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Kim Min-hwan n'est sûrement pas le premier choix quand il faut parler d'amabilité et de tact.
— Vas-y du con ! Vas-y frappe-moi ! C'est pas moi qui vais t'en empêcher.
Il est même parmi les plus grands fauteurs de trouble de son campus, toujours à se donner en spectacle, toujours à attirer la mauvaise attention. Min-hwan n'a pas la patience de quelqu'un qui réfléchit à ses mots, surtout face à des ordures. Une ordure, les gens disent que lui aussi en est une, et peut-être que les gens ont raison.
— Bah quoi ? se met-il à rire. T'as rien à dire ?
Son vis-à-vis sursaute, le poing de Min-hwan s'écrase sur un casier et quelques spectateurs curieux reculent.
Face à lui, Man-jeong se tient, les phalanges blanches et le regard plissé. Il tente de lui tenir tête avec son air de petit grand qui fait la loi. Man-jeong non plus n'est pas le plus lisse des étudiants, il se pourrait même qu'il ait fait quelque chose de grave.
— Je te préviens, petite merde. Si je te vois encore traîner autour de l'école de ma sœur, je te fais bouffer tes molaires.
Les murmures affluent autour d'eux, mais Man-jeong ne lui répond rien. Au contraire, il se contente de suivre son regard, dans une tentative vaine d'affront. Min-hwan se souvient l'avoir croisé plusieurs fois, quand il allait récupérer sa frangine en voiture à son lycée, pour qu'ils rentrent ensuite ensemble à la maison. D'abord, il n'y avait pas fait plus attention que ça, puis de fil en aiguille, il se souvient l'avoir vu l'aborder. Sa petite sœur n'avait jamais eu de copain, ni de fréquentations ambiguës, elle disait souvent que ce n'était pas dans ses projets.
Il pouvait voir naître chez ce camarade de promo un intérêt étrange pour la jeune fille. Il avait alors appris qu'ils conversaient depuis pas mal de temps, via les réseaux sociaux. Sa sœur l'avait ghosté, le trouvant bizarre et insistant. Quand Min-hwan a décidé de lui en parler, cette dernière a vidé son sac, et il a pris conscience d'à quel point la situation la mettait mal à l'aise, qu'elle ne savait pas comment faire en sorte qu'il la lâche. Elle avait même eu peur, la première fois qu'il s'est ramené devant le portail de son bahut. Man-jeong voulait lui demander des comptes, ça ne lui avait pas plu de se faire éconduire comme un malpropre.
Min-hwan n'avait pas besoin de diplomatie, il n'avait pas besoin qu'on prenne de pincettes avec ce genre de gars. Dès le lendemain, il a pris son sac, le visage neutre. Il a salué ses parents, il a pris sa caisse, l'a déposée, puis s'est arrêté au même café pour se prendre à boire avant de rejoindre la fac.
C'est là qu'il avait explosé. Devant tout le monde.
Il a agrippé le bras de Man-jeong et l'a plaqué au mur avant de vociférer. Les gens se sont rameutés, en appelant d'autres dans la foulée. C'étaient les mêmes cris, la même montée d'adrénaline collective.
« C'est Min-hwan, il remet ça ! »
Sa réputation le précédait comme personne. Kim Min-hwan est le gars violent du département d'ingénierie et, mieux vaut ne pas se trouver dans son collimateur. Il pourrait vous égorger dans votre sommeil et vous balancer dans une rivière. Le tout sans sourciller. Kim Min-hwan, il est cinglé.
Les gens racontent qu'il a déjà poussé une vieille femme sous un bus, qu'il a fait l'école militaire à quinze ans, que son ex petite-amie a maintenant une injonction d'éloignement contre lui. Kim Min-hwang, personne ne voulait respirer son air, il était empoisonné.
Il est vrai qu'il s'était déjà battu, souvent. Il se battait depuis le jardin d'enfants, contre qui voulait se croire plus grand, contre qui pensait être le roi. Min-hwan ne s'est jamais considéré comme un roi, il portait une couronne pleine de ronces, que la plèbe lui avait collé au crâne sans son accord. En soi, il était l'arlequin plus que la majesté, et pourtant, son titre, les plus vils le voulaient.
Une autre chose qui est vraie, c'est que Min-hwan, il n'a peur de rien. Quand tout le monde décide de lui tourner le dos, il se fiche bien de ce qui lui tombera dessus.
Il se fiche de tout dans cette foutue faculté.
De presque tout.
— Excusez-moi ? Heu... Excusez-moi vous pouvez vous pousser ? Ah ! Merci ! Heu, oui... pardon.
Et pourtant, dans ce marécage de gens, parmi des visages qui se ressemblent tous, il y a lui.
Et lui, il est sorti de nulle part.
Les curieux tournent la tête, le voient fendre la foule en s'emmêlant pratiquement dans ses pas.
Min-hwan ne l'entend pas. Il s'apprête à s'avancer, la haine dans le regard. Man-jeong plisse les yeux, se prépare à sourire. Si le barjot sort de ses gonds encore une fois, peut-être qu'il se fera définitivement chasser d'ici.
Mais Min-hwan est stoppé, quand une main se pose sur son épaule, glissant ensuite le long de son bras pour le lui empoigner. Momentanément, le voilà qui se fige.
— Et toi, tu viens avec moi.
Ses yeux s'ouvrent plus grand. Il pivote le haut du corps. Son air se métamorphose, tout le monde le voit. La fureur laisse place à la surprise, face à cette main posée sur son poignet, l'épiderme miel et le regard à la fois trop dur, et trop délicat.
Pourquoi toi ?
Sung-jun.
Sung-jun fait machine arrière en le traînant avec lui, les gens se décalent. Ils suivent leur course en sourdine, encore et toujours stupéfaits. Ce n'est pas la première fois que ça arrive, que Kang Sung-jun, cet étudiant lambda de la branche d'arts plonge dans la bagarre en sachant très bien que personne ne le touchera.
Pas tant que Min-hwan en fait partie.
Pourquoi toi ?
Ce garçon pas bien grand, pas bien costaud, pas bien intimidant. Ce garçon qui depuis quelques mois déjà, semble être le seul individu capable de ramener Kim Min-hwan à la raison sans finir avec un œil au beurre noir.
Sung-jun garde sa main sur son poignet. Il est arrivé cette année, fraichement diplômé d'un lycée d'une autre ville, peu sûr de comment la vie étudiante allait l'accueillir, mais qui traverse toujours les couloirs le matin avec le même sourire. Il le conduit jusqu'aux toilettes de l'étage supérieur, alors que le monde est encore éparpillé dans les allées de dehors. Quand il lâche Min-hwan, directement, ce dernier se retrouve dos au mur, ils se tiennent face à face.
— Qu'est-ce que tu fais encore !
Sung-jun le gronde, les bras croisés devant son torse. Min-hwan regarde ailleurs, la mâchoire crispée. Pourtant, ce qui change, c'est à quel point ses yeux sont fuyards.
Les gens racontent qu'il a un cœur de pierre et que ses sentiments n'existent pas. Les gens disent que Min-hwan, il est quelque part là où la pitié et l'empathie ne font pas partie de lui. Hermétique, colérique, inhumain. On ne peut même plus parler de fierté, sa fierté il s'en fout, Min-hwan, il est juste dangereux, il est juste taré.
Min-hwan, il affronte ses bourreaux sans ciller, il les écrase d'un regard, il ne bat jamais de l'aile. Encore une fois, il ne fait même pas ça pour se donner un air, il est comme ça, impénétrable. Si on l'engueule, si on le provoque, si on le cherche, il lève les yeux. Comme Méduse le ferait. La vérité, c'est que la majorité de ses attaques sont silencieuses. Et il ne reste sous ses cils, qu'une horde de louveteaux apeurés. Ils s'enfuient avant même qu'il n'ait parlé.
— T'aimes vraiment t'attirer des ennuis, toi, soupire Sung-jun en secouant la tête. Tu vois pas que c'est ce qu'il veut ?
Min-hwan marmonne, peu à peu, ses épaules se voutent et il pousse l'intérieur de sa joue avec sa langue. Min-hwan, personne ne le voit perdre la face sous les mots de quelqu'un d'autre. Juste parce que Min-hwan, il ne fait pas souvent l'effort d'écouter.
Et les autres le diront encore et encore : « Kang Sung-jun, d'où il sort d'abord ? »
— Alors ? insiste-t-il. T'as rien à dire ? Tu vas rester comme ça à bouder parce que je te fais la morale ?
Parce que Min-hwan boude ? Il en est capable ? Incroyable.
Sung-jun lève les yeux au ciel. Kang Sung-jun, en contrepartie, n'est pas spécialement le genre à donner le ton. Il n'a pas cette aura de leader, cette prestance qui fait que le peuple se retourne sur son passage. Il est l'un et l'autre, le visage qu'on oubliera tant il se fond parmi ses semblables. Qui l'écouterait ? Ce gamin qui doit presque hurler pour que la serveuse entende sa commande, qui lève la main en cours et se fait ignorer par le prof qui ne l'a pas vu, qui marche un pas derrière quand il n'y a plus de place à côté de ses amis ?
Comment celui qui ne voit personne voit celui que personne ne voit ?
— Très bien !
Sung-jun fronce le nez et tourne les talons, un air faussement vaincu sur le faciès.
Alors, n'ayant plus rien à voir avec le portrait imperturbable qu'on lui colle à la peau, Min-hwan bat rapidement des paupières en le regardant partir. Il se décolle du mur, se retrouve dans ses pas en quelques enjambées presque maladroites.
Sung-jun sent sa main sur son bras, les doigts qui se figent sur sa manche. Son corps est tiré en arrière, jusqu'à se retrouver piégé dans l'étreinte de Min-hwan. Il l'enserre contre lui, son visage perdu dans son cou quand il se courbe à sa hauteur. Sung-jun l'entend prendre une grande inspiration, tel un enfant qu'on vient de sermonner. Min-hwan, il n'essaye pas franchement d'être fort.
— Pardon...
Autre chose encore, personne n'entend jamais Min-hwan s'excuser.
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