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[O&P] Bonus n°3 : Le hasard d'une mélodie

Le hasard d'une mélodie

Le Seigneur des Ténèbres est de retour. Craignant pour ses agissements, Melania Selwyn suit son frère jumeau jusqu'à un village perdu du Gloucestershire ... Nestor est introuvable, et c'est tout autre chose que Melania trouve au détour d'une mélodie ... 


Note de moi : 

Bien sachez que ça a été difficile de retrouver le visuel, il est sur le compte que je n'utilise plus depuis que j'ai Canva Pro héhéhé. Et choquée que j'en sois qu'à 3 bonus ici ! 

Joyeux anniversaire à Pépin_04 ! Fidèle lectrice depuis plusieurs années, merci pour tout tes commentaires et tes délires ! Elle m'avait réclamé un bonus que, de toute manière, je comptais écrire un jour : comment Mel et Alex, deux êtres que tout oppose, ont pu se rencontrer ...? 

La réponse arrive ... Bonne lecture les enfants <3 ARGH ça m'avait tellement manqué de pouvoir écrire cette phrase ! Profitez bien ! 

***

                Londres – 6 juillet 1995

-Nestor !

Paniquée, Melania Selwyn grimpa les escaliers quatre à quatre d'une démarche aussi rageuse que celle d'un hippogriffe – et pourtant, le tapis qui recouvrait les marches parvenaient à étouffer ses pas. Elle glissa sur le parquet, parcourut le couloir d'un pas de course qui la projeta littéralement contre la porte du bout. Lorsqu'elle l'ouvrit, il était trop tard. Son frère jumeau était parti. Melania contempla la chambre vide, du lit aux baldaquins aux lourds rideaux cramoisi jusqu'au bureau dont les pieds formaient le corps enroulé d'un serpent à sonnette. Peine perdue. Il n'était plus là.

-Oh par Salazar, souffla-t-elle, dépitée.

-Il est parti, n'est-ce pas ?

Ulysse s'avança nonchalamment dans la pièce, les mains dans les poches. Les vacances avaient commencé depuis trois jours, et il ne résistait pas à profiter d'être en dehors des murs de l'école pour se vêtir de ses plus beaux atours de sorciers. Aux yeux de son aînée, ce col dur et cette teinte émeraude le durcissait et lui faisait paraître bien plus que ses dix-sept ans, mais elle supposait que c'était l'effet recherché. Ulysse n'avait jamais admis qu'on le traite comme un enfant.

-Troisième fois en trois jour qu'il sort, observa-t-il, un sourcil dressé. Un record depuis son retour de Ste-Mangouste si je ne m'abuse ?

-Père ne voulait pas qu'il sorte.

-Je sais, Mel, j'ai entendu comme toi.

-Et il est quand même parti. Depuis quand il passe outre ses ordres ? Depuis quand il n'essaie plus de revenir dans ses bonnes grâces en lui obéissant au doigt et à l'œil ?

L'attitude presque servile de Nestor envers leur père Julius avait toujours hérissé Melania, mais jamais autant que le dégoût de son père chaque fois qu'il posait les yeux sur les traits défigurés de son héritier. Julius Selwyn avait toujours trop attendu son frère jumeau. Toute sa vie, il lui avait fait sentir que ce qu'il faisait n'était jamais assez bien et que s'il voulait reprendre les rennes de la famille un jour, il faudrait qu'il fasse aussi bien que sa sœur jumelle dont les notes étaient aussi excellentes que son attitude irréprochable. Melania frémit en se souvenant du regard empli de haine et de dépit que son propre jumeau, d'un œil aussi gris que le sien, dardait sur elle à chaque remontrance. Dès l'enfance, elle était devenue l'ennemi à abattre dans le cœur de leur père.

Ulysse se figea un peu au milieu de la pièce. L'expression taciturne qui vint alourdir ses traits le fit l'espace d'un instant ressembler d'une façon troublante à Nestor lors de ses pires journées, après sa sortie de Ste-Mangouste.

-Tu sais très bien à qui il veut plaire, à présent ...

Le cœur de Melania se glaça et sa mâchoire se crispa à en briser chacune de ses dents.

Lord Voldemort.

Même en pensée, le nom l'emplissait d'effroi et de révolte à la fois. Elle se souviendrait toute sa vie de ce soir de juin, à peine quelques jours plus tôt, où son père était brutalement rentré du travail alors qu'elle-même travaillait sur les comptes de la fondation Selwyn. Il avait barricadé toutes les portes, réuni le personnel, leur elfe de maison et surtout, surtout, interdit à Nestor de quitter la propriété. A ça, un horrible sourire s'était peint sur le visage défiguré de son frère. « Il est revenu, pas vrai ? ». Depuis, l'humeur de Nestor n'avait jamais été si radieuse, et celle de son père plus sinistre. Un Sang-pur se devait être derrière le Seigneur des Ténèbres et il craignait le jour où quelqu'un viendrait lui réclamer de dépasser son aversion de la magie noire pour entrer dans le rang.

-Je ne comprends toujours pas, souffla Melania, dépassée. Comment ... comment il a pu revenir d'entre les morts ...

-Je ne sais pas, répondit Ulysse en parcourant la pièce. Mais c'est un miracle qui justifie que notre imbécile de frère pense qu'il lui reformera un visage tout neuf.

-Tu penses vraiment que c'est pour ça que Nestor est fasciné par ... lui ? Parce qu'il espère que le Seigneur des Ténèbres en personne aura pitié de lui et effacera ses cicatrices ? Mais enfin on sait très bien que la magie noire ne sait que détruire et corrompre, jamais guérir !

Elle se tut pour endiguée la révolte qui grondait en elle depuis qu'elle avait compris ce qu'il y avait derrière la peur luisante dans les yeux de son père, derrières tous les sortilèges qui barricadaient sa maison, derrière tous les évènements étranges qui avaient jalonné l'année. La mort tragique d'un élève au sein des murs de Poudlard avait constitué le point d'orgue. Melania se passa une main dans les cheveux.

-Non, bien sûr qu'il n'y a pas que ça. Nestor cherche la grandeur, et plus ça avance, moins Père tend à lui donner ...

-Tu penses vraiment qu'il ira dans les bras de Tu-Sais-Qui juste pour ça ? douta Ulysse avec une moue. Mais Père le reniera !

-Père l'a renié le jour où il est revenu ici le visage calciné.

Elle frappa du poing le bureau et quelques parchemins qui le recouvrait tombèrent sur le sol. Par automatisme, elle se baissa pour ramasser et tomba sur un morceau déchiré. La rage avec laquelle avait été entouré les trois petits mots l'interloquait. Trois fois, et la dernière en avait percé le parchemin.

-Terre-en-Landes, lut-t-elle, les yeux plissés. Oh nom d'une gargouille, ce n'est pas là qu'habitent les Bones ?

-Quoi ?

-C'était au-dessus de son bureau, précisa-t-elle en tendant sa trouvaille à son jeune frère. Mais pourquoi il s'intéresse à ce village si ce n'est pas pour les Bones ?! Il est vidé de sorcier à part eux !

Ulysse ne répondit pas. Il se contenta de fixer longuement le morceau de parchemin, les traits figés en un masque de cire.

L'esprit de Melania carburait. Jumeaux, nés en même temps du même ventre, ils n'avaient pourtant jamais été proches. Ils avaient été élevés de manières totalement différentes. Melania était destinée à devenir une femme du monde, cultivée et agréable, la princesse de son père. Nestor lui était l'héritier, celui auquel tout était dû et de qui en retour on attendait tout, la prunelle des yeux de leur mère. En grandissant, Melania était devenue tout ce que Nestor ne parvenait pas à être et il l'avait détesté pour ça. Quant à elle, elle devait bien l'avouer, il lui avait souvent inspiré du mépris avec ses airs de prince imbu de sa personne alors qu'elle devait travailler d'arrache-pied pour tout prouver. Non, jamais Melania n'avait eu de tendresse pour son frère, mais ça ne l'empêchait pas de se sentir immensément responsable. Elle aurait dû être plus présente lorsqu'il s'était brûlé le visage d'un sortilège qui avait mal tourné. Elle aurait dû davantage le soutenir face à l'exigence de leur père. Et surtout, surtout, elle aurait dû mieux le surveiller. Elle se l'était promis, dès qu'elle avait vu le sourire de dément qui avait fendu son visage lorsqu'il avait eu la confirmation que Lord Voldemort était de retour.

Piquée au vif par sa propre négligence, Melania arracha le morceau de parchemin des mains d'Ulysse.

-Je vais le chercher. Si Père rentre entre temps, couvre-nous.

-Que ... Attends, Mel ! cria-t-il lorsqu'elle se précipita dans le couloir sans se demander son reste. Attends qu'est-ce qu'il aurait été faire à Terre-en-Landes ? Je suis sûr que c'est un trou paumé !

-Un trou paumé dans lequel habitent les Bones, qui ne sont pas à proprement parlé les meilleurs amis des Mangemorts, rétorqua Melania en dégringolant les escaliers. Je ne sais pas ... ça pourrait être ... une sorte d'initiation, de mission, de ...

-De quoi ? Pour entrer chez les Mangemorts ? A peine revenu d'entre les morts, le Seigneur des Ténèbres en personnes serait venu chercher un homme qui vit reclus depuis deux ans et qui n'a même pas été foutu d'avoir ses ASPIC ?

Melania pinça les lèvres, bien consciente que son argumentaire était branlant. Qu'avait Nestor à offrir au Seigneur des Ténèbres ? Pas grand-chose ... Nestor n'avait jamais rien montré, même du temps où il avait un visage intact. Bulletin de note médiocre, attitude méprisante, élans colériques ... C'était pire depuis l'accident. Chacun de ses sorts était devenu instable, imprévisible, presque dangereux.

-Je ne sais pas. Mais ce que je sais, c'est que je ne vais pas laisser mon frère devenir un Mangemort sans rien faire.

Mon frère jumeau. Une partie de moi. L'idée la rendait malade. Ulysse la contempla longuement d'un air dubitatif, et finit par agiter vaguement la main.

-Fais comme bon te semble. De toute manière, j'ai une lettre à écrire ...

-Ah, oui, tes lettres, répondit distraitement Melania, et un sourire retroussa ses lèvres. Un jour, il faudra que tu me dises comment elle s'appelle ...

Et sans se laisser le temps de savourer le rouge qui para les joues de son cadet, Melania prit la porte et se fondu dans la fourmilière qu'étaient les rues Londoniennes. Direction Terre-en-Landes.

***

Un trou paumé. L'expression peu élégante et un brin méprisante jaillie des lèvres d'Ulysse n'aurait pas pu être plus exacte.

Terre-en-Landes était un village perdu sur une colline du Gloucestershire, parcouru de routes aux pavés inégaux et de champs à perte de vue, traversé par un fin cours d'eau qui rejoignait une rivière en contre-bas. Les petites maisons aux pierres rouleurs miel avaient poussé autour de l'axe routier principal et s'étaient organisée autours des rues sinueuse, avec pour centre névralgique une place où pullulaient les antiquaires et cet étrange bâtiment aux tours carrées que Melania percevait au loin.

Néanmoins, ce n'était pas le cœur du village qui l'intéressait. Au pied de la colline, la grande maison des Bones paraissait vide. Melania fit deux fois le tour du propriétaire avant qu'un passant ne l'aperçoive et lui apprenne d'un ton bourru que la famille était en vacances. Quelque part sur le continent, en France ou en Italie, qu'en savait-il ? Les Bones étaient les seuls dans ce village assez fortunés pour se payer un tel séjour, avait-il bougonné d'un air amer. Nerveuse, Melania avait retourné l'anneau qu'elle portait à son doigt pour en cacher le saphir. Les Bones, fortunés ? Si cet homme voyait le coffre-fort débordant d'or des Selwyn ... Il saurait ce que fortune signifie.

Mais pas de Bones, donc. Alors pourquoi le nom de ce village s'était-il retrouvé sur le bureau de son frère ... ?

Résignée à devoir fouiller les rues sinueuse, Melania commença l'ascension de la colline. Très vite, il apparut qu'elle n'était pas du tout vêtue pour ce genre d'expédition. Ses chaussures de cuir glissaient sur le pavé et elle finit par attacher vaguement sa longue chevelure châtain pour apporter un peu de fraicheur à sa nuque dardée par le soleil de juillet. Une femme à l'air revêche la dévisagea quand elle passa devant son épicerie, et Melania tira nerveusement sur le col de sa robe de sorcière émeraude. Fort heureusement, sa tenue pouvait passer pour une robe presque classique ... peut-être un peu désuète aux yeux des moldus. Mais les habitants du village aimaient visiblement les vieilleries, constata-t-elle en arrivant sur la place principale où les brocantes avaient été installé en terrasse. Elle en fit le tour, observa même d'un œil intéressé les objets comme cette machine à écrire, ou ce gramophone dont la technologie avait été volée par les sorciers ... mais surtout, elle scruta chaque visage sans y trouver les cicatrices qui caractérisaient Nestor. Melania finit par extraire le morceau de parchemin de sa poche, celui qui l'avait amené ici, et ses doigts effleurèrent le trou qui en avait percé le cœur. Plus de que la rage pour que la plume ne fende un matériel si solide.

-Bon sang, Nestor, qu'est-ce que tu viens chercher ici ... ?

De plus en plus agitée, Melania poursuivit son exploration, et trouva à chacun de ses passages un peu plus de charme au village. Elle qui ne connaissait que le tourbillon Londonien et l'effervescence de Poudlard, elle se trouva apaisé par la langueur que dégageait le village. Le cours d'eau chantait, presque seul meuble d'un silence apaisant. Les rues semblaient lui appartenir. Passé l'ascension de la colline, la chaleur n'était pas écrasante : elle l'enveloppait délicieusement avant d'être cassé d'une brise qui apportait le parfum de l'herbe chauffée et des roses qui clairsemait les jardins. Elle aurait pu pleinement en profiter si elle n'était pas à la recherche de son imbécile de frère.

Et alors qu'elle semblait avoir fait trois fois le tour du village, dévisagé, scruté jusqu'à l'indécence indigne de son rang et de son éducation chacun des passants et même jeté discrètement des sortilèges de détection dans les recoins, elle s'arrêta devant le parvis du grand bâtiment vers lequel tout semblait converger. Les deux tours carrées étaient hérissées de piques, d'une pierre plus froide, d'un gris très anglais. Mais le plus remarquable, ce qui avait fasciné Melania à chacun de ses passages, c'étaient les deux immenses ifs dont le tronc semblait se fondre dans la pierre, mais surtout les notes de piano qui s'élevait depuis la lourde porte entrouverte de l'établissement.

Lentement, attirée par les douces notes qui s'élevaient et s'enroulaient autour d'elle, elle s'avança et s'approcha de la porte. Du piano. L'univers frappait en point sur son point faible ... Sa mère l'avait installée durement sur le banc du beau piano familial à l'âge de quatre. Ce qui auraient pu être des heures de tortures était devenu la seule échappatoire de Melania. Seule face à ses touches noires et blanches, seule au milieu des notes et des clefs de sol, seule avec l'harmonie qui vibrait sur sa peau, elle n'avait pas à être parfaite. Elle n'avait pas à suivre les ordres. Elle n'avait pas à tenir un rang. Juste faire jaillir la mélodie de ses doigts. Comme de la magie. Être une héritière, c'était étouffant. Melania avait fait corps avec son rôle, l'avait épousé jusqu'à aimer être l'une des meilleures de sa classe, la fierté de son père et le visage de l'entreprise familiale. Mais simplement parce que tous les soins l'attendaient une heure face à son piano où elle pouvait juste être elle-même et le jouer au monde entier.

L'invitation à entrer lui vint sous la forme d'une bouffée d'air frai absolument divin en cette journée de juillet. Sans hésiter, Melania poussa la porte. Elle n'avait jamais été quelqu'un timide ... Elle était une Selwyn. Une Selwyn qui avait dû se battre pour mériter de se comporter parfois comme une princesse. La lumière l'aveugla presque. Elle ne s'attendait pas à la découvrir, se déversant à flot depuis les fenêtres percées dans les murs latéraux et tâchait les dalles grises de mille éclats d'or. Elle faisait chatoyer le bois des bancs, tous tournés vers l'autel tout au fond de l'allée. Dessus irradié une croix d'or, et il fallut qu'elle s'approche encore pour distinguer l'homme aux traits torturé dessus. Elle ne put s'empêcher de grimacer devant la couronne d'épine qui lui ceignait le front.

-Tu cherches le révérend ?

Le piano qui avait masqué les pas venait de brusquement s'arrêter pour laisser d'envoler cette voix. Prise de court, Melania sursauta et pivota vivement vers l'origine. Ses mains s'étaient crispées sur la baguette dans sa poche. Mais ce n'était qu'un jeune homme, assis sur un banc recouvert de velours, à moitié affalé sur les touches noires et blancs. Moins intéressé par le garçon que par l'objet, Melania scruta l'étrange instrument, si différent de celui qu'elle pratiquait tous les soirs. Où était la longue queue longiligne qu'elle effleurait systématiquement avoir de s'assoir ? Non, il n'y avait qu'un coffre de bois usé jusque la corde droit, horizontal, d'où jaillissait le clavier comme une excroissance, un signe de difformité.

-Oh ... non, je suis juste venue ... C'est un piano ?

-Euh ... (Le jeune homme fit couvrir ses doigts et quelques gammes dissonantes s'élevèrent). Je sais que ça surprend toujours la moitié du village quand j'en joue mais oui.

-Mais vous lui avez fait quoi ?

A ses yeux, c'était comme s'il avait été amputé, et l'idée lui donnait la nausée. Les sourcils du jeune homme se froncèrent et il contempla l'instrument, un peu surpris.

-Euh, rien. Mon père m'a demandé de le raccorder, je voulais être certain d'avoir viser juste ... Certes il n'est pas très reluisant, mais il l'a acheté d'occasion quand il est arrivé dans la paroisse ... il sonne bien, non ?

Et avec un sourire qui tenait presque du défi, il arracha une belle mélodie à l'instrument. C'était un air entrainant, l'énergie qui émanait de chacun de ses gestes était lumineuse, mais l'oreille attentive de Melania nota la technique faible et les petites fausses notes. Et le sourire fier qui ourla ses lèvres à la fin de la démonstration, c'était pire que tout pour elle. Très clairement, ce n'était pas quelqu'un qui avait pris des cours de solfège et qui pensait pouvoir se satisfaire d'une mélodie imparfaite. Elle dressa un sourcil, nullement impressionnée.

-Vous appelez ça « bien sonner » ? Je peux ?

D'un geste empli de flegme, il lui désigna la place et se décala pour qu'il puisse s'assoir. L'odeur de sa veste en cuir frappa les narines de Melania, mais dès que ses doigts effleurèrent les touches, tout s'effaça. Elle ne prit même pas la peine de poser ses deux mains : une seule suffisait à faire éclater les notes comme des bulles remplies d'harmonie. Elle enfonça les touches, les cordes vibrèrent sous ses doigts et la mélodie se déploya dans l'air avec la douceur de la brise d'été. Le son n'était pas différent de celui qui jaillissait de son propre piano, malgré l'aspect mutilé ... Le corps du bâtiment lui donnait même un charme supplémentaire avec un doux écho.

-Joli, admit-t-il lorsque Melania éloigna sa main, satisfaite de sa performance. Très fluide, très technique ... (Il lui tendit sa main avec un sourire). Je m'appelle Alex, en fait.

-Mel.

Le surnom lui était venu naturellement – d'autant que lui avait clairement donné le sien. Elle serra sa main, mais lorsqu'elle voulut la reprendre, Alex la retint entre ses doigts et les examina avec une attention toute particulière qui la troubla si fort qu'elle en oublia de protester. Avec l'œil d'un expert, il scruta sa main impeccable aux ongles propres et égaux. Son pouce effleura l'arrondi de sa bague en or, et dont la pierre résidait encore côté paume, cachée dans l'obscurité.

-Ça ce sont des mains qui taquinent les touches depuis la naissance, Mel.

-Depuis que j'ai quatre ans, répliqua-t-elle en récupérant sèchement sa main.

-C'est bien ce que je me disais, lança-t-il avec un sourire goguenard. Tu triches.

-Excusez-moi ?

Melania n'avait jamais été parfaite, mais une qualité qu'on ne pouvait pas lui enlever c'était la droiture. Elle n'avait jamais triché à un examen, elle n'avait jamais menti à ses parents, et elle n'avait jamais tergiversé sur ses valeurs. C'était bien pour cela qu'elle s'entendait si mal avec sa mère ... Dès qu'elle avait eu dix-sept ans, la sèche autorité maternelle s'était fracassée contre les convictions brûlantes de sa fille. Alors qu'on l'accuse de tricher ? Pourtant, les yeux gris du jeune homme étincelaient.

-Déjà tu as clairement des mains de pianiste, c'est un avantage de naissance, entonna-t-il avec le ton docte de la démonstration. Ensuite on t'a mis sur un piano à quatre ans – un piano à queue, non ? Sérieusement, tu as déjà vu un piano droit de ta vie ?

-Je ...

-Attention ce n'est pas une attaque. Tant mieux pour toi. Mais c'est facile d'avoir une maîtrise parfaite lorsque papa et maman ont les moyens de payer les leçons sur un piano à queue dès l'âge de quatre ans. Ils font quoi tes parents, sans indiscrétion ?

La pente commençait à être doucement glissante, et Melania commença à se maudire d'avoir d'abord cédé aux sirènes de la musiques, puis à celles de la fierté. Ne trouvant aucun mensonge à débiter, elle préféra assurer d'un :

-C'est indiscret, justement.

Elle ne savait pas si elle avait été sèche, ou seulement gênée mais le garçon détourna immédiatement les yeux. Sans se départir de son sourire, cela dit. A la lumière qui inondait l'espace, ses prunelles translucides étincelèrent, et pétillèrent davantage lorsqu'il se remit à « taquiner les touches ». Les dissonances prirent un autre son aux oreilles de Melania et au fond d'elle, une boule de gêne commença à grossir.

-Je suppose que ça n'a pas été votre cas ? souffla-t-elle, brusquement lucide. Vous n'avez jamais pris de leçon ?

-La seule que j'ai prise était pendant une heure de colle pendant le cours de musique au collège, répondit-t-il simplement. Et arrête de me vouvoyer, tu me donnes quel âge ? Je fais si vieux que ça ? Dis-le-moi que je porte plainte contre mon père !

Melania se sentit rougir et sans le vouloir, examina davantage Alex pour s'en assurer. Non, il ne faisait pas vieux du tout. Les traits fin, le nez droit, les yeux gris en amande, il était même plutôt agréable à regarder. Ses cheveux étaient bruns, courts et le soleil leur donnait un aspect mordoré assez chaleureux qui compensait la froideur de l'iris.

-Pourquoi ce serait la faute de ton père ?

-Parce que selon tous les observateurs de ce monde, je suis son portrait craché. Alors, quel âge ?

-Vingt ? tenta-t-elle, prise au jeu malgré tout.

-Ouh, mais c'est qu'elle essaie de se rattraper ... (Un sourire plus doux ourla ses lèvres). Vingt-deux dans un mois. Et toi tu dois en avoir soixante-dix, non ?

-Pardon ?!

Alex essuya un petit rire qui se mêla aux notes à moitié chaotiques qui sortaient toujours du piano. Ce n'était pas orthodoxe, ce n'était pas parfait, mais l'énergie que cela dégageait pénétrait Melania malgré sa vexation.

-Dans ta tête du moins. Jolie robe, mais un peu démodée, non ?

-Oh, comprit-t-elle, et de nouveau elle sentit le fossé se creuser malgré leur proximité sur le banc du piano. Je me disais que c'était dans le thème du village ...

Elle espérait que la saillie ferait diversion, et par miracle elle eut raison : Alexandre cessa de jouer pour rejeter la tête en arrière et s'esclaffer franchement. Son rire remplaça les notes et fit résonner la cage thoracique de Melania plus efficacement que le piano. Son cœur vibrait encore que le rire s'était évanoui depuis longtemps.

-Touché ! gloussa-t-il. C'est pour ça que tu es venue ? Pour nos vieilles pierres, les antiquaires de Market Square ?

-J'aime les vieilles choses, prétendit Melania en songeant aux plumes et au parchemins qu'elle utilisait encore quand les moldus étaient passés à autre chose depuis des siècles. C'est comme ça, je suis sensible au charme de l'ancien ...

-Et mince, j'aurais dû te laisser croire que j'étais vieux.

Cette fois, Melania s'empourpra carrément, totalement déstabilisée. Je rêve il est en train ... de me draguer ? Elle évalua la situation, elle et lui sur l'étroit banc et leurs coudes qui s'effleuraient aux moindres gestes, mais même là la chose lui semblait incongru. On ne l'avait jamais dragué, pas même à Poudlard. On l'avait courtisée, elle l'héritière des Selwyn, mais draguer ? Draguer, c'était pour les jolies filles, pas pour les élèves sérieuses au nez bizarre et aux cheveux ternes. Et ici qu'est-ce qui l'intéresserait ? Elle n'avait même pas l'aura des Selwyn pour la sublimer ... Troublée par ses propres pensées, Melania préféra s'intéresser au piano et laissa s'enfoncer librement ses doigts. La mélodie mélancolique jaillit seule des confins de sa mémoire.

-Pardon, au fait, lança Alex par-dessus les notes. C'était nul de juger sur ta robe. Je trouve ça même ... plutôt cool que tu ne te fondes pas dans le moule.

Oh Merlin, si tu savais ... Elle repensait à la dernière réunion qu'elle avait eue avec son père, avant même qu'on apprenne que le Seigneur des Ténèbres était revenu d'entre les morts. Melania poussait pour qu'il se rapproche des milieux financiers moldus pour diversifier ses activités, et lui était freiné par deux choses : le regard des autres grandes familles de Sang-Pur, et son propre mépris pour les moldus, qu'il n'estimait pas inférieur, mais peu digne d'intérêt. Mais regarde ce qu'ils ont construit Père, songea Melania en contemplant la voute de bâtisse dont les arcs ne cessaient de la fasciner. Sans la magie, juste avec leur esprit et leurs mains ...

Ça avait été la grande victoire de Melania. Se fondre dans le moule ... pour mieux le briser ensuite. Elle remerciait pour cela beaucoup de monde. Son père, qui s'était assez désintéressé de son éducation (trop concentré sur celle de ses fils) pour l'autoriser à prendre comme option l'Etude des moldus. Sa professeure, Charity Burbage, dont la simple personnalité avait réussi à la faire se passionner pour la matière. Puis la matière en elle-même qui avait chamboulé son monde. Sur un gramophone, Burbage, connaissant sa passion pour le piano, lui avait fait écouter du Chopin. Melania en avait pleuré. Comment oser dire qu'ils étaient une race inférieure ? Digne de peu d'intérêt ?

-Je suppose que tu n'aimes pas vraiment les moules non plus ? imagina-t-elle sans cesser de jouer.

-Mon père est révérend et je suis athée. Ça te donne une bonne idée, non ?

Pas vraiment, mais Melania força un petit rire pour donner l'impression qu'elle acquiesçait.

-Je pensais que tu étais le portrait de ton père ?

-Oh, ça ne veut rien dire ... Ma sœur est le portrait craché de ma mère et pourtant c'est le froid polaire entre elle depuis six ans.

-Qu'est-ce qu'il s'est passé il y a six ans ?

Alexandre baissa les yeux sur les touches que parcourait toujours Melania. Il suivit le mouvement de ses doigts de ses yeux gris avec une attention qui obligea son sang à venir s'affluer sur ses joues.

-Victoria est partie dans un pensionnat. En Ecosse. Sale histoire.

Il ne paraissait pas vouloir s'appesantir, et Melania n'insista pas. Tout simplement parce qu'elle ne voyait pas le mal là-dedans ... mais elle avait vécu ses années à Poudlard comme un libération. Cela dit combien de familles étaient déchirées par la distance ... ? Elle n'y avait jamais réellement songé. Toutes ses familles de moldues qui laissaient leur enfant monter à bord du Poudlard Express, après avoir reçu une simple lettre qui démystifiait leurs sorcières ... Elle n'y avait jamais songé. Mais maintenant qu'elle le faisait, elle prêtait à tous ces parents l'expression à la fois torturée et mélancolique qui peignait à présent les traits d'Alex. Qu'il puisse simplement être aussi déchiré à l'idée de vivre loin de sa sœur provoqua un élan de compassion dans sa poitrine.

-Qu'est-ce que tu fais dans la vie ? demanda-t-elle plutôt pour éloigner la conversation de sa sœur (et de la famille en générale. Melania n'avait pas la moindre envie de parler de sa propre famille et d'avoir à mentir pour masquer la famille dans sa vie).

-Je répare des voitures à Bristol. Et toi ? De grandes études à l'université je suppose ? Prestigieuse ? Oxford sans doute ?

-Pas du tout, je travaille dans le cabinet de mon père. A Londres.

-Londres ? Non mais sérieusement, qu'est-ce qui t'amène ici ?

Le rythme des doigts de Melania sur le piano ralentit, marquant son indécision. Le visage défiguré de son frère jumeau passa dans son esprit et une pointe de culpabilité vint lui piquer le ventre. Elle l'avait cherché pendant une heure dans tous les recoins. Elle devrait encore être dehors ... Pourtant ses jambes refusaient d'obéir à cette injonction. Son pied était vissé à la pédale du piano qu'elle enfonçait à intervalle régulier.

-Je n'ai jamais pu résister à la musique, avoua-t-elle, comme si ça expliquait tout. J'entendais le piano de dehors et ... C'est la seule chose qui me fait ... tout oublier.

Elle leva les yeux pour croiser le regard d'Alex, et dans le sourire tenu, à peine esquissé qui s'étira sur ses lèvres, elle sut qu'il comprenait. Elle voyait presque les souvenirs défiler derrière l'iris dont la couleur bleue semblait être intensifiée par l'été.

-Je me dispute ... souvent avec mes parents, entonna-t-il tranquillement, l'air presque penaud, désolé. Enfin ça va mieux depuis que j'ai quitté la maison, mais pendant des années ça a été l'enfer.

-Et c'était de la faute de qui ?

-J'étais un sale gosse, ils exigeaient que je sois quelqu'un d'autre, un partout, balle au centre, éluda-t-il avec un large mouvement de la main. Toujours est-il qu'après chacune des disputes, je m'enfermais dans ma chambre pour mettre la musique à fond. Pas juste pour me calmer... Non, c'était pour les punir davantage, je m'arrangeais pour qu'elle soit la plus forte possible, celle qu'ils détestaient le plus pour user leurs nerfs.

-Un sale gosse, vraiment, admit Melania avec un faible sourire.

-Vraiment, ouais. Au final j'ai fini par aimer ce genre de musique, j'ai tapé dans le bon – le bon rock hurlant des années 80 – mais j'ai fini par comprendre que ça attisait plus ma rage que ça me calmait. Je m'assourdissais, et j'avais envie de tout casser ... (Il baisser les yeux sur le clavier). J'étais en colère contre mon prof quand il m'a collé. Mais lorsqu'il m'a proposé de jouer, tout s'est apaisé. C'est différent d'écouter et de se laisser emporter, alors que jouer ... (Il exécuta quelques notes pour illustrer ses dires). Ça extirpe le mauvais de toi. Tu contrôles le son, tu contrôles ce qu'il renvoie. Tu as juste à pianoter ta rage et ... à la laisser s'envoler sous forme de musique.

Les mots résonnèrent dans l'espace avec les notes qui se mourrait. Le sourire de Melania persista sur ses lèvres. Plus le temps passait, plus l'intérêt pour le piano s'effaçait au profit du garçon assis à ses côtés.

-Je n'avais jamais dit ça à personne, songea-t-il, l'air assez surpris par lui-même. Je n'en reviens pas de le dire à une inconnue.

-Une inconnue qui est entrée ici simplement parce qu'elle a entendu du piano, rectifia Melania avec douceur. Ça veut dire que je suis une personne parfaitement habilitée à comprendre. Peut-être que dans ton entourage, personne ne l'est ...

-Tory chante divinement bien, mais est incapable de jouer, mes parents sont trop sérieux pour se laisser aller à ce genre de futilité, énuméra-t-il, résigné. Tout comme les grands-parents. Ma grand-mère Anne serait choquée de me voir ici, elle est persuadée que je suis le genre de monstre qui brûle en entrant dans une église ou au contact de l'eau bénite.

-Oh ! réalisa Melania et son regard se riva sur les voûtes qui la surplombait. On dit ça de moi aussi !

Une église. Je suis dans une église. La lumière qui venait de s'allumer dans son esprit était aveuglante. Ses cours d'Etude des moldus et d'Histoire de la magie pullulaient de récits de sorcière arrêtées par les moldus, par des hommes de Dieu. « Oubliez Dieu dans l'affaire et retenez les hommes », avait malicieusement Burbage. « Parce que c'est l'une des affaires les plus misogyne du Moyen-Age. Les sorcières étaient presque toujours de femmes. A l'époque, on craignait les femmes intelligentes, et si les vraies sorcières ont pu s'en sortir grâce à des filtres et sortilèges, les pauvres moldues prises comme telles, elles ... ». On m'aurait doublement brûlé et aspergé d'eau bénite, pensa Melania, jetant presque un défi au ciel de la punir pour ainsi avoir pénétré un endroit où elle ne devrait pas être.

Alexandre la considéra avec une pointe de surprise au fond des yeux.

-Tu ne crois pas en Dieu ?

-Disons que ... c'est une notion qui m'a toujours un peu laissé perplexe. Tu connais du Chopin ?

La transition était abrupte, mais puisqu'elle était dans le monde moldu, elle brûlait de réentendre le morceau qui l'avait ému aux larmes dans sa classe. Alex haussa les sourcils et ses yeux étincelèrent de nouveau.

-Evidemment que la fille au piano à queue aime Chopin ... Non, pas vraiment. Je préfère reproduire des musiques de film, ça m'amuse plus. Mais je connais la Lettre à Elise !

Et il le lui prouver en dégainant une très jolie mélodie qu'il avait plus facilement, plus fluide et plus régulière que tous les autres morceaux qu'il avait joués. Mais Melania fronça du nez. Non, elle ne reconnaissait pas. Ce n'était pas ça ... Alex dressa un sourcil devant sa déception manifeste et Melania se dépêcha de faire disparaitre sa moue :

-Non, c'était très bien, vraiment très juste ! C'est juste ... j'aime beaucoup Chopin et je n'ai pas de partition, je n'ai pas eu l'occasion de jouer ça ...

-Tu habites Londres, non ? s'étonna Alex, perplexe. Des boutiques qui vendent les partitions de Chopin, ça doit se trouver à chaque coin de rue ...

-Peut-être, soupira Melania, fataliste. Je n'ai jamais pris le temps.

Elle se sentit brusquement hypocrite devant la simplicité de la réponse. Evidemment qu'elle pourrait trouver son bonheur dans les rues de Londres. Mais elle n'avait jamais pris la peine de les parcourir ... Pas une fois elle ne s'était perdue dans le Londres moldu, avait expérimenté tout ce qu'elle avait pu apprendre en classe, céder à un simple désir en allant chercher une partition de Chopin. Quelque part, cette expédition à Terre-en-Landes était sa première dans la vraie vie ... et après elle venait faire de grandes leçons de morales à son père alors qu'au fond, elle n'était jamais allée jusqu'au bout de ses idées.

Elle ne sut réellement ce qu'Alex lut sur son visage, et quelque part elle fut mortifiée par l'image qu'elle renvoyait : celle d'une fille de riche jamais sortie de sa tour d'ivoire. Elle s'était toujours protégée derrière cette aura d'héritière, mais à cet instant, assise sur un banc avec leurs doigts unis par un clavier, elle aurait tout donné pour s'en détacher et qu'il puisse simplement l'entendre par la musique. Mais lorsqu'il bondit assez brusquement du banc, faisant tonner l'instrument dont il écrasa les touches au passage, un large sourire fendait son visage.

-Alors tu as bien fait d'atterrir au village des Antiquités, ma chère !

D'un geste de la main, il l'invita à la suivre. Melania hésita, les doigts plaqués sur le piano, avant de se résoudre à lui emboiter le pas dans l'allée et à quitter l'instrument qu'elle avait appris à aimer malgré sa difformité apparente. Avant de sortir, elle croisa une vasque de pierre fondue dans le mur et plongea la main dedans, intriguée. Ses doigts rencontrèrent ce qu'elle devina être la fameuse l'eau bénite qui aurait dû brûler les sorcières. Mais rien ne particulier ne se produisit. C'était juste de l'eau fraiche qui lui glaçait la peau ...

-Alex ?

Le jeune homme, une main sur la porte, se retourna assez vite pour se faire asperger de quelques gouttes d'eau bénite. Son cri de surprise résonna dans l'église, mais le rire de Melania couvrit tout.

-Je vois qu'on ne brûle pas ! constata-t-elle, radieuse à cette constatation. Tu pourras en informer ta grand-mère !

-Que de mensonge qu'on nous raconte depuis la naissance c'est désolant, fit mine de se lamenter Alex en s'épongeant le visage.

-Je ne te le fais pas dire. C'est ce que j'ai préféré dans le fait de grandir : pouvoir forger mes propres idées !

Alors qu'il s'apprêtait à pousser la porte, Alex se retourna sur elle et la dévisagea quelques secondes, le coin des lèvres frémissant. Il paraissait sur le point de dire quelque chose, mais se ravisa et se contenta de tenir la porte à Melania pour la laisser passer. La jeune fille émergea dans l'été à moitié suffocant et regretta aussitôt la fraicheur de l'église. Elle suivit Alex sur le côté du parvis, jusqu'à un étrange engin à deux roues qui lui arracha une sorte de gloussement compulsif.

-Mais qu'est-ce que c'est que ça ?

-Comment ça « qu'est-ce que c'est que ça ? » ? J'ai réparé cette moto de mes propres mains, elle est magnifique !

-Tu veux dire que ça roule ? Pour de vrai ?

-Attention, Mel, je vais finir par être vexé.

Melania sourit pour atténuer ce qui paraissait être des moqueries, mais qui était en réalité de l'incrédulité. Elle n'avait jamais vu un engin pareil, n'avait pas la moindre idée de la façon dont il fonctionnait – peut-être comme les fameuses voitures dont les pétardements la rendait folle à Londres ? Cela dit, quand Alex lui tendit un casque, elle n'hésite pas avant de le saisir. C'était comme si cette quête de partition avait ouvert une grande vanne en elle, une vanne qu'elle maintenant fermait, qu'elle ignorait depuis des années. La curiosité. La volonté de se confronter à l'autre, l'inconnu, le différent. Ce n'était pas pour rien qu'elle avait choisi l'Etude des moldus comme option. Ça avait été sa bouffée d'air frai, son seul choix original qui la distinguait de la foule.

-Tu l'as vraiment réparée toi-même ? s'assura-t-elle en enfourchant l'engin à la suite d'Alex.

Ce n'était pas évident avec sa robe – c'était même carrément gênant, mais ça l'était un peu moins que de se retrouver littéralement collée contre le dos du jeune homme. Celui-ci avant les mains qui trifouillait des manettes sur le manche et referma son blouson. Son profil laissait apparaître un sourire quelque peu narquois.

-Je répare des voitures, je raccorde des pianos et la semaine dernière j'ai remis à neuf le buffet de ma grand-mère. Je suis doué avec mes mains, à bon entendeur.

Melania passa par tous les stades : elle s'étouffa, rougit comme un souafle, puis éclata de rire pour que la pression s'évacue d'un son mélodieux.

-Oh celle-là elle n'était pas subtile !

-Tu ne me connais pas encore, Mel, mais je brille par bien de choses ... la subtilité n'en fait pas partie.

-La modestie non plus. D'accord, admit-t-elle lorsqu'Alex lui jeta un petit regard entendu. Moi non plus elle ne m'étouffe pas.

-A la bonne heure.

Sur ce, il mit le moteur, qui rougit si fort que Melania attrapa vivement les deux hanses positionnées de chaque côté de ses hanches. Après s'être assuré qu'elle était bien accrochée, Alex démarra. La moto fit un véritable bond vers l'avant et Melania eut la sensation que son cœur resta sur place, trop lourd, scotché.

Non, ça devait être son cerveau qui était resté sur place. Le trajet en moto fut incroyable.

Malgré l'odeur forte et désagréable qui s'échappait derrière eux, malgré les efforts qu'elle devait faire pour maintenir ses mains fermement accrochées aux hanses, malgré son cœur qui tombait dans sa poitrine dès qu'elle devait se pencher pour suivre le mouvement de la moto. Ses réflexes étaient bons, et pour cause c'était le même instinct qui s'éveillait que lorsqu'elle était sur un balai. Melania en possédait un, un Nimbus 2000 magnifique qu'elle s'était payée par caprice pour sa sortie de Poudlard, mais l'utilisait peu. Elle n'avait jamais joué au Quidditch, volait peu, mais cette balade dans les rues sinueuses de Terre-en-Landes lui donnait envie de mettre la main dessus dès qu'elle rentrerait chez elle.

-On dirait que tu as fait ça toute ta vie, se moqua Alexandre lorsqu'il s'immobilisa au milieu de la place principale. Tu es déjà montée sur une moto ?

-Quand j'étais plus petite, mentit Melania, mais c'était la seule manière qu'elle avait de parler de son expérience sur un balai. J'avais oublié ce que ça faisait ...

-Ça galvanise ?

Melania sourit et se dépêcha de sauter à terre pour réajuster ses jupes sur ses jambes. Elle devait l'admettre, ce qui avait été le plus pénible dans le trajet avait été de ne pas se coller à Alex. Déjà pour ne pas avoir l'air d'être une pauvre fille, mais en plus parce qu'elle avait conscience que l'ambiguïté née sur le clavier d'un piano aurait pu monter d'un cran si elle l'avait enlacé. Arrête de penser qu'il te drague, se morigéna-t-elle en lui emboitant le pas dans une boutique qui sentait à plein nez le vieux livre et la poussière. Ce genre de garçon ça doit se comporter comme ça avec toutes les filles ... La remarque sur les mains, c'était juste pour me mettre mal à l'aise. Il veut pousser la fille de riche hors de sentiers battus.

Bon, c'était réussi. Pourquoi adorait-t-elle ça ?

-Alexandre Bennett, soupira la vieille femme qui était accoudée au comptoir. Je t'ai entendu arriver à deux heures avec ta fichue moto.

-Bonjour madame Blake, claironna Alex avec un sourire insupportable.

-T'es pire qu'un boomerang. Plus loin on te lance, plus vite et pire tu reviens. Bon, qu'est-ce que tu veux ?

-Des partitions de Chopin. Je suis sûr que vous avez ça.

Melania n'en doutait pas : il semblait y avoir de tout dans cette boutique. Des livres dans une étagère jusqu'en haut, des globes terrestres, des sacs de cuir de belle qualité et diverses maroquineries, et même un secrétaire somptueux d'acajou. Madame Blake dressa un sourcil et son regard tomba sur Melania en retrait.

-Ah. C'est pour elle ? Tout s'explique.

-Non, c'est pour lui, prétendit Melania, hérissée par le regard dédaigneux qu'elle posait sur Alex.

-Bien sûr, bien sûr ...

Elle ne paraissait pas y croire pour deux noises et disparut dans son arrière-boutique avec un gros soupir. Melania ouvrit de grands yeux, assez indignée par l'accueil, mais Alexandre désamorça sa colère naissante d'un sourire tranquille.

-Sale gosse, tu te souviens ? C'est comme ça que je subsiste dans le village. Oh, ce n'est pas grave. Je chargerai la nouvelle bande de gosse du village de me venger à Halloween. Une douzaine d'œuf devraient suffire. Ou alors je pourrais demander à Tory ...

Une lueur presque machiavélique s'alluma dans son regard, mais Melania n'eut pas le temps de lui demander le plan. Madame Blake revenait déjà de son arrière-boutique avec une liasse de feuilles jaunies qu'elle tendit sans révérence à Melania, tout en lorgnant ouvertement sa robe émeraude. Sans faire plus de cas de son regard inquisiteur, la jeune fille se saisit des partitions et les tendit directement à Alex.

-Tiens, c'est pour toi, déclama-t-elle, le menton relevé.

Alex esquissa un sourire et ignora Mrs. Blake qui levait les yeux au ciel, exaspérée. Il la paya d'un papier-monnaie qu'utilisaient les nés-moldus et qui avait toujours un peu éberlué Melania, attachée à sa sonnante et trébuchante. Ils sortirent de la boutique et retrouvèrent le soleil de plomb de juillet. Lorsqu'elle reçut enfin les partitions, les mots manquèrent à Melania. Elle les parcourut distraitement, tous ces points noirs, ce chaos duquel émergeait l'harmonie mais très vite ses yeux se levèrent de nouveau vers Alex. Il avait été jusqu'à lui payer les partitions, et elle le remerciait à tous les égards. Elle aurait eu l'air de quoi en présentant ses mornilles et ses noises ... ?

-Merci ... Alexandre, c'est ça ?

-Mes parents aiment les prénoms longs. Alex, c'est très bien.

-J'ai le même problème avec Melania, concéda-t-elle avec un petit sourire.

Elle pressa les partitions contre sa poitrine, où elle pouvait parfaitement s'imprégner des battements erratiques de son cœur. Elle aurait voulu étouffer cet élan. Il fallait qu'elle l'étouffe. Mais elle connaissait Alexandre depuis une poignée de dizaine de minutes et les ponts entre eux semblaient venir des tréfonds d'elle-même. Jamais elle n'aurait songé pouvoir parler aussi ouvertement de son amour de la musique moldue et de ses envies de briser les codes.

Pourtant il ne fallait pas qu'elle l'oublie. Les ponts enjambaient un véritable fossé. Un fossé qu'ils creusaient tous les deux. De façon très clair, Alexandre était intimidé – gêné ? – par la position sociale que trahissait ses manières. Quant à elle ... son cœur tomba dans sa poitrine. C'est un moldu, Mel. Reprends-toi.

-Merci, c'était adorable, entonna-t-elle du bout des lèvres. Et ta moto roule très bien. C'est vrai que tu as l'air d'avoir de l'or dans les mains.

-Et tu faisais vraiment sonner ce piano mieux que moi, lança Alexandre avec une grimace.

-Tu as raison, je n'ai que peu de mérite. Peut-être qu'avec toutes mes années de leçons tu aurais un meilleur niveau que le mien.

Ils échangèrent un sourire. Le genre de sourire qui appelait à quelque chose. Un mot, un geste. Et qui, s'il se prolongeait, devenait gênant et crispant et Melania fut la première à rompre le contact. Pour échapper aux yeux étincelants d'Alexandre, elle se plongea dans les partitions et un nouveau sourire effleura ses lèvres.

-J'ai vraiment hâte de jouer ça à mes parents. Chopin ... c'est tout ce qu'ils détestent, mais je doute qu'ils connaissent la moindre de ces compositions.

-Tu es en train de me piquer mes techniques, là.

-C'était inspirant, je dois l'admettre. Mais la subtilité, c'est d'être une sale gosse tout en parvenant à paraître être la fille parfaite. Un vrai jeu d'équilibriste, mais je commence à être bonne dans l'exercice.

-Tant mieux pour toi, fit Alexandre en fronçant son nez. J'en serais incapable. De maintenir un masque comme ça, tout le temps, tout ça pour plaire à mes parents ... Non, je vais pas te mentir, je trouve ça un peu débile. Ça ne te fatigue pas ?

Non. Un peu. Oui, un peu. Elle s'en rendait compte à l'instant présent, alors qu'elle parlait sans filtre – si ce n'était celui qui masquait la magie ... mais était-ce vraiment essentiel ? Etait-ce qu'elle avait au fond de son cœur, qui faisait vibrait son âme ? Avait-elle un jour été elle-même avec quelqu'un ... ? Même avec ses camarades de dortoir elle s'était retranchée derrière l'aura de l'héritière Selwyn. Son silence parut éloquent à Alexandre. Le sourire qui ourla ses lèvres était étrangement semblable au précédent, l'appel, d'un mot, d'un geste ... Cette fois, Melania ne se défila pas. Elle fut même plutôt surprise de son audace – et de pouvoir ressortir de tels termes issus de ses poussiéreux cours d'Etude des moldus :

-Tu aurais ... un numéro de téléphone ?

Oh mon Dieu Mel, qu'est-ce qui te prend ? Une partie d'elle se tendit comme un arc, horrifiée. Les éléments s'alignaient dans son esprit si vite, si énormes qu'ils la paralysaient chaque seconde un peu plus. C'est un moldu. Tu ne l'intéresses pas. Tu le connais depuis moins d'une heure. Tu dois chercher Nestor. Mille gargouilles, Nestor. Le Seigneur des Ténèbres. Oh mille gargouilles, c'est un MOLDU.

Mais elle ne voulait pas perdre ça. Elle ne voulait refermer la vanne, elle ne voulait pas remettre le masque. Pas pour toujours. Elle voulait vouloir parler musique avec quelqu'un. Elle voulait que sa déviance soit normale et légitimée face à quelqu'un. Elle voulait expérimenter ce qui l'avait fascinée dans la salle de cours de Charity Burbage. Pour la première fois de sa vie, dans ce village qu'elle ne connaissait même pas quelques heures plus tôt, ce trou paumé, elle était Mel, et non Melania Selwyn. C'était grisant. L'effet d'Alexandre sur elle était grisant.

Elle ne sut comment elle parvint à maintenir une expression sereine. Alexandre papillonna des yeux, l'air pris de cours.

-Attends ... tu veux me revoir, c'est ça ? Pour de vrai ?

-Pas toi ?

Stupide, stupide Mel. Mais Alexandre se dépêcha de la détromper, avec de grands gestes paniqués qui trahissaient un désir de ne pas laisser passer sa chance.

-Si ! Bien sûr, c'est juste ... Enfin je ne pensais vraiment que j'étais ton type. Pas du tout. Je veux dire généralement les jeunes filles qui jouent sur un piano à queue ne fréquentent les garçons qui réparent de vieux pianos droits ...

Melania eut la sensation que le sol s'ouvrait de nouveau sous ses pieds et que de nouveau un gouffre immense les séparaient. S'il savait ... s'il savait quelle était la véritable nature du fossé qui les séparait ... si c'était juste une question de classe ... s'il savait que sa mère le contemplerait comme un cafard ... s'il savait ce qu'elle cachait au fond de sa poche ... si elle savait qui elle cherchait désespérément ... S'il savait ... Mais il avait ouvert la vanne. La vanne qu'elle ignorait depuis l'enfance, d'où ne s'écoulait qu'un mince filet d'eau irrigant toutes ses déviances. Le filet devenait flot à mesure qu'elle s'ouvrait.

-Toi et moi on ne rentre pas dans les moules, non ? répliqua-t-elle.

Et au sourire à la fois empli d'un défi silencieux et appréciateur qui fendit le visage d'Alexandre, elle sut qu'elle aurait son numéro. Il n'attendit pas longtemps avant de sortir un stylo de ses poches, et de reprendre les partitions à Melania. S'appuyant sur sa moto, il inscrivit une série de chiffre dans une marge et lui rendit avec un petit sourire.

-C'est celui de mon appart à Bristol. Si ça te dit.

-Ça te dit, toi ?

Le sourire se fit presque effarouché. Alexandre frotta sa nuque, gêné.

-Bien ... la musique ça a tendance à frapper au cœur, Melania.

-Vraiment ? lâcha Melania, bien consciente de devenir écarlate.

-Vraiment. Pas de faux bond ? Je détesterai être pris pour un con.

-Tu as ma parole.

L'air à moitié rassuré, Alexandre lui tendit les partitions, et Melania les saisit sans hésiter. Leurs chemins se séparèrent enfin. Non sans qu'il se retourne quelques fois alors qu'il enfourchait sa moto. Pas sans qu'elle contemple chacun de ses gestes avec un mélange d'amusement et de nervosité. Pas sans qu'un signe de main soit échangé, et qu'enfin la moto file sur les routes inégales de Terre-en-Landes. Alexandre s'éloigna, disparut et quitta son champ de vision, mais son départ créa une certitude en Melania. Avec un mélange d'exaltation et d'effroi, le virus s'était déjà solidement implanté dans son cœur.

***

Melania, par acquis de conscience, fit une dernière fois le tour du village avant d'abandonner et de rentrer à Londres. Son père n'était pas de retour, lui apprit Ulysse qui l'attendait nonchalamment sur le sofa bleu roi du salon au premier étage. Il était plongé dans la lecture de La Gazette du sorcier, et ne daigna même pas lever les yeux sur elle pour ajouter :

-Mais Nestor, si. Dix minutes après ton départ. Un rendez-vous à Ste-Mangouste, tu sais, une nouvelle potion pour ses cicatrices ...

-Ste-Mangouste, soupira Melania en luttant contre le sentiment de stupidité. Bon sang, je deviens paranoïaque avec tout ça ... Tu as raison, à quel moment le Seigneur des Ténèbres viendrait le chercher ... ?

Ulysse roula des yeux d'un air dédaigneux : il n'avait jamais estimé Nestor, ni ne lui avait accordé le moindre crédit. Il posa enfin un regard sur elle pour lui tendre La Gazette d'un air désabusé.

-Niveau paranoïa, j'ai mieux, ne t'en fais pas.

Melania soupira devant l'immense photo de Cornelius Fudge qui s'étalait en Une. Son visage était renfrogné à l'ombre des bords de son chapeau melon. En dessous, une légende indiquait qu'il venait de destituer Dumbledore de son poste de chef du Mangenmagot, certifiait que le grand sorcier devait avoir perdu sa santé mentale pour oser annoncer le retour de « Lord-Machin-Chose ».

-Il commence à devenir ridicule ...

-Et ce n'est pas fini ... Tout le Ministère le soutient. Et le Seigneur des Ténèbres est invisible ... je comprends, ça met le doute. Pourquoi revenir des morts, puis partir de nouveau en fumée ?

-Pour refaire ses forces ? Parce qu'exécuter un tel acte a dû l'affaiblir ? Je n'en sais rien, Ulysse. Tout ce que je sais, c'est que Père est terrifié. C'est qu'il a forcément eu des échos ...

Son cœur tomba dans sa poitrine quand elle réalisa que Fudge laissait justement au Seigneur des Ténèbres le répit nécessaire pour constituer des forces capables de frapper – et de frapper fort. Et que ce jour venu, la guerre déchirerait de nouveau le monde des sorciers ... le monde tout court. Les moldus ne seraient jamais épargnés. Encore moins avec Celui-Dont-On-Ne-Doit-Pas-Prononcer-Le-Nom dans l'un des camps. Ils seraient sa première cible, comme quinze ans plus tôt.

Par Salazar, Alex.

-Mel ?

-Hum ?

Melania n'accorda qu'un bref regard à son jeune frère, mais il finit par se prolonger lorsqu'elle réalisait qu'il se dandinait littéralement sur le sofa. Ulysse oscillait entre la froideur et la nonchalance, le voir ainsi embarrassé l'obligea à hausser les sourcils pour l'inciter à parler. Le soupir qu'il poussa sembla venir des tréfonds de lui-même.

-Tu te demandais à qui j'écrivais ...

-Oh. Tu veux enfin me dire comment elle s'appelle ?

-Octavia, avoua Ulysse du bout des lèvres. Elle est dans la même année que moi. A Serdaigle. Et ...

Il hésita, les lèvres pincées pour retenir les aveux, et Melania consentit à s'assoir à ses côtés, touchée par son émotion. Ulysse ne protesta pas lorsqu'elle couvrit sa main de la sienne avec douceur. Il accepta le geste, sans pour autant lui rendre.

-Je sais que papa prépare depuis des mois des fiançailles avec Gloria Flint, poursuivit-t-il en levant les yeux au ciel, contrarié. Et je te jure que j'ai essayé, toute l'année j'ai ... « flirté » pour utiliser le terme vulgaire, mais rien n'y fait. Je n'arrive pas, elle ... m'horripile presque. C'est une princesse capricieuse sans rien dans le crâne.

-Les Flint viennent dîner la semaine prochaine, surtout garde ça pour toi.

-Mais c'est la vérité. Alors qu'Octavia ...

Le prénom resta suspendu entre eux quelques secondes, quelques merveilleuses secondes où le visage d'Ulysse sembla se métamorphosait. Oubliée la froideur et la nonchalance : Melania eut la sensation de contempler les véritables traits d'Ulysse Selwyn. Un pincement vint tordre son cœur. Lui aussi avait trouvé quelqu'un qui faisait tomber le masque ...

-Je suis sûr qu'elle pourrait plaire à Père en plus, enchaina Ulysse avec humeur. Elle est intelligente, distinguée, son père est haut placé au Ministère et possède un magnifique manoir en Ecosse ...

-L'important ce n'est pas qu'elle plaise à Père, répliqua Melania avec fermeté. C'est qu'elle te plaise à toi. C'est le cas ?

Indécis, Ulysse laissa s'égrainer quelques secondes avant d'acquiescer. Melania pressa sa main. Ses craintes n'étaient pas infondées : Père risquait d'être furieux. Les Selwyn et les Flint préparaient cette union presque depuis la naissance de leurs enfants. Elle fronça du nez en songeant qu'ils risquaient fort de se rabattre sur elle, et sur Marcus Flint, leur aîné d'un an son cadet à l'allure de troll. Sa mère lui faisait déjà bien assez remarquer qu'à vingt ans, elle n'était toujours pas fiancée malgré les beaux partis qu'elle lui proposait ... Fort heureusement, elle avait un allié de taille dans cette bataille.

-A ma sortie de Poudlard, Père m'a promis qu'il ne m'obligerait jamais à épouser personne, se rappela-t-elle avec en mémoire les effluves du cigare qu'il fumait lorsqu'il lui avait fait cette promesse.

-Bien sûr ..., maugréa Ulysse avec une pointe d'amertume.

-Je suis prête à lui renvoyer sa promesse à la figure, répliqua Melania en s'efforçant de ne pas être vexée. Je te jure, Ulysse. Si ça vaut pour moi, ça vaut pour toi aussi. Notre vie est déjà trop pénible pour que tu t'entêtes dans des fiançailles avec une femme que tu n'estimes même pas.

Ulysse leva sur elle un regard où brillait à la fois la résignation et l'espoir. Un drôle de mélange qu'elle aurait voulu effacer d'un coup de baguette. Ils étaient deux personnes intelligentes, ignorantes du besoin et avec la vie devant elles. Ça ne devrait pas être si difficile.

-Merci, marmonna-t-il, avant de se râcler la gorge pour reprendre contenance. Et toi ? Tu comptes finir vieille fille ?

-Ulysse, j'ai vingt ans.

-Je sais oui, tu as le temps ... c'est juste ... honnêtement tu es tellement parfaite. Je n'arrive pas à imaginer un homme qui pourrait te mériter. Père non plus, certainement. C'est pour ça qu'il t'a fait cette promesse.

Melania sentit ses joues s'empourprer. Elle n'était pas parfaite. Elle ne voulait pas ce piédestal qui avait fini par lui valoir la détestation de Nestor, la jalousie d'Enoboria et même une pointe d'aigreur pour Ulysse. C'était aussi cette aura qui avait pu intimider Alexandre ... Non, elle n'était pas parfaite. Elle voulait vivre parmi les motels et mettre ses propres conseils en application. Ne plus simplement être la princesse de Julius Selwyn, froide et inaccessible. Elle voulait être cette jeune fille qu'elle avait été dans la petite église de Terre-en-Landes, à jeter de l'eau bénite à un inconnu et à brûler pour Chopin. Elle voulait pouvoir enfourcher son balai sans craindre d'être une créature futile. Elle était une adulte. Elle avait le droit d'aimer ce qu'elle voulait. Qui elle voulait.

Troublée, Melania laissa Ulysse à sa lecture et redescendit dans le hall, la partition à la main. Elle ne fixait pas les notes brillantes de Chopin, mais les quelques chiffres qui tâchaient la marge. Pendant quelques secondes, elle fut absolument déchirée. Rentrer chez elle n'avait pas refermé la vanne. Non, elle restait ouverte, béante, appelait à tomber le masque. Ce n'était pas le moment de le tomber ici ... Dehors, en revanche ...

Elle se retrouva dehors sans l'avoir vraiment décidée. A quelques mètres de sa porte, au cœur du quartier de Westminster, se dressait une cabine téléphonique. Les rouges, dont l'effigie trainait sur le bureau de Burbage pendant ses cours. Melania retint son souffle lorsqu'elle composa le numéro et qu'elle plaça le combiné à son oreille. La tonalité de l'autre côté la pris par surprise et lui parut angoissante et interminable. Fort heureusement, elle ne la tortura pas longtemps. Quelques secondes plus tard, une voix grésilla dans l'orifice :

-Allô ?

-Alexandre ? C'est Mel. (Elle prit une petite inspiration et lança avec aplomb :) Dis, tu m'emmènes dîner demain soir ?

***

Un jour, Alexandre dira à Melania qu'il l'a aimé la première fois qu'il l'a entendu jouer.

Un jour, Melania dira à Alexandre qu'elle l'a aimé la première fois qu'elle l'a entendu rire.

Ils se sont mariés en 2000 sur Sping Waltz de Chopin.

Ils se sont aimés la première fois dans cette église. 


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