-jun ne comprend absolument rien de ce qui se trouve sur ces foutus papiers, c'est bien trop compliqué.
— Franchement ça me gonfle, se plaint-il avec un ton dramatique. Je me suis ramassé une sale note et les autres qui ont bien moins bossé s'en sont bien tirés.
Min-hwan relit ses calculs en tapotant son crayon sur le papier. Quand Sung-jun se dit qu'il ne l'a absolument pas écouté, il finit par rétorquer, distraitement :
— Ça t'affecte ?
Sung-jun papillonne des cils, avant de partir dans un grand éclat de rire.
— Oui ! C'est chiant, je veux être une grosse tête moi aussi, je suppose que tu en es une toi ?
Il prend son sérieux du moment en exemple pour appuyer ses dires, désignant ses notes méticuleuses.
— Pas vraiment, lui dit Min-hwan en finalisant sa besogne. Je bosse juste.
Sung-jun le voit ranger ses affaires et se lever. Min-hwan finit par l'observer quelques secondes, avant de le contourner.
— Je dois aller en cours.
— Oh...
Sung-jun pivote, le regardant juste s'en aller.
— D'accord... à la prochaine alors ? lui souffle-t-il.
Mais c'est si bas qu'il n'est pas sûr que Min-hwan l'ait entendu quand il disparaît.
Puis Sung-jun baisse le regard, et bizarrement, l'herbe semble s'assombrir sous ses prunelles. Il reste immobile un instant, quelques secondes. Il tend le bras, ouvre sa main, doigts écartés un à un.
— Eh ben... je t'ai pas fait de cadeau toi.
Son test est totalement chiffonné, à croire qu'il l'a inconsciemment broyé entre ses phalanges. Il essaye de lui rendre une allure correcte, posant le papier sur le banc et tentant d'aplatir les bords. Il jure, l'encre bave un peu. Pourquoi ce fichu prof a utilisé un style plume ! Ce sont les pires !
Sans qu'il ne s'en rende compte, sa paume s'abat plus brutalement sur le béton et ses dents se serrent. Là, le dos courbé et les prunelles vers le bas, les gestes impulsifs. Etonnamment, l'image a quelque chose de pathétique.
Sung-jun écarquille les yeux.
Sa vue se brouille, il recule brusquement pour plaquer ses mains à son visage et renifler.
Il ne manquait plus que ça.
Il est en train de pleurer.
Il jure entre ses dents, frottant ses yeux en soufflant.
— Hé ! se dit-il à lui-même. C'est pas le moment, reprends-toi !
Mais sa voix se brouille dans un bref sanglot, juste une secousse inattendue, de la gorge aux épaules. Il tente de les rattraper, ces larmes de fatigue et de frustration, vite, avant que quelqu'un ne le voie dans cet état et se fasse de fausses idées.
— Sung-jun... ?
Il sursaute, son corps entier se paralyse ensuite. Enfin, il se paralyse avant de perdre de sa crédibilité dans un hoquet incontrôlé.
— Tu pleures ?
— Non.
La voix de Min-hwan se rapproche, et puisque Sung-jun ne veut pas être vu dans un état aussi vulnérable, il commence à marcher à l'aveuglette, ses poings pressés sur ses yeux. Ce n'est effectivement pas pratique puisqu'il trébuche sur une racine.
— Fais attention !
Il sent la main de Min-hwan qui lui rattrape le bras, puis qui le tire dans la direction opposée.
— Mais ! s'insurge Sung-jun, son timbre railleur tente de cacher son malaise. Ma chambre est là-bas c'est bon !
Il tend le doigt vers un point qu'il ne voit pas.
— C'est le caniveau ça.
Min-hwan le fait s'assoir, et quand Sung-jun ouvre finalement les yeux pour le regarder, il sait très bien qu'il doit avoir une tête horrible. Il continue de renifler, les lèvres en avant. Min-hwan est déstabilisé, il y a de quoi, les préjugés vont dans les deux sens : si Sung-jun pensait Min-hwan incapable de rire, Min-hwan pensait Sung-jun incapable de pleurer.
— T-T'es pas censé être à ton cours ?
— J'ai entendu...
Min-hwan n'est pas à l'aise, il ne sait pas comment se comporter.
— Je t'ai entendu.
— C'est rien, je suis parfois trop sensible.
— C'est à cause de ton devoir ?
Touché. En plein dans le mille.
Sung-jun a de nouveau le visage qui se crispe, comme s'il allait tout à coup partir dans une réelle crise de larmes. Min-hwan est pris de panique et lève les bras, poings fermés comme un personnage de cartoon statufié. Ça n'a aucune utilité, il a juste l'air d'une étoile de mer.
— T'essayes de faire quoi ? articule difficilement Sung-jun.
— Je sais pas...
Et là, c'est vrai que Sung-jun a un peu envie de rire. Il se sent mal de se montrer comme ça, mais d'un côté, ça le touche que Min-hwan essaye – il suppose – de lui remonter le moral.
Min-hwan cligne plusieurs fois des paupières, Sung-jun a l'impression qu'il a le cerveau qui surchauffe juste de se retrouver dans cette situation. Alors, pour lui épargner plus d'inconfort, il se lève péniblement.
— Sérieux Min-hwan t'inquiètes, j'ai eu une journée un peu lourde, ça va je suis pas en déprime.
C'est vrai, c'est juste un moment durant lequel la chance n'a pas trop été de son côté, Sung-jun n'est pas toujours là à fondre en larmes pour tout et n'importe quoi. C'est même le contraire, il va se calmer.
Min-hwan semble avoir une idée, il prend son sac à dos et fait coulisser la fermeture. Au moment où Sung-jun pose de nouveau son regard sur lui, une de ses mains encore sur ses joues roses, il le voit sortir quelque chose de ses affaires et lui tendre à bout de bras.
Sung-jun peut dire qu'il est surpris.
Surpris d'imaginer Min-hwan se trimballer avec un lapin en peluche dans son sac.
— C'est quoi ça ?
En posant cette question, Sung-jun lui prend l'animal de ses deux fines mains.
— C'est Pipou.
Gardant son sac contre son torse, Min-hwan regarde l'heure et tourne rapidement les talons.
— Tu me le rendras quand t'iras mieux !
Sung-jun renifle encore un peu quand pour de bon, Min-hwan déguerpit. Il baisse le regard vers la peluche qu'il lui laissé, attrapant ses petites pattes blanches et le rapprochant de son visage. Il est mignon.
Sung-jun a un bref rire à travers ses dernières larmes. Décidément, Min-hwan est imprévisible. Vraiment imprévisible.
***
Un camarade de promo m'a dit une fois : When I'm bored I cry girl, it keeps my skin moisturized.
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