Tubes
— On prend un tube pour aller chez tonton ?
— L'oncle, rectifie Paul.
Il peste en retournant un panier de linge posé sur son lit.
— C'est pareil non ? Je ne vois pas ce que ça change.
— Si... Tonton ça fait... je ne sais pas comment l'expliquer, ça me glace le sang.
Adèle hausse les épaules. Elle est habituée aux manies de son père.
— Alors le Transtube c'est bon ? insiste-t-elle.
Paul grimace ; les trajets par transtube ont tendance à le rendre nerveux. Tout ce monde compressé dans des capsules propulsées à haute vélocité le mettent mal à l'aise, mais puisque sa fille l'accompagne.
— Oui, laisse-moi le temps de me trouver une tenue correcte pour sortir. En disant cela, il fait voler un sweat à travers le salon qui vient s'écraser sur la table basse.
— Tu sais qui t'a envoyé ce colis ? C'est étrange quand même non ?
— Non, pas vraiment... Enfin je veux dire ça n'as pas vraiment de sens... Pour le moment du moins. Je compte justement sur lui... Ha ha ! Le voilà.
Lorsque Paul sort de la chambre, il est habillé d'un vieux jeans et d'une chemise à carreaux rouge et blanche. Ensemble sobre et classieux. Efficace. Passe partout.
— T'as vraiment de la chance que la mode soit au rétro, commente Adèle. Son sourire a creusé de jolies fossettes sur son minois juvénile.
— Tu ne crois pas si bien dire, et juste pour info, ces fringues sont récentes, je les ai commandés y'a deux mois... la preuve. Tada.. Démonstration.
En appuyant sur un petit bouton situé sur le col de sa chemise, il prononce :
— Bleu, Col allongé, ample.
La chemise change de couleur, et se rallonge, débordant d'un coup de son jeans.
Adèle applaudit. Les yeux grands ouverts et, toutes dents dehors.
— Wow, je suis impressionnée, s'exclame-t-elle
— Tu vois que ton père n'est pas totalement réfractaire au progrès. Allez, allons prendre ce tube.
Paul marche aux côtés de sa fille.
À cette heure le plateau Olympe irradie, noyé par l'afflux de lumières multicolores qui jaillissent des panneaux lumineux constellant la ville. Aucun recoin de la mégalopole n'est épargné par le gigantesque kaléidoscope qui bannit l'obscurité à renfort de barges publicitaires et Zeppelin holographiques.
C'est en partie à cause de cette surexposition lumineuse que Paul n'aime pas s'aventurer dehors.
Ici, il se sent vulnérable, mis à nu, comme si des milliers de projecteurs étaient braqués sur lui. il est une anomalie, une erreur déambulant dans le réseau veineux de la ville.
Sans s'en rendre compte, Paul saisi la main de sa fille et s'y aggripe. Adèle est son ancre dans cette tempête de lumières et de sons.
— Tu sais papa, faudrait que tu sortes plus souvent. Tu fais vraiment peur à voir là.
Paul sourit. Son égo est son point faible et elle n'a de cesse d'y planter son aiguillon sarcastique.
— Quoi ? Tu crois que je ne m'en vais jamais de l'appart ? Et comment je ferais pour obtenir mes contrats ou rencontrer mes clients à ton avis ? S'indigne Paul, toute mauvaise foi dehors.
— J'avoue que ça m'intrigue, si tu n'avais pas eu ton handicap tu te serais surement connecté dans un Espace de l'Alterné quelconque ou tu aurais fixé un rencard et voilà... J'en connais même qui partent en vacances comme ça. Tiens le père de Mathieu par exemple, il dit que ses meilleures vacances se sont déroulées dans un monde virtuel et que...
— Halte la jeune fille, coupe Paul, je suis bien placé pour savoir de quoi tu parles, puisque j'ai déjà conçu des Espaces de vacances virtuels, J'ai même obtenu le prix Molov du meilleur Voyage il y a deux ans, et ce malgré mon foutu handicap justement.
— Wow, je l'avais presque oublié celui-là, dit-elle avec une moue faussement impressionnée. Remarque, ça ne m'étonne pas après tout...
— Adèle ? Tu ne serais pas en train de te moquer de ton père si ?
— Pas du tout, ce n'est pas mon genre.
Paul presse le pas , sa fille l'entraine un peu plus loin dans les artères de la ville et le guide dans la foule compacte.
Lorsqu'ils arrivent enfin à destination. Le terminal de leur quartier est bondé. La foule est dense ; agglutinée autour du sas s'ouvrant sur le tube comme des mouches sur un morceau de viande. Au-dessus d'eux, un immense panneau holographique passe en boucle une publicité pour une brosse à dents ultrason. Paul serre un peu plus sa fille et pâlit légèrement.
— Ça n'est pas normal, signale Adèle, le réseau devrait être fluide à cette heure.
— On a à s'inquiéter ? s'enquit Paul
— De quoi donc ? Tu ne vas pas me dire que tu as peur là ? Adèle marque une pause, scrute la foule et finit par pointer le tube.
— Tiens regarde, on dirait bien que des robots nettoient un truc dans le réseau.
— Et comme par hasard, c'est le jour où je sors. Qu'on ne vienne pas dire que je n'ai pas la poisse. Paul s'agite, le monde continue d'affluer, il se sent pris au piège.
— Dis t'arrêtes de te plaindre ? dit Adèle mi-amusée, mi-agacée.
— Je sors de mon trou c'est déjà bien non ? J'ai quand même le droit de gueuler un minimum.
— Papa, t'es pathétique et irrécupérable.
À peine quelques minutes plus tard, une clameur gagne la foule excédée lorsque les robots quittent le tube par le Sas. Une capsule arrive à grande vitesse et stoppe net sa course devant le sas. La foule est rapidement engloutie, aspirée par la cabine.
Paul et Adèle, gagnent la périphérie du plateau Hadès, le terminus du réseau. La navette a quitté la strate Olympe, traversé la ville à la verticale puis s'est rendue à l'extrême ouest du plateau Hades. Leur parcours les a menés jusqu'à limite de la zone dite civilisée, en dessous c'est la Ruche et le transtube ne s'y rend pas.
Malgré l'aspect lugubre du terminus. Paul n'a pas d'appréhension particulière, car cette zone est peu peuplée, Adèle en revanche est un peu moins à l'aise. Une peur qu'elle tente de dissimuler tant bien que mal, mais que son père perçoit. Cet univers est loin de celui, dans lequel elle évolue chaque jour. Même la Ruche l'effraie moins que cela.
Pas de barges publicitaires ni ne projecteur holographique ici, ces quartiers pauvres n'intéressent aucun annonceur !
En quittant la rame presque déserte, elle agrippe le bras de son père. Paul sourit intérieurement, jouissant malgré lui d'un sentiment de contrôle sur sa fille. Cela lui fait un bien fou de voir les rôles s'inverser.
- Tu sais Adèle, tu n'as rien à craindre ici, on est peut-être loin des lumières du Dôme, mais les gens ne sont pas des monstres pour autant. Regarde l'Oncle, il vit ici depuis longtemps et il n'a encore développé aucune mutation. Il a deux bras, et on peut considérer que, bien qu'anormalement long ; son nez n'est pas un appendice de communication.
Adèle ne rit pas.
— C'est censé me faire rire papa ? Et puis ce n'est pas ça, je n'ai pas vraiment peur, c'est juste que... j'sais pas... j'me sens pas en sécurité ici.
— Ha Bon ? Pourtant cet endroit est peut-être le plus policé de toute la ville. Tu sais, les passeurs, les clandestins, la quarantaine...
— Déja c'est complétement en dehors de la juridiction du Centre Dome ! Et les patroutilleurs sont des humains, le coupe-t-elle. Sérieux, je préfère les synthétiques ils ne peuvent pas se corrompre et au moins ils scannent nos ondes Gamma, peuvent faire une analyse ADN, pas de tricherie possible.
— Oui, bien moi c'est le contraire, leur soi-disant impartialité me terrorise. On est jamais à l'abri d'une erreur. Et on ne parle pas aux synthés. La discussion n'est pas possible.
— Papa t'es rétrograde ! Les machines parlent et pensent, certaines rêvent même. Les algorithmes ont évolué, je veux dire on est loin des IA scriptées qui équipaient les premiers modèles.
— Arrêtes, rien que d'y penser ça me donne le tournis. Je veux dire, merde comment on a pu en arriver là. On parle de robots qui pensent, nom d'une pipe.
— T'emballe pas.. Ça reste des algo hein, c'est des simulacres de pensées, des rêves aléatoires programmés selon des schémas. Ça donne l'illusion d'humanité.
— Et ça te rassure ça ? Non, sérieux quel monde de merde.
— Dis celui qui inocule des rêves préfabriqués dans la tête de milliers de gens. Tu serais pas un peu hypocrite papa ?
Paul grommelle.
L'Oncle habite à dix minutes du terminus, dans un vieil entrepôt désaffecté, aux abords d'un immeuble de béton tombant en ruine, vestige de l'ancienne ville sur la base de laquelle M1 a poussé comme un champignon. À l'image de cet immeuble, les quartiers du bord sont bien loin de l'architecture néo-cyber faite de verres, chromes et chair synthétique.
Ce qui fait l'affaire de Paul, qui est allergique au Néo-Cyber. Il apprécie ce cimetière de béton, ces anciennes bâtisses, et ces routes d'asphalte. Si il n'avait pas eu sa fille, il s'y serait installé comme tous les marginaux et leur communauté. Après tout, les habitants de la zone sont pourvus en eau et énergie.
Paul et Adèle sont abordés par deux miliciens ; un grand blond mal coiffé un peu serré dans sa combinaison, et un petit brun portant fièrement un fusil d'assaut récemment lustré. Alors qu'il leur fait signe de s'arrêter ; le petit prend la parole :
— Msieur, Scan d'identité je vous prie.
— Pour rentrer dans les quartiers du bord ? questionne Paul, étonné. Pour en sortir, j'aurais compris.
— C'est les directives Msieur, nous on suit les ordres.
— Bah désolé, je ne suis pas sensible au Scan cérébral.
— Comment ça ?
— C'est comme ça, je ne sais pas, je fais partie des rares personnes... si vous voulez, j'ai un certificat médical qui l'atteste.
— Non, pas de problème, on a aussi un scan ADN.
Le Blond reste muet, son regard vitreux perdu dans le vague, ses mâchoires simiesques serrées. Le petit brun sort son appareil, puis procède au scan.
— Ça va, vous pouvez continuer. Faites gaffe, les quartiers sont peu sûrs ces derniers temps. Il y a eu des bagarres.
— Merci, on ne va pas très loin de toute façon.
La patrouille s'éloigne, s'enfonçant un peu plus dans le désert urbain.
Paul sourit à sa fille, un air réjoui sur son visage.
— Quoi ? demande Adèle.
— Alors tu les trouves toujours aussi dangereux ces patrouilleurs humains ?
— T'a vu le blond ? Sérieux mon chien robot a plus de vivacité que lui, il a du tout perdre à la loterie génétique, ironise Adèle.
— Ne détourne pas le sujet. Scan Gamma, ADN. Pareil qu'avec les Synthés, tu ne peux pas dire le contraire !
— Mouais, si y'avait eu que le blond, je suis sûr qu'on aurait eu le droit a une fouille rectale, il avait vraiment l'air taré.
— Qu... Quoi ? s'exclame Paul, étonné. Où t'a appris des trucs pareils ?
— Papa, j'ai treize ans, je ne suis pas une gamine.
— Sans blagues, je vois çà oui.
Paul ne peut s'empêcher de rire, et son euphorie est bientôt partagée par sa fille.
Et, alors qu'ils arrivent devant l'entrepôt, il se demande s'il n'a pas loupé quelques épisodes de sa vie de Père.
Adèle le surprend de jour en jour.
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