[O&P] 5. Se cacher de la peur
- Cinquième année -
3 septembre 1993
Simon faisait nonchalamment virevolter sa plume, le poing appuyé contre la joue. Devant lui, Emily, Victoria et Cédric parlaient de la préparation de la saison de Quidditch et la discussion l'ennuyait profondément. Si ça n'en tenait qu'à lui, il passerait les matchs dans son lit, mais chaque fois son ami le réveillait aux aurores. Le pire dans tout ça ? Pas un seul poursuiveur, pas même les massifs de Serpentard, n'avaient réussi à faire passer Victoria à travers ses buts.
D'une torsion de poignet, il éleva la plume un peu plus haut. C'était un acte de magie simple, appris en première année, mais elle ne cessait de le fasciner. Pourtant, il fallait qu'il se sublime en cette année de BUSE. Flitwick, McGonagall, Chourave : tous l'avaient pris à part pour le prier d'enfin se mettre au travail. La cinquième année était éprouvante et les capacités naturelles de Simon ne suffiraient bientôt plus. S'il voulait rester le prodige en sortilège qu'il était, il allait falloir travailler. Emily en avait été scandalisé et Cédric désabusé : ils avaient tous les deux d'excellentes notes, mais grâce à leur acharnement. Et il ne parlait pas de Victoria qui avait poussé un grognement dédaigneux lorsqu'il avait raconté la conversation : la pauvre était peut-être celle qui travaillait le plus mais qui réussissait le moins. Mais selon Simon, c'était moins dû à ses capacités qu'à sa confiance à en elle. Difficile de faire de la magie quand on n'aimait pas être une sorcière.
-Bon, il arrive ? râla Gillian Fawley, assise sur ta table. Sérieusement, on n'a pas que ça à faire de l'attendre, le nouveau prof !
-C'est quoi son nom déjà ? vérifia Roger Davies.
-Lupin, répondit Cédric en se levant. Et il va arriver, je l'ai vu quand je suis passé à la salle des professeurs.
En disant ça, il passa le pouce sur son insigne de préfet qui brillait sur sa poitrine, jusque au-dessus de celui de Capitaine. Cédric était un garçon incroyablement dénué de tout orgueil et de vanité, pourtant Simon savait à quel point il avait été fier quand il l'avait reçu. Qui d'autre ? Cédric était excellent élève, courtois et charismatique. « Je savais que ce serait toi ! » s'était-t-il exclamé, enthousiaste pour son ami. Cédric lui avait renvoyé un regard perplexe, incertain. « Et moi, j'étais certain que ce serait toi », avait-il avoué du bout des lèvres. « Un Bones, brillant qui plus est, ça fait sens non ? ».
Visiblement, il n'y avait que dans la tête de Simon que ça n'en faisait pas. Victoria aussi avait été surprise mais Emily était trop obnubilée par son propre insigne pour faire attention. Chez les filles, le suspens avait été nul.
-Tu ne veux pas aller voir Diggory ? demanda Roger.
-Non, ça fait un quart d'heure ! fit valoir Erwin Summers en désignant sa montre. Au bout d'un quart d'heure, on a le droit de s'en aller, c'est la règle !
-Non, c'est une légende, répliqua Victoria. Tout le monde le sait ...
Elle échangea un regard désespéré avec Emily et Simon daigna se retourner pour les observer. Parfois, il les contemplait et s'il s'ébahissait sur la puissance des malheurs. C'était un véritable tour de force d'avoir rendu ces deux jeunes filles amies, mais c'était bien ce qu'avait forgé la Chambre des Secrets. Une amitié profonde liait à présent les deux jeunes filles, tissée par les longues heures passées à être certains que Victoria ne serait pas la prochaine victime. Leur mission avait été accomplie avec succès : à la fin de l'année on leur avait annoncé que le monstre avait été tué par un élève, Dumbledore avait récupéré son poste et les examens avaient été annulé, soulageant la petite Victoria qui, sans son stress, était plus inconstante que jamais.
Cela dit, il devait l'admettre, il y avait du mieux chez Victoria. Elle avait moins cet air de victime, cet air craintif qui avait tant agacé Emily et attendri Cédric. Être accepté au sein d'un groupe avait permis de libérer quelque chose en elle et pour la première fois à Poudlard, Simon retrouvait la petite fille de Terre-en-Landes, la gamine souriante et solaire dont le rire était communicatif. Elle se découvrait enfin. Il n'y avait qu'à voir la façon dont elle avait répondu à Erwin : jamais elle ne l'aurait fait l'an dernier. Le changement paraissait plaire à Emily : depuis le début d'année, elles étaient inséparables.
Cédric commençait néanmoins à se tracasser sur le retard de leur nouveau professeur. Il consulta sa montre et jeta un coup d'œil anxieux à la porte.
-Davies a peut-être raison, je vais aller voir ... Peut-être qu'il lui est arrivé quelque chose ...
-Inutile, Cédric, je suis là.
Le professeur venait d'apparaître dans l'encadrement de porte. C'était un homme qui semblait trop vieux pour son âge réel : son visage était encore jeune, dénué de rides mais quelques mèches grises hantaient sa chevelure châtain. Il portait des vêtements bon marchés qui firent hausser très haut les sourcils de Gillian et semblait étrangement essoufflé. Il adressa un sourire à Cédric, qui venait de rassoir sur sa chaise à côté de Simon, penaud.
-Mais c'est très gentil de vous être inquiété. Et je rejoins Victoria, Erwin : l'histoire des « un quart d'heure », c'est une légende. On a tenté de faire le coup à notre professeur de Métamorphose en deuxième année avec des amis : nous en avons été quittes pour trois samedis à nettoyer le laboratoire de potions.
-Heureusement que ce n'était pas McGonagall, ça aurait été toute l'année, plaisanta Simon.
La classe partit d'un petit rire, encouragée par le sourire amusé du professeur. La sèche directrice de Gryffondor l'aurait réprimandé sèchement pour avoir osé l'interrompre, mais Lupin lui ne parut pas lui en tenir rigueur.
-En réalité, c'était elle. Et oui, je ne suis pas si vieux, ajouta-t-il quand tout le monde ouvrit des yeux ronds.
-Ou elle est très vieille, souffla Emily à Victoria.
-Par ailleurs, je vous demande pardon pour mon retard, reprit Lupin en ouvrant sa mallette. J'étais en train d'observer le magnifique épouvantard qui se trouve dans la salle des professeurs, il va m'être très pratique pour le début d'année ...
-Il y a un épouvantard dans la salle des professeurs ? s'exclama Octavia, entre surprise et horreur.
Gillian se cacha la bouche de la main en étouffant un petit cri et Simon leva les yeux au ciel. Victoria devant lui se retourna vivement et chercha des réponses de son côté. Il retint un soupir. Il n'y avait rien à faire : c'était toujours vers lui qu'elle se tournait quand elle avait un problème.
-C'est une créature qui prend la forme de ce dont tu es le plus effrayée, expliqua-t-il succinctement.
-Et je vais donner dix points à Poufsouffle pour cette définition exacte, approuva Lupin, l'air néanmoins étonné. Mais vous n'avez jamais étudié les épouvantards ?
La classe répondit par la négative et Simon retint un sourire cynique. Et avec qui ? En première année, leur professeur était si vieille qu'elle dormait la moitié des cours. La deuxième avait été chaotique avec un professeur absentéiste qui les gratifiait de leur présence que les jours de mauvais temps – pour le reste, il partait en exploration dans la forêt interdite ou les montagnes écossaises. La troisième à la limite était acceptable avec les cours timorés, mais documentés du professeur Quirrell. Enfin la quatrième année avait été catastrophique : Victoria et lui s'étaient fait une joie de jeter les livres de Gilderoy Lokhart dans un feu de joie une fois rentrés à Terre-en-Landes.
Lupin parut désappointé par la nouvelle. Il fronça les sourcils et observa la classe.
-L'année des BUSE, c'est embêtant tout de même ... Bon ... Peut-être qu'on va faire une petite séance de rattrapage ? Qui connait la formule pour conjurer un épouvantard ?
-Riddikulus.
-Simon ! râla Victoria en levant les yeux au ciel.
-En fait, il a raison, intervint Lupin, amusé. Dix points de plus pour Poufsouffle.
Simon adressa un sourire éclatant et triomphal à Victoria, qui rougit comme une pivoine. La classe perdit soudainement sa bonne humeur lorsque Lupin annonça qu'ils descendaient en salle des professeurs pour rendre cet exercice pratique.
Et Simon le premier.
C'est une créature qui prend la forme de ce dont tu es le plus effrayé.
Il se sentit devenir livide alors qu'il descendait en compagnie de ses camarades vers la salle des professeurs. Puis, à mesure que l'imposante porte approchait, l'appréhension laissa la place à une véritable angoisse. Il laissa tout le monde le dépasser et entra le dernier dans la mythique professeurs. Seule l'une d'entre eux était présente : une femme d'une trentaine d'année aux longs cheveux blonds que Simon n'avait quasiment jamais vu en dehors des banquets. Elle écarquilla les yeux en voyant débarquer dans la salle toute une classe et seul Roger Davies eut la présence d'esprit de la saluer :
-Bonjour, professeur Burbage.
Le professeur Burbage cligna des yeux et lâcha la plume qu'elle tenait à la main pour dévisager Lupin. Il lui adressa un sourire penaud.
-Navrée de vous déranger Charity, je me permets de réquisitionner la salle pour une séance pratique avec l'épouvantard avec les cinquième années. (Il se tourna vers la classe). Certains d'entre vous font Etude des moldus ?
Cinq élèves seulement levèrent la main, dont Victoria. Simon observa la professeure qui semblait toujours perplexe de se faire déposséder de sa tranquillité. La vérité, c'était qu'il aurait adoré tenter cette option. C'était l'une des particularités des Bones d'avoir une double culture moldue/sorcière et parler de films et de musique lui manquait énormément à Poudlard. C'était Chourave qui lui avait de façon insistance déconseillé de prendre cette option. « Bones, vous prenez déjà Etudes des runes et Arithmancie », lui avait-t-elle rappelé. « Ce sont deux options qui prennent énormément d'énergie, parmi les plus difficiles qu'on propose. Et vous avez beau être sans doute le meilleur élève de votre promotion, vous n'êtes pas un grand travailleur. Ne chargez pas trop votre barque, concentrez-vous sur l'essentiel ».
Le professeur Burbage finit par se remettre de sa surprise et sourit à la classe. Elle rassembla ses parchemins et passa devant eux. Simon lui trouvait le regard singulièrement fuyant : ses yeux ne s'attardaient nuls part.
-Bien sûr, allez-y ... Je corrigeais juste des copies. (Elle hésita, puis s'immobilisa sur le bas de la porte pour se tourner vers quelqu'un). Au fait, excellente dissertation Victoria.
Une partie de la classe dévisagea Victoria, qui fut si embarrassée qu'elle bredouilla à peine des remerciements. Certains échangèrent un regard perplexe et Gillian eut un reniflement méprisant en rappelant que « ce n'était que de l'étude des moldus » - et cela lui valut le regard assassin d'Emily. La professeure eut un sourire indulgent avant de refermer la porte sur eux. Le professeur Lupin attira leur attention d'un éclaircissement de gorge et tapota l'imposante armoire de sa baguette. Aussitôt, elle se mit à trembler et toute la classe eut un mouvement de recul. Lupin eut un petit sourire.
-Pas de panique, je ne vais pas le laisser sortir maintenant. Bon, Simon nous a rappelé la formule mais quelqu'un peut nous dire quel est le but de ce sort ?
-Lui faire prendre la forme la plus amusante possible, répondit Octavia en levant la main. Nous faire rire est le meilleur moyen de le déstabiliser.
-Excellent, dix points pour Serdaigle.
Elle jeta une œillade supérieure à Simon, qui tenta de l'ignorer, vaguement amusé par la façon dont elle tentait de se rapprocher en complétant sa réponse. L'armoire s'ébroua de nouveau et cette fois Gillian poussa un cri de frayeur. Simon n'en mêlait lui-même pas large et s'adossa au mur de la salle avec une feinte nonchalance. Le professeur poursuivit ses explications mais Simon n'écoutait que d'une oreille. Evidemment qu'il connaissait la théorie. Un jour, son père avait retrouvé un épouvantard dans leur grenier, qu'ils visitaient rarement. Il avait interdit aux enfants de l'approcher mais Simon se souvenait parfaitement de son air pâle une fois qu'il fut descendu.
Depuis, la question le hantait. Quelle forme pouvait bien prendre son épouvantard ? Quelle était sa pire peur ?
Il sentit la panique le gagner. Il n'y avait qu'une chose qui faisait monter une angoisse absolue en lui. Il le savait, il était conscient de ça. Il avait eu le droit deux jours plus tôt à une cruelle piqûre de rappel quand les Détraqueurs étaient entrés dans le train à la recherche de Sirius Black, le prisonnier qui s'était évadé cet été et à cause duquel il avait à peine vu sa mère. Fort heureusement, ils étaient restés loin de son compartiment, mais leur pouvoir l'avait assez atteint pour qu'il se gave de chocolat dans les toilettes, au bord de la crise de panique.
Non. Non, non, non. Il ne se retrouverait pas de nouveau face à ça.
Il glissa un regard inquiet sur ses camarades. Après la peur, certains semblaient près à en découdre et discutaient déjà de leurs pires peurs et de la façon de la transformer. L'exercice allait bien aux Serdaigle et leur esprit créatif mais les Poufsouffle semblaient plus sceptiques. La pauvre Mathilda Morton semblait au bord des larmes et Lupin finit par lâcher :
-Bon. Ce n'est pas au programme, c'est un exercice en plus que je vous fais faire ... Alors disons que si vous sentez que vous n'en avez pas besoin, ou que vous préférez rester en retrait, je vous autorise à le faire. Je ne vous oblige à rien.
Il semblait à Simon que son regard s'attardait un instant sur lui. Cela devait signifier quelque chose, mais il s'en fichait : il avait l'impression de pouvoir respirer à nouveau. L'éclat vert et malsain qui avait dansé devant ses yeux s'éteignit alors. Il cligna des yeux jusqu'à ce que la lueur disparaisse totalement et qu'il cesse de flotter entre réalité et angoisse. Il se laissa aller contre le mur et respira laborieusement pour se remettre de sa panique soudaine alors qu'une file de ses camarades se formait devant la penderie. Evidemment, Cédric était le premier d'entre eux. La porte grinça et un homme sortit de l'armoire. Il était plus petit que Cédric, infiniment moins beau mais dégageait un mépris et une suffisance exaspérante.
-Tu es la honte de notre famille, mon garçon. Je t'ai donné tout ce que j'avais, j'ai brisé ma vie pour toi, pour te voir réussir ... Tu devais être ma plus grande fierté et au final tu es ma plus grande déception.
La main de Cédric se serra sur sa baguette. Simon soupira, dégoûté. Il détestait ce spectacle. Leur pire peur, c'était une chose qui leur appartenait, pas qui devait être étalé à tous. Et voir chuchoter tous les élèves face à cette forme singulière de l'épouvantard lui donnait la nausée. Cela dit, la nausée était peut-être dû au reste de son angoisse.
-Riddikulus !
Il eut un grand « BANG » et l'homme se retrouva doté d'un nez rouge et d'une hideuse perruque orange qui rappelait les clowns des criques. Ses camarades éclatèrent de rire et l'épouvantard recula, troublé, secouant sa tête rousse criarde. Ce faisant, il trébucha et cela redoubla l'hilarité de la classe. Seul Cédric ne riait pas et s'était immédiatement écarté. Lupin lui avait tapoté l'épaule et laissé s'isoler pendant qu'une Serdaigle affrontait l'épouvantard. L'homme clown se transforma alors en un bête serpent et Simon se désintéressa des peurs des autres pour suivre son meilleur ami du regard. Cédric s'était isolé dans un coin de la pièce, la mâchoire contractée. Simon savait qu'il était fils unique d'une ancienne lignée de sorcier qui avait depuis très longtemps perdu son lustre. C'était le lot quand les hommes médiocres donnaient naissances à des garçons de valeurs. Deux choses étaient possibles : soit père et fils se détestait, soit le père vivant à travers son fils pour faire de ses succès les siens. Ça semblait être le cas d'Amos Diggory mais Simon n'avait jamais réalisé à quel point cela pesait à Cédric.
Il aurait pu aller le voir, le soutenir, mais il sentait encore son propre cœur qui battait la chamade. Son regard se promena sur la pièce et il vit enfin l'occasion de chasser définitivement ses fantômes de son esprit. Victoria s'était installée sur une table poussée contre le mur et ses pieds se balançaient dans le vide. Elle n'avait pas daigné se mêler à la file qui se grossissait devait la penderie. Simon n'eut pas le temps de se demander pourquoi et rejoignit sa meilleure ennemie sur la table. Victoria lui jeta un regard oblique alors qu'il s'installait.
-Tu ne vas pas affronter l'épouvantard ? s'étonna-t-elle. Tu ne veux pas montrer à toute la classe à quel point tu es le meilleur sorcier que nous ?
-A quoi ça servirait, ils le savent déjà, plaisanta Simon en se laissant aller comme elle contre le mur.
Victoria roula des yeux.
-Fais attention, Bones. Si le but c'est d'être drôle, je serais parfaitement capable de te jeter de cette table. Sûr que ça fera rire du monde ...
Ça, c'était certain. Beaucoup était prêts à payer cher pour le voir descendre de son piédestal. Et le comble, c'était que c'était la petite Victoria Bennett qui y arrivait le mieux.
-Et toi ? Pourquoi tu ne le fais pas ?
Victoria écarquilla les yeux et Simon s'en voulut immédiatement d'avoir posé la question. La réponse était évidente, bien sûr. Elle jeta un coup d'œil alentour et ramena un genou contre sa poitrine en un geste de repli.
-Je ne tiens pas à ce que Lupin sache que ... ni personne, d'ailleurs ... Bref. Non, je ne vais pas prendre le risque ...
Simon lui jeta un regard oblique. Les traits de son visage étaient crispés et elle gardait un œil inquiet sur la créature qui s'était changée en étrange point verts et rouges devant Roger Davies, comme si elle craignait soudainement qu'il ne revête la forme de cruelles étincelles. Ou pire, de flammes destructrices. Consciente d'avoir l'air troublée, elle finit par s'éclaircir la gorge et désigna Lupin du menton.
-Il a l'air cool, comme prof. Mille fois mieux que les derniers qu'on a eus.
-Ce n'est pas difficile, le niveau n'était pas haut. Je crois que brûler les livres de Lokhart soit la meilleure décision qu'on ait jamais prise.
Un faible sourire effleura les lèvres de Victoria. La lumière de cette fin d'été entrait en masse dans la salle des professeurs et donnait aux boucles brunes de la jeune fille un aspect plus chaud, modéré. Comme chaque fois, la luminosité jouait sur la couleur de ses iris qui pouvaient passer du gris au bleu, voire au vert d'une seconde à l'autre. Avec l'éclat du soleil, ils étaient d'un azur si pur que Simon se demanda comment il avait pu les voir gris un jour.
-C'est sûr ... Même si ça m'a fait un peu mal, ils étaient tellement chers ! Mais ça a fait un beau feu, Alex était content ...
Elle se laissa à son tour aller contre le mur, ce qui mit fin au balancement de ses jambes : elles se retrouvèrent étendues sur la table. Ses collants de laine étaient troués au niveau du genoux et Simon voyait l'œil moqueur de Gillian Fawley s'y glisser régulièrement. Ce fut quand elle donna un coup de coude à Octavia, un sourire presque machiavélique aux lèvres, que Simon se résolut à pointer sa baguette sur le genou de Victoria. Acculée, elle le replia contre elle, un éclat farouche dans le regard mais ne fut pas assez rapide pour empêcher la magie d'opérer.
-Reparo !
Les fibres de laines se ressoudèrent sur le genou de Victoria : en plus d'avoir retrouvé leur intégrité, les collants semblaient moins pelucheux, plus net et propre et Simon se fendit d'un sourire satisfait. La jeune fille passa la main sur la laine avant de jeter un coup d'œil suspicieux en direction de Simon.
-J'ai cru que tu allais me jeter un maléfice ...
-La seule chose que tu as à me dire c'est « merci ». Allez, Bennett, ça ne va pas t'écorcher les lèvres.
-Tu crois ? railla-t-elle.
Elle effleurait toujours son genou, comme pour s'assurer que c'était réel – ou que son collant n'allait pas soudainement prendre feu. Au bout de cinq minutes de vérification aussi scrupuleuse qu'inutile, elle dût se résigner et lâcha dans un grommellement :
-Merci. Aïe !
D'un geste théâtral, elle plaqua ses deux mains sur sa bouche en faisant mine de se tordre de douleur et Simon réprima le sourire qui lui venait aux lèvres pour lever les yeux au ciel dans un mouvement qui devait trahir son dédain. Victoria continua malgré tout son cirque et fit mine de crachoter, comme si elle avait avalé un liquide particulièrement amer.
-Beurk ! Ne me force plus jamais à recommencer !
-C'est bon, tu as fini ?
-Non ! Regarde je saigne !
En effet, sa lèvre gercée s'était fendue dans son agitation et elle sortit précipitamment un mouchoir de sa poche pour éponger le sang. Cette fois, Simon ne put s'empêcher d'éclater de rire devant la coïncidence et elle lui jeta un regard assassin par-dessus son mouchoir.
-Tu ne veux pas aller affronter l'épouvantard le temps que j'arrête de saigner ?
-Non, ça c'est beaucoup plus drôle ! haleta Simon, toujours secoué par un fou rire.
Les yeux de Victoria se plissèrent et l'hilarité s'étouffa dans la gorge de Simon. Il connaissait ce regard, légèrement ombragé par ses cils noirs qui laissaient passer la détermination et la malice. C'était le regard de la vérité blessante et Victoria fut à la hauteur de ses attentes quand elle cingla :
-Arrête, monsieur le grand sorcier. On sait tous les deux que tu ne veux pas te frotter à l'épouvantard parce que tu ne veux pas que la classe voie ta plus grande peur. Tu es arrogant, mais tu as ta petite pudeur, Bones.
Elle abaissa le mouchoir maculé de sang pour dévoiler son petit sourire sadiquement satisfait sur des lèvres qui avaient cessé de saigner – sans doute les mots avaient-ils compensé le « merci » qui les avait écorchées ... Celui de Simon, en revanche, s'était définitivement fané et il savait avoir blêmi devant cette vérité si transparente pour elle. Et c'était angoissant qu'elle ait pu lire si facilement. Victoria laissa échapper un petit rire de triomphe et se laissa aller contre le mur avec nonchalance.
-Du coup je me demande vraiment ce que c'est. Chloé qui pisse le sang ? Tu avais failli tourner de l'œil ... Qu'un garçon s'approche de Susan ? Ou ... Oh !
Elle se figea et Simon sentit son cœur s'emballer. Il se demandait frénétiquement à quel point il était transparent pour elle, à quel point elle qui le connaissait dans toutes ses dimensions pouvait percer son secret et l'idée faillit lui faire quitter la table. Mais un nouvel éclat de rire vint secouer Victoria et elle s'exclama :
-Oh Seigneur ! Ce ne serait pas moi ta plus grande peur, Bones ?
Il fut tellement soulagé par sa conclusion et par l'hilarité qui s'empara de Victoria, si incontrôlable que certaines têtes se tournèrent vers eux, perplexe qu'il en oublia de protester. Simon perçut le regard interloqué puis réprobateur d'Octavia, qui l'interrogea d'un haussement de sourcil qui sonnait comme un « mais qu'est-ce qui lui prend ? ». D'un geste de la main, Simon l'invita à continuer de suivre le cours et se tourna vers une Victoria qui séchait ses larmes.
-Toi, t'es un étrange phénomène, lança-t-il quand elle se fut un peu calmée.
-Oh allez ! Avoue que tu as peur que j'apparaisse ! Ce serait quand, quand j'ai cassé ton nez ? Ou ta cheville ?
-Je pensais que tu visais le ballon ? cingla Simon.
-Je visais le ballon, j'ai juste eu ta cheville en bonus.
Simon lui donna un coup sans agressivité dans l'épaule et le regard de Lupin s'aimanta immédiatement sur eux, circonspect. Il y resta quelques secondes avec la sévérité inerrante au professeur avant que Gillian Fawley ne requière son attention en paniquant devant sa nuée de mygale. Simon haussa les sourcils quand il remarqua que le regard de Lupin revenait régulièrement vers eux dans les minutes qui suivirent.
-J'y crois pas, il nous surveille ...
-Depuis le début de l'heure, confirma Victoria, enfin calmée. Je pense que les profs l'ont prévenu qu'on risquait de se taper dessus et qu'il devait nous séparer en classe.
L'idée provoquait un sourire presque fier sur ses lèvres et Simon fut conforté dans son idée : Victoria Bennett était un démon qui tirait orgueil d'être à l'origine du chaos. C'était pour ça qu'elle restait avec lui sur cette table, pour cela qu'elle ne parvenait pas à se détacher de lui malgré les coups et les insultes. Simon n'était pas parfaitement stupide : elle le cherchait presque. Peut-être que parce qu'il n'y avait que par lui que le démon pouvait se révéler. Avec tous les autres, c'était Sainte-Victoria qui primait. Parfois, Simon en avait assez d'être sa catharsis, de subir tout le mauvais de Victoria pour que le bon puisse rayonner avec tout le monde. Mais malgré tout, il ne désespéra qu'un jour sa nature s'équilibre.
-Et quoi, tu veux qu'on lui donne ce qu'il veut ? ironisa Simon.
Il fit tournoyer sa baguette entre ses doigts et le sourire de Victoria s'estompa lentement pour ne vriller qu'un regard soupçonneux. Devant la panique qui avait brièvement brillé dans son regard, il laissa échapper un ricanement avant de ranger sa baguette dans la poche de sa cape.
-Détends-toi, Bennett. Tu sais très bien que je préfère quand c'est Alex le témoin de tes humiliations.
-Plaisir partagé, répliqua Victoria, l'air néanmoins soulagé. Quoi qu'on ferait rire du monde et on effacerait l'épouvantard bien plus facilement que Gillian Fawley ...
La pauvre Gillian tentait depuis dix minutes de forcer ses mygales à prendre la forme de coccinelles multicolore, sans y parvenir malgré les patients conseils de Lupin et même de Roger Davies et Cédric. Pire, sa peur était si tangible, si incontrôlée, que les mygales grossissaient à vue d'œil. A présent, même d'autres élèves avaient reculés au fond de la salle, terrifié par les arachnides. Mais Victoria les contemplait avec un vague sourire amusé et ses yeux étincelèrent quand l'une d'elle sortit du rang et que Gillian poussa un cri étranglé. Visiblement, les quelques piques dans le sillage d'Octavia ou d'Emily resetaient dans un coin de son esprit. Néanmoins, cette touche sadique de triomphe était indigne de Sainte-Victoria et Simon désigna la penderie d'un large mouvement de bras.
-Tu veux y aller et prouver au monde à quel point tu es douée pour faire rire ? Vas-y, je te regarde. Qui a du pop-corn ?
Victoria s'empourpra, d'autant que Gillian venait enfin de rassembler son courage pour jeter ses dernières forces dans une ultime tentative qui réussit : une nuée de coccinelles multicolores et beaucoup trop grosses pour être naturelles s'éleva dans la salle des professeurs. Le rire tonitruant et soulagé de Gillian perdit complétement l'épouvantard qui s'éparpilla dans la classe. Une coccinelle d'un violet criard s'approcha un peu trop de la table sur laquelle ils étaient perchés et d'un même mouvement, Simon et Victoria se rapprochèrent l'un de l'autre tout en glissant pour être hors de portée du pouvoir de l'épouvantard. La jeune fille avait même levé ses mains en bouclier et Simon retint sa respiration jusqu'à ce qu'elle vole vers Octavia McLairds qui se planta devant la penderie avec plaisir. Alors il exhala un long souffle, hors d'haleine, le cœur battant la chamade dans sa poitrine.
-Wha.
Victoria s'était redressée sur un bras et le fixait, un sourcil dressé en signe d'étonnement. Il n'y avait même pas de trace de moquerie sur son visage : elle contemplait le visage blafard de Simon avec une certaine stupeur mêlée d'une inquiétude surprenante.
-Bon sang, Bones, qu'est-ce qui te fait peur à ce point ?
-A ce point ? répéta-t-il, sur la défensive.
-Tu es blanc comme un linge, la crevette. Tu veux sortir un peu ?
Le pire, c'était qu'il sentait une sincère sollicitude de la part de Victoria. Et une sincère inquiétude : ses yeux parcouraient son visage en quête d'indice, de commencement d'explication qui pouvait expliquer que Simon peine à reprendre son souffle, qu'il ait soudainement perdu toute superbe et toute couleur. Elle avait même amorcé un geste pour mettre une main sur son épaule et ce fut cela qui réveilla définitivement Simon. Si elle le touchait, c'était pour le frapper. Alors sans réfléchir, il repoussa cette main tendue dans un geste sec et se redressa pour se donner contenance. Sans un mot, sans même un regard : depuis qu'il avait vu l'épouvantard jaillir devant lui, tous les muscles de son visage semblaient atrophiés. Le bras de Victoria se recroquevilla sur sa poitrine et un éclat blessé brilla dans ses prunelles.
-Ça va, pour une fois que je voulais être gentille, persiffla-t-elle entre ses dents.
-Vicky, comme si ...
-Ne m'appelle pas Vicky !
Il grimaça devant le ton venimeux de Victoria. Cette phrase se faisait de plus en plus rare, comme si la majorité de son être s'était résigné à accepter ces deux petites syllabes, mais de temps à autre, la haine rejaillissait inopinément. Pourtant, elle ne fuit pas : elle se colla contre le mur, les bras croisés sur sa poitrine, une moue aux lèvres qui pouvait presque être qualifiée d'adorable. Pendant plusieurs secondes, ils se lancèrent des regards obliques dans lesquels brillaient quelques étincelles. Il ne savait même pas pourquoi il avait réagi si brutalement alors que, comme elle l'avait remarqué, elle avait preuve pour la première fois de leur vie de bonté envers lui. Mais peut-être était-ce ça : pour la première fois, il avait été touché par le rayonnement angélique de Victoria. Mais il était un démon, il préférait le démon : sa lumière le brûlait.
Arrête de te raconter des histoires, elle est juste beaucoup trop perspicace, songea-t-il amèrement. Et lui beaucoup trop transparent avec elle. Consciemment ou inconsciemment, il avait conscience de tomber les masques face à Victoria, de façon très paradoxale. Elle le connaissait par cœur, dans toutes ses dimensions : sorcier, Poufsouffle, fils et frère, enfant de Terre-en-Landes, il n'y avait pas un aspect de sa vie qui lui échappait. Il n'avait pas besoin de faire semblant avec elle, ni les faux modestes, ni une feinte gentillesse. C'était pour cela que s'il y avait une personne capable de le pousser dans ses retranchements, les moins avouables, les moins connus, c'était elle. Et il était hors de question qu'elle y arrive avec son aura de Sainte.
-Je vais voir Cédric, annonça-t-il brusquement.
-Fais ce que tu veux, rétorqua Victoria d'un ton acide. Je ne t'ai jamais demandé de rester avec moi sur cette table.
Sa main caressa ostensiblement son bras, comme si un frisson l'avait prise et son regard se riva sur la penderie qui continuait de déverser son lot de terreur. Et l'espace d'un instant, il parut évident à Simon qu'au contraire, elle avait été soulagée de sa présence, des fou-rires qu'ils avaient provoqué, de la familiarité qu'il avait amené avec lui. Victoria n'avait pas voulu rester seule face aux fantômes du 5 Novembre, réalisa-t-il soudainement, assez peiné. Et peiné, il était sincèrement. Parce que c'était exactement ce qu'il était venu chercher lui aussi sur cette table. Il fut tenté de revenir sur sa décision, de ne pas l'abandonner dans sa vulnérabilité mais sa fierté fut sauvée par le gong.
La cloche résonna de façon sonore dans la salle des professeurs et pour cacher le sursaut que cela avait provoqué, Simon se laissa maladroitement tomber de la table. Cependant, le petit sourire mutin de Victoria montrait qu'elle n'était pas dupe et elle sauta souplement sur le sol, avec une grâce presque féline. Et comme il ne voulait pas que ce soit elle qui le quitte, mais l'inverse, il se dépêcha de faire volte-face, de récupérer son sac et de prendre la porte sans attendre l'assentiment du professeur qui donnait ses dernières instructions. Il porta la main à sa gorge où son pouls battait toujours à un rythme beaucoup trop élevé et il s'efforça de prendre une grande inspiration. Il était temps, il avait commencé à se sentir étouffé dans cette salle, à la merci de l'épouvantard et de l'œil inquisiteur de Victoria. Au moins, les flammes vertes ne s'étaient pas mises à danser derrière ses yeux, cette fois. Il en avait eu assez du Détraqueur dans le train ...
-Hé, Bones !
Il rejeta sa tête en arrière pour bloquer le soupir qui lui venait aux lèvres alors que des pas frappaient les dalles avec détermination. Un instant plus tard, une main sertie d'une belle bague en saphir vit se poser sur son bras et il put découvrir en tourna la tête le visage souriant d'Octavia McLairds.
-Je comptais réviser la métamorphose pendant la pause déjeuner. Ça t'intéresse ?
-Et depuis quand tu penses que j'ai besoin de réviser ? lança-t-il d'un ton goguenard.
Tout le monde aurait levé les yeux au ciel face à sa vantardise mais Octavia inclina la tête, l'air de lui concéder ce point.
-C'est vrai, tu n'as pas besoin. Alors disons que tu pourrais simplement ... m'accompagner à la bibliothèque et me regarder travailler pendant que tu pourras te satisfaire d'être immensément supérieur ?
-Ça change agréablement d'entendre quelqu'un vanter mes talents.
-Je prends ça pour un oui ?
Il y avait quelque chose dans la retenue d'Octavia, dans son sourire qui se voulait désinvolte mais dont Simon sentait la crispation, qui l'interloquait et le fit s'immobiliser. Il jeta un regard en arrière pour constater qu'à l'autre bout du couloir et il trouva le celui d'Emily. Ce n'était pas difficile : elle les fixait déjà avec un regard perçant et suspicieux, alors que Cédric et Victoria s'étaient déjà éloigné dans le corridor. La jeune fille se retourna une dernière fois, effleura son regard, avant de se détourner et d'allonger le pas, ses boucles bondissant furieusement autour de sa tête. Emily, en revanche, continuer de les fixer. Le cœur de Simon remonta dans sa gorge.
-Attends, je reviens.
Et il planta une Octavia déboussolée pour rejoindre Emily à grandes enjambées. Son amie parut surprise par le geste soudain et écarquilla les yeux quand Simon demanda de but en blanc :
-Quand une fille demande à un garçon d'aller à la bibliothèque avec elle, est-ce que ça signifie quelque chose ?
Emily cligna des yeux, si abasourdie par la question qu'elle en oublia sa réprobation – et qui était la fille en question.
-Euh ... ça peut ... ça dépend, tu vas déjà bien à la bibliothèque avec moi, non ? Et Cédric avec Victoria et je suis certaine que c'est absolument platonique.
-C'est vrai, admit Simon, rassuré. Voyons ça comme ça. Bon, à plus alors !
-Simon ! Simon, non, pas avec McLairds ! Tu n'as pas le droit de me faire ça ! Simon Bones, je vais lâcher Victoria sur toi !
-J'en tremble !
Emily tapa sur pied contre les dalles, fulminante mais Simon avait déjà fait volte-face. Octavia l'attendait au bout du couloir avec un petit sourire satisfait qui lui donna la certitude que si, cette invitation à la bibliothèque signifiait quelque chose. Comme cela signifiait quelque chose qu'elle se retourne si souvent vers lui en classe, ne serait-ce que pour échanger un regard, ou que souvent en Sortilège, sa chaise se retrouvait libre dès qu'elle arrivait avant Simon. Pourtant, il devait l'admettre : il aimait plutôt bien ce petit sourire, ainsi que sa franchise sans fard et son refus de la fausse modestie. Alors il occulta le fait qu'Octavia attendait certainement plus de ce rendez-vous à la bibliothèque pour la rejoindre et prendre un moment de pure détente après avoir failli étouffer dans la Salle des Professeurs.
Victoria avait tort. Ce n'était pas tant qu'il ne voulait pas montrer sa pire peur à sa classe. C'était que lui-même ignorait quelle forme elle pouvait prendre et il était prêt à se couvrir de ridicule plutôt que de savoir.
***
Voilà ! J'espère que cette partie vous aura plu, elle n'était pas prévue à la base et elle a été rajoutée. Encore une fois si vous avez d'autres propositions je vous écoute !
Et je confirme que mon nouveau projet prend de la consistance. OK, il prend sept chapitres. OK je passe tout mon temps dessus depuis mercredi dernier, vous savez tout ! Grosse frénésie d'écriture, c'est siii jouissif. Bref bref, à la semaine prochaine !
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