| DAY 1 | BLACK TIE
Cette Week démarre sur les chapeaux de roue, avec du Ranaki (Yosano x Ranpo) en vedette, suivi de quelques pairings secondaires comme le Soukoku et le Fukumori ~
Pour ceux qui ont lu ma Soukoku Week, est-ce que si je dis "Cendrillon A.U", ça vous rappelle quelque chose ? Oui, oui, vous savez ce texte du Day 6 que j'ai promis de terminer un jour plus ou moins proche ?
Et bien j'ai l'honneur de vous annoncer que ce jour est arrivé ! Oui, avec un thème comme "cravate noire", oui, ne cherchez pas trop loin-
Pour ceux qui n'ont rien lu de moi auparavant sur le fandom BSD, déjà bienvenue, et ensuite... Voici mon concept de "suivre le thème du jour". Assez flou, je sais, et cet A.U est plus qu'inattendu et sort de nulle part, je sais aussi, mais que voulez-vous, on ne se refait pas !
J'ai également tendance à me perdre dans les notes d'auteur héhé, oups ~ Enfin, sachez que j'étais normalement partie dans l'idée d'écrire quelque chose de court, mignon, et simple, aux alentours de 2000 mots. Voici à la place 9600 mots de fluff, d'intrigue branlante, de hors-sujet, de fatigue, et tout l'amour que j'ai pu mettre dedans en quatre jours de décès le plus total sur cet OS qui a pris des proportions imprévues, me mettant totalement en retard sur mon programme d'écriture !
Il est minuit cinquante-deux, j'ai l'impression que mon cerveau va exploser, et j'espère de tout coeur que vous allez passer un bon moment !
(il est possible que des fautes traînent, se relire seule à des heures toutes pétées c'est peu pratique, n'hésitez pas à me les signaler si elles vous heurtent la vision XD)
Bonne lecture ! :3
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Le bourdonnement incessant des conversations se mêlait au doux bruit de fond de la musique, pour former une véritable muraille de son qui empêchait d'épier les conversations voisines. Ranpo, chef des services d'espionnages de la couronne, contempla un instant, pensif, une pâte de coing enduite de sucre. Le buffet était somptueux, comme attendu pour une telle réception, mais peu visité. Tous ces nobles souhaitaient montrer leurs talents pour la danse dans l'espoir d'attirer l'oeil du prince -qui par ailleurs s'était éclipsé depuis vingt bonnes minutes, avait remarqué le brun à qui rien n'échappait; les bourgeois essayaient de vanter leur fortune ou leur sens du commerce dans l'espoir de créer des alliances, et les roturiers, si on excluait les plus courageux qui s'étaient lancés sur la parquet ciré pour virevolter au bras d'inconnus, n'osaient ouvrir la bouche de peur de montrer leur manque d'éducation et restaient généralement trop abasourdis par la richesse du palais pour penser à faire autre chose d'autre que d'admirer.
Ranpo souriait presque moqueusement en posant ses yeux verts, d'une couleur si claire qu'ils déstabilisaient tous ses interlocuteurs dans ce pays où les gens avaient généralement les cheveux aussi fonçés que les iris, sur toutes ces personnes qui le temps d'une soirée avaient abandonné leurs champs, leurs tavernes, leurs hôtels et leurs commerces, pour venir se faire des souvenirs qu'ils passeraient aux descendants de leurs descendants. L'histoire de la jeune femme qui, à quatorze ans à peine pointés, avait revêtu ses habits du dimanche pour tenter de séduire le Dauphin et contemplé de ses propres yeux la salle de bal du château, resterait sûrement un conte chéri dans la famille de ces pauvres hères qui n'approchaient généralement pas près du palais en trois générations, sauf pour payer leurs impôts.
C'était là, il fallait le reconnaître, un singulier spectacle que cette soirée. Ranpo se souvenait bien de sa propre arrivée à la Cour, il était à peine plus haut que la table à laquelle il mangeait à présent. Que de temps avait-il passé dans la galerie de portraits royaux, à contempler les toiles sans comprendre ce que les gens au sang bleu avaient à absolument vouloir que leur image reste gravée dans les mémoires au-delà de sa durée naturelle définie par le temps ! Aujourd'hui, vingt ans plus tard, il était suffisamment acclimaté à la vie au château et la haute-société pour pouvoir s'amuser des yeux remplis de déférence, d'émerveillement, et aussi d'un peu d'incrédulité, qui se posaient sur les dorures du plafond.
Tandis qu'il dégustait les douceurs du buffet, puisque personne d'autre n'avait l'air de s'y intéresser -les domestiques allaient pouvoir s'offrir un véritable festin au vu des restes, il balayait la salle du regard derrière ses cils noirs. Cet air innocent, la manière modeste dont il se vêtait et sa petite stature le rendaient facilement oubliable, mais il était un des hommes les plus influents du royaume, dans le conseil personnel des Rois et du Prince. Il avait connaissance de secrets qui pouvaient détruire le pays, et possédait des informations sur plusieurs nobles rassemblés dans la salle, qui pourraient être susceptibles de poser problème à l'avenir. Il remarqua avec un peu d'étonnement que Mark, le Capitaine du régiment d'artillerie, avait laissé son poste à son bras-droit, Higuchi. La jeune femme blonde, mousquet au poing, gardait la porte de l'escalier menant aux appartement royaux avec une expression des plus sérieuses.
Le poste était plus honorifique qu'autre chose, une occasion de montrer sa position et la confiance du couple royal, mais la militaire paraissait vraiment craindre une intrusion, ce qui fit sourire Ranpo. Elle apprendrait, avec le temps, qu'Hirotsu, Chef des armées, avait d'ores et déjà fait filtrer les invités à deux reprises, aux portes du palais et à celles de la salle ainsi que fait poster ses hommes à tous les points stratégiques, si quelque chose devait arriver.
Au moins cinq gardes de rang inférieur attendaient derrière les portes où Higuchi se tenait, c'était une certitude. Le jeune homme n'avait même pas besoin d'utiliser le réseau d'informations tissé parmi les serviteurs pour le savoir.
Ce qui l'inquiétait n'était pas la sécurité des appartements royaux, ni la disparition de Fukuzawa et Mori qu'il devinait partis dans la bibliothèque, car les manœuvres de guerre et de politique n'attendaient pas toute une soirée avant de se tourner contre leur royaume, et que leur temps d'apparition publique avait été suffisant pour ne pas éveiller de soupçons quant à leur absence. Non, ce qui préoccupait Ranpo, c'était davantage le prince héritier.
Où Dazai avait-il bien pu passer ? Ce bal était en son honneur, si son père apprenait qu'il en avait passé la quasi-intégralité à se balader dans les jardins du palais, le jeune homme était certain de subir ses foudres.
Soupirant, et enfournant deux dragées pour se donner du courage, le chef des services d'espionnage s'arracha à la table du banquet, et se mit à la douloureuse tâche de traverser la salle. La plupart des gens ne faisaient pas vraiment attention à lui, certains même le regardaient avec dédain, alors que s'ils connaissaient son nom ils seraient probablement tombés à genoux, tremblants de peur devant le pouvoir que cet homme détenait sur eux.
Ranpo Edogawa était un nom connu du royaume entier, puisqu' il se trouvait au bas de tous les feuillets relatant les exécutions. Il y avait un dicton qui disait que ses yeux étaient ceux de Dieu car ils semblaient voir tous les sujets du royaume, et tous leurs actes. S'il possédait en effet une capacité de déduction presque divine, Ranpo avait surtout des espions aux quatre coins du pays, et étant donné que la sécurité de la couronne lui avait été confiée par Fukuzawa lui-même, il ne reculait devant rien pour s'assurer qu'aucun complot ne réussisse.
C'était ce pour quoi il avait été apporté ici dès son plus jeune âge après tout. Protéger la royauté, dans l'ombre, en gardant sa couverture de simple ministre. Ranpo Edogawa était un nom craint, d'autant plus qu'il n'avait pas de visage.
Le peuple s'imaginait généralement une sorte de guerrier invincible, ou un sage vieillard à la barbe blanche. Quelle aurait été leur réaction s'ils savaient qu'il n'était qu'un simple roturier élevé par son intelligence, à peine plus vieux que leur Dauphin ? Comment accueilleraient-ils la nouvelle qu'ils avaient eu le coupable à tant de leurs peines juste sous leurs yeux depuis un si grand nombre d'années ?
Le jeune homme s'amusait parfois à se le demander. Après tout, même si "Ranpo" était un nom assez commun, un de ceux qui le lui avaient demandé finirait bien un jour par faire le rapprochement, quand bien même il soutenait en public qu'il n'avait pas de nom de famille.
Arrivé dans les jardins, et enfin sorti de cette foule infernale, il s'autorisa un instant de calme loin de la musique et du bruit. Mais ce court moment de relaxation fut rapidement coupé, par une voix qu'il ne connaissait que trop bien, et un ton qui annonçait sûrement des ennuis.
Après tout, la dernière fois qu'il avait entendu Dazai l'appeler "Ministre !" avec tant d'enthousiasme, il avait volé les bijoux de la couronne et voulait lui demander de les cacher contre quelques douceurs.
Mais cette fois-ci, le prince héritier n'avait pas de colliers rutilants de joyaux en main, mais un couvre-chef un peu démodé du style de ceux portés sous l'ancien roi. Ses yeux brillaient dans la quasi pénombre, et quand il s'approcha assez pour que Ranpo puisse distinguer le sourire sur son visage, il sut qu'il s'agissait d'une lueur de joie.
- Ministre, il faut que vous m'aidiez à parler aux Rois ! J'ai trouvé mon- commença, d'un ton beaucoup trop enthousiaste le brun, avant de se faire couper par la main de son interlocuteur.
Ranpo tourna la tête juste assez rapidement pour apercevoir une silhouette vêtue de blanc et de parme, cravate noire au cou et cheveux mauves coupés au-dessus des épaules, s'éclipser dans la salle de bal après avoir sûrement entendu leur conversation.
Au vu du regard de Dazai quand il cessa de lui presser la paume contre les lèvres, le prince l'avait également aperçu. Le chef des services d'espionnages fronça les sourcils, car aucun de ses informateurs n'avait pu lui révéler la présence d'un espion. Peut-être était-ce là juste une personne qui avait voulu prendre l'air et, ayant reconnu le Dauphin, avait essayé d'écouter ce qui se disait ? C'était fort probable.
Mais on ne pouvait laisser le doute planer. Alors qu'ils passaient par les couloirs des cuisines pour se rendre dans la bibliothèque où ils allaient sûrement trouver les souverains, Ranpo ordonna discrètement, d'un regard appuyé suivi d'un geste du poignet, à un de ses subordonnés de venir le rencontrer le soir même. Ils allaient avoir à retrouver cette personne...
Mais pas qu'elle, si on en jugeait par le nom inscrit dans le chapeau tenu par Dazai.
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Le cheval secoua la tête de haut en bas, protestant fortement contre le mors qui lui tirait les lèvres, et Ranpo laissa libre un peu plus de rênes. Il rajusta son chapeau sur ses cheveux sombres : le soleil tapait fort ce matin-là, et plus encore lorsqu'on se trouvait sur le chemin du village sans l'abri des arbres. Ils n'étaient que peu, trois gardes, Dazai et lui, mais leur atypique groupe attirait tous les regards. Au plus grand plaisir du brun, qui aimait se faire remarquer, et jouait son rôle de prince à la perfection. Entre deux signes de main à la foule, le Dauphin se tourna vers son ministre, qui regardait les rues pavées maculées de saleté et les devantures des boutiques d'un oeil absent.
- Rappelez-moi, pourquoi m'accompagnez-vous déjà ? chuchota t-il en faisant ralentir son cheval d'une pression des genoux.
Ranpo se détacha de la contemplation de la capitale du royaume dans laquelle il descendait si souvent mais qui pourtant le fascinait un peu plus à chaque visite, pour se tourner vers l'héritier de la couronne, ses yeux verts pour une fois clairement visible alors qu'il souriait, amusé peut-être.
- Mais car je suis le plus à même de retrouver votre mystérieux rouquin, monseigneur, et officieusement parce qu'une piste qui pourrait vous mener à lui implique quelqu'un qui m'intéresse, répondit-il simplement, puisqu'il n'y avait aucune logique à cacher quelque chose à Dazai, qui finirait toujours par obtenir la vérité.
Il n'avait après tout pas même pu lui camoufler sa nature de chef des services d'espionnage bien longtemps. Le prince avait sûrement appris à dissimuler son esprit brillant sous des manières exquises et des sourires aimables ou menaçants grâce à son père, il n'empêchait qu'il était passé maître dans l'art de la dissimulation. Bien meilleur que Mori ne l'était. On ne pouvait par conséquent rien lui cacher, pas même ce qui aurait dû en théorie rester loin des oreilles de quiconque hormis les souverains.
Dazai se détourna un instant pour offrir un sourire aux passants, et un signe de main à un enfant qui le regardait, émerveillé sûrement par la hauteur de sa monture, la richesse des harnais et la splendeur de ses vêtements. Il accepta un bouquet de fleurs qu'on lui tendait, et se tourna de nouveau vers Ranpo, qui souriait toujours paisiblement en saluant d'un mouvement de chapeau ceux plus érudits qui reconnaissaient en lui le Ministre de la Justice.
- C'est l'espion du Bal, n'est-ce pas ? Il a des informations sur Chuuya ? ne tarda pas à interroger, sur le ton de la conversation, mais indubitablement inquiet, le brun, en essayant de donner en façade une image de causerie plaisante entre deux gentilhommes.
Son interlocuteur, sans se départir de son expression avenante, se contenta de hocher la tête. Il ne semblait pas plus préoccupé que cela, pour la bonne raison qu'il ne l'était pas le moins du monde. Il avait toutes les informations nécessaires sur leur suspect... Ou plutôt leur suspecte, et aucune raison de croire que la femme en question était une espionne envoyée par une quelconque grande famille ou un des royaumes voisins.
- Ne vous tracassez pas, notre espion n'en est pas un, avoua t-il en posant ses yeux émeraude sur Dazai, pressant sa monture de suivre le rythme plus nerveux du cheval du prince d'un mouvement de bassin. Vous allez avoir tout le loisir de vous en rendre compte vous même, cela dit : nous sommes arrivés.
Le cortège s'était stoppé devant une boutique de taille raisonnable, à la devanture tout en chêne. D'un oeil connaisseur, le prince regardait les mélanges, les médicaments et les drogues exposés en vitrine. Ranpo lui désigna la porte d'un geste du menton, avant de fouiller dans ses sacoches de selle pour en ressortir un bout de massepain, qu'il prit le temps de déguster. Il allait avoir besoin de sucre pour gérer Dazai et la patronne de la boutique en même temps, sans que l'entretien ne ressemble à un interrogatoire.
- Attendez-nous là, il y en a pour un bout de temps, lança t-il à Mark en lui confiant les rênes, avant de disparaître dans l'échoppe, faisant tinter un carillon.
Le Capitaine du régiment d'artillerie soupira en ôtant son chapeau à plumes pour passer une main dans ses cheveux cuivrés. Il était bien parti pour rôtir sous ce soleil de plomb !
Mais on ne discutait pas les ordres d'un Ministre royal, aussi le jeune homme s'assit-il sur des marches, gardant un oeil vigilant sur la boutique et ses alentours. Cette femme aux courts cheveux parmes qui se précipitait pour entrer dans le bâtiment après avoir vu leurs chevaux, une broche en forme de papillon agrafée au corsage et un panier d'herbes sous le bras, lui semblait étrangement familière...
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Yosano se plia en une courbette parfaitement exécutée malgré l'essoufflement dans lequel la course jusqu'à son comptoir venait de la mettre. Elle avait appris depuis longtemps à montrer de la déférence aux puissants, certains prenaient facilement la mouche, et elle ne voulait certainement pas se mettre à dos son futur souverain. Nouant son tablier blanc autour de sa jupe, d'un geste mécanique, elle croisa un instant le regard insistant que le jeune homme qui accompagnait le prince posait sur elle, avant qu'il n'incline la tête en guise de salutation et se mette à observer les bocaux remplis de plantes, de maquillage et de remèdes comme si de rien n'était. Troublée par l'échange silencieux, mais assez maîtresse d'elle même pour ne pas le montrer, la jeune femme recala nerveusement une de ses mèches mauves derrière son oreille, et se tourna vers son prestigieux invité. Ou client ?
- Que me vaut l'honneur de la présence de Sa Majesté ici ? Je suis Yosano, l'apothicaire, interrogea t-elle avec le moins d'impatience possible dans la voix, essayant d'oublier qu'elle avait sa voisine à soigner.
Elle avait décidé de se présenter au dernier moment, car beaucoup ne la prenaient que pour l'assistante, la vendeuse ou même la domestique. Cette boutique lui appartenait pourtant, et elle exerçait la profession aussi bien que n'importe lequel de ses collègues masculins, n'en déplaise au peuple alentour qui n'aimait pas trop le changement.
Les yeux du prince scintillèrent presque alors qu'un rayon de soleil passait au travers des carreaux, ou peut-être était-ce sa question qui l'amusait. Il semblait en tout cas très détendu, un sourire désinvolte étirant ses lèvres, ce qui commençait légèrement à agacer la jeune femme. Elle n'avait pas une réserve infinie de patience, encore moins de temps, et ce n'était pas parce que ce prince à peine adulte pouvait perdre sa journée à flâner de boutique en boutique qu'elle avait la capacité de le recevoir.
- Monseigneur ? insista t-elle le plus délicatement possible, penchant la tête sur le côté, se sentant de plus en plus mal à l'aise devant ces yeux couleur miel qui la dévisageaient et semblaient plonger jusqu'au travers de son âme.
L'acolyte du prince se mit alors en mouvement. Quittant l'observation minutieuse des bocaux à laquelle il se livrait jusqu'alors, il s'avança près du comptoir et fit reculer le Dauphin d'un geste du poignet. Il ôta son couvre-chef, un simple chapeau marron, comme en portaient les érudits de la capitale, et Yosano resta presque figée de la familiarité et de l'aisance avec laquelle il s'était imposé à leur futur monarque. Paralysée, et un peu inquiète, derrière son comptoir, elle observa l'inconnu s'incliner brièvement, et reçu comme une claque la pression de ces yeux qui plongèrent dans les siens sans retenue, sans gêne aucune.
- Madame, pardonnez notre soudaine intrusion. Notre Prince a, comme vous le savez puisque vous y étiez, organisé un Bal afin de trouver sa moitié la nuit dernière, parla le jeune homme sans détourner le regard bien qu'il ne puisse manquer le fait qu'elle se sente extrêmement mal à l'aise.
Yosano hocha la tête pour montrer qu'elle comprenait, commençant à se sentir un peu effrayée, espérant de tout son coeur que le choix du Dauphin ne s'était pas porté sur elle. Une partie de son esprit réussissait tout de même à s'exaspérer de cette manie qu'avaient bien souvent les grands du royaume à tourner autour du pot. Elle sentait ses mains trembler d'appréhension.
- Se sent-il mal et a t-il besoin d'un remède contre les effets néfastes de l'abus de vin ? questionna t-elle en tapotant du bout de ses ongles le bois du comptoir.
Le sourire de son interlocuteur devint plus franc, lui creusant des fossettes enfantines sur les joues qu'elle ne put s'empêcher de trouver charmantes. Les yeux qui la dévisageaient perdirent de leur froideur, le rire les rendant plus humains et moins menaçants, l'aidant à se tranquilliser un peu. L'amusement passé, le jeune homme repris la parole, secouant la tête.
- Non, je connais cependant certains qui pourraient en user, répliqua t-il avec un bref regard vers l'extérieur, avant de poser la paume contre le comptoir, soudainement beaucoup plus sérieux. Il a apparemment trouvé l'élu, qui porte le nom de Chuuya Nakahara. Mes sources indiquent que ce monsieur est un de vos clients ? chercha t-il à faire confirmer, alors que le prince s'était apparemment désintéressé de la conversation et observait les rayons.
Les yeux de la jeune femme s'agrandirent sous l'effet de la surprise, et sa main se porta à sa gorge alors qu'un sourire mi-incrédule, mi-amusé se formait sur ses lèvres. Elle n'aurait jamais pensé que le si sérieux Chuuya se soit rendu au Bal ! Il avait toujours affirmé avoir en horreur ce type de réjouissances. Elle confirma, peinant toujours à croire ce qui venait de lui être annoncé :
- Oui, tout à fait ! Il vient souvent acheter mes produits de nettoyage, et du maquillage pour sa demi-soeur mademoiselle Lucy-Maud, qui a horreur du soleil et n'aime pas se déplacer. Mais je crains qu'il ne repasse pas ici avant une bonne semaine, au moins, si vous espériez l'y croiser, ajouta t-elle, hésitante, ce qui devait être une affirmation sonnant comme une question.
- Vous l'avez déjà livré à domicile, n'est-ce pas ? lâcha le compagnon du prince après l'avoir écoutée, et ce qui devait être une question sonnait tellement comme une affirmation que Yosano craignit de lui demander comment il avait eu cette information.
- Je n'ai pas de cheval, messeigneurs, si vous souhaitiez me prendre comme guide, soupira la jeune femme, résignée à servir de pion pour les nobles, détachant déjà son tablier.
Le jeune homme aux yeux verts si saisissants, qu'il avait presque refermés et utilisait désormais pour la jauger derrière ses cils, s'apprêtait à renchérir quelque chose, les fossettes réapparaissant au creux de ses joues, mais le prince le coupa.
- Ce n'est pas un problème, Ranpo est bon cavalier, vous monterez avec lui, décréta t-il, et Yosano en déduisit à l'expression surprise et un peu agaçée de l'homme en face d'elle qu'il devait être le fameux Ranpo.
Le Dauphin rayonnait presque de joie, et il sortit sans même se préoccuper de voir sa suggestion refusée. Privilège de personne de sang royal, les propositions devenaient des ordres, et les ordres ne pouvaient êtres ignorés.
L'apothicaire noua un châle sur sa gorge pour éviter que l'air frais d'une chevauchée ne lui apporte un rhume, et ferma la porte de sa boutique à clé derrière elle pour trouver toute la compagnie d'hommes déjà montés. Ou presque tous.
L'acolyte du prince s'avançait vers elle, rênes en mains et cheval docilement sur les talons. La grimace que fit Yosano ne parut que l'amuser, et il interrogea en lui tendant la main :
- Savez-vous monter, madame ? Je vous jure que vous n'avez pas à craindre de tomber, essaya t-il de la rassurer, pensant sûrement que la taille du palefroi l'effrayait.
La jeune femme ricana en attrapant sa main gantée, prenant appui sur l'encolure du cheval et l'étrier, se propulsant avec facilité sur le dos de la monture. Elle arrangea ses jupes d'une main, en équilibre sur le pommeau de la selle, utilisant l'autre pour se stabiliser. Monter en amazone sur une selle d'homme était un défi, mais elle se sentait prête à le relever rien que pour clouer le bec du fameux Ranpo.
- Ce n'est pas tant la chute que je crains monsieur, que le cavalier dans mon dos, répliqua t-elle, le menton haut, alors qu'il passait les bras de chaque côté de sa taille pour se saisir des rênes.
Le rire qui le traversa à l'entente de ces paroles fut franc et clair. Tandis qu'il ordonnait à sa monture, d'un claquement de langue, de se mettre au pas, les fers résonnant sur les pavés, il dut attendre quelques secondes pour que son hilarité passe.
- Voyons madame, vous avez affaire à un gentilhomme. Je vous promet que vous n'avez pas à vous méfier de moi plus que de mon cheval, essaya t-il de la convaincre, et elle tourna la tête pour cacher son sourire naissant.
Alors que la monture passait au galop tandis qu'ils quittaient la ville dans le sillage du prince et que le chemin devenait herbe, Yosano renchérit, haussant le ton :
- Je vais affecter de vous croire, monseigneur, quand vos mains ne seront plus sur mes hanches, affecta t-elle de s'offusquer, mais peinant à s'empêcher de rire.
Une exclamation outrée lui répondit, et quand elle tourna la tête, les yeux verts et les fossettes l'accueillirent.
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La demeure était sans conteste propriété de nobles, mais on voyait qu'ils n'étaient pas aussi riches que leurs ancêtres avaient dû l'être.
A la vue de la porte d'entrée, massive à deux battants et sculptée dans du bois précieux, Dazai commença à ne plus tenir en selle, et s'il écoutait les explications de l'apothicaire qui lui décrivait le mécanisme apparemment un peu particulier de la sonnette, Ranpo n'aurait pas été surpris de le voir sauter à bas de son cheval. D'un mouvement de bassin, il fit avancer sa monture au niveau de celle du Dauphin pour que le brun puisse mieux entendre Yosano, car la pauvre s'usait les cordes vocales depuis une bonne trentaine de secondes. Déstabilisée par le mouvement soudain, cette dernière laissa échapper un bref cri étonné, avant de basculer en arrière, emportée par le rythme du palefroi.
Heureusement, les mains de Ranpo lâchèrent les rênes pour la stabiliser. Il fallait dire que sans selle adaptée, l'apothicaire n'avait pas eu le voyage facile, et que lui éviter de s'écraser contre lui était bien le minimum qu'il pouvait faire pour la remercier de leur avoir ainsi servi de guide. Même si elle n'aurait de toute manière pas pu refuser, car la chose avait été demandée par un membre de la famille royale.
- Et bien, s'amusa t-il en riant doucement, n'allez-vous pas me demander d'ôter mes mains ?
Il n'avait pu s'empêcher de la taquiner légèrement, et la manière dont son port de tête devenait soudain altier et ses lèvres figées en une moue contrariée lorsqu'elle était ainsi provoquée la rendaient absolument hilarante de l'avis de Ranpo. Prenant bien soin de se remettre proprement en selle avant de le réprimander, elle laissa tout de même échapper une protestation mi-amusée mi-contrariée. Une tape sur le bras lui signala qu'il était en effet temps de lâcher son corset, et il rattrapa les rênes comme si de rien n'était en réprimant un rire.
Voila longtemps qu'il ne s'était pas autant amusé, la vie au palais et son statut de chef des services d'espionnages n'avaient rien de très réjouissant. Il ne savait pas si c'était son manque de contact humain autre que ses subordonnés et la famille royale ces derniers mois, mais cette totale inconnue lui paraissait vraiment sympathique. Il allait pourtant devoir l'interroger, car elle restait suspecte d'avoir épié une conversation afin de transmettre de possibles informations qui n'avaient pas à être divulguées : si elle les avait en effet écoutés la nuit précédente, qui savait qu'elles autre conversations elle aurait pu surprendre ?
Il n'était d'ores et déjà pas très convaincu par l'hypothèse de l'espionnage, mais vraiment, cette heure passée à cheval à discuter avait achevé de lui ôter tous soupçons. Ranpo savait pouvoir faire confiance à son instinct : il ne se trompait jamais. Cependant, par devoir, il allait tout de même s'atteler à lui demander ce qu'elle faisait là la nuit passée, et vraiment, il n'avait jamais trouvé corvée aussi pesante.
Cependant, la sécurité de la couronne dépendait de son métier, et il le ferait consciencieusement quand bien même cela le compromettait irrémédiablement aux yeux d'une personne dont il aurait pu se faire une amie.
- Donc ils n'ont pas de serviteurs ? chercha à savoir le prince, qui brûlait visiblement de sauter à terre pour savoir si le mystérieux rouquin de la veille était bien quelque part entre les murs de la bâtisse face à eux.
- Non, c'est toujours Nakahara qui s'occupe des tâches domestiques. Pas par plaisir cependant, mais sans lui la maison tomberait en ruines, vous comprenez, expliqua l'apothicaire, avec un sourire un peu triste.
Elle appréciait visiblement peu l'existence à laquelle le jeune noble était réduit, Ranpo pouvait le sentir rien qu'en la voyant se tendre à la mention des conditions de vie du jeune homme. Le ministre leva un main gantée tandis que son futur roi et la femme avec qui il partageait sa monture continuaient leur discussion.
Le cheval de Mark ne tarda pas à se ranger à côté du sien, et Ranpo lui désigna la porte du menton, rajustant la visière de son couvre-chef pour que sa vision ne soit pas altérée par le soleil.
- Va annoncer Dazai avant qu'il ne décide de s'annoncer lui-même, ou que quelqu'un ne regarde par la fenêtre et se mette en tête de nous attaquer avant de nous reconnaître, ordonna t-il sur un soupir, alors que le Capitaine aux cheveux auburn lui souriait, compatissant.
- Je m'en occupe, m'sire, pas de soucis, accepta le militaire en lançant sa monture dans un trot énergique sur l'allée.
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- Bonjour, qu'est-ce qui v- commença un rouquin aux cheveux en bataille en ouvrant la porte, avant de se figer, reluquant de haut en bas son interlocuteur, puis de fermer violemment les massifs battants de chêne, signe d'une grande force physique.
Dazai resta donc sur le perron, refusé dans une demeure pour la première fois de sa vie, et il ne trouva rien de mieux à faire que d'éclater de rire, renversant la tête en arrière, pensant visiblement hilarant ce qui était pourtant décrit quelque part comme trahison envers la couronne.
Yosano Akiko retint un éclat, et chercha au contraire pour sa survie à se faire la plus petite possible, tandis que Ranpo regardait la porte avec un grand sourire, et que le garde qui répondait au nom de Mark peinait encore à se remettre de sa surprise.
- Monseigneur, étiez vous vraiment obligé de choisir la seule personne dans tout ce Bal qui ne voulait pas de vous ? ricana le jeune homme aux yeux verts, visiblement partagé entre consternation et hilarité.
Le Dauphin se tourna vers lui, balaya sa remarque d'un geste de la main, avant de se saisir de nouveau du heurtoir pour en frapper quatre coups. Ils attendirent de longues secondes, avant que les portes ne se rouvrent de nouveau, sur une mine renfrognée.
Chuuya Nakahara était un homme de plutôt petite stature, ce qui ne l'empêchait pas d'avoir de la prestance; même ainsi avec sa crinière rousse en bataille attachée très approximativement dans ce qui avait dû être un chignon mais laissait à présent la moitié des mèches libres, un tablier usé, sale, noué autour de la taille, et ses yeux bleus brillant d'une lueur exaspérée alors que ses sourcils finement taillés, seul indice du soin qu'il devait malgré tout aimer prendre de son apparence, se fronçaient dans une expression très peu avenante.
- Dazai, grogna t-il, sans même utiliser de formalités, ce qui parut grandement choquer l'apothicaire qui plaqua une main sur son coeur mais ne commenta cependant pas. Pitié, dis-moi que tu viens me débarrasser de Francis, je ne supporterai pas d'être laissé seul avec lui, lança t-il en croisant les bras, le menton levé, décidant de tutoyer l'homme en face de lui comme il l'avait fait la nuit précédente.
Yosano se passa une main sur le front, visiblement inquiète de la familiarité avec laquelle le jeune homme s'adressait à leur futur souverain. Ranpo laissa échapper un gloussement, et lui pointa du doigt, discrètement, la réaction du-dit futur souverain qui semblait au contraire ravi de l'irrespect total dont faisait preuve son interlocuteur.
- Je suis certain que ton frère est absolument charmant, Chuuya, mais j'étais plutôt passé te rappeler que tu me dois une danse, répliqua le brun sans broncher, sourire charmeur à l'appui, tendant au noble devant lui un chapeau sombre orné d'une chaînette.
Plus par réflexe qu'autre chose, le rouquin attrapa ce qu'on lui tendait, et le serra dans son poing. Il tenait beaucoup à cet objet, qui avait appartenu à son père. Ses joues avaient rougi, bien malgré lui, sa peau pâle le trahissant alors qu'il tentait d'afficher une façade digne. Pour se donner une contenance, et sûrement calmer son trouble qui apparaissait toutefois très clairement aux yeux de Ranpo, Chuuya posa son chapeau retrouvé sur ses boucles rousses, et planta ses yeux céruléens dans ceux du prince qui attendait plus ou moins patiemment une réponse.
- Je ne te dois rien, puisque je ne t'ai jamais rien promis, rectifia t-il, un poing sur la hanche, avant de perdre son expression agacée au profit d'un sourire hésitant. Mais je veux bien t'offrir une valse, en remerciement pour m'avoir retourné mon couvre-chef, déclara t-il ensuite avec une lueur joueuse au fond des iris.
Le jeune homme aux cheveux bruns lui tendit une main, qu'il attrapa sans hésiter, et alors que le Dauphin posait ses lèvres au creux de sa paume, il répliqua, d'une manière tout à fait Dazai-esque, deux yeux couleur miel pétillants de malice perçant les barrières de son interlocuteur :
- Sois dans ce cas assuré que je te ferais tenir parole. L'entièreté du royaume aura ses yeux fixés sur toi, ne prend pas peur, ajouta t-il en se reculant de deux pas, prenant grand plaisir à provoquer le jeune noble.
- Libère-moi de cette maison, et admire, répliqua Chuuya, tête haute, avec un sourire confiant à la limite de la prétention, exécutant une révérence sans nul doute moqueuse, mais parfaite en tous points.
Alors que Dazai se pâmait devant son nouvellement fiancé et que Mark tentait vainement de ne pas rire, Yosano se cachait les yeux, peinant à croire la négligence avec laquelle le rouquin avait osé se comporter. Ranpo lui tapota l'épaule, se voulant réconfortant, et retint une moquerie en se mordant la langue.
A la place, il annonça au Dauphin qu'il s'occupait de ramener l'apothicaire chez elle, et qu'il pouvait donc de son côté entrer faire connaissance avec la famille Nakahara-Dostoevsky puis aider le jeune noble à faire ses bagages, étant donné qu'il semblait plus que pressé de quitter l'endroit. La suggestion fut accueillie avec joie par tous les partis impliqués, et ils se dirigèrent donc vers les chevaux.
Le ministre soupira intérieurement. Commençait la partie la plus pénible de sa mission, celle pour laquelle il avait mis les pieds en ville, et en observant le visage rayonnant de Yosano qui se réjouissait pour Chuuya, il commençait très sérieusement à appréhender la confrontation.
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- Vous n'êtes pas noble ? s'étonna Yosano en sautant à bas du palefroi, s'aidant de la main galante qu'il lui tendait.
Ramassant ses jupes d'une main, elle se chargea ensuite elle même d'attacher les rênes du cheval à l'extérieur de sa boutique, tandis que Ranpo lui expliquait qu'il était d'origine roturière mais que le Roi consort, Fukuzawa, l'avait recueilli très jeune et élevé à la Cour. Sans trop lui laisser le choix, la jeune femme ouvrit la porte de son échoppe et lui ordonna plus qu'elle ne lui demanda, d'entrer, afin qu'elle puisse faire montre d'hospitalité en remerciement pour l'avoir tolérée et rattrapée pendant cette heure de chevauchée retour. Le jeune homme ôta son couvre-chef et se passa une main dans les cheveux qu'il avait noirs, acceptant en regrettant la partie de son esprit qui se réjouissait de pouvoir faire part de ses soupçons dans un lieu plus privé que la rue.
Yosano le guida dans un très petit salon, situé dans l'arrière-boutique, qui était à peine meublé d'une table, une cheminée, et trois fauteuils qui dataient au moins de l'époque de leur ancienne Reine. Tandis qu'il prenait place dans l'un d'eux à l'insistance de la jeune femme, qui sortait à présent d'un placard de la bière légère et des gâteaux secs, il demanda, feignant le ton de la conversation :
- Dites-moi, madame, je vous ai aperçue au Bal la nuit dernière, votre tenue était pour le moins originale, lança t-il avec un sourire, attrapant une des friandises.
L'apothicaire se figea sous l'étonnement de recevoir un tel commentaire, et recala une des ses mèches mauves dans sa coiffure pour tenter de maîtriser son embarras. Une légère rougeur avait pris naissance sur ses joues, mais pas assez pour qu'elle perdre son aplomb, puisqu'après une gorgée de boisson elle lui répondit, mains sagement croisées sur les genoux :
- Si quelqu'un d'aussi haut placé que vous s'en souvient, je suppose en effet que ma manière de me vêtir doit sembler particulière, consentit-elle à reconnaître, un peu vexée, et Ranpo sourit.
Ce n'était pas là la réaction d'un espion pris sur le fait, et bien qu'il le sache déjà, il allait pouvoir l'annoncer aux souverains l'esprit tranquille car l'ayant constaté de ses propres yeux. Observant ceux de la jeune femme qui se posaient sur lui, endurcis, avec un semblant de dédain, il grimaça intérieurement en comprenant que s'il voulait désormais éviter de s'en faire une ennemie ou de sembler effronté, il allait devoir rattraper la formulation maladroite qui insinuait que la fameuse tenue était laide. Souriant le plus légèrement possible, parce qu'il trouvait tout de même amusant qu'elle ait été mortifiée du comportement de Chuuya un peu plus tôt envers leur prince, mais qu'elle ne trouve aucun problème à lui servir ce genre d'expressions presque menaçantes alors qu'il était ministre et conseiller au palais, il se creusa la tête pour trouver une réponse adéquate.
- Je ne voulais pas paraître grossier, précisa t-il donc, tentant de se racheter. C'est juste qu'il est rare d'observer de tels habits à la Cour, tout naturellement il était difficile de ne pas vous voir. Les cravates sont d'ordinaires plutôt réservées aux hommes, et le noir est une couleur de deuil, expliqua Ranpo alors que le visage de Yosano s'adoucissait.
Elle hocha la tête, comprenant mieux, mais ses sourcils étaient toujours légèrement froncés alors qu'elle continuait de le fixer, ne semblant plus, après plusieurs heures en sa compagnie, dérangée par sa manière de regarder le monde environnant par-dessous ses cils, les yeux tellement plissés qu'on en distinguait plus l'iris. Reposant sa chope, elle finit par lâcher, interrogeant presque doucement :
- Je comprend mieux. Pardonnez mon indiscrétion, mais puis-je vous demander ce que vous faisiez exactement aujourd'hui, accompagnant Sa Majesté ? Il est évident qu'il n'a pas un besoin indispensable de votre présence, puisqu'il a consentit à ce que vous me raccompagniez tout à l'heure. Je vous en remercie, évidemment, finit elle sur un sourire, ses mains pianotant sur l'accoudoir de son fauteuil.
Ranpo reposa sa choppe, un sourcil levé, et intérieurement étonné, bien que la seule chose qui puisse le trahir extérieurement soient ses yeux émeraudes grand ouverts qui dévisageaient l'apothicaire avec intérêt. Elle l'intriguait de plus en plus : seulement une demie journée auprès de lui, et elle commençait déjà à déceler des failles dans sa couverture de ministre !
- Pourquoi cette question, si soudainement ? chercha t-il à savoir, plus amusé qu'inquiet quant au soupçon qui transparaissait dans les iris parmes de la jeune femme.
Elle se leva, peut-être pour se donner plus de prestance, et croisa les bras, tentant d'expliquer le plus calmement possible, et de ne pas oublier à qui elle s'adressait, car si elle avait en effet des doutes sur son rôle auprès de la couronne, il ne s'avérait pas moins qu'il était très familier avec le Dauphin.
- Bien que vous me soyez fort sympathique monsieur, j'ai du mal à comprendre votre présence ici. Ce n'est évidemment pas ma place de demander, mais je ne suis pas quelqu'un qui masque ses pensées, ajouta t-elle ensuite après un court silence, riant presque nerveusement.
Ranpo se leva à son tour, sans se départir cependant de son sourire presque enfantin, comme diverti par quelque chose de nouveau. Il enfila son manteau brun, des plus communs et sans aucune décoration, remarqua Yosano, ce qui ne fit que renforcer son impression étrange qu'il manquait une pièce au puzzle que formait cet homme. Il s'inclina brièvement, pour annoncer son départ, et elle se demanda s'il allait juste s'enfuir sans lui répondre. Ce ne serait pas le premier homme, ou le premier usurpateur, à éviter la confrontation, mais elle n'avait pas en le regardant le sentiment de poser les yeux sur un couard, loin de là.
Alors qu'ils se tenaient sur le pas de la porte, il tendit la main dans laquelle elle déposa sa paume assez naturellement, avec très peu d'hésitation, tout en se demandant à quoi ce comportement rimait. Le jeune homme se pencha pour un baisemain, et prit enfin la parole.
- Il y a certaines choses, madame, que je ne peux révéler. Mais sachez que ma présence aujourd'hui avait pour but de vous rencontrer, car je devais m'assurer que vous n'étiez pas un danger pour la couronne, et que je suis le seul en qui assez de confiance est placée pour effectuer une telle vérification sans trop de vagues, avoua t-il, plantant ses iris si clairs dans les siens, la faisant tressaillir.
Son regard était presque inhumainement intense, et elle se sentait totalement mise à nue, tout en sachant qu'au fond ce n'étaient que des yeux. Cela lui prit un moment pour se calmer et remettre toutes ses idées en place. Certaine qu'il avait prévu cette réaction de sa part, elle ne réussit pas à empêcher un sourire un peu admiratif de venir étirer ses lèvres, mais cela ne l'empêcha pas de se rendre aux côtés de sa monture alors qu'il avait déjà les rênes en main.
- Attendez ! Puis-je savoir votre nom ? interrogea t-elle, son instinct lui hurlant que son pressentiment était bon, mais son cerveau refusant de le croire.
Il savait parfaitement ce à quoi elle pensait, et il savait aussi les conséquences qu'une réponse honnête de sa part aurait sur elle. Mais cela ne l'empêcha pas de répondre, avec un clin d'oeil, et ce sourire qui lui creusait des fossettes :
- Ranpo, lui apprit-il, sans lui laisser le temps de poser plus de questions, lançant son cheval au grand trot en direction du palais, où on attendait son rapport.
Yosano dut s'appuyer sur le chambranle de sa porte pour ne pas trébucher, tant elle peinait à croire ce qui venait d'arriver.
Une fois rentrée à l'intérieur, elle posa le front contre le carreau froid de sa vitrine, et ferma les yeux pour tenter de mettre un peu d'ordre dans ses idées. Cependant, rien à faire. Dans son esprit ne tournaient que trois choses.
Cette conversation qu'elle avait surprise sans le vouloir vraiment en cherchant un peu d'air frais le soir du Bal.
Deux yeux émeraude qui la fixaient comme si elle était l'unique chose au monde méritant d'être regardée.
Et ce nom. Ranpo Edogawa.
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Ranpo s'effondra dans son fauteuil, la tête renversée sur le dossier, et laissa échapper un long soupir. Les préparatifs de mariages du Dauphin le rendaient fou. Il y avait du monde partout au palais depuis trois mois, et à peine quelques heures de calme dans une journée. Il se sentait las, et sa tête menaçait d'exploser. Sa main tâtonna près de lui pour finir par trouver un bocal de confiseries. Il se saisit de l'une d'entre elles, à l'aveugle, et laissa le sucre calmer ses nerfs, appréciant enfin le silence qui l'entourait au terme d'heures d'agitation.
- Je ne me répéterais jamais assez, mais tant de sucre est mauvais pour ta santé, Ranpo, s'amusa une voix provenant du fond de la pièce, se voulant moralisatrice mais ne réussissant qu'à trahir le rire réprimé qui menaçait de s'échapper.
Le jeune homme ne sursauta même pas, se contentant d'ouvrir un oeil et de pencher le tête plus en arrière pour apercevoir une silhouette qui se découpait en contre jour, dos au soleil d'hiver qui se couchait bien qu'il soit encore tôt. Son expression douce, quoique tentant de paraître sévère, alors qu'elle croisait les bras tira un sourire à Ranpo.
- Yosano, salua t-il sans daigner bouger de sa position pourtant peu élégante. Ce sont donc mes habitudes alimentaires qui t'amènent dans mes appartements ? interrogea t-il avec un sourire en coin.
Elle roula des yeux, quittant le rebord de fenêtre sur lequel elle était assise, et s'approcha du fauteuil dans lequel il se trouvait. Il redressa paresseusement la tête pour la regarder à l'endroit cette fois, par dessous ses cils, et nota silencieusement qu'elle était toujours vêtue de son uniforme de travail.
Corset et jupe mauves, tablier blanc, ainsi que cet accessoire, cette cravate noire, qu'elle avait insisté pour porter, il en était sûr, juste pour se venger de l'offense qu'il lui avait faite plusieurs mois auparavant alors qu'ils se connaissaient à peine depuis une demie journée et qu'il la soupçonnait d'espionnage.
Le bon temps ! Il aurait mille fois préféré retourner dans ce boudoir avec elle, et toute la tension gênante entre eux de ce jour là, plutôt que de continuer à subir cette insupportable foule qui se massait jusqu'autour de ses quartiers. Les célébrations royales étaient vraiment une corvée.
- Plus mon envie d'échapper à toutes ces dames qui, ayant entendu mon passé d'apothicaire, viennent me demander des crèmes pour le visage alors que je suis le médecin du palais, qu'un quelconque soucis pour ta santé; mais maintenant que tu l'évoques, il faut bien quelqu'un pour te surveiller. J'ai entendu dire que beaucoup te croyaient malade, avec la manière dont tu évites les attroupement, le taquina t-elle en s'asseyant face à lui, faisant comme si elle se trouvait dans ses propres appartements, la main dansant un instant au dessus du bocal à friandises avant de se décider à en choisir une.
Ranpo laissa un ricanement amusé glisser d'entre ses lèvres, et se redressa un peu plus proprement pour la fixer alors qu'elle racontait ses malheurs quotidiens, et les habitudes peu ragoutantes de ces « étranges nobles ». Deux mois désormais qu'elle était en poste, leur précédent médecin ayant démissionné au moins un an auparavant, épuisé des "blagues" du prince qui ne faisaient rire que lui, lorsqu'il se plaisait à se feindre agonisant. Le pauvre homme en avait eu des cheveux blancs. La seule autre personne qualifiée pour exercer la profession, durant toute cette année, avait été le Roi lui-même. Mori n'avait évidemment pas voulu se charger de soigner la Cour, étant donné qu'il ne s'agissait pas là d'une manœuvre politique pour gagner la faveur de ses sujets. Aussi quand Yosano s'était-elle présentée, diplôme en main, et une bonne dizaine d'années d'expérience en poche, personne n'avait ne serait-ce que pensé à protester contre le fait qu'elle soit une femme, tout le palais trop soulagé d'enfin échapper aux sourires peu rassurants de leur souverain quand on lui parlait d'opérations à effectuer.
L'ancienne apothicaire s'était bien acclimatée à la vie de château, et avait effectué son nouveau travail sans rencontrer trop de problèmes. Durant toute cette période, Ranpo avait hésité entre l'approcher et la fuir, se disant que quatre personnes connaissant son double rôle au service de la couronne commençaient à faire beaucoup pour quelque chose censé être connu des monarques seuls. Mais il s'était avéré que la jeune femme ne lui laissait pas vraiment le choix de la décision. Dès sa prise de poste, elle était venue le confronter, révélant que si elle se trouvait au palais, c'était bien pour obtenir de lui des explications.
Une fois leur affaire plus ou moins expliquée, et de longues soirées devant la cheminée passées à relater en quoi exactement consistait le métier de chef des services d'espionnage, Yosano avait paru décider qu'il ne se trouvait pas être le noble justicier, le sage érudit ou le monstre que le peuple se plaisait à dépeindre en évoquant le nom de Ranpo Edogawa.
Et les voila donc qui se retrouvaient liés par une amitié que ni l'un ni l'autre n'avait seulement voulue ou prévue. Il n'était plus rare de voir l'apothicaire devenue médecin ainsi monopoliser sans prévenir les quartiers du jeune homme pour fuir une vague de patients-pas-vraiment-malades, ou lui de passer par ses appartements pour râler contre cette vie épuisante qu'il menait, l'absence déplorable de confiseries aux repas, ou tout simplement dormir, trouvant la luminosité du bureau de Yosano bien plus agréable que la solitude de sa chambre.
Cette soirée encore les trouverait assoupis dans leurs fauteuils, puis au petit matin alors que le soleil se levant réveillerait Yosano, elle s'assurerait de raviver les flammes de la cheminée, de poser une couverture sur les genoux de Ranpo, avant de s'éclipser pour laisser les domestiques le réveiller quelques heures plus tard tandis qu'elle était déjà au travail, faisant l'inventaire de plantes et traitant les malades de la nuit.
Une routine qui aurait pu être lassante, mais qui dans leurs vies agitées au coeur de la Cour avait quelque chose d'étrangement stable et rassurant.
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Par un quelconque miracle, le temps pourtant d'ordinaire si peu clément d'Avril avait aujourd'hui décidé de faire une exception, et d'entre les nuages gris perçaient plusieurs rayons de soleil. On pouvait être sûrs que cette éclaircie inattendue le jour d'un mariage princier allait faire parler le peuple pendant des semaines encore, jasant sur le bon présage que ça formait sur l'avenir du royaume, ou quelque idiotie à l'eau de rose en rapport avec l'amour faisant se plier les saisons elles-mêmes.
Yosano, qui pour une fois n'avait pas de patients à consulter, errait dans les couloirs du château en attendant la cérémonie pour voir si elle pouvait se rendre utile. Elle savait le Dauphin avec Fukuzawa et Oda Sakunosuke, son parrain, ambassadeur presque toujours en voyage. C'était un miracle qu'il ait pu rentrer pour l'occasion, mais comme il le disait lui-même, rien au monde ne pouvait l'empêcher de manquer un évènement aussi important. Quant à l'autre moitié du duo qui allait bientôt remonter l'allée de l'église, le médecin savait que Mori avait tenu à lui glisser quelques mots. La jeune femme craignait un peu que Chuuya ne ressorte de cette entrevue légèrement traumatisé, mais le rouquin avait les épaules solides. Il n'était peut-être pas né Prince, mais cela ne l'empêchait pas de s'y connaître en intrigues de Cour, surtout avec l'expérience des derniers mois. Le Roi ne pourrait pas l'effrayer facilement.
Et puis, il s'apprêtait à épouser Dazai. Si le brun n'avait pu le faire fuir, rien ne le pourrait.
Yosano soupira doucement, grimaçant au souvenir de tous les malheurs que lui avait fait subir le prince héritier, avant qu'elle ne finisse par lui coller son poing dans la figure sous l'effet de la fatigue et surtout de la capacité prodigieuse de leur futur souverain à lui courir sur les nerfs. Etrangement, depuis, il ne l'avait plus dérangée avec des futilités, et semblait même la considérer comme quelqu'un de confiance. Quel étrange homme, vraiment ! Même Ranpo avait été plus simple à cerner, et ce n'était pas peu dire.
D'ailleurs, en parlant du loup, elle l'apercevait arriver, le nez en l'air comme à son habitude, et semblant ne rien voir, mais elle savait que sous ses cils les iris verts ne manquaient pas un seul détail. Un sourire en coin étira les lèvres de la jeune femme, en voyant la manière dont il était vêtu. C'était tout de même un mariage royal, et il occupait un poste important à la Cour, mais non, Monsieur avait visiblement décidé que ce n'était pas une occasion suffisamment importante pour qu'il daigne quitter son ensemble brun habituel. Incorrigible !
Yosano lissa d'une main soucieuse les plis de sa jupe qui voletait autour de ses jambes dans de grands mouvements de balancier alors que son pas énergique, par la force de l'habitude, résonnait contre les dalles. Contrairement au jeune homme, elle avait pris soin de quitter son uniforme, le troquant contre une des anciennes robes qu'elle portait en tant qu'apothicaire. Le vêtement n'était pas bien riche, découpé sobrement dans du tissu parme de bonne qualité, mais sans trop fioritures. Pour seul bijou elle avait sa broche en forme de papillon, aux ailes fragiles de citrine.
Cela lui convenait. Elle n'avait après tout aucune envie, ni besoin, d'apparaître de manière flamboyante. Ce n'était pas son jour pour briller, et les seuls yeux qu'elle voulait voir se poser sur elle la fixaient déjà alors que leur propriétaire lui faisait un joyeux signe de main.
Après s'être salués et avoir échangé quelques banalités, ils décidèrent de prendre tranquillement le chemin de l'église dans laquelle l'union serait célébrée. S'ils voulaient prendre leurs places confortablement, sans devoir se frayer un chemin parmi la foule, rien de plus efficace que d'arriver légèrement en avance.
Nathaniel, le prêtre qui officiait au palais, ne leur refuserait certainement pas l'entrée.
Ils marchèrent sans se presser, bras liés, appréciant ce moment de calme avant la tempête, et le soleil filtré par les fenêtres à croisillons qui caressait leurs peaux, avant d'être enfermés entre quatre murs de pierre pour une cérémonie de deux bonnes heures au moins.
- Qu'est-ce que tu fais là, d'ailleurs ? Je te pensais auprès du Dauphin, réalisa soudainement Yosano alors qu'ils traversaient le parc, et que Ranpo s'égarait dans la contemplation du paysage comme s'il n'avait jamais vu d'arbres auparavant.
Il se tourna vers elle et s'amusa de la question, son visage se parant d'un sourire qui se voulait sûrement angélique, mais elle avait appris à déceler le pétillement de ses yeux verts derrière ses cils, et ne manqua pas l'espièglerie de son expression.
- J'ai été demandé ce matin dans les quartiers de Dazai, mais par une malheureuse série de coïncidences je me suis perdu dans le labyrinthe qu'est ce palais, avant de rencontrer notre cher médecin, qui cherchait son chemin vers l'église. Quel gentilhomme aurais-je donc été si je l'avais laissée ainsi ? expliqua t-il, une main sur le coeur, le pas sautillant, avec un regard des plus francs qui aurait pu, elle en était sûre, tromper Mori lui-même.
Un rire lui échappa bien malgré elle, alors pour faire bonne mesure et montrer qu'elle ne cautionnait pas son habitude de s'échapper de son poste, elle lui fit une pichenette sur l'avant-bras. Quasiment certaine qu'il n'avait rien senti à travers la couche de vêtements, elle roula des yeux en souriant quand il s'offusqua de ce qu'il considérait comme de la maltraitance.
Lorsqu'ils arrivèrent devant l'église, comme anticipé, elle était quasiment vide. Yosano, qui jusque là n'avait rien contre se promener ainsi bras-dessus bras-dessous, récupéra l'usage de sa main droite pour s'assurer qu'elle était présentable. Elle allait après tout être assise au deuxième rang, avec les amis proches de la famille royale, il s'agissait de ne pas avoir de boue ou d'herbe sur le jupon. Après s'être passé les doigts dans sa coiffure, avec l'espoir de dompter une mèche rebelle qui lui résistait pourtant depuis qu'elle avait des cheveux sur le crâne, elle se tourna vers Ranpo, écartant les bras :
- Alors, ça va ? Pas de tâche ? interrogea la jeune femme, espérant bien que la réponse serait négative.
Le ministre la fixait avec des sourcils froncés, main sous le menton et paupières pour une fois soulevées, paraissant plongé dans une intense réflexion. Ses iris la scannèrent de haut en bas, et après qu'elle eut tourné sur elle même deux fois, elle commença à s'inquiéter un peu. Pas qu'elle se préoccupait beaucoup de la manière dont elle apparaissait aux yeux des gens en général, bien qu'elle aime prendre soin d'elle-même, elle le faisait pour son plaisir seul et non celui des autres. Mais aujourd'hui était une occasion très particulière, puisqu'elle allait se trouver aux côtés de nobles et de ministres, qui avaient vécu une bonne partie de leur vie à la Cour et connaissaient les usages ainsi que les dernières modes -qu'ils avaient la plupart du temps les moyens de s'offrir, luxe qu'elle ne possédait pas même si elle l'avait voulu. Il s'agissait là de ne pas faire honte à la famille royale et de ne pas leur faire regretter de lui avoir accordé cet honneur.
Ranpo se posta de nouveau devant elle, campé sur ses jambes, bras croisés sur le torse, et il secoua solennellement la tête de gauche à droite. Yosano fronça les sourcils, inquiète.
- Non, aucune tâche, mais ça ne va pas, annonça t-il, et son ton était si confiant qu'elle se demanda si elle avait encore enfreint un de ces codes vestimentaires implicites de la Cour dont il lui avait parlé.
- Comment ça ? prit-elle le risque de demander, combattant son orgueil un peu blessé par le regard qu'il posait sur ses vêtements, se demandant ce qu'elle avait encore bien pu transgresser.
Il fallait dire que ces stupides règles édictées par on ne savait qui, connues de la haute-société seule et jamais écrites, étaient ridiculement nombreuses. Vraiment, beaucoup trop nombreuses, et pourtant selon Chuuya -qui par un quelconque miracle les connaissait, elle avait au moins déjà réussi à en briser plus de la moitié d'entre elles. Qu'était-ce donc, cette fois-ci ?
- Il manque quelque chose, expliqua le jeune homme, et sans ne serait-ce que lui donner le temps de respirer pour demander ce qu'il entendait par là -foutue habitude de Cour, toujours tourner autour du pot, il s'approcha d'elle.
Tirant quelque chose de sa poche, que Yosano ne réussit pas, sur le coup à distinguer, il lui ordonna de regarder droit devant elle, et elle s'exécuta, un peu confuse, fixant donc son nez alors qu'il s'affairait à lui nouer quelque chose autour du cou. Elle s'amusa de son odeur de caramel -les sucreries lui collaient à la peau, et des fossettes qui creusaient ses joues alors qu'il se reculait, contemplant son œuvre, une lueur satisfaite brillant dans ses yeux clairs.
Portant les mains à sa gorge, la jeune femme sentit une texture familière sous ses doigts, et un sourire incrédule s'épanouit sur ses lèvres alors qu'elle réalisait qu'il venait de lui passer une cravate noire autour du cou, en tous points semblable à celle qu'elle utilisait tous les jours. Si semblable, d'ailleurs, qu'elle avait soudain l'impression que c'était effectivement une partie de son uniforme de médecin... Et elle n'osait pas même se demander comment il l'avait obtenue. Redressant la tête, Yosano, le regard confus, interrogea, hésitant entre rire et pure incompréhension :
- Mais... Pourquoi ? Je croyais que ce n'était pas convenable ? Trop masculin ? demanda t-elle, et il balaya ses arguments d'un geste désinvolte du poignet.
- Peut-être, mais d'ordinaire rien de tout ça ne t'empêche de la porter. Aujourd'hui n'est pas différent, et je ne veux pas avoir l'impression d'être assis à côté d'une étrangère, offrit-il comme simple explication, un seul oeil ouvert, un sourire réjoui lui étirant les lèvres.
La jeune femme, cette fois, ne retint pas un rire, mais celui-ci n'était pas moqueur ou amer. Il était vrai, franc et clair, et il s'éleva entre les tours du bâtiment tout juste quand la cloche se mettait à sonner, annonçant que l'heure était venue de se rassembler.
Ranpo, sur une courbette, lui tandis une main gantée.
- Devons-nous y aller ? interrogea t-il, les paupières de nouveau abaissées, mais sans se départir de son sourire.
Elle l'accepta délicatement, et, ensemble, ils franchirent les portes de l'église.
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