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[O&P] 3. Le Paradis



C'était une magnifique journée d'août : le soleil dardait ses rayons de plombs sur l'herbe verte, révélant tout son éclat et ses plus jolies couleurs et une légère brise venait casser la chaleur qu'apportait la cruelle lumière. Sur la pelouse impeccable, une procession de célèbres sorciers serpentait jusqu'au cimetière, tous de noir vêtus. Même Albus Dumbledore en personne s'était drapé de sa plus sombre robe pour rendre hommage à celui qui, si on en croyait les rumeurs, l'avait aidé à former son organisation secrète qui luttait contre le Seigneur des Ténèbres.

Engloutie dans la foule, Rita Skeeter enrageait presque. Tout le gratin du monde sorcier était réuni pour les funérailles. N'étais-ce pas là-bas Barty Croupton, le directeur de la Justice Magique venu rendre hommage à sa jeune sœur ? Il n'avait pas l'air si affligé que cela ..., remarqua Rita en glissant un doigt dans sa pochette avant de s'immobiliser net. Une vague honte la submergea.

L'occasion était trop belle, mais ce n'était pas pour cela qu'elle était là.

Au souvenir de la nuit atroce qu'elle avait vécu, la bile lui remonta à la gorge. Cela faisait plusieurs années qu'elle travaillait à La Gazette du Sorcier comme pigiste et recherchiste, tout juste bonne à courir partout pour dégoter les informations qui rendrait célèbres les journalistes qualifiés. Alors quand par une noire soirée d'été alors qu'elle était de garde aux locaux, on l'avait envoyé couvrir le meurtre d'une grande famille par les partisans du Seigneur des Ténèbres, elle avait sauté sur l'occasion, extatique d'avoir enfin l'occasion de briller par elle-même. Parce que c'était ce que Rita aimait par-dessus tout : briller. A Poudlard, tout le monde parlait d'elle, de cette excentrique blonde de Serpentard qui semblait savoir tout sur l'école. Rita l'avait appris très vite : l'information payait parfois bien mieux qu'un gallion. Si elle voulait avoir de l'influence et se mettre sur un piédestal, c'était de confidences qu'elle avait besoin. Alors très vite elle s'était appliquée à trainer les oreilles, y compris derrière les portes closes des professeurs, à faire le pied-de-grue devant la salle du directeur, apprendre qui sortait avec qui – et plus croustillant encore, qui trompait qui ... Elle se souvint avec délice de la dissertation d'Histoire de la Magie qu'elle avait pu subtiliser à Vanessa Higgs, la préfète de Serdaigle, après l'avoir menacé de révéler à toute l'école qu'elle sortait en secret avec deux garçons ... Elle était devenue bien plus qu'une commère. Une commère révélait tout : Rita était plus maligne que ça. Elle retenait le flot d'information qu'elle avait, distillait tout avec parcimonie quand c'était dans son intérêt. Bien sûr, elle avait fait également courir les plus folles rumeurs quand ça l'avait arrangé – Ah ! La tête d'Andromeda Black lorsqu'elle avait révélé à tout Poudlard que l'héritière Black sortait avec un né-moldu ... Un scandale qui s'était répercuté à l'extérieur des murs de Poudlard et cela avait ravi Rita de suivre les conséquences en cascades de sa révélation.

Oui, les informations étaient vraiment la clef de tout. Et particulièrement sa clef pour briller se faire un nom dans la communauté magique.

Encore fallait-il percer et se voir donner une chance. La Gazette était un univers bien plus exigent que Poudlard ...

Mais aujourd'hui, elle n'était pas là pour cela.

Elle s'avança dans le cimetière à pas feutré. Il était petit, étroit, surchargés de vieilles tombes qui laissaient deviner des noms sorciers. Tous peinaient à trouver une place entre les tombes et des officiels du Ministère se chargeait de repousser les moldus qui s'approchaient. Un sentier de gravier menait à la statue d'une vierge qui, en réalité, avait été gravée aux traits de Seraphina Bones, la plus célèbre ancêtre de la famille. Sous son regard de pierre aussi inflexible qu'elle l'avait été de son vivant, on pouvait entrer dans le mausolée où tous les Bones étaient enterrés depuis un siècle. Seule la famille avait été autorisée à entrer pour la mise en terre, mais tout le gratin du Ministère tenait à attendre avant de boire un dernier verre à la gloire des défunts chez Batemius Croupton – personne ne tenaient à entrer dans la maison du drame ... Elle rabattit son foulard sur ses anglaises blondes pour éviter d'être reconnue et se glissa dans la foule, telle l'ombre qu'elle n'avait jamais été. Les conversations allaient bon train, entre mondanité et épanchement de tristesse. Dans ce marasme de voix indistinctes, Rita n'en étendait qu'une, issue du gouffre dans lequel s'engloutissaient ses souvenirs.

Tu penses que je vais te répondre ? Que je n'ai pas vu ton petit jeu ? Fais attention, Skeeter. Lorsqu'on se frotte au lion, on finit toujours par se faire mordre. Et crois-moi, je mords très vite et très fort.

La gorge de Rita se ferma. C'était sans doute la chose la plus vraie que Cassiopée Bones avait dit sur elle-même. C'était une lionne, une battante, mais une battante hargneuse, de celle qui faisait le plus de dégât possible dans sa chute. Et Merlin qu'elle en avait fait des dégâts dans celle-ci ... Un mort, un capturé, son benjamin sauvé ... Cassiopée était partie en beauté, à l'image de la lionne qui avait frappé son linceul.

Elle avait l'impression que Cassiopée Bones avait été en filigrane dans sa vie. Préfète-en-cheffe quand elle avait débarqué à Poudlard, elle lui avait offert sa première heure de colle après que Rita ait fait chanté une Gryffondor de son année pour lui subtiliser un devoir. Elle avait personnellement supervisé la punition, son regard gris planté sur Rita sans cligner des yeux, un regard ardent et déterminé. A la fin de deux heures à astiquer précautionneusement chaque recoin de la salle de Potion, elle l'avait libéré d'un sec, mais énigmatique : « fais attention, Rita. Tu iras loin, ça se voit ... Mais fais attention de retomber du bon côté de la gloire ».

Elle avait retrouvé Cassiopée quelques années plus tard, lorsqu'elle était entrée à la Gazette après ses ASPIC et qu'elle avait dû vérifier une information au Bureau des Aurors. C'était là où elle s'était heurtée au feu de la lionne quand l'un de ses collègues l'avait félicité pour ses fiançailles. Rita avait entendu dire que ce mariage précipité était dû à une grossesse importune et elle s'était vu gratifier du regard le plus terrifiant qu'elle n'avait jamais vu. Malgré toute sa témérité, elle s'était promis à ce jour qu'elle ne se frotterait jamais à Cassiopée Bones. C'était le genre de femme prête à tout pour se préserver.

Depuis, elles s'étaient régulièrement croisées et Rita avait développé un mélange de respect et de fascination pour cette femme magnétique, sèche, fière. La journaliste n'avait pas pu s'empêcher d'admirer la façon dont elle s'était imposée au bureau des Aurors, un univers principalement masculin et aux codes étriqués. Elle l'avait envié, elle qui était confrontée aux mêmes problèmes dans La Gazette ... Cassiopée Bones, c'était devenu une sorte de modèle de la femme forte et moderne et c'était pour cela que, lorsqu'elle avait aperçu son corps mutilé sur le parquet de sa maison, elle était immédiatement sortie pour rendre son dîner.

Personne ne méritait de finir ainsi.

-Ce n'est pas dans vos habitudes de vous cacher, Rita.

La jeune femme sursauta en entendant cette voix douce et familière. Elle leva les yeux sur la grande stature d'Albus Dumbledore, un léger sourire sur ses lèvres. S'il surchauffait dans sa robe noire de deuil et trop lourde pour cette journée d'août, il ne le montrait absolument pas. Rita repoussa quelque peu le foulard qui tombait sur ses yeux et se força à sourire.

-Vous savez que la qualité principale d'un journaliste est la discrétion, Dumbledore.

-Mais ça n'a jamais été la vôtre, fit tranquillement valoir son ancien directeur sur un ton aimable. Vos qualités ont toujours été ailleurs ... Ingéniosité, détermination mais la discrétion, jamais.

-Vraiment ? cingla Rita, aigre. Vous voulez vraiment qu'on en débatte ?

Son regard glissa sur les pieds de la statue de la Vierge aux traits magiques, comme l'appelait les gens de Terre-en-Landes. A ses pieds, la terre venait de s'ouvrir pour laisser émerger la famille après un dernier adieu à leurs proches. Bartemius Croupton n'avait pas accompagné sa sœur dans son dernier voyage, remarqua Rita avant que ses yeux ne s'accrochent à Rose Bones. Vêtue d'une robe noire, les yeux rougies, elle dédaignait ses deux filles, dont la plus jeune avait un an, pour serrer contre son sein un garçon aux cheveux blonds. L'enfant avait enroulé ses bras autour du cou de la jeune femme et niché son nez dans son épaule. A la façon dont Rose Bones le pressait contre elle, caressant tendrement ses cheveux, il était évident qu'elle était devenue la figure maternelle en lieu et place de Cassiopée. L'idée amusait Rita. Comme si Rose avait le quart de la moitié de la prestance de sa belle-sœur ... Elle se retourna fièrement vers Dumbledore.

-Vous êtes venus me voir pour ne surtout pas mettre dans l'information que le petit avait survécu, soi-disant parce que ça le mettrait en danger. En mémoire de la seule femme que je n'ai jamais admiré, j'ai accepté. Alors ne venez pas me parler de discrétion, Dumbledore.

Et le directeur de La Gazette avait accepté ce silence. Notamment parce que Leonidas Grims était venu prévenir que si l'information sortait, il ferait couler le journal avec tous les pouvoirs qu'il avait entre ses mains. Et connaissant les pouvoirs phénoménaux – en terme de relations, financier ou magique – que possédait les Grims, il y avait de quoi trembler et effacer le nom de Simon Bones de l'article de la Gazette après la bévue faite dans le Sorcier du Soir.

Dumbledore inclina la tête, l'air de lui concéder ce point. Pourtant et au plus grand agacement de Rita, il ne se départait pas de son sourire.

-Bien entendu, et je vous ai remercié pour votre ... discrétion, sur cette affaire. Beaucoup de Mangemorts seraient ravie d'éradiquer pour toujours le nom des Bones – et, d'au passage, d'hériter de la jolie somme qui se trouve à présent dans le coffre fort du jeune Simon. Mieux vaut assurer au garçon une enfance discrète, vous ne pensez pas ?

-Si, lâcha-t-elle du bout des lèvres. Et je vous assure que ... vous pouvez compter sur ma discrétion.

Elle aurait aimé rajouter « pour l'instant » d'un ton malicieux pour récupérer un peu de son panache, mais les mots restèrent bloquer dans sa gorge. « Lorsqu'on se frotte au lion, on finit toujours par se faire mordre. Et crois-moi, je mords très vite et très fort ». Par la barbe de Merlin, Cassiopée Bones serait capable de la mettre en charpie depuis les cieux si jamais elle mettait son fils en danger.

Les prunelles bleues de Dumbledore étincelèrent.

-Mais je n'en doutais pas. Je trouve toujours ça agréable de constater que, parfois, le drame, l'horreur et la guerre peuvent aussi révéler le meilleur de nous ... Bonne journée, Rita.

Rita l'observa s'éloigner, une moue dédaigneuse aux lèvres. Albus Dumbledore et ses bons sentiments ... Albus Dumbledore et son obsession de voir le bien en chacun ... Albus Dumbledore si parfait, si puissant ... Personne n'était aussi parfait, c'était impossible. Elle repoussa une mèche de cheveu blond et réajusta ses lunettes pour contempler le vieux sage. Ainsi il pensait qu'elle gardait le secret sur le petit Simon Bones par grandeur d'âme ? C'était mal la connaître. Elle garderait ce secret bien gardé, au chaud dans son esprit au milieu de tous les autres, tout ceux qui attendaient le moment propice pour être révéler. Et peut-être qu'un jour ce moment viendrait où elle pourrait enfin déterrer cette information et enfin révéler ce qui s'était réellement passé cette nuit-là ... Leonidas Grims, de retour de la crypte avec sa femme Lysandra, s'approcha de Dumbledore et Rita se détourna. Elle n'avait pas encore assez d'information sur cette maudite famille pour se frotter à tel homme. Ça mériterait peut-être quelques recherches ...

-Votre attention !

La foule, regroupée autour de la famille Bones pour lui adresser ses condoléances, leva le regard sur Barty Croupton. Sa moustache noire était impeccablement coupée et il se tenait droit, en hauteur sur un talus devant sa femme Annabella et son fils. Le garçon, à peine plus âgé que Matthew Bones, fixait la Vierge aux traits magiques d'un regard étrangement. Rita fut assez surprise de percevoir l'ombre d'un sourire sur ses lèvres fines.

-Je vous invite, si cela vous agrée, à nous rejoindre dans l'ancestrale demeure de ma famille, poursuivit le Directeur de la Justice Magique avec le ton sec qui le caractérisait. Nous pourrons y rendre un dernier hommage à ma si courageuse sœur ... Pour ceux qui ne le souhaitent pas, je tiens à vous remercier au nom de toute la famille Croupton pour votre présence ici.

Rita essuya un rire incrédule, et elle ne fut pas la seule à avoir une réaction. Lysandra darda sur son frère un regard si noir qu'elle fut surprise que ça ne le réduise pas en cendre. Sans attendre, elle arracha son mari à sa conversation avec Dumbledore et quitta à quand pas le cimetière par son élégant portail de fer forgé – et ce n'était certainement pas pour rejoindre la maison de son enfance ... Amelia Bones ouvrit de grands yeux choqués et se tourna vers son frère, trop occupé à calmer sa cadette qui pleurait dans ses bras. Rita pouvait comprendre le choc d'Amelia – Dieu que la situation était savoureuse ... Les Croupton ne portaient pas les Bones dans leur cœur, mais le discours de Barty leur confisquait allégrement le dernier hommage à leur famille tout en réduisant les morts à Cassiopée Croupton, la lionne, sa sœur. C'était d'autant plus ironique que Cassiopée n'avait plus aucun lien avec son frère depuis des années ... Trop sage pour faire un scandale, Amelia se contenta d'acquiescer avec raideur et les sorciers quittèrent le cimetière en trasplanant.

Découverte par cette foule de plus en plus clairsemée, Rita en profita pour s'avancer vers la Vierge aux traits magiques. Ils étaient vrai qu'elle ressemblait à Amelia, dut-t-elle admettre. La même inflexibilité dans le regard ... La courbe des lèvres ... L'opulente chevelure ... Mais Seraphina Bones avait légué bien plus que son visage à sa famille. Des brides de phrase, piochant dans les scènes auxquelles elle avait été témoins, se formèrent dans son esprit, dessinant les contours d'un article qu'on ne la laisserait jamais publier ... Un goût aigre se répandit dans la bouche de Rita. Que n'était-elle pas née, Bones, elle aurait la puissance suffisante pour s'imposer à La Gazette ... Devoir lutter pour briller l'agaçait assez et c'était pour cela qu'elle avait tout donné pour l'article sur la mort des Bones. Cette exclusivité, c'était à elle, et elle-seule que le journal la devait. Et même s'ils n'avaient pas pu y inclure le détail « Simon Bones », il avait fait l'effet d'une bombe. Sans doute qu'elle proposerait un sujet sur Barty Croupton ... Comment cette mort le rendait indifférent ... Et que penser du sourire du fils alors qu'il quittait le cimetière ? Sans doute songeait-il à l'argent auquel il hériterait, libéré de deux cousins ... Oui, l'article pourrait être explosif, il faudra qu'elle s'y mette ...

Elle se détourna de la Vierge au moment où les traits de Cassiopée Bones, son modèle montée aux cieux, s'esquissaient par-dessus le visage de pierre. Il était temps pour elle de s'éclipser. Elle avait tenue à assister à l'enterrement de sa star, il était temps d'en devenir une elle-même. Slalomant entre les tombes, elle se surprit à lire les noms qui étaient gravés pour l'éternité dans la pierre et le marbre et s'arrêta devant l'une d'entre elle, les sourcils froncés. Elle repoussa le foulard dans ses cheveux et s'agenouilla devant, intriguée.

Wulfric Dumbledore

1828-1877

Un sourire retroussa les lèvres de Rita et elle coula un regard sur l'illustre directeur, qui adressait à présent ses respects à George Bones. Albus Perceval Wulfric Bryan Dumbledore. Cela ne pouvait être une coïncidence ... Et une piste intéressante à creuser, décidemment. Elle se rendait compte qu'en dépit d'innombrables heures passées devant le bureau du directeur, elle en savait relativement peu sur celui qui se targuait d'être le plus grand sorcier du siècle. Personne ne savait rien, éblouis par l'aura de puissance et de bienveillance qu'il dégageait ... Mais que restait-il une fois la lumière éteinte ? Encore une excellente idée à creuser, Rita, se réjouit-t-elle en se relevant. Décidemment, énormément de portes qui s'ouvrent à cet enterrement ...

-Rita ? Eh, oh, Skeeter !

-Oh ... Barnabas.

Pourquoi avait-elle éprouvé le besoin de retirer son foulard ? Avec un ennui qu'elle tenta de masquer, Rita pivota vers Bernabas Cuffe, son rédacteur en chef. Il portait certes une robe noire, mais sa besace et le parchemin couvert de rature qu'il tenait à la main laissait peu de place au doute sur la raison de sa présence dans le cimetière. Elle arracha son regard à sa main qui continuait de prendre distraitement des notes. Ce que c'était inefficace ... Il devait forcément rater nombre de détail s'il gardait sans cesse les yeux sur son parchemin à préparer ses belles phrases grandiloquentes. Ce n'était pas le style de Rita, qui était plus franc et direct – et c'était sans doute pour cela que la direction peinait à lui confier des missions. Personne ne voulait se trouver à la pointe de la plume de Rita, comme personne ne se souhaitait se trouver à la pointe de la baguette de Cassiopée Bones.

-J'ai revu le vieux Slug, j'ai cru qu'il ne me lâcherait pas, marmonna-t-il en rangeant enfin son matériel. Qu'est-ce que t'es venue chercher ici, Skeeter ? T'es pas sur l'article, j'ai dit que je m'en chargeais.

-De l'inspiration pour d'autres papiers. C'est à l'encontre de tes directives ?

Barnabas partit d'un immense éclat de rire.

-Olala, ce que tu prends vite la mouche ! Tu m'en veux encore de t'avoir privée de la continuité de ton papier ?

Quelque chose comme ça, oui ... C'était elle qui était de garde, elle qui avait sauté sur l'occasion dès les premiers échos de la mort des Bones, elle qui avait vidé ses tripes devant leur maison, elle qui avait passé une nuit blanche à rédiger son premier article, elle qui l'avait livré à temps avec les félicitations de l'homme qui se tenait devant elle ... Qui, pour toute récompense, avait assuré tenir malgré son statut de rédacteur en chef qu'il reprenait le dossier. Ce que c'était pratique quand on était un homme, qu'on avait été aidé par le réseau sans limite d'Horace Slugorn et que tout lui réussissait depuis vingt ans ... Elle apprécia d'autant moins qu'il se permette d'éclater de rire.

-Oh Rita, tu as tellement d'ambition ! Quel âge tu as ? Trente ans ? Crois-moi, tu as encore le temps de faire une magnifique carrière – et carrière magnifique il y aura, je te le garantie ...

-Comment si tu persistes à me voler tous mes sujets ? Tu sais quoi, je vais finir par écrire sans ton accord, Barnabas et j'irais voir le directeur. On verra bien qui il choisira.

Le visage de Barnabas se figea de manière grotesque et le sourire mielleux que lui servit Rita ne devait absolument pas le rassurer. Chacun savait que le directeur accordait facilement des faveurs aux jolies filles qui savaient s'y faire avec lui et c'était uniquement parce qu'elle avait une fierté que Rita ne s'était jamais abaissé à cela. Mais le sujet volé, c'était le coup de grâce, trop pour qu'elle n'en supporte encore. Et par ailleurs, c'était peut-être une information qu'elle pourrait utiliser contre le directeur lui-même ... Une stratégie à méditer.

Barnabas eut l'air de prendre la menace très au sérieux. Il frotta son menton couvert d'une barbe de trois jours et finit par proposer de mauvaise grâce :

-Il y a une série de procès qui s'ouvrent la semaine prochaine. J'avais pensé à Andrew Kraft mais ... Peut-être que tu pourrais les couvrir. Croupton les président, Bones est procureure et tu as bien traité les deux familles dans ton dernier article. Ça, plus les procès en tant que tel, tu auras de la matière et de la visibilité.

Un sourire triomphant s'étala sur les lèvres de Rita. Ça, c'était la chance qu'elle attendait depuis presque dix ans. Evidemment que les procès de Mangemorts étaient très médiatiques, tout le monde lirait ses articles ... Et c'était un moyen de continuer d'observer Croupton et Dumbledore, qui officiaient tous deux au Mangenmagot. Oui, décidément, c'était une véritable opportunité qui s'ouvrait à elle ... Elle tendit volontairement la main à Barnabas, qui la lui serra avec un soupir de défaite.

-Marché conclu, Barnabas. Et la prochaine fois que tu veux sauter Angelique, n'oublie pas de fermer les persiennes.

Elle eut une seconde pour savourer l'air choqué de Barnabas avant de faire triomphalement volte-face et de s'éloigner, un sourire victorieux sur les lèvres. La brise arracha son foulard à sa chevelure et elle quitta le cimetière sans se soucier de qui la reconnaîtrait. Au contraire, à chaque personne elle croisait, elle songeait « souvenez-vous de moi, de mon visage. Je suis Rita Skeeter et bientôt ma plume vous terrifiera ». Laissant échapper un rire face au travail et à l'avenir qui s'étendait devant elle après des années d'anonymat, elle leva le regard vers le ciel et son modèle qui, depuis le paradis, lui avait offert l'opportunité de sa vie.

***

George Bones fut le dernier à passer la grille de fer forgé, qu'il scella d'un coup de baguette. Il avait longuement discuté avec Dumbledore mais les paroles réconfortantes de son ancien directeur avaient coulé sur lui comme de l'acide ... Loin de l'abattement qu'il ressentait depuis une semaine, il avait bouillonné devant cet homme qui louait le courage d'Edgar et qui pourtant l'avait mené droit à la mort. George n'était pas dupe, il savait que son frère aîné était proche de Dumbledore, au point de l'aider à lutter clandestinement contre Celui-Dont-On-Ne-Doit-Pas-Prononcer-Le-Nom ... Amelia lui en avait voulu, l'accusant de bafouer la crédibilité et l'autorité du Ministère et George n'avait pas su que penser de l'engagement de son aîné. Maintenant qu'il l'avait vu blafard et inerte dans son cercueil, il savait.

George resta longuement dans les alentours de l'église dans l'espoir de se calmer. Il avait l'impression que depuis quelques jours, plus rien ne faisait sens autour de lui, que lui, colosse d'un mètre-quatre-vingt-dix, s'écroulait totalement sur ses pieds d'argiles. Il était habitué à être le plus faible malgré sa stature. Comment exister quand ses aînés étaient Edgar et Amelia Bones, si brillants, si puissants ? Face à une telle fratrie, George n'avait même pas essayé de briller. Que son frère et sa sœur prennent la lumière : quand il voyait leur vie, il se rendait compte que l'ombre et son anonymat réconfortant lui allait très bien. Dans l'obscurité, il pouvait s'occuper de ses filles, la chose la plus précieuse qu'il avait sur terre et faire son trou au Mangenmagot auquel il était entré quelques mois plus tôt sans attirer les regards. Oui, l'ombre était parfaite. La lumière, elle, avait tué son frère.

Il contempla l'église Saint-Edward, sa tour carrée et les deux ifs qui gardaient depuis des siècles son entrée. Après la poussée de colère contre Dumbledore, son cerveau s'était éteint, ne laissant que sa douleur et l'épuisement. Il ne réalisait toujours pas qu'il venait d'enterrer son frère. Ils avaient trop d'écart – presque dix ans – pour être proches, mais Edgar était une figure indispensable dans sa vie. Amelia était froide, accaparée par les études, mais son frère avait toujours pris le temps pour lui, pour l'aider en cours, lui prodiguer des conseils – y compris sentimentaux ... Edgar, c'était la lanterne qui l'avait guidé pendant toutes ses années où sa mère était occupée au Mangemagot et son père enfermé dans sa bibliothèque, celui qui avait réussi à trouver une ligne directrice dans sa vie. C'était lui, au moment où George était relégué à poste d'archiviste au Ministère, qui l'avait poussé à postuler au Magenmagot ...

George agrippa l'un des barreaux de la grille, subitement incapable de soutenir son propre poids, écrasé par le manque. Il avait cru mourir en refermant les quatre cercueils dans la crypte ... En un sens, c'était ce qui était arrivé. Une partie de lui était morte en même temps que son frère. Que sa belle-sœur. Que ses neveux. Il se serait laissé tomber sur le sol, à pleurer abondement sur cette terre qui abritait à présent son frère s'il n'avait pas encore du chemin à parcourir. Car malheureusement, loin d'être le douloureux point final d'une histoire, la mort d'Edgar était plutôt le début d'un long parcours tortueux dont il commençait tout juste à comprendre les implications. Il prit plusieurs inspiration tremblantes le temps de refouler les larmes et lâcha enfin la grille du cimetière pour lui tourner le dos. Il était temps de rentrer.

Il fut surpris en arrivant chez Edgar – la maison de son enfance – de voir que la vie avait retrouver ses droits. Sur la pelouse devant la terrasse, trois enfants jouaient sous le regard attentif d'un homme installé sur un banc. Caroline, son aînée de cinq ans avec ses cheveux bruns et son beau minois, riait aux éclats face à sa sœur Susan qui à un an faisait voler ses cubes d'enfants. En retrait et plus timoré, Simon contemplait les cubes qui lévitaient, les genoux serrés contre sa poitrine. George se figea devant sa maison, les yeux rivés sur ce garçon qui constituait la dernière preuve du passage sur terre d'Edgar. Pourtant, il lui ressemblait si peu ... Il avait les cheveux blonds et les traits fin de sa mère. Puis l'enfant leva les yeux sur son oncle et le cœur de George acheva de se briser. Nom d'un dragon, que ce serait douloureux de contempler les prunelles vertes des Bones ... Il arracha son regard au garçon pour ne pas sombrer, et se tourna vers l'homme. Leonidas Grims fumait paresseusement sa cigarette et tentait de faire des ronds avec sa fumée tout en prenant soin de ne pas la recracher sur les enfants.

-Vous avez réussi à le décrocher de Rose ?

Sa voix était éraillée, réduite à un souffle épuisé, mais Leonidas ne parut pas s'en formaliser. George, contrairement à sa femme, avait toujours plutôt apprécié le diplomate américain, qu'il trouvait infiniment moins intimidant que sa femme – et elle-même plus conciliante que sa sœur ... Il avait toujours été intimidé par Cassiopée. Leonidas tira une longue bouffé de sa cigarette.

-Ça n'a pas été simple, Rose voulait le prendre avec elle, mais Amelia a argué avec sagesse qu'il n'avait pas à entendre les délibérations sur son avenir ...

-Ah ...

Son regard glissa sur la porte entrouverte. Des éclats de voix lui parvenaient sans qu'il ne puisse comprendre un mot. Il devait sans doute les rejoindre, songea-t-il distraitement. Après tout, il s'agissait de son neveu ... Mais il ne pouvait s'y résoudre : l'idée d'entrer dans sa maison d'enfance éclaboussé du sang de Cassiopée et hantée par le spectre de son frère lui donnait la nausée. Faute de quoi, il s'écrasa sur le banc à côté de Leonidas et observa ses filles jouer avec Simon. Alors que les deux fillettes riaient aux éclats, le garçon restait coi, maussade, si craintif qu'il n'était pas sans rappeler Spencer ... Oh par Merlin, Spencer ...

-Elles débattent sur la garde ?

Leonidas essuya un ricanement amer et laissa tomber quelques cendres.

-Oh, non. Il y a une raison pour laquelle Lysa et moi n'avons pas d'enfant, George : nous ferions de très mauvais parents. Nous n'allons pas imposer ça à ce pauvre enfant ... La garde du fils d'Edgar vous revient.

C'était bien ce qu'il avait pressenti lors de la semaine écoulée, où Simon refusait de lâcher Rose au point de dormir avec eux dans le lit conjugal, au point d'en rendre jalouse Caroline qui voulait les bras de sa mère ... La pression d'abattit presque physiquement sur les épaules de George et il se frotta le visage, à deux doigts de fondre en larme. Elever le fils de son frère lui apparaissait soudainement comme une tâche énorme, insurmontable, et douloureuse, comme si la souffrance de la perte d'Edgar se prolongeait à travers les yeux verts de Simon.

-Très bien, souffla-t-il, conscient du regard de Leonidas qui pesait sur lui. Oui ... Très bien ...

-C'est mieux que l'héritier des Bones reste chez les Bones, argua l'américain avec douceur. Non, la raison pour laquelle elles débattent c'est le lieu ...

-Pardon ?

-Lysandra et moi nous en allons. Ce qui s'est passé ... ça a achevé Lysa, elle a trop souffert et j'ai des affaires qui m'attendent à Boston. Ça fait quelques années que ma famille réclame mon retour et que je refuse parce que Lysandra reste attachée à l'Angleterre – à sa sœur, tout particulièrement. Nous vous proposons de nous suivre à Boston, pour mettre Simon à l'abri. Dumbledore vous a prévenu, il y a un risque que les Mangemorts viennent finir le travail ...

L'idée glaça le sang de George et il contempla son neveu, soudainement terrifié à l'idée de le perdre comme ses frères. Simon parut sentir son regard car il leva les yeux sur lui, l'air interrogateur. La proposition de Leonidas et Lysandra n'était pas dénué de sens ... et George admettait être plus que tenté. Lui aussi était épuisé par cette guerre, broyé par ses implications et détruit par le drame qui s'était déroulé dans la maison à laquelle il était adossé. Partir en sécurité aux Amériques, guérir de la mort de ses parents, de celle d'Edgar, élevé ses filles et Simon dans un environnement sain ... Mais aussitôt que s'épanouissait ses rêves, ils furent fracassés par les éclats de la dispute qui faisait rage à l'intérieur. Sa femme n'accepterait jamais de quitter l'Angleterre, sa sœur serait réticente à l'idée de les faire partir ... Comme l'avait été Edgar quelques années plus tôt.

-Je n'en reviens pas qu'elle ose me proposer ça ! Dans sa famille de Sang-Pure qui ne doit certainement pas être mieux que la nôtre ...

-Elle veut nous protéger, Cassie ...

-Alors tu l'approuves ? Tu veux qu'on aille se cacher aux Etats-Unis, qu'on laisse notre pays se débrouiller avec Voldemort ? Mais quel exemple on donnerait à nos fils, Edgar, quelle leçon de vie se serait ? Quand la tâche est trop difficile, on abandonne ? On fuit, on s'échappe ? C'est ça qu'on veut leur apprendre ?

-Bon sang, arrête de m'attaquer ! Je ne sais pas si tu as entendu ma réponse, mais j'ai refusé leur proposition comme toi ! C'est l'Angleterre que je veux pour mes fils, une Angleterre débarrassée de Voldemort ! Je veux pouvoir léguer cette maison à Matthew et voir sa famille prospérer comme la nôtre, marquer l'histoire magique anglaise comme le fait ma famille depuis un siècle ! C'est ça ma vision d'avenir, ça que je veux pour mes fils, Cassie. Et c'est pour ça qu'on continuera de se battre, ici.

George sentit tous ses espoirs voler en éclat. Pouvait-il réellement aller contre la volonté de son frère ?

Les éclats de voix se rapprochèrent jusqu'à ce que la porte s'ouvre en grand sur le visage fatigué de sa sœur.

-George, tu es là, constata-t-elle, l'air soulagé. Tu peux venir, s'il te plait ?

Il n'avait pas la moindre envie de mettre le moindre orteil dans cette maison. Pourtant, il se força à s'arracher du banc et suivit Amelia à l'intérieur. Tout avait été nettoyé, tout avait été remis en ordre. Des cartons couvraient la surface depuis quelques jours : Lysandra et Amelia avaient commencé à emballer les affaires des défunts. La sœur de Cassiopée était assise sur un fauteuil, les bras croisés sur sa poitrine, à l'opposé de Rose qui paraissait pareillement contrariée. Les deux femmes se fixaient en chien de faïence et George en conclut que ses conclusions avaient été les bonnes. Amelia les désigna d'un geste large de la main, l'air épuisé. Depuis une semaine, les cheveux blancs filaient de plus en plus sa chevelure auburn. George avait littéralement l'impression de la voir blanchir sous ses yeux.

-Nous avons un léger ... désaccord.

-Ce n'est pas un désaccord, Lysandra veut prendre des décisions qui ne lui appartiennent pas, cingla Rose. Au-delà des décisions que nous avons prises, le testament était clair : les Bones ont la garde des enfants.

-Et tu es une Bones, Rose ? répliqua Lysandra avec aigreur. C'est drôle, il me semble que tu es née Faussecreth ... Ce sont à Amelia et George de prendre les décisions pour Simon, pas à toi.

-Je suis sa marraine !

-Mesdames, s'il vous plait, les interrompit fermement Amelia avant de se tourner vers son frère : Leonidas t'a parlé de Boston ?

George acquiesça et elle poursuivit :

-Rose et moi apprécions évidemment la proposition, mais nous estimons que notre place demeure en Angleterre. Nous prendrons toutes les précautions possibles pour Simon ...

-Les mêmes qui ont été prises pour ma sœur ?

-Lysandra, s'il te plait !

-Je suis d'accord avec vous.

Rose leva un regard stupéfait sur son mari et il se sentit rougir comme un adolescent. Par la barbe de Merlin, il ne méritait pas une telle femme. Rose était belle, intelligente, courageuse – bien plus qu'il ne le serait jamais ... Il avait longuement été amoureux d'elle, l'observant de loin sans y croire, elle qui était populaire à Poudlard – préfète et préfète-en-cheffe, entourée d'une bande d'ami qui tournoyait autour d'elle, véritable lumière de Poufsouffle. Leur relation, leur famille, leur foyer, c'était l'orgueil et la fierté de George.

Amelia mit une main sur l'épaule de son frère, l'air aussi étonnée que Rose de sa prise de position.

-Vraiment ?

Leur surprise ouverte l'agaça. Il se savait être le plus faible et le moins courageux de la famille, mais ce n'était pour autant qu'il acceptait qu'on le lui rappelle à tout bout de champs. Seule Lysandra demeurait silencieuse, les paupières plissées en l'attente de sa réponse.

-Ce n'est pas ce qu'Edgar aurait voulu, expliqua-t-il simplement en tentant d'avoir l'air sûr de lui. Edgar voulait que ses enfants grandissent en Angleterre, comme nous, et il voulait une Angleterre meilleure pour eux et par eux. Je n'irais pas contre sa volonté ...

-Même si ça signifie mettre son fils en danger ? rétorqua Lysandra. Je connais Robert Jugson, George. Il en a toujours voulu à Edgar d'avoir eu Cassiopée. Sans compter que Cassie a tué un ou deux Mangemorts ces dernières années ... alors supprimer leur dernier enfant, ça peut être une vengeance parfaite pour tout ce beau monde ...

-Mais sait-il qu'il y a un dernier enfant ?

La voix songeuse d'Amelia réduisit tout le monde au silence et tous réfléchirent à la question. Edgar et Cassiopée avaient depuis longtemps conscience d'être une cible privilégiée et c'était pour cela que leur vie de famille était entourée de secret. Aucun n'avait de photo de leurs enfants dans leurs bureaux respectifs, la naissance de Simon, arrivé en pleine tourmente, était passée inaperçue. Edgar parlait de ses fils, mais il était vrai que peu savaient leur nombre exact, réalisa George. La famille, les plus proches et les journalistes dont Grims et Dumbledore s'étaient assurés de leur silence. Lysandra ouvrit de grands yeux sur Amelia.

-Qu'est-ce que tu proposes ?

-Personne ne sait que le benjamin a survécu, explicita Amelia. Si tant est qu'on savait qu'il y avait un benjamin ... George et Rose n'auront qu'à faire eux aussi profile-bas, maintenir le doute sur leur famille comme l'ont fait Edgar et Cassie et ...

-Faire passer Simon pour leur fils ? C'est ça que tu proposes ?

Les mots de Lysandra furent presque crachés et elle se dressa sur ses pieds, impétueuse. Rose détourna les yeux et George comprit son malaise : avec ses aires de reines furieuse, elle était Cassiopée ressuscitée. Seule Amelia parut insensible à l'apparition.

-Rassure-toi, je n'ai pas l'intention de faire ça à mon frère, assura-t-elle avec douceur. Je ne lui enlèverais jamais son fils ... Je suggérais juste que dans les mois à venir, on entretienne le flou, tout en couplant cela avec des mesures de sécurité, cela permettrait d'assurer la sûreté de Simon en Angleterre, comme le souhaiterait ses parents.

La voix d'Amelia se brisa sur le dernier mot et elle masqua cette faiblesse dans une toux. Encore une fois, George prit conscience du coup qu'avait pris son inébranlable sœur aînée, comment ses traits s'étaient creusés et comment les fils blancs avaient envahis sa chevelure. Elle qui s'était toujours sentie écrasée par la présence d'Edgar, elle devait ressentir le manque lié à son absence bien plus cruellement que lui.

Lysandra ne paraissait pas convaincue par l'argumentaire. Elle observa longuement Amelia, comme si elle était sa seule interlocutrice, avant de lâcher froidement :

-Je suppose que la décision est irrévocable ... Vous avez la tête dure, chez les Bones. J'espère simplement que je n'aurais pas à apprendre la mort de mon neveu dans les journaux ...

-Sois-en certaine, répondit Rose en se levant.

-Tu ne reviens pas sur ta décision ? osa demander Amelia. Simon aura besoin de sa tante, du sang de Cassiopée ... Personne ne pourra mieux la raconter que sa sœur ...

Lysandra parut vaciller devant l'argument pet l'espace d'un instant, son regard gris s'embua. Puis elle cligna des paupières et l'impression disparut pour ne laisser qu'une femme déterminée. Un léger sourire retroussa ses lèvres.

-Moi aussi j'ai la tête dure. Non, je ne reviendrais pas sur ma décision, mais je serais ravie de revenir de temps à autre en Angleterre pour rappeler à Simon quelle femme était sa mère ....

Elle garda son regard planté sur Amelia, mais George comprit que c'était surtout pour résister à la tentation de le glisser vers le fond du salon où était morte Cassiopée. Un tremblement agita ses doigts et elle n'attendit pas davantage pour quitter la place après les avoir salués en un murmure. Ils restèrent quelques instants silencieux, comme écrasés par les fantômes qui demeuraient dans cette maison. Amelia frotta sa tempe et se laissa aller dans le fauteuil. Son monocle pendait sur sa poitrine, attaché à une chaine d'or. Elle fit l'effort de se redresser avec un soupir.

-Très bien ... Maintenant, il nous fait régler un dernier détail.

George sentit son sang se glacer. Il savait très bien de quel détail il s'agissait, le détail qui le terrifiait par-dessus tout, bien plus que la perspective d'élever Simon.

La maison.

Les Bones étaient attachés à leur demeure de Terre-en-Landes. Leur ancêtre, Edmund Bones, un moldu, l'avait construite à la force de ses bras. Sa fille Seraphina l'avait agrandie, ensorcelée, colorée de son identité de Poufsouffle et de sorcière. La modeste maison était devenue l'une des plus grandes de Terre-en-Landes, enracinant la famille au sein du village sorcier, s'ennoblissant en même temps qu'eux. Des générations étaient nées et mortes entre ses murs ... Et c'étaient bien pour celles qui avaient péries que George s'était tendu en y entrant. Les fantômes effaçaient tous ses merveilleux souvenirs d'enfance.

Cela faisait deux jours, depuis l'ouverture du testament d'Edgar et Cassiopée que le débat faisait rage. Légalement, la maison se transmettait en ligne directe et c'était donc Simon qui en était le légitime propriétaire du haut de ses trois ans. George avait alors songé que le garçon réclamerait son dû à sa majorité et qu'ils pourraient l'élever dans leur demeure à Londres ... Mais Amelia avait été réticente : la maison n'avait jamais été inhabitée. Il fallait un Bones à Terre-en-Landes. Elle ? Non, c'était trop grand pour elle seule. C'était une maison de famille ...

-Les repères de Simon seraient moins chamboulés s'il reste ici, argua une nouvelle fois Amelia.

-A l'endroit où est morte toute sa famille ?! Enfin, Amy !

-Justement, sa famille lui a déjà été arrachée, fit valoir Rose d'un ton songeur. Peut-être que ce serait pire si on l'arrachait à son foyer ...

George contempla sa femme, hébété. Jusque-là, elle était restée silencieuse dans le débat, se contentant de s'occuper de Simon pour laisser son mari et Amelia gérer ces questions. Pourtant, il savait qu'elle avait toujours eu un faible pour la magnifique maison. Ce n'était pas une surprise qu'elle soit du côté d'Amelia ... Mais tout de même ... Il avait songé que découvrir le massacre, d'avoir assisté à l'agonie de Cassie dans ce même salon où ils étaient assis, d'avoir trouver le petit Spencer dans son lit ... Mais Rose hocha la tête, résolue.

-Oui, ce sera sans doute pour le mieux. Bien sûr, on ne peut pas le laisser dans sa chambre (on inflexion fléchit mais ne se brisa pas) ... mais on pourrait peut-être l'installer dans la chambre du deuxième étage ? Elle n'était pas occupée, elle ne lui rappellera pas de souvenirs ...

-Tu sais ce qui ne lui rappellera pas de souvenir ? Notre maison, à Londres.

Rose plissa des yeux.

-Tu veux dire la petite maison avec un minuscule jardin dans l'une des villes les plus polluées du monde ? Même pour Susan et Caroline, il sera plus épanouissant pour elles de grandir ici ! Elles adorent tellement y venir pendant les vacances ! Enfin, George, c'est l'occasion rêvée ... !

Rose parut comprendre qu'elle avait dit une bêtise au moment même où les mots franchissaient ses lèvres. Elle plaqua ses deux mains sur sa bouche, comme pour les retenir, mais c'était trop tard : George la contemplait, frappé par la foudre.

-Non ... Non, pardon, ce n'était pas ce que je voulais dire ...

-L'occasion rêvée ? La mort de mon frère ? L'occasion rêvée pour récupérer sa maison de rêve, c'est ça ... ?

Une larme roula sur la joue de Rose et elle se précipita vers son mari pour prendre ses mains. Sonné, il se laissa faire et elle y vit un signe encourageant qu'il n'était pas si furieux que cela :

-Non, bien sûr je me suis très mal exprimée ... George ... Bien sûr que ... (Elle ferma les yeux, mais cela n'empêcha pas d'autres larmes de franchir ses paupières closes et de dévaler ses joues). Bon sang, j'y pense tous les jours, qu'est-ce que tu crois ? Et je pense que, même si on continue de vivre à Londres, on y songera tous les jours de notre vie ... Mais il ne faut pas pour autant que cette maison devienne celle des morts, George. Il faut la remplir de vie, de joie, de rire, comme Edgar et Cassie le feraient ... Si on laisse les fantômes en prendre possession ... ça ne deviendra plus qu'une coquille vide, des murs hantés par ses drames ... C'est ce que tu veux pour la maison de ton enfance ?

Non. Non, bien sûr que non. Il avait adoré grandir ici, entre la forêt de Dean et le canal de Bristol, au milieu des champs, des moldus et des sorciers. Il adorait cette maison à la cheminée frappée des armoiries de Poufsouffle, à la bibliothèque douillette et lumineuse et à la terrasse ombragée par un arbre à lilas qui répandait une odeur délicieuse le printemps venu ... En un sens, Rose avait raison. L'abandonner par peur de l'horreur et des fantômes, cela revenait à tuer la demeure, à lui retirer toute vie et toute substance et à devenir une ruine hantée. Simon aura-t-il le courage de venir s'y installer lorsqu'il saurait qu'elle est inhabitée depuis la mort de ses parents et de ses frères ?

Amelia s'approcha de lui et tapota son épaule. Elle n'avait jamais été une grande consommatrice de tendresses physiques. Amelia Bones n'avait jamais souhaité qu'on la prenne pour ce genre de femme qui se laissaient aller aux caresses et aux effusions. Parfois, George songeait qu'elle avait tout fait pour justement qu'on oublie qu'elle était une femme, d'où ses cheveux courts et son monocle sévère.

-Vous n'avez pas à prendre la décision tout de suite, prenez quelques jours ... Pourquoi ne pas emmener Simon et les filles sur la côte ? Ça vous permettra de réfléchir posément et d'éloigner un peu Simon des attentions ...

-Pourquoi pas, céda George, vaincu. Le Mangemagot m'a déjà dit qu'ils me laissaient le temps de revenir ...

Les lèvres fines d'Amelia se retroussèrent en un sourire amer.

-A moi aussi, mais je ne compte pas leur donner satisfaction. Je soupçonne Croupton de profiter de ce qui se passe pour nous éjecter de son département ... Mais pars, vraiment ! insista-t-elle quand George ouvrit de grands yeux. Simon va avoir besoin de Rose et toi dans les jours à venir, et vous avez des décisions importantes à prendre, des mécanismes à retrouver ... George, je suis désolée, je te laisse cet héritage de la famille, c'est une partie que ... je ne peux pas assumer. Simon, la maison ... Je suis navrée de te laisser ce poids, petit frère. En revanche, je te promets de te décharger de l'héritage politique d'Edgar. Et c'est pour cela que je dois rester au Mangenmagot. (Un rire tremblant qui ressemblait à s'y méprendre à un sanglot jaillit de sa gorge). Je l'entends se retourner dans sa tombe s'il entendait qu'on avait abandonné le département à Croupton ...

George mit une main sur l'épaule de sa sœur, mais le geste lui sembla dérisoire, gauche, maladroit. Il n'était pas habitué à avoir des contacts physiques avec sa famille : sa mère avait été distante, son frère beaucoup plus âgé, et Amelia était une handicapée des sentiments. Le seul membre de sa famille de qui il s'était senti proche avait été son père, Nicholas. Sa sœur, elle, était une sorte de modèle de perfection inaccessible. Pourtant, il aurait voulu dire quelque chose à sa sœur, trouver les mots comme elle avait su les trouver lorsqu'elle était venue lui annoncer le drame ... Lui dire qu'Edgar était déjà fière d'elle, qu'elle était déjà digne de l'héritage de leur famille ... Mais avant qu'il ne trouve le courage, un grand cri s'éleva depuis l'extérieur. George sursauta, le cœur battant à tout rompre, craignant une attaque ... avant de comprendre qu'il s'agissait tout simplement des pleurs angoissés d'un enfant. Il réagit avec sa sœur et sa femme et se précipita dehors, la baguette à la main. Lysandra, accroupie dans l'herbe, fixait d'un air choqué Simon qui pleurait toutes les larmes de son corps, se dérobant à elle en rampant, terrifié. Elle leva un regard décontenancé sur George.

-Je voulais juste ... lui dire au revoir, simplement ... il s'est mis à hurler ...

Et il criait encore, et tentait de se mettre sur ses jambes flageolantes comme celles d'un jeune faon pour fuir cette tante qui, George le comprit d'un coup d'œil, ressemblait beaucoup trop à sa mère. Simon réussit enfin à se mettre debout et se dépêcha de se cacher derrière George, entourant ses jambes de ses bras et pleurant abandonnement dans le creux de ses genoux. Toute l'assemblée, de ses cousines hébétées dans l'herbe, Rose et Amelia qui avaient accourues derrière lui jusqu'à Leonidas Grims, le couvait d'un regard déchiré. George caressa maladroitement la tête de l'enfant dans l'espoir de le calmer et s'adressa d'un ton peiné à Lysandra :

-Je suis désolé ... Il est encore sous le choc, tu as dû ...

-Je sais, le coupa Lysandra d'un ton cassant, sans lâcher l'enfant du regard. Je ... Non, c'est moi qui suis désolée ... Je ... Je repasserais chez vous avant mon départ. Oui, ce sera plus sage.

Elle rejeta ses longs cheveux noirs en arrière. Excepté cette chevelure d'ébène et ses traits plus harmonieux, elle ressemblait tant à sa sœur aînée ... Ce n'était pas étonnant que Simon panique en voyant son visage ... Rose plissait toujours les yeux, l'air suspicieuse et cela parut sonné pour Lysandra l'heure du départ définitif. Elle leur adressa un dernier « au revoir » du bout des lèvres et prit les devants de son mari pour s'engager sur le chemin qui menait à la route, sa longue robe de deuil ondulant sous la brise. Leonidas leur adressa un regard désolé, l'air de s'excuser du comportement de sa femme et s'en fut à son tour. Une fois le couple parti, la respiration de Simon s'apaisa et les larmes cessèrent de couler : d'épuisement, il se laissa affaler dans l'herbe et prit entre ses mains l'un des cubes de Susan.

George l'observa sans un mot. La capacité d'adaptation des enfants était stupéfiante ... Peut-être que Simon s'adapterait à eux ... à cette maison sans ses parents ni ses frères...

-Bon débarras, grommela Rose en fixant les silhouette de Lysandra et Leonidas qui s'éloignaient.

-C'est la tante de Simon, la sœur de Cassie et même si elle part aux Amériques on va devoir composer avec, la réprimanda vertement Amelia. Moi non plus je ne suis pas une grande admiratrice des Croupton, mais je préfère avoir à faire à Lysandra qu'à Barty ...

-C'est drôle qu'il n'ait rien tenté, par ailleurs, fit remarquer George. Simon est de son sang ... Il tient tellement à sa réputation ...

-C'est parce que Simon est un Bones dans sa tête, pas un Croupton. Mais je méfie, il faudra être vigilent dans les semaines à venir ... Si je suis prête à accepter Lysandra, il est hors de question que Barty Croupton mette un orteil dans cette famille.

George esquissa un sourire qui fit frémir sa barbe. Les tonalités de lionne qui avaient percé la voix d'Amelia étaient si familières ... Rose poussa un grognement d'assentiment et s'avança dans le jardin.

-Bon, en attendant il faut nourrir ces trois monstres ... Allez, viens mon chéri ...

Elle tenta de hisser Simon dans ses bras, mais le garçon se mit à gémir. La crise était moins violente que contre Lysandra, mais Rose renonça tout de même et le laissa jouer dans l'herbe. Elle ouvrit les bras, impuissante.

-Il n'avale presque rien depuis ... Il faut qu'il mange ...

-Va faire à manger, je vais le surveiller, proposa George, qui était prêt à tout pour rester en dehors des murs de la maison. Ça fait longtemps qu'il n'a pas pris l'air, peut-être que ça lui fait du bien ...

-Comme ça lui fait du bien d'être chez lui, ajouta Amelia d'un air entendu.

George leva les yeux au ciel. Voilà l'argument ultime qui le clouait dans cette maison pleine de souvenir ... Rose paraissait hésiter au moment où Susan commençait elle aussi à gémir et tendre ses petits bras vers sa mère. Caroline aussi lui jetait un regard plein d'espoir. L'attitude de ses filles fut comme une sonnette d'alarme dans l'esprit de George. L'arrivée de Simon, c'était un nouvel équilibre à trouver et pour l'instant, la balance penchait trop lourdement en la faveur du garçon ... Il enlaça sa femme et déposa un baiser dans ses cheveux. S'il y avait bien une personne avec laquelle il savait être tendre, c'était bien sa Rose.

-Allez, va avec les filles. Tu leur manques. Je m'occupe de Simon, j'essaierais de le faire manger, tu n'auras qu'à me ramener son assiette.

Rose poussa un soupir de réédition. Après un dernier regard inquiet à son filleul, retourné à ses jeux, elle hissa Susan dans ses bras et prit Caroline par la main pour les rentrer dans la maison. Amelia sourit à ses nièces avant de poser une main sur l'épaule de George.

-Je suis fière de toi, petit frère.

Elle tapota son épaule et entra également, mais elle pour continuer d'empaqueter les affaires d'Edgar. Epuisé, George se laissa tomber dans l'herbe à côté de Simon. Le garçon était en train de faire une tour de cube qui s'écroulait toujours et qu'il reconstruisait identiquement sans s'énerver. Un moyen d'occuper son esprit, comme sa sœur allait occuper le sien au Mangenmagot ... George repensa à ce qu'Amelia avait proposé sur l'héritage de la famille et une paix étrange s'installa en lui. A sa sœur aînée l'héritage politique, le Mangemagot, le poids du nom et des fonctions ... et à lui l'héritage familial, Simon et la maison. Un partage équitable, en accord avec leurs personnalités et leurs compétences, George se savait être meilleur père que politique ... La situation était atroce, douloureuse, mais pour la première fois, il avait l'impression de savoir ce qu'il faisait, où il allait. Il allait élever le fils de son frère, dans la ligne directrice qu'il s'était défini pour ses enfants et qui lui été hérité de sa propre famille, probablement dans la maison de son enfance dont il apprendrait tous les secrets à ses filles ...

Simon avait décidément les yeux verts des Bones, les mêmes que les siens, ceux qui se couvraient d'éclat d'or à la lueur du soleil ... Peut-être même que son nez commençait à grandir, comme celui de son père, observa-t-il avec un certain amusement. Il ressemblait plus à Edgar qu'il n'y paraissait d'un prime abord ... Soudainement, l'enfant se crispa et leva le regard sur la route où s'élevaient les crissements d'un vélo qui freinait. Sa tour venait une nouvelle fois de s'écrouler et au lieu de la reconstruire, il ramassa à la hâte ses cubes pour les loger entre ses jambes, comme pour les protéger.

-Elle est là ...

George le considéra, incrédule. C'était la première fois qu'il entendait sa voix depuis que Rose l'avait sorti de ce maudit placard. Il en était si stupéfait qu'il en oublia la phrase qu'il avait prononcé et pourquoi il avait pris la parole. Alors lorsqu'un homme s'adressa à lui, il sursauta si fort qu'il en fit peur à Simon.

-Monsieur ?

C'était un homme d'environ son âge, aux cheveux châtains et aux yeux bleus et doux. Il poussait devant lui un vélo au guidon rouillé. Et surtout, droite dans son fauteuil accroché au porte-bagage, une fillette fixait Simon en mâchouillant machinalement sa tétine. Elle avait sensiblement le même âge, bien que plus chétive et ses boucles brunes étaient agitées par la brise. L'homme, qui devait être son père, fronça les sourcils.

-Excusez-moi de vous déranger, je suis le pasteur du village, Edward Bennett ...

-Oh, réalisa George en se levant tant bien que mal. Bonjour, révérent ...

Dans la brume de ses souvenirs, il semblait à George que c'était l'une des connaissances d'Edgar et Cassie. Il lui semblait même avoir eu connaissance d'anecdotes concernant la petite ... mais en l'instant, elles lui échappaient. Edward Bennett contempla la maison, l'air affligé.

-Je n'ai pas pu ... Enfin, je n'ai pas pu venir voir avant, je suis désolé ... Vous êtes de la famille d'Edgar ?

-Son frère cadet, oui ...

-Je vois ... Je tenais à vous présenter mes plus sincères condoléances ... Je connaissais votre frère, sans doute trop mal mais c'était un homme que je respectais sincèrement, comme son épouse ... C'est si tragique qu'une fuite de gaz ait ...

Il secoua la tête et redressa ses lunettes sur son nez. George ne répondit pas, la gorge nouée par l'émotion, comme chaque fois qu'on évoquait son frère devant lui. Il se contenta d'accepter les condoléances d'un hochement de tête.

-Je voulais aussi vous proposer mon aide si vous avez besoin de l'église ou de moi pour la cérémonie de la mise en terre, poursuivit le pasteur avec douceur. Je savais que votre frère n'était pas particulièrement croyant mais il aimait beaucoup notre église ...

-A dire vrai, l'enterrement a eu lieu ce matin, précisa George, vaguement honteux car l'homme était de bonne foi. Nous avons fait une petite cérémonie ... en petit comité. Avec la famille.

Le mensonge était gros, surtout quand il se souvenait du cimetière noir de monde. Edward Bennett ne parut pas vexé et inclina la tête en signe de compréhension.

-Soit. Ma femme et moi irons nous recueillir sur leur tombe ... ainsi que celle des enfants ...

Son regard se glissa sur Simon. Il ne s'était pas remis à jouer, se contentant d'entourer ses cubes de ses bras et de garder ses yeux rivés sur l'herbe. George, lui, se pencha pour observer la petite fille. Elle avait de beaux yeux bleus-gris en amande, les mêmes que son père. Et elle les gardait fixer sur Simon. Elle le pointa du doigt de sa petite main potelée et gazouilla des mots inintelligibles d'un ton inquiet. Son père caressa sa tête avec tendresse, mais son regard se teinta d'avertissement.

-Sois gentille, ma chérie ... (Il pivota vers George). Désolé, il se peut que la dernière fois qu'ils se sont vus, elle lui ait tiré les cheveux ... Je suppose que le petit viendra vivre avec vous ?

-C'est cela. Et peut-être nous ici ... C'est encore en suspens.

Si le révérend était surpris, il ne le laissa pas paraitre. George commençait à apprécier cet homme, son calme, sa retenue, sa gentillesse évidente. Sa fille, elle, paraissait intriguée par le comportement de Simon : elle s'était dressée sur son siège et se tordait le cou pour mieux le voir.

-Je vois ... Alors dans ce cas, n'hésitez pas à venir nous voir, ma femme et moi. Nous serons ravis de vous aider à vous installer ou si nous pouvons apporter notre assistante pour tout autre chose ...

-J'y songerais. Merci beaucoup, révérend.

Edward Bennett lui adressa un sourire sincère et entreprit de faire un demi-tour avec son vélo. Mais la petite derrière se tournait en conséquence pour ne pas lâcher Simon du regard, au moment où lui gardait le sien toujours rivé sur le sol. Faute d'être victorieuse dans la confrontation, elle demanda à George :

-Il va pas bien ?

-Victoria, soupira son père en enfourchant son vélo.

-Non, c'est bon, le rassura George avant de s'adresser à la petite fille sur le ton de la confidence : pas vraiment, non, il faut être gentille avec lui pour l'instant. Donc, ne pas lui tirer les cheveux, d'accord ?

-D'accord, accepta-t-elle avec une certaine solennité. Je le ferais plus ...

-Tu es adorable.

Le visage de l'enfant se fendit d'un magnifique sourire. Ce n'était la plus belles des petites filles qu'il ait vues, mais George admettait volontiers que ce sourire embellissait incroyablement son visage et était merveilleusement communicatif.

-Vous savez y faire, observa Edward, l'air attendri. Elle parle rarement aux inconnus ...

-J'ai moi-même deux filles. C'est élever un garçon qui sera nouveau pour moi ...

-J'en ai un aussi, mon aîné. Un petit diable ... Croyez-moi, Simon est bien plus facile, de ce que j'ai pu observer. Mais encore une fois, si vous avez besoin de conseil, n'hésitez pas, je serais ravi de partager mon expérience avec vous.

Après un dernier sourire bienveillant, le pasteur se mit en route. La petite Victoria, elle, continuait de regarder en arrière et de contempler Simon, mais cette fois elle avait l'air triste, comme si le peu dit et observé lui avait comprendre qu'un drame s'était déroulé dans la vie de l'enfant à qui elle tirait les cheveux et qui refusait toujours d'affronter son regard. Et alors que son père, occupé à surveiller la route, s'apprêtait à passer la barrière, elle agita la main. George pensait que c'était pour dire au revoir et répondit à son geste avant de comprendre son erreur. Autour de Simon, des fleurs avaient jaillies, poussant en touffes diffuses : des jonquilles, des marguerites, des tulipes aux pétales chaudes et joyeuses rendues plus éclatantes encore par les rayons du soleil. Surpris, Simon cessa de protéger ses jouets et contempla les fleurs qui jaillissaient jusqu'à former un véritable bosquet autour de lui. Il effleura les clochettes d'un muguet qui répandait un parfum exquis et pour la première fois depuis cette nuit-là, un sourire se dessina sur les lèvres de l'enfant. Il leva enfin ses yeux verts sur Victoria au moment où son père roulait sur la route et la fillette agita la main avant d'enfin se retourner et laisser son père l'emmener. George le contempla la suivre des yeux, émerveillé par ce simple sourire, la façon dont il avait éclairé son regard et adouci son visage. 

Voilà comment il avait entendu parler de la petite Victoria Bennett : c'était une sorcière. Et faire parler et sourire Simon ... ça avait été un sacré tour de magie.

-Tu vois, elle a été très gentille ...

-Non, lâcha Simon en perdant son sourire. Non, elle est méchante, elle a volé mes jouets.

-Elle t'a donné des fleurs. Moi je pense qu'une fille qui t'offre des fleurs, c'est une amoureuse, non ?

Les joues pâles – si pâles – de Simon s'empourprèrent et il secoua obstinément la tête.

-Non ! Ce n'est pas mon amoureuse, c'est pas vrai !

-Qu'est-ce qui se passe ? Et d'où ça vient, tout ça ?!

Rose venait d'apparaître dans l'encadrement de la porte, l'assiette de pâtes au fromage de Simon dans une main et fixait les fleurs avec stupeur. George et Simon la contemplèrent avant de s'entreregarder. George eut le souffle coupé en prenant conscience qu'en quelques secondes, il avait tissé un lien avec son neveu, un lien qui serait appelé à s'étoffer, à s'épaissir, à devenir aussi indestructible que celui qui l'avait lié à Edgar. Emu sans savoir réellement dénouer tout ce qui se jouait en lui, il ébouriffa les cheveux soyeux de Simon.

-C'est notre secret à tous les deux ...

Un sourire s'étira sur les minces lèvres de Simon, un sourire timide, tremblant comme un maigre rayon de soleil qui jaillit à travers un orage. Mais George arriva à y entrapercevoir toute l'espièglerie, toute la soif de vivre de ce garçon dont il avait la charge et qu'il devrait aider à se reconstruire. La route serait longue, douloureuse, tortueuse. Peut-être que tout ce qu'il bâtirait s'écroulerait comme la tour de cube, mais il se promettait de ne jamais rien lâcher. Il le devait à Edgar : il prendrait soin de son fils. Quoiqu'il en coûte. 


Et voilà la fin de ce bonus que je n'avais pas prévu d'écrire ! La dernière partie est presque aussi longue que les deux premières, tiens ... Je ne pensais pas, mais j'avais beaucoup de chose à dire, surtout pour la fin, et la dernière scène me tenait particulièrement à coeur ! 

J'espère que malgré sa tristesse, il vous aura plu. Encore un grand merci à Anna' pour ces créations de toute beauté (sa dernière est ma préférée, je la trouve magnifique) et sa relecture sur la partie Lysandra Croupton (Pour des raisons que vous connaissez maintenant, il fallait qu'elle me valide Leonidas héhé). 

On se retrouve la semaine prochaine pour le chapitre de transition d'O&P (sur la nouvelle histoire, donc) et après je reprendrais le rythme normal d'un chapitre toutes les deux semaines. Là, c'était un bonus et comme c'est justement en bonus, j'avais décidé d'être gentille ! A la semaine prochaine ! 

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