Musée de la Mémoire
Paul sait ce qui l'attend dans ce labyrinthe urbain constitué de milliers de rues étroites, d'artères exiguës et de grottes creusées dans le sol.
Le moteur, le cœur ?
Non... ce sont les intestins et le colon rempli de merde de M1.
L'ascenseur social n'a rien d'une allégorie dans le Dôme ; plus on descend les strates et moins la vie est facile. C'est une des lois de l'IA et de son conseil.
Et rien n'est au-dessous de la Ruche. Rien.
Avec l'image de sa fille comme seul flambeau, Paul s'engouffre malgré lui dans le couloir sombre. Il marche d'un pas lourd, au rythme de la foule qui progresse dans cet espace bien trop clos.
Sa première étape : La Station Primo.
Un quartier résidentiel, se rappelle Paul. Ici, le toit de la voute est constitué d'une immense grille de métal dans laquelle sont enchâssées d'énormes plaques de plexiglas. L'éclairage est vif et cru.
Paul lève la tête, et aperçoit la première strate de M1, le plateau Hades.
Malgré la population, l'ambiance est plus calme qu'à la surface ; aucun véhicule n'y circule, les annonceurs sont moins nombreux, et le seul moyen de transport est un réseau de tube souterrain qui en plus d'être déconnecté de celui de la surface est assez mal desservi et comporte peu d'arrêts. Creuser ce réseau sous la terre avait coûté bien trop cher. La plupart des gens circulent donc à pied, mais la densité démographique est tellement haute, que se déplacer ici fait penser à Paul au chemin que ferait un sang trop gras dans une veine trop petite.
Alors qu'il observe les aménagements et les nouveaux commerces, il est prit de nostalgie et se revoit enfant, lorsqu'il se promenait avec ses parents. Les travaux commandés par l'IA pour ouvrir le ciel étaient achevés depuis peu et il se rappelle de son père lui pointant les grilles et le plexiglas.
- Tu vois Paul, un jour je suis sûr que tu iras vivre au-dessus.
Il a tenu promesse et même s'il ne croule pas sous l'argent, il s'est tout de même fait un nom parmi les cervo-createurs.
Paul appelle sa fille encore une fois, mais tombe sur la messagerie. Ce qui ne fait qu'accroître ses craintes.
Ce n'est pas normal que son intra soit éteint.
Bon sang ! Elle passe des heures à jacasser avec ses amies !
En temps normal, il faut à peu près une demi-heure pour se rendre au Musée le la Mémoire, mais Paul met pas loin du double. Il a beau y mettre toute la volonté du monde, ce cloaque oppressant l'agresse de toute part. Chaque parcelle, chaque corridor et même les grands espaces ouverts constellés de petites lumières, rouvre les vieilles plaies. À chaque pas, il revisite son passé. Parcourir ce dédale troglodyte, lui remémore ses promenades et les parties de cache-cache dans les serres hydroponiques, ses amis et son école, mais aussi les accidents qui survenaient souvent dans les centres énergétiques et les usines, ainsi que les manifestations et les prédicateurs anti-IA qui prêchaient leur haine du système.
Mais la récompense l'attend au bout de son périple :
Au centre de la place Amérique, ancien siège du gouvernement de l'humanité, devenu plus tard le premier siège de la jeune Psycorp, le Musée de la Mémoire est un joyau qui émerge du sol, resplendissant. Cet immense monolithe rectangulaire de vingt-cinq mètres de haut pour cent mètres de large évoque un lingot de chrome enchâssé dans le bitume et dans la terre. Des panneaux holos, placés sur sa façade avant, diffusent des images de guerre. D'après les connaissances, Paul reconnait une célèbre bataille de la Deuxième Guerre mondiale, la bataille des Ardennes. Cette dernière est présentée comme le thème de la semaine à en croire les banderoles numériques suspendues au toit illuminées par les projecteurs.
Paul entre dans le musée ; il est immédiatement captivé par son magnétisme. C'est la première fois qu'il met les pieds dans cet édifice - lorsqu'il vivait dans la Ruche, le projet était à peine commencé et la zone commençait juste à être évacuée -, mais pour autant, malgré la foule, il sent sa tension diminuer. Dans le grand hall, deux escaliers et des ascenseurs à vide teslaique, acheminent les visiteurs, qui nombreux, serpentent à travers le dédale des expositions. D'un rapide coup d'œil Paul constate que la grande majorité des gens circulent, à l'aveugle, guidée par leur decks. Paul comprend que le parcours est balisé et que chacun des espaces thématiques est relié à un connecteur gamma qui se synchronise avec le cerveau des visiteurs. Au monde réel se superpose une réalité augmentée qui vient conter l'histoire de l'homme à travers une simulation sensorielle.
Paul est un féru d'histoire et tout ce qui touche à l'avant Pandémie le fascine, il est impressionné en imaginant le travail colossal abattu par l'armée de cervo-createur qui a dû travailler pour collecter et recréer sous la forme d'expérience sensorielle, donnant la possibilité de revivre les grands évènements de l'histoire de l'homme !
Paul scrute la foule dans l'espoir d'y apercevoir sa fille. Mais la densité humaine est si compacte qu'il ne distingue que des couleurs et quelques têtes qui émergent çà et là du troupeau. Vers quelle partie du Musée a bien pu se rendre sa fille, se demande-t-il...
D'après les énormes holoprojecteurs qui flottent dans le volumineux espace, l'aile ouest est consacrée au thème de la semaine : la plupart de l'expérience se fait par immersion dans l'Alterné, mais on y trouve quelques holos ainsi que des maquettes produites par impressions y 3D qui y relatent la bataille des Ardennes. Le son est d'ailleurs assourdissant et les basses font trembler les murs à chaque impact d'obus ou tir de canon.
Trop de bruit.
Si Adèle doit rencontrer quelqu'un ici, ce ne sera sûrement pas dans cette zone, où il est impossible de parler. Paul écarte rapidement cette hypothèse. L'aile Est du rez-de-chaussée, traite entre autres de l'habitat d'avant la Chute. En plus des maquettes et projecteurs holos, il est possible de visiter les maisons et observer des programmes routines vivre « à l'ancienne » dans un Alterné. Encore une chose qu'il ne pourra jamais expérimenter.
Paul choisit d'explorer l'aile Est, qui de toute façon est bien moins bondée que l'autre.
Il expédie sa recherche en moins de cinq minutes, sans trouver trace de sa fille.
L'étage peut-être ? Paul consulte sa montre. Vu l'heure, peut-être même est-elle déjà partie. Voire, est-elle déjà retournée à la maison
Paul frissonne à l'idée de faire le chemin en sens inverse. Il sait qu'il reste peu de temps. S'il ne trouve pas sa fille aux étages supérieurs, il se promet de contacter la police.
Il regrette de ne pas l'avoir fait avant, mais il sait qu'il aurait eu du mal à justifier son scénario et ses extrapolations. Toutes ses craintes ne sont bâties que des suppositions. Des suppositions auxquelles son esprit ne peut s'extraire malheureusement.
Paul accélère le pas lorsqu'il monte à l'étage supérieur en empruntant un des deux escaliers.
Une mini barge flottante indique que cette zone du Musée détaille les avancées scientifiques et technologiques d'avant la chute. C'est un reliquaire pour Paul, où sont exposés quelques engins que les premiers bâtisseurs ont apportés. Des ordinateurs personnels, des consoles de jeux vidéos, mais aussi aspirateurs, chaines hi-fi. Les objets ne fonctionnent plus, mais comme pour le reste des expositions du Musée, il est possible de se connecter à l'Alterné pour en faire l'expérience.
Peut-être un autre jour Paul, se dit-il en passant à côté d'une console de jeu exposée. Souvent, il imagine que s'il avait vécu avant la Chute ; cela aurait été plus facile pour lui de percer dans son domaine, la technologie basée sur les ondes cérébrales n'étant pas encore inventée à cette époque.
Regardant à peine les objets exposés, Paul tente à nouveau de distinguer sa fille à travers les passants. Il bouge de salle en salle, l'espace du haut étant immense. Il court, stoppe, reprend sa course, pendant quelques minutes. Rien. L'annonce d'un enfant recherché par sa mère le fait sortir de sa torpeur.
Une annonce ! comment n'y a-t-il pas pensé plus tôt ? Paul dévale les escaliers et se précipite vers l'accueil.
Une vieille dame aux lèvres charnues lui adresse un sourire lorsqu'elle l'aperçoit.
- Je peux vous aider ?
- Oui répond Paul, je cherche ma fille, Adèle Veldon. Vous pourriez l'appeler s'il vous plait ?
- Bien sûr, monsieur Veldon.
La vieille femme diffuse alors le message dans l'ensemble du Musée. Paul sait qu'en plus des hauts parleurs, l'annonce sera aussi perçue à travers les decks connectés à l'Alterné.
Paul est électrique, il sourit. Si tout se passe bien il ne va pas tarder à voir sa fille. Il scrute à travers la foule, espérant y croiser le regard d'Adèle. Il imprime la vision de sa fille émergant de la foule dans son esprit.
Une main se pose sur son épaule.
Paul se retourne subitement, et son sourire s'estompe.
Alex Karpov, le regard inquiet, se tient devant lui
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