Chapitre 2
L'adolescent battit des paupières, un mal de crâne étouffait ses sens et vrillait dans toute sa tête.
Il grogna, maudit son réveil de l'avoir tiré de la douce torpeur dans laquelle il était plongé.
—Ta gueule, marmonna-t-il.
Il referma les yeux. Alors qu'il sentait Morphée lui tendre les bras, alors qu'il se préparait à plonger à nouveau dans un sommeil réparateur, des mains le secouèrent.
—Eh ! Ulysse! Ulysse, réveille-toi !
—Fous moi la paix, murmura l'adolescent dans un souffle.
—Si tu ne te lèves pas tout seul, dans vingt secondes, je te lance un seau d'eau à la figure !
Ulysse fronça les sourcils, sans ouvrir les yeux pour autant.
—Même pas cap, trancha-t-il.
Il ramena la couverture sur ses épaules et s'enroula dedans, dans un cocon tout chaud et moelleux. Quelques secondes après à peine, un léger ronflement s'échappa de ses lèvres.
Et soudain...
FROID ! Froid, c'était froid ! L'eau dégoulina le long de sa colonne vertébrale, trempa son matelas et le fit hurler.
Ses paupières s'ouvrirent brutalement. La tête de son frère apparut dans son champ de vision, son air désolé le mit en rogne.
—T'as pas osé ! Je te déteste, je te jure que je vais me venger !
—Ah ouais ? Si tu voulais pas te réveiller, pourquoi t'as mis un réveil ? Hein ? Tu te souviens de rien ?
Ulysse fronça les sourcils, tentant de son mieux de faire disparaître la douleur atroce qui grandissait dans sa tête.
—Je... Non, me souviens plus, avoua-t-il.
—La soirée ? L'alcool, la statuette cassée, les verres partout,...?
À cette annonce, le jeune homme se liquéfia. Tout faisait surface par flashs, plus ou moins clairs. Tout s'enchaîna, les images défilaient dans sa tête, disparaissaient, d'autres les remplaçaient. Tout allait trop vite, il se sentit si nauséeux...
Il se leva d'un bond, son estomac se retourna, ses jambes peinèrent à le soutenir, il se précipita de son mieux jusqu'aux toilettes et y déversa tout ce qu'il avait bu et englouti la veille.
Ce fut penché au dessus de la cuvette que son frère le retrouva. Il le fixait d'un air grave et déçu à la fois.
—Tu ne sais jamais te contrôler de toute façon ! Et dire que je t'avais encore fait confiance cette fois-ci ! Je t'avais promis de te couvrir en échange de ton silence pour ma sortie chez Marc... Mais ça, ça ne faisait pas partie du deal !
Il balaya d'un geste de la main la salle de bain où se trouvaient les toilettes, couvrant en même temps le reste de la maison et son état déplorable.
—Je ne pourrai pas te couvrir quand les parents verront ça, sombre idiot!
Ulysse baissa les yeux, piteusement. Son frère avait raison, comme toujours. Bien qu'il fusse son cadet de quatre ans, il restait le plus mature, le plus sage et réfléchi. Il soupira, tira la chasse d'eau, se redressa et quitta la pièce.
Arrivé dans le couloir, il fixa le sol pour ne pas constater le désastre qui l'entourait. Il descendit les escaliers avec peine, se retenant à la rampe et déboucha sur le salon spacieux. Les deux canapés en cuir s'entassaient dans un coin, repoussés pour faire de la place. Et leur état épouvantable ahurit l'adolescent. Les deux fauteuils sur lesquels il avait passé son enfance à courir n'allaient être bons que pour une seule chose : la poubelle.
Il cligna des paupières, comme si ce simple geste allait chasser la catastrophe. Il rouvrit, comme à contrecœur, les yeux, et soupira, affolé. Non ! Cela ne pouvait pas être vrai, il avait juste invité cinq amis très proches, pas plus il n'aurait pas osé ! Il n'avait que douloureusement conscience des conséquences terrifiantes qu'organiser une fête chez-lui pouvait avoir. Et puis... Il n'y avait pas eu tant d'alcool que ça et...
Et qu'il se sentait mal !
Ses jambes flageolantes le portèrent jusqu'au milieu de la pièce. Le son usuel de la grande horloge vint envahir ses oreilles. Le "tic, tac, tic, tac" familier lui sembla plus agressif encore que d'habitude. Il avait appris à vivre avec mais là, le moindre bruit le dérangeait.
—César, appela-t-il d'une voix rauque.
—Quoi ? demanda son frère d'un ton sec, penché au dessus des escaliers.
—Tu voudrais pas m'aider..., supplia Ulysse.
Son frère fit semblant de réfléchir puis, avec un grand sourire, demanda :
—Tu me donnerais combien ?
—Dix euros, tenta d'abord l'adolescent.
César secoua la tête.
—Vingt ? essaya Ulysse.
Même réponse. Un non de la tête et un sourire satisfait.
—Je peux pas te donner plus ! s'exclama le fêtard. Tu ne vas m'aider que pendant...
Ses yeux se levèrent vers l'horloge. Huit heures quinze, ses parents devaient revenir vers huit heures trente. Et, les connaissant bien, il savait qu'ils seraient de retour pour vingt-cinq.
—Tu vas devoir bosser pendant dix minutes ! Tu peux pas te faire payer plus de vingt euros pour ça... Puis je suis fauché en ce moment et...
Ulysse s'interrompit, inspira un grand coup et, sa voix se brisant, lâcha :
—Et tu sais ce qui nous attend si ce n'est pas propre quand ils seront là.
César pâlit, son expression changea du tout au tout. Ses cheveux se hérissèrent sur sa nuque, une fine chaire de poule recouvrit son corps.
—Je te déteste ! hurla-t-il. T'avais pas le droit de m'impliquer là-dedans ! Je te déteste, je te déteste, je te déteste !
Il répéta cette phrase comme une litanie, tremblant, les larmes aux yeux et la voix hachée par des sanglots sourds.
—Je te déteste, murmura-til une dernière fois.
Il dévala les escaliers d'une traite et se jeta sur son frère. Il lui envoya des coups de poing légers dans le ventre, le martelant de ses mains serrées. Il le frappa, pleurant, jusqu'à s'épuiser. Ses larmes se tarirent, ses forces le quittèrent et il finit par rester, las, devant son frère. Vidé. Terrifié. Épuisé. Ce dernier l'attira contre lui, le serrant de toutes ses forces contre son torse.
—Chut, chut, calme toi. Je suis là d'accord, tout va bien... Je suis là !
César finit par se défaire de son étreinte et marmonna :
—Vingt euros. Je m'occupe de ranger le haut, si quand ils arrivent le bas est dans cet état là, tu me le paieras ! Je te déteste, répéta-t-il une dernière fois.
Puis il fit demi-tour et rejoignit l'étage. Ulysse se retrouva seul, frigorifié par l'eau qui trempait son pyjama, épuisé et terrifié à l'idée de ne pas être capable de tout remettre en ordre avant que ses parents ne rentrent... Enfin, ses parents... Non, juste lui.
Il frissonna et décida de se mettre à la tâche. Tic, tac, tic, tac, l'accompagna l'horloge.
Huit heure vingt déjà, cinq minutes le séparaient du retour de son père. Cinq minutes, un living dévasté, un couloir pas encore exploré et une cuisine saccagée.
Il décida de commencer par le hall d'entrée, première image que verraient ses parents. Il fut envahi d'un soulagement sans nom lorsqu'il vit que rien n'avait été dérangé. Chaque objet se trouvait à sa place, tout paraissait calme.
Il esquissa un sourire puis tituba jusqu'à la cuisine. Il ferma les yeux, tanga un instant puis reprit sa marche et inspecta la pièce. Les bouteilles de bière, d'alcool, fracassées ou entières, vides ou pleines, jonchaient le sol. Il inspira plusieurs fois pleinement et ouvrit un tiroir, en sortit un sac à poubelle et y jeta tout ce qui tombait sous sa main.
Assiettes en plastiques, bouteilles, morceaux de verre, des ballons explosés, d'autres encore gonflés. Il ne réfléchissait pas et jetait, encore et encore. Une fois qu'il eût fini, il passa l'aspirateur faisant de son mieux pour garder les idées claires. Le son de l'appareil fut un vrai supplice. Mais il fallait continuer, et vite !
Ses mouvements s'enchaînèrent, précipités et maladroits. Et enfin, la cuisine lui parut être dans des conditions acceptables.
Il se précipita vers le salon et l'horloge l'acceuillit aussitôt, amie et ennemie de longue date. Sombre et majestueuse à la fois, elle symbolisait la fuite incontrôlable du temps.
Tic, tac, tic, tac, la grande aiguille arriva sur la dernière barre avant le "5". Huit heure vingt-quatre déjà, une cuisine rangée à la va-vite, un salon dévasté à ranger et un petit frère à satisfaire et protéger. Le tout, en une minute.
Tic, tac, tic, tac. Dès qu'il se concentrait légèrement sur le son de l'horloge, il perdait quatre précieuses secondes. Cruelles, elles refusaient de ralentir. Infidèles, elles le trahissaient à la moindre occasion.
Il observa avec dépit le vomi sur le sol, les tâches sur le canapé -dessins au marqueur, chips et traces de graisse se disputaient la place- et comprit qu'il ne parviendrait pas à rattraper le désastre en moins d'une minute.
Les lèvres tremblantes, il ne parvenait plus à contenir les larmes qu'il avait retenues devant son frère. Il avait peur. Il avait froid. Il se sentait malade. Son père allait rentrer et ne pas être content... Pas du tout ! Il allait s'énerver et César et lui ne seraient pas épargnés. Il pleurait autant pour lui que pour son cadet.
Tic, tac, tic, tac. Le temps filait entre ses doigts, ne manquant jamais à sa tâche si mystérieuse et terrifiante.
Tic, tac, tic, tac, hurlait à présent l'horloge. Le son résonnait dans ses oreilles, agressait ses tympans, sa migraine le rendait fou.
Dix-sept ans, sa première cuite... Et Ô combien il la regrettait déjà ! Il avait juste voulu s'amuser pour une fois, quitter le quotidien monotone dans lequel il étouffait. Et quand ce n'était pas l'ennui de cette routine répétitive qui le rendait malheureux, c'était son père.
Son père et son visage qui se transformait sous l'effet de la colère. Son père qui pouvait devenir violent, dangereux pour ses enfants.
Son père qui après chaque accès de rage venait lui demander pardon, un sourire désolé sur le visage, un mot doux et attentionné, un comportement exemplaire la semaine qui suivait...
Et lui, Ulysse, s'en voulait de lui pardonner, lui trouver des excuses à chaque fois. C'était de ma faute, j'avais encore fait une bêtise, se disait-il à chaque nouvel accès de colère, recroquevillé dans sa chambre et couvert de bleus.
Des larmes de rage s'emparèrent de son visage. Il ne devait plus lui pardonner ! Il en avait marre... Oui, quand son père hurlerait en rentrant dans quelques secondes, il partirait avant qu'il n'ait le temps de lever la main sur lui. Oui, cette fois-ci il voulait lui tenir tête !
Mais il se sentait si faible. Mais il avait un frère qu'il ne pouvait pas laisser tout subir à sa place. Mais il avait une mère qu'il devait protéger. Et il y avaient ces secondes qui s'échappaient.
Tic, tac, tic, tac. Son crâne allait exploser, la douleur était trop intense, les dilemmes qui faisaient face à l'intérieur de son cœur lui demandait trop d'énergie pour se concentrer.
Ses jambes vacillèrent. Le sol semblait prêt à basculer, et finalement, ce fut lui qui chuta.
Ses genoux entrèrent en collision avec le sol, ses coudes suivirent. Ses mains se portèrent à ses oreilles, il ne voulait plus entendre ce son horrible, il ne désirait qu'une seule chose :
Arrêter le temps.
Et finalement, ce fut lui qui perdit le duel face au cycle éternel, régulier et sourd à ces supplications. L'inconscience le rattrapa, sa tête entra en collision avec le parquet dans un choc sonore :
Tic, tac, tic, tac...
BOUM.
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