Épilogue
La porte s'ouvrit. L'officier de police s'effaça pour laisser passer le détenu devant lui. Il s'avança, docile et s'installa sur la chaise qui lui faisait face.
Son corps était présent, réagissait mais son esprit était absent. Ses pensées gardaient, au fil des jours, de moins en moins de cohérence. Au début, il avait eu des moments de lucidité. Il se rappelait très précisément de chaque acte qu'il avait commis, il s'en souvenait avec horreur, incapable de se regarder dans une glace par la suite. Il comprenait alors, ce qu'il faisait enfermé ici.
Mais à présent... À présent il ne savait plus. Il existait sans vivre. Il ne pensait pas mais était. Oui, il était simplement. Il était où ? Il était qui ? Il était quoi ? Que de questions aux réponses si floues qu'il ne s'y intéressait jamais.
Il était Ulysse, oui. Mais au fond, qui était-il vraiment ? Un criminel ? Ou une erreur judiciaire. Un bourreau ? Ou une victime ? Un pauvre enfant traumatisé ou un homme perfide ? Probablement un peu des deux. Il inspirait un mélange de dégoût et de compassion aux juges, aux policiers et aux citoyens qui réagissaient à l'affaire "Taumen".
Il ne pensait même plus à tout cela. À son procès, à ce que les gens disaient de lui. Il se contentait de répéter les mêmes actions tous les jours, rythmées par les gardiens et ses co-détenus et, de temps en temps, guidées par ses pulsions.
Et quelles pulsions ! Parfois, il y avait une voix qui lui soufflait que son père était caché parmi tous les détenus. Qu'il devait en saisir un et le faire avouer.
Il veut ton mal. Il se cache. Retrouve le, Ulysse. Fais lui payer. Fais le souffrir. Fais lui du mal. Du mal ! Fais le hurler de douleur comme tu as pu crier. Fais le souffrir à l'infini autant que tu as supplié que l'on t'épargne.
Fais lui du mal Ulysse. Venge toi.
Et jamais l'homme ne résistait à ses pulsions. Il saisissait quelqu'un au hasard et le ruait de coups, autant qu'il pouvait avant que les gardiens interviennent. Toute la violence ancrée en lui ressortait aussi puissantes que des flammes, jaillissaient de ses poings serrés pour heurter tout ce qui venait à sa rencontre. Il y avait en lui une telle haine, une telle volonté de faire le mal qu'il était inconcevable de le laisser plus longtemps côtoyer des gens. Il était passé d'un prisonnier perdu, touchant à un monstre habité par un besoin de dominer et contrôler.
Ses rendez-vous quotidiens chez sa psychologue ne l'aidaient plus, mais il n'avait pas eu droit à l'internement psychiatrique pour autant.
Ainsi il s'était simplement retrouvé isolé. Il mangeait seul. Il dormait seul. Il vivait seul. Pouvait-on appeler cela une vie ?
—Ulysse, souffla une voix.
Ce n'était pas cette voix vengeresse qui le hantait. C'était un humain, un homme qui lui parlait. Il ne voulait répondre à personne. Il désirait rester dans sa solitude, dans ce vide qu'était devenu sa vie. Dans un vide où il ne pouvait ni avoir mal, ni faire du mal. Ni se confronter aux autres, ni être confronté à lui-même. Une solitude reposante : son échappatoire.
—Ulysse, je t'en supplie, ne les laisse pas te tuer. Ne le laisse pas gagner.
Ulysse entendait ce qu'on lui disait. Mais il manquait quelque chose, un petit déclic, qui lui permettrait de se connecter avec la réalité et quitter le vide de son existence.
—Ulysse, reviens ! Écoute moi ! On n'a pas beaucoup de temps, tu sais très bien que mes visites ne peuvent pas durer. Et...
Temps. Le temps. Notion abstraite. Un sourire neutre s'étira sur le visage du détenu. Il se souvint vaguement des questions qu'il se posait sur le temps avant.
—Pourquoi tu souris ? C'est pas drôle, Ulysse, ça ne fait rire personne de te voir dans cette situation. Moi... Moi ça me fait plutôt pleurer tu sais. Quand on était gamins, tu ne me faisais jamais pleurer. Tu me faisais rire, tu te souviens ? Il n'y avait que toi pour réussir à me faire rire. Maman n'était pas drôle et papa quand il l'était, ça ne durait jamais. J'aimerais que tu te souviennes tu sais. Et que je ne sois plus seul dans cette épreuve.
La voix se brisa. Le désespoir avait envahi César qui tentait en vain de retrouver chez son frère une once d'humanité et d'intelligence. La psychologue qui accompagnait Ulysse lui avait expliqué que son frère, pour se protéger du monde extérieur et de tout le mal qu'il avait subi plus jeune, s'était enfermé dans une sorte de bulle. Pour enfin découvrir ce que c'était de vivre sans crainte et sans douleur.
César ne la croyait pas. Ulysse n'était pas égoïste. Il ne pouvait pas avoir choisi de se renfermer, quelque chose avait dû l'y forcer. Il ne m'aurait jamais abandonné ! avait hurlé le jeune homme avant de fuir l'entretien avec la psychologue.
—Je sais que t'as pas eu beaucoup le choix dans ta vie. Moi non plus. Mais on avait choisi de se soutenir tous les deux. Et t'es en train de briser notre pacte. Alors je vais te dire les choses clairement, une bonne fois pour toutes : tu as une minute pour m'expliquer ce qu'il t'arrive où moi aussi je vais finir par t'abandonner.
César s'arrêta. Il regrettait amèrement ses paroles. Il ferma les yeux pour ralentir les larmes qui voulaient quitter ses yeux et couler sur ses joues et se reprocha la dureté de ce qu'il venait de dire. C'était faux. Jamais il ne cesserait d'aimer son frère ou de le soutenir. Il l'avait protégé tant de fois, c'était à son tour de prendre soin de lui.
De l'autre côté de la table, la bulle qui entourait le cerveau d'Ulysse venait d'être percée. Il te reste une minute... Tic. Tac. La machine se remettait en route. Tic. Tac. Tic. Tac. Il te reste une minute ou tu perdras ton frère ! Tic. Tac. Tic. Tac. Agis ! Il ne pouvait perdre son frère. Pas lui sur qui il avait toujours pu compter. Pas lui qui comprenait sa souffrance, ses silences. Non ! Tic, tac, tic, tac,... La minute se volatilisait à toute vitesse, il perdait à nouveau le contrôle du temps.
On ne peut pas maîtriser le temps, comprit le jeune homme.
Il s'était fourvoyé. Vouloir le contrôler était insensé, utopique. Le temps est libre, aussi libre que le vent. Le temps est maître, il choisit, les hommes s'inclinent. Il décide, Ulysse subit.
Une migraine affreuse lui martelait les tempes. Le retour à la réalité était brusque. Les douleurs subies durant sa courte existence lui revenaient en pleine figure, accompagnées par les remords d'un passé sombre et cruel. Celui d'un homme froid qui avait séquestré des dizaines d'inconnus pour le seul plaisir de maîtriser le temps. Leur temps. Leurs vies, leurs peines,... Il les avait contrôlés comme on avait toujours contrôlé sa vie.
Il voyait clair à présent. Il était redevenu conscient du monde qui l'entourait et du passé qui lui appartenait. Le voile s'était levé. Et il se sentait sombrer dans un gouffre pire encore que celui du vide et de la solitude : celui de la douleur et du poids des erreurs.
—César... parvint à articuler faiblement Ulysse. Aide moi.
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