Poissons dans la fange
Dix minutes plus tard, un taxi la dépose au pied de son immeuble.
Lorsqu'elle rentre chez elle, Diane est assaillie par une mauvaise odeur, elle se bouche le nez et réprime une nausée. C'est encore le voisin du dessous qui a dû laisser pourrir sa nourriture. Cela fait deux fois ce mois-ci. Ce petit con a de la chance qu'elle soit accaparée par son travail, sinon elle irait lui rendre une visite dont il aurait un cuisant souvenir.
Elle asperge son appartement de produit, et se dirige vers son holocomp de salon. Elle connecte son deck et lance l'application.
Quelques secondes plus tard, elle consulte la messagerie de son espace privé. Dans son antichambre numérique, Diane a reconstitué une vieille maison victorienne, située sur un grand terrain clôturé toujours baigné de soleil. Sa messagerie prend la forme d'une boîte aux lettres.
En parcourant le courrier, elle remarque un colis qui attire son attention.
« À Diane-Guy. J'ai d'importantes révélations à faire. Rejoignez-moi à »... la suite est une coordonnée de l'Alterné.
Etrange.
Comment quelqu'un a pu faire la relation entre son avatar et son identité réelle ?
Deux personnes (trois avec Phil désormais) connaissent cette relation. Phil, Brad et elle-même.
— Tracage des coordonnées, dit-elle, dans son antichambre en s'adressant à son programme.
— Coordonnées inconnues. Espace clandestin privé, répond la voix féminine du programme.
Un rendez-vous dans un espace privé ?
Cette invitation titille sa curiosité.
Mais pas question pour elle de sauter dans un espace privé sans parachute, on est jamais trop prudent, surtout depuis l'épisode du Cerbère.
— Contre mesure rollback. Fixe-la à 15 minutes.
— Rollback activé, lui répond l'application.
Bien, maintenant que j'ai une option de retour, je peux y aller !
Diane, ou plutôt Guy, se matérialise sur un bord de mer. Elle perçoit la chaleur sur son corps et le sable chaud entre ses orteils. Cette simulation éveille aussitôt sa méfiance, le sens du touché a été altéré.
Deuxième surprise : son avatar ne porte pas ses habits habituels. Guy est tout juste vêtu d'un maillot.
Mince, il y a un modificateur de réalité virtuelle, ça ne rigole pas ici !
D'instinct, elle hume l'air, et tente d'y détecter les embruns de l'océan et l'air iodé. À la place, elle ne perçoit que l'odeur nauséabonde de l'appartement du voisin.
Bien, au moins l'odorat reste connecté au monde réel.
Elle balaie l'endroit du regard, puis constate qu'elle a atterri sur une plage privée attenante à une grande villa qui la surplombe. L'accès à la maison se fait fait par un grand escalier blanc en bois flanqué de bancs de fleurs rouges. Un soin particulier a été apporté à la décoration et de multiples oiseaux et papillons volent et virevoltent, mus par de puissants algorithmes et calculs complexes. La grandiloquence des lieux indique à Diane que le propriétaire doit posséder une impressionnante fortune.
— Pas mal n'est-ce pas ?
Diane sursaute et se retourne. Elle n'a pas remarqué la présence dans son dos, pourtant à peine à quelques mètres d'elle.
L'avatar qui lui fait face est une belle femme d'environ une trentaine d'années tout juste vêtue d'un bikini, elle porte deux cocktails dans les mains. En avançant vers Diane, elle en propose un en souriant.
— Bonjour Diane, je suis contente que vous soyez venue, venez vous installer sur ces transats on pourra y discuter tranquillement au soleil.
Tout en se dirigeant vers les transats, Diane passe à l'offensive :
— Je n'ai pas le plaisir de vous connaître alors que vous connaissez mon identité. Je peux savoir à qui ais-je l'honneur ?
La blonde a l'air quelque peu contrariée, mais dit :
— Je ne peux pas révéler mon identité... sans me compromettre. Disons que je suis de près votre dossier, votre progression, vos succès, vos embuches. En fait, je ne vais pas vous mentir, votre parcours est dans l'ensemble analysé de très près dans les hautes sphères par un petit nombre de personnes extrêmement influentes. Et là, ma chère, vous vous apprêtez à remuer la fange dans laquelle de très gros poissons ont élu domicile. Et ces gros poissons n'aiment pas être dérangés.
Diane et la mystérieuse Bimbo blonde sont désormais installées sur les transats, Diane n'a pas touché à son cocktail virtuel.
— Laissez moi deviner. Vous êtes le porte-parole des poissons ?
La blonde rit par saccades. Mais ce rire lui parait surjoué. À ce moment précis, Diane a la conviction que sous les traits de cet avatar se cache un homme.
— Moi ? Ho non pas du tout. Bien au contraire, j'ai même plutôt intérêt à nettoyer la fange. Et c'est pour cela que je veux vous proposer mon aide.
— Je sais que vous avez récupéré un fichier chez Lebal, et si je le sais, doutez-vous bien que d'autres sont aussi au courant. Ce qui vous place dans une position vraiment peu enviable...
Diane n'est pas surprise par ces propos. Elle se doute déjà que son passage chez Lebal a laissé des empreintes. L'utilisation du marteau piqueur, le combat contre le cerbère ; rien de tout cela n'a été très discret.
— Je vous écoute. Que faut-il faire ? s'enquit-elle.
La blonde prend le temps de réfléchir.
— Vous préparer au pire déjà. Ceux que je connais vont tout faire pour vous évincer. Vous êtes un élément perturbateur... il va falloir surveiller vos arrières.
Diane n'est pas effrayée, mais surprise.
— Je crains donc pour ma vie ? Intéressant, mais je ne saisis pas le rapport avec le tueur, j'ai l'impression qu'en suivant sa piste, je suis tombé sur quelque chose de beaucoup plus large. Des personnes voudraient étouffer l'affaire ?
— Je ne peux pas vous en dire plus. Je ne connais pas tout. J'ai accès à certaines pièces d'informations, mais hélas d'autres me demeurent interdites. Tout ce que je peux faire c'est vous donner un petit coup de pouce.
— Ecoutez, moi la mare, l'étang et vos poissons, je vais être honnête je m'en contrefous. C'est le tueur que je veux, uniquement lui. Le reste des magouilles, je ne veux même pas en entendre parler.
La femme sourit, et balaie la remarque de Diane d'un geste de dédain.
— Vous vous mentez à vous même, depuis la découverte du corps de Hawkins, vous savez très bien que vous avez mis le doigt sur quelque chose de bien plus gros qu'une affaire de meurtres en série... et croyez-le ou non, à cette heure je suis votre meilleure alliée.
Une grosse clé en bronze apparait en un instant dans ses frêles petites mains.
— C'est quoi que vous me donnez ? Une clé ?
— Exactement. Voici, mademoiselle Shalk, les codes de cryptage du dossier que vous avez trouvé chez Lebal. Je vous préviens toutefois, une fois la boîte de pandore ouverte, il n'y aura pas moyen de faire marche arrière. Elle ne se referme pas.
— Je n'ai pas peur d'ouvrir les boîtes, pas plus que de vidanger les fanges bourbeuses et... marcher en arrière n'a jamais fait partie de mes options.
La blonde affiche un sourire énigmatique.
— Bien, et pour sceller notre entente, voici encore un petit cadeau.
Le sable à leur pied se met en mouvement, puis forme un plan en trois dimensions de M1. Le plan change puis pointe vers une adresse de la Ruche. Diane reconnait l'endroit. Le quartier Zola, la périphérie du monde souterrain, le dernier endroit à avoir été construit avant la terraformation.
— Je connais cet endroit, dit Diane. Mon patron voulait m'y envoyer enquêter sur une affaire d'incendie.
— Alors, profitez de ce prétexte et allez-y. Allez-y le plus vite que vous pouvez. Vous trouverez des réponses, mais surtout n'alertez personne de la police.
— Pourquoi tant de mystère ? pourquoi ne pas me dire directement ce que je dois savoir ?
— Regardez, le temps se gâte, dit la blonde en pointant la masse de nuages du doigt. Une tempête se lève...
— C'est une métaphore de mon futur ou bien celui de cet espace privé ?
La blonde rit et se dématérialise aussitôt.
Diane peut sentir le vent sur sa peau, et l'océan hurler de colère alors que les vagues s'écrasent avec fracas sur la plage. Au loin, elle distingue une énorme déferlante.
Foutus riches, pense elle. Elle réalise que le Tsunami est la forme choisie pour l'auto destruction de la simulation. Un alterné temporaire de cette qualité la, tout ça pour le faire disparaitre ?
Elle transfère la clé dans sa base de donnée personnelle puis s'éjecte à son tour, juste au moment ou l'énormae vague s'écrase sur la plage et fait voler en éclat le plan fait de sable.
Home sweet home !
Le message d'accueil est affiché sous la forme d'un texte en trois dimensions qui flotte dans son espace privé.
Diane entre dans la maison victorienne et consulte le vieux coffre dans la cave qui représente ses données protégées.
La clé est bien à l'intérieur. Le transfert a fonctionné.
— Une personne essaie de rentrer en contact avec vous : identification Super Brady, dit la voix du système.
Merde, Brad, je l'ai oublié.
— Invite-le, répond Diane.
Elle remonte ensuite les escaliers de la cave.
Brad, qui a pris la forme d'un superhéros, moulé dans un costume noir et vert bariolé l'attend devant la porte.
Super héros. C'est bien le genre de Brad.
— He bien, t'en a mis du temps, tu m'avais oublié ? Et alors ce colis à décrypter.
— Tu sais quoi, oublie ça. J'espère que tu as pris ta douche. Finalement, Diane la féline va venir chez toi ce soir.
Brad super héros sourit. Et se déconnecte, le sourire encore vissé aux lèvres.
Profites-en bien ce soir, murmure Cassandre. J'ai l'impression que tout cela va mal tourner.
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