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[O&P] 2. Le Purgatoire



Rose Bones, née Faussecreth, bailla à s'en décrocher la mâchoire. Elle ne savait pas par quel miracle elle parvenait à garder les yeux ouverts alors qu'à chaque battement paupières, ils brûlaient affreusement et elle n'avait qu'une envie, c'était de se plonger dans ce noir complet et réparateur. Elle consulta sa montre et porta un regard mauvais sur la pile conséquente de dossier qui s'accumulaient sur son bureau. A à peine vingt-huit ans, elle était affectée à un poste à immense responsabilité en ces temps troublés : réunir un maximum de preuve et plaidoyer contre les Mangemorts arrêtés par le Ministère. Mais Rose n'était en rien arrivée là par hasard : sortie de sa promotion première de classe et Préfète-en-cheffe, elle s'était attirée la sympathie du Ministère avant même d'accroitre son crédit en épousant le plus jeune fils de Susan et Nicholas Bones, reconnu comme étant une immense famille de juriste. Elle jeta un regard attendri sur la photo que dissimulait presque ses dossiers : elle avait été prise le lendemain de la naissance de sa seconde fille, Susan qu'ils avaient nommé en mémoire de la mère décédée de George. C'était lui qui tenait le bébé dans ses bras musculeux alors que Rose avait hissé sur ses genoux leur aîné à présent âgée de cinq ans, Caroline. Elle avait l'impression que la photo avait été prise hier et pourtant Susan s'apprêtait à avoir deux ans en octobre ... Et tant de choses s'étaient passées depuis ... Profitant de la fuite de deux membres du Mangemagot et de l'arrestation de l'un d'entre eux comme traitre, George y était rentré, rejoignant ainsi son frère et sa sœur aînés, Edgar et Amelia, déjà bien installés dans l'institution. Et Rose, après des années à servir d'assistante à Barty Croupton, s'était vu offerte ce poste de procureure par la Ministre elle-même. Mais elle ne s'y trompait pas : elle était certaine qu'un Bones lui avait soufflé l'idée à l'oreille. Millicent Bagnold avait une confiance inébranlable en Edgar. Mais personne, pas même Croupton – qui pourtant, vouait une véritable haine aux Bones et s'était montré extrêmement désagréable avec elle depuis qu'elle avait épousé l'un d'entre eux – n'avait émis la moindre objection : il était su par tous que Rose était une femme brillante, capable et surtout qu'elle était incorruptible. Cependant, en contemplant le doux visage de ses filles, elle se demandait si ce nouveau poste n'allait pas lui attirer les foudres des partisans de Vous-Savez-Qui. C'était une peur qui la hantait chaque matin lorsqu'elle s'asseyait à son bureau et qu'elle montait sans relâche des dossiers contre des Mangemorts présumés.

Il était presque vingt-trois heures, à présent, et Rose se résolut à s'arracher de sa chaise, tombante de fatigue. Elle rangeait son bureau avec des mouvements de baguette laconique lorsqu'elle entendit l'agitation qui s'éprenait des couloirs. Malgré son épuisement, Rose tendit l'oreille, habituée au raffut que pouvait provoquer les Aurors près desquels elle avait son bureau pour des raisons pratiques. Et ce genre de raffut n'annonçait généralement pas grand-chose de bon, surtout lorsque l'aboiement caractéristique d'Alastor Maugrey, le chef du bureau des Aurors, couvrit l'agitation :

-POURQUOI ON NE ME PREVIENT QUE MAINTENANT ?!

Quelqu'un tenta de donner des explications que Rose n'entendit pas, tant elles étaient basses et noyées dans le bruitage. Pourtant, son cœur fit un bond quand elle fut persuadée d'avoir entendu le nom de « Bones » dans les justifications bafouillées pour Maugrey. Son sang ne fit qu'un tour et elle ouvrit la porte à la volée. Un groupe de cinq Auror se préparait, armé jusqu'aux dents et menés par le visage balafré de Maugrey Fol Œil. Il congédia l'homme presque tremblant – un apprenti – devant lui d'un geste sec de la baguette et celui-ci déguerpi sans demander son reste. Voyant qu'il était dans l'un de ces états où il était capable de jeter un maléfice à n'importe qui, Rose faucha le coude de Kingsley Shacklebolt, un sorcier extrêmement doué qui l'aidait particulièrement dans ses affaires avec un sens fin de l'analyse et un recul apaisant des événements.

-Qu'est-ce qui se passe ? Ou est-ce que vous allez ?

Kingsley contempla un long moment Rose de ses yeux sombres. Le regard se prolongea assez pour qu'elle comprenne qu'elle n'avait pas simplement rêvé le nom qu'elle pensait avoir entendu. L'affolement s'éprit d'elle, trop pour qu'elle ne puisse le réprimer.

-On a reçu un message de Terre-en-Lande, finit par avouer Kingsley. A priori ... La maison d'Edgar a été attaquée.

La première réaction de Rose fut du soulagement : son mari et ses filles n'étaient pas en danger. Puis presque aussitôt, balayant tout le reste telle la déferlante d'une rivière glacée vint l'angoisse la plus totale.

Edgar ... Cassie ... les garçons ...

Rose s'entendit à peine bredouiller :

-Je ... Je vais venir avec vous ...

-Ne sois pas stupide, ce sont des Mangemorts qui ont attaqué la maison, rétorqua Kingsley d'un ton ferme. Il vaut mieux que tu restes là, on viendra te donner des nouvelles après ...

-Je viens, répéta Rose d'un air buté. Je viens, il est hors de question que je reste ici, pendant que ... dehors ... peut-être ...

La suite s'étouffa dans sa gorge : elle ne pouvait pas prononcer l'indicible, ce en quoi elle refusait de croire. Non, Cassie et Edgar étaient tous deux les meilleurs sorciers de leur génération, et ils étaient bien protégé, Rose le savait ... Et Matthew était diplômé à présent, il pourrait leur prêter main forte ... Il fallait juste qu'elle aille les aider, qu'elle se dépêche avant qu'il ne soit trop tard ... Kingsley tenta de parlementer, mais Rose avait déjà saisi sa baguette et suivait les Aurors d'un pas vif jusque l'Atrium. Maugrey ne la repéra qu'au dernier moment, alors que les premiers d'entre eux utilisaient les cheminées pour transplaner jusque Terre-en-Lande et bloqua le passage à l'une d'entre elle.

-Je n'ai pas besoin de petite bureaucrate qui trainera dans mes pattes pendant une telle opération ! la rabroua-t-il, ses cicatrices animant sinistrement son visage. Tu m'as entendue ?

-Essaie un peu de m'en empêcher ! hurla Rose d'une voix presque hystérique, cédant à la panique qui déferlait en elle. Je ne suis pas qu'une petite bureaucrate, Fol Œil, je sais me servir de ma baguette et je serais ravie de te le prouver si on n'avait pas plus urgent à faire ! Chaque seconde que tu perds à essayer de me convaincre est une seconde qui rapproche Cassie de la mort !

Rose sut qu'elle avait fait mouche : Cassie était peut-être l'unique personne que Maugrey aimait, à la manière d'une jeune sœur. Il l'avait formée, façonnée et un lien assez fort s'était noué entre eux pour que Cassie envisage de faire de lui le parrain de son benjamin – honneur que Maugrey avait refusé, arguant que s'il arrivait quelque chose à ses parents, l'enfant aurait besoin d'un parrain en vie et que lui-même avait sans cesse un pied dans la tombe. C'était alors vers Rose qu'elle s'était tournée pour faire d'elle la marraine de Simon. Avec un grognement de reddition, l'Auror à la crinière grisonnante s'écarta, non sans asséner d'une voix sèche ses instructions :

-Tu restes dehors, tu ne rentres dans la maison que lorsque je t'en donnerais le feu vert. Si tu vois quelque chose bouger, tu dégaines ta baguette, pas pitié, Bones. Vigi...

-Vigilance constante, acheva Rose avec un hochement de tête tremblant. Je sais.

Sans attendre, elle s'engouffra dans la cheminée, la baguette frémissante entre ses doigts. Les flammes d'un vert émeraude l'enveloppèrent alors et elle se retrouva projetée dans la fraiche nuit d'août. Elle entendait les Aurors gravir les marches du perron et entrer à la volée dans la demeure ancestrale des Bones. Aucune lune n'était visible dans le ciel et pourtant la maison était baignée dans une lueur spectrale qui dessinait sa silhouette dans la nuit. Rose comprit un instant plus tard en levant la tête. Elle crut que son cœur allait exploser.

Au-dessus de la maison, la Marque des Ténèbres dansait.

Rose chancela, sous le choc. Cette marque, c'était une confirmation d'un fait auquel elle s'était refusé de croire. Quelqu'un était mort. C'était la seule explication, la seule qui pouvait justifier que cette immense tête de mort crachant un serpent éclaire sinistrement la maison. Horrifiée, Rose ne pensa même à se défendre, même pas à regarder si un Mangemort s'échappait de la maison. Elle avait le regard rivé sur la Marque et était écrasée par sa signification.

-Rose ?

D'un effort qui lui parut colossal, elle tourna la tête pour voir qui l'interpeller ainsi. Quelques mètres plus loin, se tenant en respect de la maison, un homme frêle à la barbe grisonnante enserrai son corps de ses bras, tremblant de tous ses membres. A ses côtés, un garçon d'une vingtaine d'année qui paraissait être son fils lui donnait des tapes sur l'épaule, l'air hagard.

-Vous êtes Rose, la belle-sœur d'Edgar ? s'assura-t-il dans un filet de voix.

A travers la brume de son esprit, Rose reconnut l'un des derniers sorciers qui habitait le village et qu'elle avait aperçu souhaitant la bienvenue à Edgar lors de son déménagement, dix ans plus tôt. Incapable d'articuler le moindre mot, elle hocha la tête. Sans crier garde, l'homme se mit à pleurer et le cœur de Rose saigna.

-Je suis désolé, sanglota-t-il sans même tenter de masquer ses larmes. Je ... je n'ai rien pu faire, j'ai eu trop peur ... J'ai vu ... j'ai vu l'avertissement d'Edgar, je l'ai vu ... Mais je n'ai pas osé ... J'ai prévenu le Ministère mais ... je n'ai pas osé ... Je suis tellement désolé, j'avais peur ...

Rose aurait voulu être bienveillante, lui assurer que ce n'était rien, qu'il avait fait ce qu'il fallait, ce que le Ministère préconisait ... Pourtant, les larmes de l'homme coulèrent sur elle sans rien laisser d'autre qu'une sensation glacée, la nouvelle confirmation de ce qu'elle redoutait depuis qu'elle avait entendu le nom des Bones dans les murmures pressants de Aurors. Elle fut détournée de lui par le grincement de la porte principale et la silhouette massive de Maugrey découpée dans l'encadrement. Comprenant que les agresseurs étaient partis, Rose se précipita à sa rencontre. Le pauvre homme semblait avoir pris dix ans et s'appuyait si fort contre le chambranle qu'elle craignit un instant que le colosse de s'écroule sur ses pieds d'argile. C'était peut-être une déformation de ses propres larmes qui emplissaient ses yeux, mais il lui semblait que le regard de Maugrey s'était humidifié.

-N'entre pas, souffla-t-il d'une voix sans timbre. Non ... crois-moi ... n'entre pas.

-Alastor ... qui... ?

Maugrey ferma les yeux et se les pressa du pouce et de l'index. Elle qui ne l'avait connu que fort, sûr de lui et cynique fut choquée de le voir d'apparence si chamboulé.

-Oh, Rose ... Je doute qu'il y ait quelqu'un de vivant dans cette maison.

Mais Rose refusa d'y croire. Edgar était le meilleur sorcier qu'elle connaissait – si elle exceptait Dumbledore – et Cassie était une véritable lionne, pas du genre à se laisser mourir ... Et les enfants ... Ravalant un sanglot et ignorant les appels de Maugrey, elle s'engouffra à l'intérieur de la maison mais se figea telle une statue de sel sur le palier. Au pied de l'escalier, Edgar était étendu sur le flanc, ses yeux verts fixant un point qui ne se situait pas dans le même monde que Rose. A quelques centimètres de sa main, sa baguette avait été fendue en deux. Elle détourna le regard, un cri de détresse au bord des lèvres et levant les yeux sur l'escalier elle découvrit pire : Matthew, ce petit démon qu'elle avait si souvent réprimandé et qui avait grandi au point où elle avait fini par discerner l'homme en lui, se tenait face contre terre, allongé en travers des marches la tête la première. Se refusant à contempler davantage sa main inerte, Rose arracha son regard et il tomba alors sur le salon. Cette fois, ses pleurs déchirèrent le silence de plomb qui s'était installé dans la maison : Cassiopée, la lionne, l'Auror si féroce, son amie, était adossée au mur, une main pressée sur le flanc. Kingsley était à côté d'elle et sa main couvrait une plaie sur son cou où le sang coulait toujours à gros bouillon. Malgré sa pâleur cadavérique, l'espoir se mit à battre dans le cœur de Rose, et elle se précipita vers elle, écartant les Aurors qui tentaient de lui faire barrage. Elle s'agenouilla auprès de sa belle-sœur et sa robe de sorcière s'humidifia au niveau de ses genoux.

-Cassie ...

Ses paupières lourdes trouvèrent dans sa voix la force de se relever, laissant apparaitre son regard voilé qu'elle fixa sur Rose. La jeune femme prit ses mains glaciales dans les siennes et la baguette que tenait toujours Cassie chuta et alla rouler sur le parquet couvert de sang.

-Cassie, c'est moi ... Tiens bon, les secours vont bientôt arriver ... Tiens bon ...

Ce fut difficile pour Rose de ne pas laisser éclater le sanglot qui lui nouait la gorge. Elle était pâle, si pâle, et son souffle si court qu'il était à peine discernable et ne suffisait pas à faire voler les quelques mèches qui tombaient sur son visage. A côté d'elle, Kingsley appuyait toujours un linge sur la plaie dans son cou pendant qu'un autre tentait s'arrêter l'hémorragie sur son flan. Mais elle l'avait bien vu sur leur visage comme elle l'avait vu dans les yeux éteins de son amie et dans le sang qui tâchait à présent sa robe et ses mains ... Cassie était en train de mourir. En un sursaut, ses doigts se crispèrent mollement sur les siens et un faible murmure éraillé voulut franchir les lèvres de Cassie. Rose caressa ses cheveux que le sang avait rendu de rouille.

-Chut ... Non, ne parle pas ma belle ... garde des forces ...

-... suis morte ... Edgar ... Rose ... les garçons ... Simon ... s'il te plait ...

Une larme roula sur la joue de Cassie alors qu'une lueur de vie s'allumait une dernière fois dans ses iris grises et voilées. Rassemblant ses dernières forces, elle serra davantage les mains de sa belle-sœur.

-S'il te plait ... S'il te plait ...

Elle répéta ce mot jusqu'à qu'il n'ait plus de sens, jusqu'à qu'il soit réduit à un murmure indiscernable, inaudible. Même quand ses paupières épuisées se fermèrent pour toujours, ses lèvres s'agitaient toujours en cette supplique muette. Puis ses mains devinrent de plus en plus molles dans celles de Rose et ses lèvres se figèrent enfin. La jeune femme, sonnée, laissa échapper ses doigts quand ils glissèrent, telle la vie du corps de Cassie. Elle n'avait même pas donné de réponse à la dernière promesse de son amie.

Elle ne pouvait plus bouger. Elle était figée, baignant dans le sang de son amie, incapable de détacher son regard de ses lèvres qui, un instant plus tôt, remuaient encore sous les éclats de vie. Kingsley murmurait à côté d'elle à l'Auror qui avait tenté d'arrêter l'hémorragie, mais leurs voix ne parvenaient que par bride dans l'esprit embrouillé de Rose. Alors qu'elle se sentait prête à chanceler, à s'écrouler sur le parquet ensanglanté et à laisser éclater toute sa douleur, la grosse main de Maugrey se posa sur son épaule et la pressa. Rose la couvrit de la sienne et s'accrocha à ce contact, tremblant si fort qu'elle doutait être capable de bouger le moindre muscle. Il l'aida lentement à se relever, à s'arracher à cette scène déchirante, à Cassie qui venait de rendre l'âme sous ses yeux ... Depuis, Rose avait l'impression de ne plus rien voir. Elle écouta vaguement le rapport fait à Maugrey, incapable de comprendre la scène qui se déroulait sous ses yeux.

-Celui-là est mort, annonça-t-il en désignant le corps que Rose ne connaissait pas. Il n'est pas connu de nos services et il n'a pas la marque, on pense que c'était un aspirant qui devait faire ses preuves ... Mais celui-ci (il pointa un autre homme, caché derrière le canapé et dont Rose ne voyait que le pied dépassé) est simplement stupéfixié. Un petit délinquant notoire, surtout connu pour le braquage de riches maisons ...

-Ce n'est pas un aspirant et un petit délinquant qui seraient venu à bout d'Edgar et Cassiopée Bones, rétorqua Maugrey d'une voix où commençait à enfler la colère. Il y en avait d'autre, c'est certain ...

-Très certainement. On a vu deux hommes transplaner dans le jardin lorsque nous avons fait irruption dans la maison ... Je crois que Williamson a pu les identifier, mais peut-être que celui-ci (Il désigna l'homme stupéfixié sur le sol) pourra nous donner des précisions ...

L'œil d'un bleu sombre de Maugrey étincela et un sourire sinistre anima ses cicatrices de façon lugubre.

-Parfait. Emmène-le au Ministère et enferme-le sous bonne garde. Ensuite ...

-Et les enfants ? interrogea Kingsley.

Il s'était redressé, les mains couvertes du sang de Cassiopée, le visage figé en un masque impassible pour ne pas laisser éclater l'horreur. Le cœur s'accéléra dans sa poitrine, et elle leva les yeux sur l'escalier, au-dessus d'Edgar, au-dessus de Matthew. Obnubilé par les morts et sa douleur, elle avait oublié que deux enfants manquaient au rez-de-chaussée.

Les garçons ... Simon ... S'il te plait. S'il te plait.

Le cœur de Rose s'emballa. Il n'y avait que l'instinct de la mère courage pour s'accrocher ainsi à cet espoir. N'écoutant que l'espoir qui battait frénétiquement des ailes en elle et pompait dans cette veine une adrénaline, elle retrouva ses capacités motrices et s'élança dans l'escalier. Elle passa à côté de Matthew, trop fébrile, trop lâche pour lui jeter le moindre regard et atteint le pallier le souffle court. Les portes du couloir étaient toutes ouvertes, certaines pendaient sur leurs gongs, arrachées par la puissance de l'ouverture.

-Spencer ! cria-t-elle avec la force du désespoir. Simon !

Le silence qui lui répondit l'enveloppa telle une couverture glacée. S'accrochant désespérément à l'espoir qui était né de la question de Kingsley, malgré le calme total de l'étage – un calme de mort ... – elle fouilla frénétiquement chacune des pièces, regardant sous le lit, ouvrant les placards à la volée, hurlant sans cesse le nom des garçons dans l'espoir qu'elle entende ne serait-ce qu'un frémissement qui pourrait indiquer leur survie. Enfin, elle poussa la porte à moitié ouverte de la chambre de Simon, au bout du couloir. Elle avait aidé à peindre cette chambre trois ans plus tôt, avec une Cassiopée clouée à la maison par la grossesse, mais qui s'était refusée à rester inactive. Cassiopée qui s'était vidée de son sang à l'étage du dessous ... La douleur faillit de nouveau la paralyser, aussi se dépêcha-t-elle de se mettre en mouvement avant que désespoir ne lui cloue les jambes au parquet.

-Spencer ? appela-t-elle dans un murmure, la voix éraillée par les cris et les pleurs. Simon ... ?

Elle embrassa la pièce du regard et cette fois, ses jambes se dérobèrent sous elle : dépassant de moitié de sous le lit, les jambes maigres de Spencer lui semblait affreusement immobile. Rose laissa libre court à ses larmes, la poitrine écrasée par une indicible douleur, le cœur surchauffant par trop d'émotion qui semblait avoir abandonné son rôle principal qu'était de pulser la vie en elle. Rampant sur le paquet de bois chaud, secouée par les sanglots, elle atteignit enfin le corps inerte de son neveu et avec des gestes doux et tremblant, elle le hissa sur ses genoux, le berçant dans ses bras comme elle avait pu le faire tant de fois auparavant. Son visage n'était même pas figé par la peur : ses traits étaient détendus et lorsque Rose pressa deux doigts sur ses paupières, ce fut presque comme s'il dormait. Déversant nombre de larme qui coulèrent sur son visage rendu pâle par la mort, Rose caressa ses cheveux blonds, ses joues où les tâches de rousseurs paraissaient être des tâches de sang, et sa peau froide, si froide ... Une froideur qui ne trompait pas. L'ange descendu sur terre avait enfin rejoins les cieux.

-Rose ?

Rose eut l'impression que la voix lui parvenait sourdement, à travers la brume et la douleur. Elle releva à peine la tête et vit apparaitre à travers ses larmes les bottes massives de Maugrey. Mécaniquement, elle serra un peu plus le corps de Spencer contre elle, les épaules secouées par les sanglots. Elle eut à peine conscience de l'Auror qui parcourait la chambre, la baguette tirée devant lui, silencieux malgré sa massive silhouette. Puis il revint vers Rose et posa une main lourde sur son épaule.

-Les nécromages de Ste Mangouste arrivent pour prendre soin des corps ...

-Non, pleura Rose, resserrant sa prise sur Spencer. Non, je ne peux pas ...

-Rose ... on n'a pas retrouvé le petit ... le dernier ...

Mais même l'espoir avait cessé de battre dans le cœur de Rose. Sa réalité était emplie de la sensation de ses doigts contre la peau glaciale de Spencer. Si ces monstres avaient pu tirer ce petit être innocent de sa cachette et lui arracher la vie, alors qu'avaient-ils bien pu faire du petit Simon ... Elle n'avait pas la force de voir son petit corps de trois ans brisé par la mort. Elle se sentait déjà au bord du gouffre. Ce n'est que lorsqu'un grand fracas retentit dans la pièce qu'elle consentit à relever la tête. Maugrey avait ouvert si fort la porte du placard que Rose crut qu'elle allait l'arracher de ses gongs, la baguette brandie devant lui, une expression de férocité sauvage gravée sur ses traits. La vie parvint revenir en Rose lorsqu'elle entendit un petit cri de terreur émaner de l'intérieur du placard. Maugrey abaissa sa baguette et une profonde stupeur se peignit sur le visage de Maugrey.

-Rose, viens voir ...

Rose fut interloquée par la surprenante tendresse dans la voix du si redoutable Auror. Elle posa délicatement Spencer sur le sol et se précipita d'un pas fébrile vers le placard, le cœur battant à tout rompre. Elle eut tout juste le temps de voir deux pieds avant qu'ils ne se retranchent sous l'étagères, accompagnés de gémissements de frayeur. Rose s'accroupit et son cœur explosa : collé au mur en position fœtale entre les chaussures et ses anciennes affaires de bébé, Simon tremblait de tous ses membres. Il était pâle ... mais il était vivant. Elle avait traversé l'horreur, un véritable purgatoire pour atteindre cette timide lueur chassant l'obscurité.

-Mon Dieu, souffla-t-elle, abasourdie. Simon mon chéri, viens, c'est moi ...

Mais sa voix était trop rauque, trop éloignée de son timbre chantant habituel et elle se savait couverte du sang de sa mère : l'enfant se recroquevilla un peu plus contre le mur, terrifié.

-Comment on peut être sûr que c'est le petit ? grogna alors Maugrey, reprenant toute sa sècheresse.

-Et des Mangemorts auraient pris l'apparence d'un enfant de trois ans ? rétorqua Rose avec un regard noir. C'est ça que tu veux me dire ?

-Ou alors c'est un Inferius.

Si Rose en avait eu la force, elle l'aurait giflé à toute volée. Faute de quoi, elle se laissa tomber sur les genoux et avança sa main au fond du placard. Simon recula avec un petit cri, comme un animal effrayé. Elle ne voulait pas le forcer à sortir, l'extirper de ce placard comme ces monstres avaient sans doute arracher Spencer à sa cachette. A l'idée, des larmes s'accumulèrent de nouveau à ses yeux, pourtant ce fut d'une voix dont elle parvint à masquer le tremblement qu'elle reprit :

-Simon, c'est moi, c'est marraine ... S'il te plait, sors de là ...

-Maman, gémit Simon, les mains crispées contre ses oreilles. Où est maman ? Et papa ?

La supplique de l'enfant acheva de morceler le cœur de Rose et l'image du corps brisé de Cassiopée se superposa à celui de Simon. Elle s'efforça de se ne se concentrer que sur cette image, l'incarnation même de l'espoir dans cet océan de désolation.

Simon n'avait plus personne. Elle se devait de rester forte pour lui.

-Tu vas venir chez moi, lui dit Rose d'une voix douce. D'accord ? Tu pourras jouer avec Susan et Caroline ... George a fait des muffins ...

Tous ces mots répandaient un goût de cendre dans sa bouche. Parler de choses si banales, de jouer avec ses filles, de muffins ... alors que sa famille entière venait d'être annihilé, purement et simplement, que sa petite vie venait d'être mise sans dessus-dessous, brisée alors même qu'elle venait de commencer ... Pourtant, la familiarité des termes et la douceur de la voix de sa marraine parut vaincre la frayeur de Simon, qui releva la tête qu'il avait caché entre ses bras. Ses prunelles vertes étaient assombries par le blanc de ses yeux veinés de rouge. Après plusieurs secondes de cajoleries, il finit par s'approcher de la main tendue de Rose. Sa main était aussi glaciale que celle de son frère, mais elle serrait la sienne avec toute la force du survivant et il se jeta dans les bras de Rose. Elle referma son étreinte sur son corps tremblant, et tout deux pleurèrent leur douleur et leur perte, leur soulagement de trouver une source de réconfort et d'espoir, une pâle lueur dans ce charnier. Frissonnante, Rose parvint à se relever avec l'aide de Maugrey, appuyant sur le crâne de Simon pour plaquer son visage contre son cou et qu'il ne voit pas le corps de son frère étalé sur le sol. Elle échangea un regard chargé de choc avec Maugrey. Visiblement, l'Auror avait fini par se persuader qu'il était le fils de Cassiopée et le contemplait à présent avec une sorte d'émerveillement. L'enfant pleurait désespérément dans les bras de sa marraine, ses quenottes crispées sur sa cape, si serrées qu'elles semblaient s'y être soudées.

-Un bébé, murmura Maugrey avec une pointe de ressentiment. Cassie ... elle s'est vidée de son sang ... une grande sorcière ... Et c'est son fils qui ne sait même pas faire de la magie qui survit ...

-Et c'est la seule raison pour laquelle elle se serait laissé mourir, Maugrey. Pour que son fils survive ...

Les garçons ... Simon ... S'il te plait. S'il te plait.

Rose crut qu'elle allait s'écrouler. Seul le nom de son benjamin avait franchi les lèvres mourrantes de Cassie. Comme si on instinct, pour la consoler dans son trépas, avait voulu lui donner un ultime cadeau : son fils était vivant. Un sanglot faillit s'échapper de sa gorge, mais elle pressa son visage contre l'épaule de l'enfant pour l'étouffer. C'était pour lui, cette petite lueur d'espoir tremblante dans ses bras, qu'elle devait retenir ce sanglot qui grossissait à en devenir une boule chauffée à blanc dans sa gorge. Plutôt la laisser exploser que de le laisser s'échapper. Ce cœur qui palpitait contre elle, c'était le dernière trace du passage sur terre d'Edgar Bones et de Cassiopée Croupton. C'était l'espoir que quand on vous arrachait tout, il restait toujours la lumière tremblante d'un espoir. Et Rose était prête à s'y accrocher de toute ses forces, autant qu'elle s'accrochait à elle.  

***

Il n'y avait pas d'espoir pour Lysandra Grims. Juste l'obscurité glaciale qu'offrait la mort.

Haletante, elle se redressa, un mouchoir en tissu pressée contre sa bouche. Elle venait beau venir de se vider de des tripes, elle avait toujours l'impression que le maigre contenu de son estomac avait été changé en plomb. Elle avait toujours été de nature délicate, mais ce qu'elle venait de subir l'avait retourné, envoyé pour un aller simple dans les ténèbres. Elle s'adossa au mur de pierre, une main sur le cœur, le souffle court et de nouveau les larmes se mirent à ruisseler sur son beau visage.

-Bon sang, Barty, tu aurais pu faire un effort, souffla-t-elle au mur en un mélange de gémissement et de rage.

Mais son frère, rappelé au Ministère après le drame, avait refusé de l'accompagner en ce moment difficile. Lysandra tenta de refouler ses larmes, mais c'était peine perdue : la douleur écrasait la moindre volonté. Pourtant, après une enfance capricieuse, sa mère Charis lui avait appris à mettre ses émotions dans une boite. Une Black est forte et fière, lui rappelait-t-elle en plantant son regard gris et voilé dans le sien. Sois en digne, ma fille, digne du sang qui coulait dans ses veines. Et Lysandra avait tout fait pour s'en montrer digne. Ses trente dernières années, elle s'était efforcée de tout faire pour l'honneur et la grandeur de sa famille mais à présent, la machine venait d'être broyée.

A quoi bon chercher la grandeur quand la famille était morcelée ?

Le visage de sa sœur rendu blafard par la mort lui revint en tête et la nausée la reprit un instant, si fort que des étoiles valsèrent devant ses yeux et qu'elle se pencha en avant, au bord du gouffre. Elle pressait les paupières en espérant que l'obscurité l'emporterait, elle et la douleur qui pulsait dans sa poitrine, mais c'était bien les traits de sa sœur aînée qui dansaient derrière ses paupières closes. Lysandra avait toujours été considérée comme la beauté de ma famille : son teint de porcelaine, ses pommettes hautes, son port altier, ses traits fins et son opulente chevelure noire en faisait une femme des plus ravissantes, et elle s'était toujours sentie fière d'avoir cela de plus que sa sœur, sur qui pourtant reposait les espoirs de la famille. Pourtant, la mort avait semblé rendre justice à la beauté froide de Cassiopée : pâle avec des tâches de rousseurs qui ressortaient et ses cheveux d'une douceur de soie, sans la ride soucieuse qui semblait ne jamais quitté son front et son sourire perpétuellement sarcastique, elle semblait enfin reposer en paix. Oui, la mort était un écrin parfait pour sublimer Cassiopée. Jamais elle n'avait semblé si belle à Lysandra. Elle irradiait. Elle rayonnait. Lysandra avait effleuré tremblant ses cheveux doux comme la soie, ces cheveux blonds comme les blés avec des reflets d'or et de cuivre qu'elle avait rêvé d'avoir ... Le jais des Black étaient si vulgaire face à l'or des Croupton ... Petite, avant même d'avoir une baguette et que Cassiopée exhibait fièrement ses premiers devoirs en rentrant de Poudlard, elle avait été prise d'une folle crise de jalousie et sa magie avait coupé la magnifique chevelure brillante de sa sœur, ce rare orgueil de beauté qu'elle avait. Ses parents avaient été furieux, Barty horrifié ... Mais Cassie, ses longues mèches entre ses mains, avait éclaté de rire. Un rire aussi solaire que sa chevelure qui avait fait fondre la haine de Lysandra. C'était ainsi qu'elle se souvenait de sa grande sœur : une fille qu'elle s'était efforcée de détester, la détester pour son appartenance à Gryffondor, pour être la préférée de père, d'être intelligente et première de sa classe, d'avoir tout ce plus qu'elle, même deux ans de plus ... mais sans jamais y parvenir. Car le même sang coulait dans leurs veines et qu'au fond d'elle, Lysandra rêvait de ressembler à sa grande sœur. D'être sûre d'elle comme elle l'était, d'avoir son caractère de feu, son magnétisme. Cassiopée, c'était son absolu, son modèle. La femme parfaite et accomplie : sorcière brillante, carrière parfaite, mère aimante de trois magnifiques garçons.

Mille gargouilles, les garçons ...

Une larme glaciale sembla la traverser et un sanglot jaillit de sa gorge. Lysandra s'écroula sur l'herbe fraiche de la petite cour qui jouxtait la morgue de Ste-Mangoust. Au-delà de sa sœur, c'était la mort – que disait-elle ? Le massacre – de ses neveux qui la plongeait ainsi aux Enfers. Matthew, si semblable à sa mère avec son tempérament de feu et Spencer, son petit Spencer, son filleul, ce petite ange ... C'était cette vision d'horreur dans la morgue qui l'avait poussée à fuir à toute jambe, à rechercher l'oxygène à tout prix, ne serait-ce qu'un simulacre de vie. A présent que l'obscurité l'entourait toute entière, il lui semblait qu'elle ne serait plus jamais forte, qu'elle s'écroulerait pour rejoindre Cassie et ses garçons. Que plus rien, rien de tout ce qui avait conduit sa vie – l'honneur, la vertu, l'ambition – n'avait d'importance. La mort éteignait tout, même dans le cœur des vivants. Et la vie de Lysandra semblait éteinte.

Elle ignorait combien de temps elle resta prostrée contre le mur, sanglotant à s'en déchirer la gorge, le visage de ceux qu'elle avait perdu la hantant tel des spectres. De son père, Caspar, un homme insipide et vaniteux, elle gardait peu de souvenir. Il avait été mordu par une tarentula vénéneuse lorsqu'elle avait neuf ans – dans la serre de sa maîtresse disaient certaines rumeurs. D'autres plus viles racontait qu'il aurait été empoisonné par sa mère. C'était elle qui avait élevé ses enfants, elle dont se souvenait Lysandra, son seul parent qui n'ait jamais compté. Charis née Black, ses yeux gris et incisif, de son opulente chevelure noire dont elle avait héritée, son exigence, sa dignité. Charis avait imposé le meilleur pour ses enfants, dans tous les domaines : hors de question qu'ils subissent leur vie comme elle l'avait subi. Forcée à un prestigieux mariage dont elle ne voulait pas après la déchéance de sa sœur aînée Cedrella, la brillante Charis Black n'avait pas eu la vie qu'elle méritait. Alors si elle n'avait pas réussi en tant que Black, elle réussirait en tant que Croutpon : ses enfants porteraient haut leur famille, feraient d'excellente études mais aussi de bons mariages. Contrairement à beaucoup de matrones Sang-Pur, Charis avait laissé une marge certaine de manœuvre à ses enfants concernant le choix de leur conjoint pour qu'ils ne soient pas si malheureux qu'elle l'avait été en ménage – un choix limité, mais un choix tout de même. Mais une vie d'exigence avait fini par user Charis jusque la corde et elle s'était éteinte d'une maladie du poumon à l'âge de cinquante-huit ans, quelques mois à peine après le mariage de Lysandra. Or Charis avait le ciment de la fratrie, la raison d'être de leur famille. Plus rien n'avait été pareil ensuite. Si Lysandra s'était à cet instant rapproché de sa sœur aînée, Cassie et Barty avait cessé eux net de se parler : l'animosité de Barty à l'égard d'Edgar était trop grande. La lutte d'influence entre Croupton et Bones à la Justice Magique n'était pas nouvelle mais elle avait pris une vigueur accrue avec la volonté de Barty de redorer le blason de sa famille pour rattraper les frasques de leur père. Ça n'avait pas empêché Edgar et Cassie de s'aimer ... de s'aimer à en mourir à leur tour.

Lysandra crut qu'elle allait de nouveau recracher le maigre contenu de son estomac. La vie lui apparaissait soudain comme étant totalement vide de sens : à quoi bon s'échiner, s'écharper, monter, s'écraser, se blesser, s'aimer alors qu'au bout du fil l'obscurité s'abattait inévitablement sur tout ce qu'on avait accompli ?

Et alors que toute espoir s'éteignait en elle, la vie survint en la présence d'une main délicate posée sur son épaule. Rendue insensible par sa douleur, Lysandra ne réagit pas, pas même quand l'homme qui venait d'arriver se pencha sur elle pour entourer ses épaules d'un bras.

-Chut ... Calme-toi, mon amour ...

-Morte ... Leo, elle est morte ... Ils sont tous morts ...

-Je sais, Lysa ... Je suis venu dès que j'ai su ...

Lysandra sentait que l'homme à ses côtés n'avait pas les mots et à dire vrai, elle doutait même qu'elle les cherche. La mort vidait même les mots de leur sens. Elle leva les yeux sur lui mais les larmes brouillèrent son visage : elle ne distinguait que sa haute stature et ses cheveux d'un noir encore plus sombre que les siens, presque aile-de-corbeau. Il écarta tendrement la frange de cheveux qui tombait sur son front pour l'embrasser avec douceur avant de l'attirer dans ses bras. Lysandra s'accrocha à cette chaleur, cette vie inespérée qui réapparaissait dans son existence au moment où tout n'était qu'un océan de désespoir.

Elle allait finir par croire que Dumbledore avait raison. L'amour était vraiment la plus puissante de toutes les magies.

Lorsqu'elle s'extirpa de l'étreinte, la vie lui semblait quelque peu avoir retrouver des couleurs. Le poids sur sa poitrine était toujours aussi lourd et la nausée présente, mais elle était à présent certaine que quelqu'un la rattraperait si elle flanchait. Cette personne était même plus visible à présent : dans la pâle lumière des réverbères, Leonidas Grims, son mari depuis neuf ans, était soudainement apparu. Il caressait ses cheveux avec des gestes tremblants qui auraient pu ébranler Lysandra : Leonidas était l'incarnation même de l'assurance. Jamais troublé, toujours d'un caractère égal, toujours une solution à chaque problème. Son côté érudit hérité de sa formation à Ilvermory et un aspect de lui qui avait toujours apaisé Lysandra. C'était agréable d'avoir à ses côtés quelqu'un de calme qui savait ce qu'il faisait alors même qu'elle avait été élevée dans une famille aux forts caractères qui avait tendance à oublier de tourner leur langue dans leur bouche avant de parler. Alors si lui aussi perdait ses moyens, c'était qu'elle devait être dans un état épouvantable. Mais pour une fois, peu importait. Elle était toujours hantée par ses visages, hantée par les ténèbres. Plus rien ne faisait sens. Leonidas emprisonna une poignée de ses cheveux dans sa main pour ancrer un peu plus son contact.

-J'ai fait aussi vite que j'ai pu, je suis désolé d'avoir tardé ... Ton frère ... ?

- ... a visiblement mieux à faire, laissa échapper Lysandra d'une voix morte.

Elle en tremblait encore de rage. Elle avait reçu le hibou de Barty vers minuit, lui annonçant sans une once de tendresse que Cassie était morte et qu'un membre de la famille devait s'assurer de l'identification à la morgue et s'occuper de la paperasse habituelle. Comme des obligations l'attendaient au Ministère après la mort de l'un de ses hauts fonctionnaires – car c'était tout ce qu'Edgar était pour lui il l'avait priée de le suppléer.

C'était ainsi que Barty traitait leur famille, après tous les efforts de leur mère pour que malgré leur ambition elle reste soudée. C'était tous ce qu'inspirait la mort de leur sœur et de leurs neveux à son frères ... Une lettre froide et des tracas. Et une voie libérée à la Justice Magique après la mort d'Edgar ... Pour peu, Lysandra se serait remise à vomir.

Et au-delà de ça, elle aurait eu moins l'impression de sombrer et de dévaler aux Enfers avec son frère à ses côtés.

L'information parut aussi contrarier Leonidas, dont la colère embrasa l'iris. Mais ce fut d'une voix calme et douce qu'il reprit :

-Tu veux marcher un peu ?

Lysandra aurait voulu sourire – ils s'étaient rapprochés aux termes de longues balades à pied dans la campagne anglaise. Mais tous les muscles de son visage semblaient atrophiés. Elle se contenta donc d'acquiescer et de laisser Leonidas l'aider à se redresser puis à avancer dans la cour. Lysandra avait l'impression d'être un nouveau née cramponnée à son bras et aux jambes aussi flageolantes que celles d'un faon. Un sentiment de vide s'éprit d'elle lorsqu'elle se rappela que le cerf était l'emblème ancestral des Croupton. Mais si elle devait être parfaitement honnête, les Croupton n'étaient rien pour Lysandra. Elevée par sa mère et sa grand-mère, elle s'était, comme Cassie, toujours sentie d'avantage Black. Même physiquement, elle était plus une Black qu'une Croupton. Elle eut l'impression de se vider de toute substance.

Toute sa famille était morte. Ne restait qu'un frère incapable de voir l'importance du sang. Alors quelle importance ? Les noms, la famille, l'honneur ... Pourquoi ? Pourquoi ?

Devant la nuit qui rafraichissait, Leonidas lui posa son veston sur les épaules et frictionna ses bras. Lysandra réagissait à peine : après son moment de désespoir après la découverte des corps, elle avait l'impression de ne plus rien ressentir. Pourtant, elle s'accrochait au bras de Leonidas comme à une bouée. C'était la première chose qu'il avait été pour elle : une bouée de sauvetage. Lysandra n'avait pour elle que sa beauté et une certaine intelligence : pas l'intelligence politique de Barty ou les grandes capacités scolaires de Cassie, mais Lysandra était ce qu'on pouvait qualifier de débrouillarde. Et bien que fière de sa famille, elle s'était découverte à Poudlard dans la maison Serpentard un goût certain pour l'indépendance, comme sa sœur avant elle. Contrairement à Cassie, ça ne l'avait pas menée à la rébellion ouverte, Lysandra était plus fine que cela. Le moment viendrait où elle pourrait échapper aux serres bienfaitrices de sa mère et cela en exauçant l'un de ses souhaits les plus chers : en se mariant. Mais les garçons de bonnes familles de sa génération n'avaient jamais trouvé grâce à ses yeux. Elle s'était retrouvée sans fiancé à la sortie de Poudlard, mais Lysandra ne voulait pas la liberté à n'importe quel prix : il était hors de question qu'elle quitte une prison pour une autre. Rabastan Lestrange avait déjà un gros penchant pour la magie noire, Adonis Greengrass ne laisserait aucune place à une femme et Titus Yaxley était son cousin au second degré. Et alors qu'elle avait trouvé une place grâce au réseau de la famille Black à la Confédération Magique Internationale, elle l'avait trouvé. Un bel américain  de dix ans son aîné mais qui lorsqu'il l'avait regardé dans les yeux ne voyait pas sa simple beauté mais la femme qui se cachait derrière. Et comme si cela ne suffisait pas au bonheur de Lysandra, elle avait appris au fil des déjeuners que ce fringuant diplomate envoyé à Londres  dans le cadre de la lutte contre Celui-Dont-On-Ne-Doit-Pas-Prononcer-Le-Nom était issu de l'une des plus prestigieuse, des plus fortunées et des plus pures familles de sorcier américain, les Grims. Le nom de famille avait enchanté Charis qui avait donné son consentement au mariage de sa benjamine et la nature charmante et intelligente de Leonidas avait convaincu Cassie, toujours très protectrice avec elle, que sa sœur était entre de bonnes mains. Lysandra en avait été étourdie de bonheur : elle aimait un homme, elle aimait un homme en accord avec son monde, et cet homme allait enfin pouvoir l'arracher aux griffes familiales, à Charis et son exigence, à Barty et Cassie, si parfaits, si écrasants par leur prestance, et surtout, dans un monde qui commençait à voir se déployer sur lui l'ombre d'un cruel Mage Noir, un homme qui allait pouvoir l'arracher à la guerre.

L'idée sortit si brusquement Lysandra de sa torpeur qu'elle s'immobilisa sans réellement l'avoir décidé.

-Il faut qu'on parte.

Les mots s'étaient envolés de sa bouche et elle ne reconnut pas sa propre voix tant elle était rauque, à peine plus haute qu'un murmure, un spectre qui bruissait dans le parc. Leonidas s'était arrêté face à elle mais elle fixait toujours devant elle, aveugle. Pourtant dans l'obscurité, elle avait l'impression d'entrapercevoir une lueur. Le contrat de Leonidas à Londres avait été prolongé de deux ans mais il touchait à présent à sa fin, se souvint-t-elle soudainement, reprenant contact avec la réalité. Il pourrait enfin l'emmener aux Etats-Unis, ils n'y étaient plus retournés depuis leur nuit de noce et la présentation de Lysandra à la famille Grims. Pourtant, l'Amérique n'avait jamais quitté son esprit et à présent qu'elle y songeait, le nom semblait baigné de lumière. L'Amérique, c'était la terre du renouveau. L'Amérique, c'était la terre de l'espoir. Des larmes lui montèrent aux yeux quand elle se souvint du cri indigné qu'avait poussé Cassie lorsqu'elle avait suggéré d'envoyer ses garçons dans la famille de Leonidas, en sécurité. Merlin ce que tu as pu être têtue ... Si seulement tu m'avais écoutée, ma sœur ...

Mais c'était trop tard pour les regrets. Elle n'avait pas pu sauver Spencer.

Hagarde, elle se précipita vers Leonidas et agrippa sa chemise, les larmes brillants dans ses yeux. Les yeux d'un Black, gris et voilés, étaient d'ordinaire intimidant mais là c'était la pure douleur qui les faisait briller d'un éclat spectral.

-Je t'en supplie, gémit-t-elle, la gorge nouée par les sanglots. Je t'en supplie, allons-nous-en ... Cassie, c'était la seule chose qui me retenait ici ... Je voulais ...

Ses doigts se resserrèrent sur la poitrine de son mari et elle ouvrit la bouche pour ne sortir qu'un gémissement étranglé. La vérité, c'était qu'elle avait voulu voir grandir Spencer, son filleul. Cassie avait eu la conviction que ses fils avaient besoin de marraine et non de parrain – et il en aurait été inversement si elle avait eu des filles. Si la sœur d'Edgar avait eu le droit à la primeur, c'était à elle qu'avait échu le petit Spencer, cet ange tombé du ciel, trop pur pour la vie sur terre ... brisé par sa chute ... Spencer, c'était le fils qu'elle n'aurait jamais eu. Son esprit tangua et elle s'écrasa contre la poitrine de Leonidas et il referma ses bras sur elle en une étreinte forte, réconfortante, désespérée.

-Ils ne sont plus là ... c'est fini, ils ne sont plus là ...

-Lysa ... mon amour, tu te trompes ... il reste Simon ...

Les larmes de Lysandra se figèrent sur ses joues. Toute aveuglée qu'elle avait été par la perte de sa sœur et de son filleul, elle avait totalement occultée cette information. C'était une lumière trop faible pour dissiper les ténèbres. Mais une lueur toute de même, c'était vrai. Le benjamin de Cassie avait survécu. Elle visualisait très bien le bambin de trois ans, son regard vert aussi pétillant que celui de son père et son sourire ... C'était Cassiopée et Charis que ce sourire. Si jeune et déjà toute la morgue des Black. Leonidas la repoussa doucement et prit son visage en coupe pour planter son regard dans le sien. Un regard bleu, magnétique, magnifique.

-Tu veux partir et je te comprends parfaitement. Si je dois être honnête, moi aussi je n'ai qu'une envie c'est de fuir cette terre maudite. Et crois-moi, si je m'étais écouté on serait parti après Aurelia ...

La gorge de Lysandra se ferma. Aurelia Grims était la cousine préférée de Leonidas, mariée à un né-moldu anglais. Un incident obscur avait poussé la famille à plier bagage et à mettre ses enfants à l'abri outre-Atlantique. Pour Leonidas, pour qui Aurelia avait été un modèle et un mentor, le choc avait été rude. Il sembla en ressentir les échos car ses doigts se crispèrent sur la chevelure de Lysandra.

-Mais je ne voulais pas t'arracher à ta patrie, reprit-t-il d'une voix résolument calme. Ni à ta famille. Alors si aujourd'hui tu me demandes de partir, bien sûr qu'on partira. Mais réfléchis-bien mon amour ... Tu es sûre que tu veux laisser le peu qu'il te reste derrière toi ? Ton frère, ton neveu ... ? Je ne veux pas t'influencer mais ... Si j'avais été dans ton cas, je sais que j'aurais du mal à laisser Julian ou Charly derrière.

L'argument ébranla sa résolution soudaine. Pas son frère : elle n'avait jamais eu le lien avec Barty qu'elle avait avec Cassie. Son comportement de ce soir prouvait encore que le sang n'était que partie négligeable pour lui : seul comptait le nom. Une vision de la famille inverse à celui de Lysandra. Une vision qui faisait qu'elle pouvait l'abandonner sans regret ici lui et son insipide famille. Mais Simon ... Simon et son sourire ... Le sourire de Cassie ... Le sang de Cassie ... La honte la submergea lorsqu'elle se rendit compte qu'elle ne s'était pas interrogé l'espace d'une seconde sur l'enfant.

-Mon dieu ... Simon ... Où ... ? Comment ... ?

-Je n'ai pas plus de détail que toi, Lysa ... Mais j'ai croisé Amelia Bones en arrivant ici. Apparemment, il est chez le frère d'Edgar, en sécurité.

Son soulagement n'eut d'égal que sa contrariété. Elle n'avait jamais réellement apprécié ni Amelia et son sens obtus à l'absurde de la justice, ni Rose Faussecreth qui avait le jugement prompt. Les femmes Bones étaient peut-être des femmes remarquables mais ça signifiait qu'elles étaient de caractère et cela pouvait s'avérer conflictuel. Elle ferma les yeux, en proie à un grand conflit intérieur. Mais elle fut soulagée de constater que cette fois, c'était le visage d'un vivant qui s'animait derrière ses paupières closes.

Elle ne savait pas quoi faire. Lysandra n'avait jamais été courageuse : cette guerre, elle voulait la fuir à toute jambe. Depuis que sa mère était morte dix ans plus tôt, tout semblait s'accélérer : les morts, les disparitions, les attaques ... Elle ignorait comment elle avait pu tenir si longtemps. L'idée d'un exile avec Leonidas aux Amériques avaient toujours été en embuscade dans sa tête et à présent que Cassie étaient descendu aux enfers comme sa mère, ça semblait une évidence. Mais il demeurait quelque chose de sa sœur sur cette terre, quelque chose d'infime mais qui la faisait hésiter. Leonidas parut sentir son indécision car il pressa tendrement ses épaules pour l'attirer de nouveau contre lui.

-Je sais qu'on avait décidé ... Mais je comprendrais ... je comprendrais si tu voulais ...

Le cœur de Lysandra se mit à battre la chamade lorsqu'elle comprit les mots que n'osait pas prononcer Leonidas. Mais ce n'était pas l'espoir qui le faisait s'emballer ainsi : c'était la panique. Une panique familière, une vieille Némésis qui l'accompagnait depuis qu'elle avait vu sa sœur devenir mère et qu'elle s'était rendu compte que la concernant ... ça ne lui inspirait aucune envie. L'idée l'avait angoissé : toutes les femmes ne rêvaient-t-elles pas d'être mère ? Pourtant plus elle avait observé Cassie avec ses fils, plus la perspective d'avoir un enfant creusait un vide en elle. Elle aimait ses neveux, elle aimait être la marraine de Spencer, mais être mère elle-même ne lui inspirait rien. Etre mère c'était un absolu. C'était faire passer la vie d'un autre avant la sienne. C'était être altruiste, patiente, courageuse – tout ce que Lysandra n'était pas. Après quelques années de réflexion déchirantes, Lysandra avait dû se rendre à l'évidence : elle n'avait pas la fibre maternelle censée être innée pour toute femme. Elle avait mis du temps à en parler à Leonidas – ils étaient déjà mariés et elle craignait que sa décision ne le fasse fuir. Mais preuve en était s'il en fallait encore une qu'une force plus grande qu'eux les avaient mis sur le chemin l'un de l'autre, avoir un enfant n'était pas sa priorité non plus. Il avait les enfants d'Aurelia avec lesquels jouer, auxquels il pouvait apprendre des choses ... Et il l'avait elle.

Les événements de la nuit confortaient Lysandra dans sa décision. Aurait-elle eu le courage de Cassie de se battre et de mourir pour ses enfants ? Elle eut honte de ressentir la réponse sous la forme d'une soif de la vie qui reprenait peu à peu ses droits au contact de Leonidas. Alors prendre la garde du petit Simon, s'occuper de lui comme Cassie l'aurait fait ? Elle n'était pas sa sœur. C'était au-dessus de ses forces. Mais l'idée de l'abandonner lui était tout aussi insupportable. Leonidas avait raison ... il était sa dernière famille. La dernière qui comptait, tout au moins ... Les larmes se remirent à couler abondamment sur ses joues et Leonidas la serra plus fermement contre lui.

-Tu n'es pas obligé d'y réfléchir tout de suite, fit-t-il valoir en la berçant alors qu'elle sanglotait éperdument contre lui. D'ailleurs, surtout, n'y réfléchis pas tout de suite. Si j'avais pris une décision le soir de la mort d'Aurelia, peut-être aurais-je fait une bêtise ... Ce soir, pleure, mon amour. C'est la seule chose de saine que tu aies à faire ...

Lysandra ne songea même pas à protester. L'instant de lucidité était passé – la douleur reprenait ses droits sur elle, l'enveloppant toute entière de sa glaciale couverture. Alors elle fit ce que son mari lui disait et pleura, pleura encore et encore dans l'espoir que le poison d'extirpe et que les fantômes s'envoleraient avec les larmes ... Qu'une fois qu'elle serait vidée de son horreur, la vie reprendrait un sens et qu'elle sortirait du purgatoire. Ne restait qu'à pleurer.



Petit point ici : vous avez eu l'occasion de lire les débuts de notre univers commun avec Annabethfan, via le personnage de Leonidas Grims, que vous retrouverez également chez elle dans L'héritage d'Ilvermorny ! Je vous invite urgemment à aller lire les premiers chapitres qu'elle a publié, cette fanfic' est une véritable pépite ! (oui, déjà !)

Funfact : vous vous souvenez qu'un jour j'ai dit que j'ai failli utiliser un personnage qui était en fait mort dans les HP? Ce personnage, c'était Charis Croupton, née Black. J'ai eu l'idée de faire intervenir la grand-mère de Simon, je trouvais que ça ferait un beau lien avec la famille de sa mère et ça me permettrait de travailler la fascinante famille Black. Dans ce plan, Lysandra s'était suicidée à l'âge de dix-huit ans et c'était ce qui avait occasionné la rupture de Cassie avec sa famille. J'ai donc écris cette partie du Bonus du point de vue de Charis. 

OR. Il se trouve que l'arbre des Black qu'on aperçoit dans le cinq donne les dates de naissances et de morts des membres de la famille et disent que Charis est morte en 1973. Manque de bol pour moi, j'ai dû réaménager tout mon univers, resuciter Lysandra et lui donner une autre personnalité, et réécrire cette partie. J'espère que ça vous a plu, à la la semaine prochaine ! 

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