Le Colis
Paul Veldon sort de la cabine brûlante de la douche à nanoparticules ; un rapide coup d'œil dans le miroir lui confirme que la couleur de sa peau a viré au rouge. Écarlate.
— Merde ! peste-t-il.
Il éprouve l'étrange sensation d'avoir été pelé comme un oignon puis d'être passé sous un rouleau compresseur. Son immersion dans le flot de particules intelligentes traqueuse de crasse n'a pourtant duré qu'une minute ou deux. Sûrement trop... ou alors le réglage est mauvais.
Satanée technologie...
Le jeune vendeur au visage de fouine ne lui a donc pas menti :
« Faites attention monsieur, à bien calibrer le flot de particules. », lui a-t-il dit, un sourire aux lèvres.
Sans blague. Il est aussi cuit qu'une écrevisse ébouillantée.
Paul se plante devant son miroir et scrute – en vain — son visage à la recherche d'une peau morte qui aurait miraculeusement survécu à ce traitement de choc, puis sort de la salle de bain et traîne sa langueur matinale vers sa chambre.
Il sait qu'une masse colossale de travail l'attend dans son antre. Sa nouvelle composition onirique, un e-dream grand public, n'a presque pas décollé, victime de ses atermoiements et de sa méticulosité maladive.
Pas de précipitation Paul. Il faut prendre son temps. L'inspiration est comme une fragile plante verte qui nécessite attention et délicatesse.
C'est surtout que, pour la première fois de sa carrière, il craint de ne pas être à la hauteur.
Si il remporte l'appel d'offre de Psycorp et devient le compositeur sur leur nouvelle gamme de voyages sensoriels, cela signifie une chose :
Finie la galère et les œuvres à compte d'auteur pour quelques bourgeois excentriques du plateau Olympe. Fini les angoisses de devoir habiter dans les strates inférieures de M1 et d'abandonner le confortable appartement si durement acquis. Mieux, son œuvre sera visionnée, vécue, ressentie dans l'ensemble des cités dômes.
Argent, prestige, gloire. Il pourra enfin jouir de la reconnaissance tant attendue... et méritée.
Son cerveau est en ébullition à chaque fois qu'il y pense.
Tu es Paul Vendon. Artiste et créateur et tu vas obtenir ce contrat, et ce n'est pas l'autre « loser » bon marché contre lequel tu compétitionnes qui va t'en empêcher !
— Bien, il est temps d'y aller, dit-il à haute voix.
Paul se frotte les mains – un vieux tic pour se donner du courage — et se dirige, galvanisé, vers son vieux neurotranscripteur. L'ancêtre des deck.
Une fois installé dans son fauteuil, il ajuste l'antique casque cérébral de la machine à son crâne. Puis il prend une profonde inspiration et tente de faire le vide .
Lorsqu'enfin il est prêt, l'interface se matérialise.
La voix intérieure annonce maintenant le compte à rebours.
— Immersion prête dans cinq... quatre... trois..
Driiiing... Driiing... ! Le son désagréable d'une vieille sonnette mécanique retentit.
L'interface se volatilise, sa concentration se brise, Paul grogne.
Driiiing... Driiing... !
Dieu qu'il déteste cette sonnerie et il se maudit d'avoir fait plaisir à sa fille en cédant une fois de plus à ses caprices. Mode vintage ! Quelle connerie !
Furibond, il se lève et trace vers la porte, en saisissant au passage un peignoir de bain étalé sur son lit — il a pris l'habitude de composer nu, après avoir pris une douche — et tout en s'habillant, et grommelant, il presse le bouton du projecteur holographique.
Le portrait d'une charmante jeune femme se matérialise devant le seuil de la porte, projetée depuis le holo-projecteur enchâssé dans l'encadrement. Blonde, pulpeuse aux yeux de biche. Un avatar, remarque-t-il . Une Barbie Doll de série ; du bas de gamme.
Dommage. Pourquoi les gens éprouvent-ils le besoin de se cacher derrière des icônes ? Paul ne supporte pas ça.
La poupée hologramme fait battre ses longs cils recourbés, un sourire figé lui barre le visage.
— Monsieur Vendon ?
— C'est Veldon, pas Vendon. Il y a un L dans mon nom. Et désolé, je ne réponds pas aux avatars...
Encore moins aux modèles de série.
Un crépitement se fait entendre.
L'image projetée de la poupée laisse la place à un jeune homme ordinaire, assez fluet dont la tête ovaloide disparait sous une épaisse tignasse de cheveux en pétard. Ses yeux bleus pâle gonflés, sont plombés par d'énormes valises et seul le clignotement erratique d'un electro-tatoo tribal implanté sur le front éclaire un peu ce visage terne et moribond.
Peut être pas si inutile l'avatar finalement...
— J'ai un colis pour vous, vous le voulez ou pas ? Demande le jeune homme d'une voix atone, entrouvrant à peine ses lèvres, sorte de figues mi cuites.
— Placez-le dans le tube, grogne Paul.
— J'ai besoin de votre signature, monsieur Vendon.
— Je sais... Je sais. Veldon avec un L bon sang !
Paul loge son œil dans le scanner rétinien de l'holoprojecteur. Une lumière verte lui indique alors que le colis est dans la boite. Malgré les nombreuses fois où il a été cherché son courrier, Paul est estomaqué par la vitesse à laquelle les paquets grimpent les cent étages de la tour.
— Monsieur ? reprit le livreur.
— Quoi encore ?
— Le votre d'avatar, il fait peur à voir. C'est un modèle custom pour la peau rouge ?
Puis le jeune livreur met court à la transmission sans même un au revoir.
Petit con.
Et accroc aux drogues électroniques en plus, son visage en porte les stigmates ; cervo-rève, oniro-exp, commudance ou autres saloperies numériques.
Paul grimace. Il se sent responsable.
Après tout, une grande partie des ses revenus dépend de ces types. Tous les E.D.A (« e-drugs addicts ») sont de gros consommateurs de produits électro-oniriques, et pas seulement ceux illicites. Paul a sa conscience pour lui — ses œuvres sont homologuées —, mais il sait que le business du rêve ne serait pas aussi florissant sans ces paumés perdus dans leurs nébuleuses, le cerveau court-circuité. On vampirise leur âme, littéralement.
Paul secoue la tête et chasse ces pensées. Ce problème le touche, mais il n'a pas le temps de perdre en conjectures. Le temps joue contre lui et il faut vite se remettre en selle. Et pas question de se faire interrompre ce coup-ci ; il coupe le système d'alarme de l'appartement.
De nouveau en piste sans son fauteuil, il doit refaire faire le vide.
Silence. Concentration. Il ferme les yeux et la voix interne recommence son compte à rebours.
Paul focalise et parvient à prendre position dans la matrice créative. Il flotte au centre de son atelier imaginaire et prépare son inventaire. À ce stade, Il lui faut imbriquer des sons, des images, des sentiments. Le voyage sensoriel doit être fluide, sans accroc.
Paul presse les interrupteurs placés au niveau du lobe frontal et active la synchronisation des hémisphères cérébraux. C'est la dernière opération mécanique, celle d'un musicien accordant son instrument. Paul joue avec précision sur les molettes du casque ; l'harmonie entre le cerveau droit et gauche étant la clé de voûte d'une création réussie.
Paul se relâche, son esprit est « accordé ». Il va pouvoir travailler son imagination comme un peintre le ferait avec sa toile, mais avant il doit constituer sa palette.
Pluie. Miroir. Bleu. Paul matérialise puis place ce premier agrégat de mot – le fondamental — sur une partie de l'établi.
Ocre, Amour, Trouble...
Fumée.
Ce mot fuse avec force dans son esprit, matérialisant une légère volute dans son atelier.
Fumée ? Non. Pas de mot parasite. Pas maintenant ! Concentre-toi Paul.
Le travail n'est pas encore achevé. Un parasitage risque de tout ruiner. Focaliser. Rester maître.
Fumée.
Trop tard. Paul a juste le réflexe de sauvegarder son travail et retire le casque de son neurostranscripteur.
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