[O&P] 10. Etre qui on veut
24 novembre 1994
Depuis quelques semaines, la vie de Simon virait au vert.
Il accusait la Marque de Ténèbres. Cette horrible marque, cette monstrueuse marque qui s'était mise à flotter au-dessus du bois et du stade de Quidditch. La panique déjà bien présente chez les sorciers réfugiés entre les arbres s'était décuplé. Les cris qui lui avaient percé les tympans résonnaient encore dans ses cauchemars. Octavia s'était caché le visage entre les mains pour masquer un visage qui avait perdu toute couleur. Sa sœur avait hurlé, un son strident qui s'était fondu dans les autres cris. Simon, lui, avait contemplé la marque à s'en dessécher les yeux, les poings serrés. Ça n'avait pas empêché ses mains de trembler. Son corps de trembler. Tout entier, il avait frémi comme une feuille reliée à son arbre de façon précaire, balayée par les vents.
Depuis, il avait l'impression que la lumière glacée s'était incrusté dans sa rétine. Ce n'était pas visible tout le temps. Souvent, c'était dans ses rêves. Ils étaient arrosés de lueurs sinistre d'un vert poison et il se réveillait haletant, au bord des larmes, le poing resserré contre son cœur qui battait la chamade. D'autres cris chantaient quand la lumière dansait, et il en oubliait la musique sitôt les yeux ouverts. C'était insupportable.
Mais la plupart du temps, les lueurs se dissipaient. Ce qui lui avait été insoutenable chez lui, à Terre-en-Landes où elles étaient si vivaces, était plus supportable avec le retour à Poudlard. Le quotidien simple, les cours de Sortilège qui prenaient une tournures plus techniques qui lui plaisaient, Emily la tornade l'avait emporté et sa vie était allée si vite que les lueurs avaient semblé disparaître.
Et puis bien sûr il y avait le Tournoi des Trois Sorciers.
Dont Cédric était champion.
Tout comme Harry Potter – comme l'avait souligné Victoria, on savait ce qui allait lui arriver cette année.
Et Victoria, justement. Victoria, Victoria, toujours Victoria. Malgré la chaleur qui régnait dans la salle commune et sa proximité avec les flammes qui brûlait dans l'âtre sous le portrait d'Helga Poufsouffle. Ses doigts se crispèrent sur sa guitare et il riva son regard sur les braises rougeoyantes. Leur crépitement semblait susurrer à son oreille des mots qu'il aurait préféré oublier.
Remember, remember, the fifth of November. Gunpowder, trahison and plot.
Tout s'hérissa chez lui, comme si une partie de sa chair se souvenait de cette soirée d'hiver où Victoria était apparue, sur les marches enneigées de son perron. « Je l'ai brûlé » avait-t-elle péniblement articulé. « Je ne l'ai pas fait exprès ... mais je l'ai brûlé ». Mille gargouilles, il fallait qu'elle lui ressorte ça, maintenant. Alors que la Marque des Ténèbres avait brillé dans le ciel cet été, alors qu'il sentait l'inquiétude et la tension dans sa famille à chaque lettre qu'il recevait, alors qu'à présent, Cédric était champion de Poudlard et nécessitait toutes leurs ressources. Vraiment, c'était le moment de sortir de sa poche ce fichu parchemin déchiré parcouru du premier vers du poème suivi d'un sinistre et terrifiant « your turn to burn ». A ton tour de brûler. Maintenant, Victoria Bennett ? Simon poussa un profond soupir face aux flammes.
-I know of no reason why the Gunpowder treason should ever be forgot, murmura-t-il amèrement, complétant ainsi la partie la plus célèbre du poème.
-Pardon ?
Simon sursauta devant la surprise manifeste de Mathilda Morton à côté de laquelle il était assis sur le canapé. L'éclat des flammes s'amoindrit pour que la scène autour de lui se recompose. Les voix extatiques de ses camarades, le tintement des bouteilles de bièraubeurre. Un éclat doré attira son attention et ses yeux retombèrent sur l'œuf d'or que Cédric venait de récupérer dans une arène de dragon. La chaleur des flammes fut presque insoutenable lorsqu'il se souvint de celles du Suédois à museau court qui, quelques heures plus tôt, léchaient le visage de son meilleur ami. Tout allait bien, à présent, se rassura-t-il et il tourna les yeux vers Cédric pour s'en persuader. Son visage était couvert d'une étrange pâte grise et il devait composer avec une Emily qui s'était pendu à son cou en tremblant et une foule de Poufsouffle survolté prêts à fêter leur champion. Mais il était en vie, et pour l'heure c'était ce que Simon décidait de retenir. De façon très honnête, il avait douté un nombre incalculable de fois dans l'arène et c'était souvent sentir proche de la quitter. Il ne serait jamais resté jusqu'au bout sans la main d'Emily qui avait serré la sienne à lui couper la circulation.
-Pardon, rien, marmonna-t-il à Mathilda. J'accorde ma guitare, c'est tout. J'ai la sensation qu'il faudra qu'elle tienne jusqu'au bout de la nuit, pour fêter la fin de la première tâche ...
-Oh, oui ! s'enthousiasma Mathilda, l'œil allumé. Il faudra bien ça, quel stress, il n'empêche ... Dommage que Renata soit déjà remontée ...
Simon ne l'écoutait que d'une oreille. Victoria s'était extirpée de la foule, le souffle court, et s'avançait vers lui. Encore en cape et couverte d'une écharpe, elle s'effondra sur le canapé à côté de lui. Simon ne la manqua pas. Sitôt assise, il la gratifia d'un coup de manche de guitare sur le crâne.
-Aïe ! protesta-t-elle en se frottant la tête. Qu'est-ce que j'ai fait ?
-Le balai, par Merlin Bennett ! Ton unique intérêt est que tu joues au Quidditch et tu n'as pas songé au balai ?!
Il n'était même pas parvenu à endiguer le soulagement dans sa voix et Victoria le sentit : loin de s'offusquer du coup, elle sourit. Même Simon se sentit atteint par sa bonne humeur. Après ces dernières semaines, il avait terriblement besoin d'être de bonne humeur et d'oublier un peu l'éclat du vert et des flammes.
-Notre méthode était très bien quand même, assura Victoria en retirant tranquillement son écarhpe. Et Cédric a beau être un joueur extraordinaire ... Par Merlin, je suis persuadée qu'il n'a pas la dextérité de Potter au vol ! Bon sang, quel panache !
De façon très honnête et malgré sa remarque, Simon ne pouvait en disconvenir et de toute manière, il avait bien plus confiance en la baguette qu'en un balai. Il savait qu'il aurait été sceptique au possible face à une proposition pareille ... Mais autour d'eux, des regards noirs se portèrent sur Victoria. Un jour pas si lointain, elle se serait recroquevillée devant cette marque de défiance. Aujourd'hui, auréolée de la victoire du héros qui était en partie la sienne – après tout, c'était Victoria qui avait eu l'idée de la diversion que Cédric avait utilisé en transformant une pierre en chien – elle les ignora tous. Elle se permit même de rouler des yeux lorsqu'Erwin Summers entonna un discours aussi ampoulé qu'insupportable :
-Potter a peut-être été le plus hardi, mais on en attendait pas moins d'un Gryffondor. Mais Cédric a montré plus d'ingéniosité, c'était fantastique, plus subtile ... C'est ce qu'on voulait du vrai champion de Poudlard.
-Alors là, stop ! Ça suffit, Summers !
Oui, merci Cédric, ça suffit, soupira intérieurement Simon, heureux que son meilleur ami sermonne enfin leurs camarades qui avaient tous rivalisés d'horreur depuis que Harry Potter avait été nommé champion en même temps que Cédric. Simon rêvait d'un bon coup de gueule depuis le début, ulcéré par les agissements de ses camarades envers un garçon d'à peine quatorze ans, Emily en tête. Le coup de gueule s'était fait attendre. Quelque part, Simon avait pensé Cédric lui-même contrarié par la situation. Sans doute trop honteux pour le reconnaître, il avait laissé ses camarades crier à l'injustice pour lui ...
Mais les dragons. Les dragons, ça remettait les pendules à l'heure. Devant les dragons, ils étaient tous également vulnérables, vulnérables et horrifiés.
-Le nom de Harry est sorti de la Coupe de Feu, tout comme le mien, poursuivit Cédric avec une certaine hargne. Donc il est champion de Poudlard, tout comme moi, à égalité avec moi. Il n'y a pas de vrai, ou de faux champion.
-Mais Cédric, voulut objecter une voix plaintive. Il a triché ...
-Mais peu importe ! rétorqua-t-il en ouvrant les bras. Peu importe qu'il ait triché ou que ce soit un complot, il concourt et c'est dangereux ! Vous avez vu ... Vous avez tous vu ce qui attend un champion ! Des dragons, bon sang ... Vous pensez qu'il aurait la force de se battre toute l'année à la fois contre Poudlard et contre des dragons ? Alors ?
A la plus grande satisfaction de Cédric, personne ne pipa même. Emily retira même discrètement le badge « Vive Cédric ! » qui ornait sa cape, et beaucoup suivirent son exemple. Un sourire narquois retroussa les lèvres de Simon face à cette marque qui mêlait contrition et hypocrisie. Il était toujours en train de se réjouir intérieurement lorsqu'on l'interpella :
-Bien ! Maintenant que c'est dit, on peut fêter ! Maestro, où en est la musique ?
Il n'eut nullement besoin du coup de coude de Victoria pour savoir que Cédric s'adressait à lui. Ses doigts trouvèrent seuls les boutons de la guitare et il resserra une corde d'un quart de tour.
-En accordage. Donne-moi une minute. Et Bennett, entraine ta voix, je veux te revoir chanter des musiques moldues sur la table.
-Bones ! glapit Victoria, écarlate et le feu dans les yeux.
L'espace d'un instant, Simon craignit qu'elle se jette sur lui comme lorsqu'ils étaient à Terre-en-Landes, mais Cédric éclata de rire et vint faire bravement barrage de son corps en s'installant entre eux. Emily, libérée de son affreux badge, vint s'assoir devant eux avec des verres de bièraubeurre qu'elle distribua gracieusement. Simon savoura l'espace d'un instant les conversations, la détente manifeste dans leur groupe après des semaines à s'angoisser pour cette première tâche. La frayeur avait atteint son pic lorsqu'ils avaient appris pour le dragon ... Mais c'était derrière eux, à présent. Il en reste deux autres, rappela une voix sournoise dans la tête de Simon, mais il la repoussa vertement. Aujourd'hui, avec sa guitare à la main et ses amis qui l'entourait, il voulait juste profiter.
Cédric parlait avec Victoria – et Simon était certain d'avoir entendu la jeune fille dire « donne-moi autre chose que de la bièraubeurre : il est hors de question que cette fois, je me mette à chanter des chansons moldues sur la table », ce qui provoqua un sourire de défi. Mais avant cela, il se tourna vers Emily, qui depuis quelques minutes, restait anormalement silencieuse. Elle tripotait le morceau de cape où, quelques instants plus tôt, le badge « Vive Cédric Diggory » avait été accroché.
-Je te trouve plus belle sans, lança nonchalamment Simon, un sourire en coin aux lèvres.
-Oh, la ferme-toi.
-Mais vraiment. Ça te rendait insupportable.
-C'est bon, t'as fini ? Je l'ai retiré. Tu avais raison, Victoria aussi. Contents ?
Mais le sourire narquois de Simon persista et Emily exhala un souffle exaspéré. Ça ne l'empêcha pas de prendre la place que Mathilda Morton avait laissé vide à côté de lui et de s'affaler de ton son poids dans les moelleux coussins couleur moutarde du sofa. Ses joues étaient parées de deux plaques rosées, et Simon ne savait s'il devait accusait la chaleur ambiante ou l'embarras.
-Tu ne m'enlèveras de l'esprit que Cédric était d'accord avec nous, jusque maintenant, ajouta-t-elle à voix basse. Il ne l'aurait jamais dit, mais il ne nous a jamais dit non plus de les retirer. Ça l'a vexé d'être éclipser par Potter, lui aussi.
-Cédric n'aime pas être sous les projecteurs ...
-Ah bon ? Il a l'air mal à l'aise, là ?
Elle pointa Cédric du menton, qui avait été arraché à Victoria par une bande de Poufsouffle qui avait retrouvé sa bonne humeur et se passait son œuf d'or de main en main comme le trophée suprême. Souriant malgré la pâte grise sur une partie son visage qui guérissait ses brûlures, il écoutait, discutait, riait. Envolée le masque solennel et concentré de ces dernières semaines ...
-Non, admit Simon de mauvaise grâce. La foule, c'est son élément. Il aime rendre service, il aime être utile ...
-Il aime qu'on ait besoin de lui, ajouta Emily avec un drôle de sourire avant de désigner Victoria qui avait rejoint Cédric, une bouteille de jus de citrouille entre les mains. C'est pour ça qu'il aime Victoria. Il aime être son protecteur. Il fait le modeste mais au fond il a besoin de cette lumière pour exister, Simon. Il l'attire sur lui. Et pour une fois qu'il pouvait en jouir réellement sans paraître prétentieux, sans forcer les choses, tu as Harry Potter qui vient se placer devant.
-Il n'y peut rien, ce gosse ...
-Peut-être. (Emily effleura encore sa cape, une moue adorable aux lèvres). Je voulais juste braquer le projecteur dans le bon sens ... qu'il sente que pour nous, il était le champion qu'il rêvait d'être.
Mais les Serpentard ne l'avaient pas entendu de cette oreille. Trop heureux d'avoir une occasion de se déchaîner contre leur Némésis, la gloire de leur Maison honnie Gryffondor, ils avaient modifié le badge d'Emily pour l'agrémenter d'un « A bas Potter ». Celui-ci, la jeune fille ne l'avait jamais porté ... mais il ne pouvait pas en dire autant de ses autres camarades de Poufsouffle.
-Il y a toujours des effets pervers quand on veut contrôler la lumière, murmura Emily en haussant les épaules. Je m'en souviendrais.
Elle fit couler une mèche de ses cheveux dont la couleur miel était soulignée par la lueur des flammes entre ses doigts. Son majeur était orné d'une bague d'argent sertie d'une pierre bleu ciel (une aigue-marine ?), toujours la même depuis la fin de l'année dernière. La fidélité d'Emily allait jusqu'aux objets : quand elle avait un coup de cœur pour un bijou, elle le portait si longtemps qu'il finissait par faire parti d'elle.
-Merci, au fait. D'être resté avec moi, dans l'arène.
-Je n'allais pas te laisser, enfin ...
Emily mâchouilla sa lèvre inférieure et l'espace d'un instant, son teint passa du rose au verdâtre.
-Je ne pensais pas que ce serait ... dangereux à ce point, ça m'a tellement pris de court. J'adore Cédric, j'ai beaucoup d'admiration pour lui et je sais que c'est un excellent sorcier ... moins bon que toi ou moi, mais excellent quand même ... Mais je ne sais pas. On est encore gosse quand on a dix-sept ans. Et mettre un gosse face à un dragon ...
-Ce n'est pas comme s'ils avaient prévenus ...
-Je sais, je sais ... mais je pensais que c'était un avertissement un peu alarmiste, pour mettre l'ambiance, tu vois ? Donner de l'enjeu, un corps au Tournoi ... pas qu'ils les mettraient réellement face à face avec la mort. Je ne pensais pas ... enfin ...
-Emily, ces dernières années dans cette école on a eu des chiens à trois têtes, des Détraqueurs, et Gilderoy Lokhart. On nous apprend à faire des poisons, on nous laisse faire des jeux en balais à haute vitesse et à risquer des chutes mortelles, un monstre s'est baladé tranquillement en s'en prenant aux Nés-moldus. Alors quand Dumbledore dit que c'est dangereux, ce n'est pas sous-estimé qu'il faut faire. C'est surestimé la dangerosité.
Le visage d'Emily se ferma. Visiblement, son moment de contrition était passé. D'un geste irrité, elle repoussa une mèche blonde qui couvrait son front et lissa dignement sa tenue de sorcière.
-C'est bon, arrête de me faire la leçon, je viens de te dire que j'avais compris. Je voulais juste te remercier, parce que tu avais l'air de vouloir te barrer de l'arène dès que le dragon est rentré. Tu aurais pu rester avec Octavia, aussi. Mais non, tu es resté avec moi et voilà, j'ai trouvé ça sympa de ta part. (Elle plissa les yeux en le fixant). Parfois t'es tellement insupportable, nonchalant et sarcastique que j'oublie que t'es sympa. Mais c'est propre à toi, non ? Ce n'est pas tes mots qu'il faut suivre, c'est tes actes.
Parfois, la clairvoyance d'Emily le bluffait. C'était un don qu'elle avait développé au fil des ans, à mesure qu'elle prenait en maturité. La façon qu'elle avait de lire les gens, les comportements, toujours avec une justesse déconcertante. Il n'en fallait pas beaucoup à Emily pour qu'elle puisse tirer des conclusions sur une personne. Un peu gêné par cet examen surprenant qu'il n'avait pas vu venir, Simon se reconcentra sur sa guitare et lui arracha quelques notes qui dissonaient. Il resserra encore quelques cordes, et son silence finit par interloquer Emily. Du coin de l'œil, il la vit se redresser.
-Hé, ce n'était pas une remarque. Enfin, c'est agaçant, mais une fois qu'on décode ... si ça peut te rassurer, j'accorde plus d'importance aux actes qu'aux mots et ... Simon, qu'est-ce qu'il y a ?
Qu'est-ce qu'il y a ? Beaucoup trop de chose ? Son regard passa de Cédric qui avait à présent son œuf entre les mains et l'observait comme une énigme complexe, puis à Victoria qui riait avec Mathilda Morton et finit par se laisser glisser une bouteille de bièraubeurre dans les mains. Mais ce ne fut pas ça qui jaillit de ses lèvres. La confidence lui fut arrachée par la simple volonté du regard bleu et insistant qu'Emily Fawley plantait sur lui :
-J'ai rompu avec Octavia.
Emily cligna des yeux, abasourdie. Il fallut quelques secondes avant que l'incompréhension n'éclaire ses prunelles et que, brutalement, elle lève les bras au ciel avec un cri de jouissance qui fit retourner la moitié des personnes présente autour d'eux. Simon lâcha précipitamment sa guitare pour agripper son bras.
-Mais Em' !
-Alléluia, on m'a entendu là-haut, merci, merci ! (Elle envoya des baisers au plafond de sa main libre, hilare). Ah quel bonheur, tu viens de rendre ma journée parfaite ! C'est arrivé quand ? C'est bien toi qui l'as largué, hein ?
-C'était il y a une heure à peine ...
Il y avait une note de reproche dans sa voix et Emily dut y être sensible car il lui adressa un sourire contrit. Elle replia ses deux jambes sous elle et déploya chastement sa jupe avant de s'accouder confortablement au fauteuil. Ses iris crépitaient plus que le feu derrière eux.
-Allez, raconte tout. Je veux tous les détails.
Il ne savait même pas par quoi commencer. Tout était allé si vite ... rien n'avait été prémédité. C'était un trop-plein qui avait explosé. Ils étaient sortis du stade. Emily l'avait quitté pour retrouver Victoria, livide près de la balustrade qui parlait à Chourave. Il aurait voulu les rejoindre, partager l'angoisse qui venait de les consumer tous les trois, sentir leur soulagement pour qu'il l'imprègne lui. Mais la main d'Octavia l'avait retenu.
Ça avait été le geste de trop.
Tout se délitait entre eux, de toute manière, depuis cette nuit sous la tente, pendant la Coupe du Monde. Ils s'étaient retrouvé devant un nœud qu'ils n'avaient pas la patience de démêler, ni l'un, ni l'autre. Poudlard annihilait la question avec son manque d'espace pour l'intimité, mais d'autres étaient venus prendre la relève. Depuis qu'elle l'avait présenté à ses parents, Octavia avait changé de posture. Ce qui n'était qu'une histoire pour adolescent prenait un tournant officiel et protocolaire qui ulcérait Simon. Comment ça il « devait » venir à Noël chez eux maintenant ses parents le connaissaient ? Comment ça son père voulait rencontrer le sien, dans quel but ? Juste pour discuter de leurs enfants ados ? Ou Mr. McLairds prenait-il cette relation naissance comme prétexte pour se rapprocher du clan Bones ... ?
De son côté, Octavia avait nombre de reproche. Elle en avait fait l'étalage, lorsqu'il avait vertement retiré sa main de la sienne en sortant de l'arène. Selon elle, elle avait disparu de ses préoccupations depuis la rentrée. Plus rien d'autre ne comptait. Il n'avait que le nom de Cédric à la bouche. Mais la pique suprême était venue, presque avec l'écume aux lèvres :
-J'ai même la sensation que Victoria Bennett est passée devant moi !
Simon avait eu le culot d'en rire. Ça avait été nerveux, après le dragon, tous ses nerfs n'aspiraient qu'à lâcher. C'était si absurde qu'ils en viennent à parler de Victoria dans un pareil moment ... Mais Octavia, folle de rage devant cette réaction, ne s'était pas laissé démonter et avait frappé son épaule.
-Tu vois ! Tu ne me prends pas au sérieux, tu ne nous prends pas aux sérieux, tu ne prends rien au sérieux ! Mais quand Victoria Bennett te fait la tête et que tu ne comprends pas pourquoi, là c'est sérieux, là tu n'énerves !
En effet, il avait eu envie de s'énerver. Il avait eu envie lui parler du message qu'elle avait trouvé dans son sac, du 5 Novembre 1989 et de ce qu'elle avait subi, de la promesse qu'il avait fait à Alexandre ... Que la Marque des Ténèbres avait de nouveau illuminé le ciel et que ça donnait une coloration encore plus alarmante au « your turn to burn ». Oui, il avait toutes les raisons de s'énerver. Puis il s'était rappelé sa promesse à Victoria, et il s'était mordu la langue pour réprimer ses mots.
Tout s'était délité en moins d'une seconde. Lorsque Simon avait retiré sa main, lorsqu'il avait ri, lorsqu'elle avait évoqué Victoria. Tout devait finir. Plus rien n'avait de sens, entre eux. Simon s'étonnait même qu'ils aient tenu si longtemps après la Coupe du Monde, et en soit c'était révélateur. Elle était passé si loin dans l'ordre de ses priorités qu'il avait oublié de songer à comment rompre avec elle. C'était chose faite, à présent. Les mots « c'est fini » avait été prononcé, et Octavia était partie, sans la moindre larme dans ses yeux, mais en fulminant. Et lui s'était fondu dans le flot de Poufsouffle déterminé à faire la fête, soulagé par-delà les mots.
Emily écouta. Simon avait simplement passé sous silence la partie qui concernait Victoria pour ne pas aiguiser sa curiosité déjà trop bien affutée. Lorsqu'il acheva son récit, un peu vanné, pas la moindre satisfaction, elle eut l'air plus compatissante qu'il n'aurait jamais osé l'espérer. Peut-être même un peu triste, presque mélancolique.
-C'est horrible, mais je la comprends un peu, avoua-t-elle dans un filet de voix. Attention, je la déteste toujours et je trouve que tu as raison de l'avoir quitté. Mais ...
Elle tourna plusieurs fois l'anneau d'argent sur doigt, tiraillée.
-Si je sortais avec un fils de haut-fonctionnaire, je pense que mes parents réagiraient comme les siens. A vouloir garder ce gendre parfait à tout prix. Ils me mettraient une pression monstre.
Simon se tut, presque soufflé qu'Emily laisse échapper une information sur la relation qu'elle entretenait avec sa famille. Qu'elle soit froide, il l'avait compris dès la première année : elle recevait peu de lettre et il lui arrivait de passer des vacances de Pâques à Poudlard. Mais qu'elle ait eu la moindre pression ? Emily sourit devant le silence stupéfait de Simon.
-Ce n'est rien, j'ai déjà poussé un bon coup de gueule il y a deux ans, quand mon cousin Thomas a commencé à sortir avec une fille qu'ils estimaient ne pas être assez bien pour la famille... Lui c'est pire, c'est un peu l'héritier, tu comprends ? Enfin bref, vu comment j'ai réagi ils ont compris qu'ils n'avaient pas intérêt à m'embêter avec ça ... De toute manière, je crois que ma mère préfère que je me concentre sur les études que sur les garçons. Mon oncle est directeur de Département, la famille Fawley va parfaitement bien. Les McLairds, en revanche ... ça fait un moment qu'ils sont éloignés des sphères politiques.
-C'est vrai, soupira Simon, un peu honteux devant cet éclairage. En plus les McLairds veulent à tout prix redorer leur blason, c'est maladif ... Mais ... je ne pouvais pas rester avec simplement pour qu'elle fasse plaisir à sa famille.
-Non, bien sûr. Mais je comprends que ... ça ait fait dérailler Octavia. Et sa vision de votre couple. Thomas a une amie, Bérénice ... Ce que tu me dis, ça me fait penser à elle. Des filles qui essaient à tout prix d'être parfaite pour leur famille et qui finissent pas se dénaturer.
Elle laissa Simon méditer quelques secondes. Dans son récit, il s'était totalement affalé à ses côtés, sa guitare pressée contre lui, la tête rejetée contre le dossier du canapé. Plus droite, assise en tailleurs, Emily paraissait songeuse. Ses yeux restaient plantés sur Simon, indécis.
-Tu as dit autre chose ... qu'elle exigeait trop de toi ... hum. Sous quelle forme ?
-Oh non. Non, non, non, pas cette conversation ... pitié ...
-Hé ! protesta Emily en croisant ses bras sur sa poitrine. Sache que je me suis retenue, ça fait des semaines que je veux avoir cette conversation avec toi. Je ne suis pas sûre que tu saches ... Hum ... « être » avec une fille.
-Oh non, gémit Simon en plaquant ses mains contre son visage pour masquer sa peau écarlate. C'est bon, Em', on n'a plus de raison d'avoir cette conversation, d'accord ? Je ne suis plus avec. Garde-la dans le tiroir. Longtemps. Pour toujours même.
-Pour toujours, répéta Emily, dépitée.
Elle le contemplait avec un air qui signifiait sans équivoque « Ah, les garçons ! ». Simon fut surpris de la voir hésiter encore un instant, mais elle finit par céder à ses instincts intérieurs et se rapprocha de lui, de façon significative. Leurs épaules se frôlèrent, son genou toqua contre sa cuisse, mais tout cela passa par-dessus la tête de Simon. Il n'avait jamais eu la moindre ambiguïté avec Emily. Ça avait été un coup de foudre, certes, mais un coup de foudre amical. C'était peut-être parce qu'il y avait toujours eu cette absence totale d'ambiguïté qu'il avait toujours mieux accepter les contacts physiques qui venaient d'elle. Avec n'importe qui d'autre, il était gêné, s'écartait vite. Emily, elle ? Elle avait pris tôt des libertés, comme poser sa tête contre son épaule, ou passer son bras sous le sien, et jamais Simon n'avait senti une quelconque intrusion.
-Ecoute, pour tout dire c'est une question que je voulais te poser avant même que tu sortes avec Octavia, entonna-t-elle à voix basse, si basse qu'elle était presque couverte par le bourdonnement de la Salle Commune. Et disons qu'à la lumière de tout ce que tu me racontes, ça me semble ... urgent.
Elle prit une petite inspiration, comme pour se donner courage. Il y avait quelque chose de solennel et d'une inhabituelle gravité dans son expression et Simon se mit à craindre pour ce qui arrivait.
-Est-ce que ... comment dire ça ? Attention, ça ne changerait rien pour moi, sache-le, déjà, d'accord ? Est-ce que tu ne préfèrerais pas ... sortir avec un garçon plutôt qu'avec une fille ?
C'était nerveux. Absurde ? Mais comme face à Octavia, et son questionnement sur Victoria, Simon explosa de rire.
Prise de court par cet éclat tonitruant, Emily eut un mouvement de recul et parut même vexée par sa réaction. Elle n'attendit pas que Simon se calme pour bourrer son épaule de coup de poing.
-Hé ! C'est parfaitement légitime comme question !
-Légitime ? gloussa Simon, incrédule. Alors là je veux bien que tu m'expliques pourquoi parce que je ne vois pas ce que ça vient faire là !
-Mais enfin ! glapit Emily, avant de rebaisser la voix en un murmure rageur. Je pourrais t'en trouver des centaines, des raisons ! Simon, tu ne t'es pas une seule fois de ta vie intéresser à une fille ! Pas pour de vrai ! Même Octavia ... tu ne l'aimais pas vraiment, tu l'as dit toi-même. C'est juste que pour une fois, tu t'es plié à ce que « qu'on attendait de toi », tu as voulu lui faire plaisir. Mais prendre du plaisir toi-même ? Je t'en prie ! ça te foutait de l'urticaire chaque fois qu'elle te prenait la main, ne pense pas que je ne le voyais pas, je jubilais chaque fois que tu la repoussais !
Simon ne savait pas très bien s'il devait s'empourprer ou fusiller Emily du regard pour être une pareille peste. Fort heureusement, ses camarades de Poufsouffle n'avaient d'yeux que pour Cédric et n'écoutait absolument pas leur conversation. Sinon, elle aurait fait le tour de Poudlard.
-Tu n'es à l'aise avec les filles que lorsqu'elles sont tes amies, comme moi, tes sœurs comme Susan et Caroline ou que tu peux leur taper dessus comme Victoria, poursuivit Emily sur le ton de l'évidence. Je ne t'ai jamais entendu dire qu'une fille était jolie, ou qu'elle te plaisait. Je veux dire ... écoute, c'est évident. Tu n'as pas le comportement normal d'un mec de seize ans avec la gente féminine, Simon.
Mais qu'est-ce qui ne va pas chez toi ?! hurla Octavia en écho, et le souvenir glaça le feu sur le visage de Simon. Il aurait voulu continuer de soutenir le regard d'Emily avec un sourire, mais la triste vérité fut qu'il baissa les yeux et se trouva une passion soudaine pour la contemplation de sa guitare. Emily se méprit totalement sur la raison son embarras et poursuivit, triomphante :
-Et ce n'est pas grave, vraiment. Tu as le droit d'être qui tu veux. Je me doute juste que ce n'est pas toujours facile à réaliser, à accepter ... Si tu préfères les garçons, ce n'est pas une tare, vraiment, c'est ...
-Em', la coupa Simon, brusquement exaspéré. Je ne préfère pas les garçons.
Le regard compatissant qu'elle lui lança le hérissa tout entier. Ses doigts se crispèrent autour du manche de sa guitare et il laissa sa tête aller vers l'arrière, un soupir coincé entre ses dents. « Qu'est-ce qui ne va pas chez toi ? ». La question l'avait secoué, chaque fois qu'Octavia avait glissé sa main dans la sienne depuis la Coupe du monde de Quidditch.
-Je ne préfère pas les garçons, asséna-t-il d'un ton ferme. Ecoute, tout ce que tu dis ... (Il hésita, puis décida de jouer franc-jeu :) Très bien, c'est vrai. Je ne m'intéresse pas aux filles. Pas de cette façon-là. Et quelque part je regrette de l'avoir fait avec Octavia, simplement pour me sentir ... normal. (Il baissa les yeux sur ses mains). Je sais que tu ne comprends pas, que tu ne peux pas la voir, mais ... je l'aimais vraiment bien. Discuter avec elle, sa façon de penser ... tout ça. Maintenant, c'est gâcher. J'avais raison, au fond. A quoi ça sert de sacrifier des amitiés juste pour voler quelques baisers ?
Il n'essaya de ne pas paraître mortifié, mais quelque part il l'était. C'était le second sentiment qui l'avait envahi, lorsqu'il avait quitté Octavia les mains dans les poches. Le soulagement, certes. La sensation d'avoir eu raison. Et puis tout au fond, la rage et la tristesse. Parce qu'il savait. Il l'avait su, il l'avait dit à Cédric, lorsqu'il l'avait enjoint à laisser sa chance à Octavia. A quoi bon céder aux sirènes des hormones pour deux semaines et une relation brisée ? A leur âge, l'amour ne durait pas. A leur âge, l'amour n'était pas vraiment de l'amour.
-Ce n'est pas les filles, le problème, ajouta-t-il dans un souffle. Je ne suis pas sceptique sur les filles. Le problème serait le même avec les mecs. C'est sur les couples adolescents que je suis sceptique, Em'. Je trouve ça tellement futile. Si j'ai le droit d'être qui je veux, je veux juste ... ne pas m'embêter avec ça.
-Tu n'es sûr que ce n'est pas quelque chose que tu racontes parce que tu es mal à l'aise avec l'homosexualité ?
-Je n'ai jamais trop réfléchi à l'homosexualité, avoua Simon, un peu penaud. Tu sais, on ne parle pas trop de ce genre de chose, dans le beau milieu du Gloucestershire ...
-Justement ...
-Mais ça ne veut pas dire que ça me pose problème, hein. Je suis d'accord avec toi, on a le droit d'aimer qui on veut, je n'ai eu besoin de personne pour le comprendre, ça. Mais ...
Maintenant que la brèche était ouverte, son esprit si volatile s'envolait, explorait les possibilités. Il se raccrocha à sa guitare, dont il parcourut nonchalamment les cordes. Cette fois, les notes étaient parfaitement harmonieuses. L'accordage était terminé.
-Si on a le droit d'être amoureux de qui on veut, tu penses que ça veut dire qu'on ne peut être amoureux de ... personne ?
-Personne ? répéta Emily, un peu perplexe.
-Je te le dis, j'ai juste ... vraiment pas envie de m'embêter avec ça. Ça ne m'attire pas. Ce n'est pas simplement Octavia que je n'aimais pas ... Je n'ai pas aimé être son copain. Mais bon, ça je n'ai pas trop voulu lui dire ...
-Tu m'étonnes, ricana Emily, avant de pousser un profond soupir. Oh, je ne sais pas, Simon. Tu atteints les limites de mon savoir, là ... Le seul conseil que j'ai à te donner c'est ... ne te force jamais, d'accord ? Ne force pas ta nature.
L'étau qui compressait la poitrine de Simon se desserra, d'autant que d'un même élan, Emily s'affala à côté de lui et posa la tête sur son épaule. Elle tapota sa poitrine du plat de sa paume avec un petit sourire.
-Parce que si un jour quelqu'un doit t'accepter, c'est pour ce que tu es. Et puis détends-toi, aussi. Tu n'as eu qu'une seule relation et c'était Octavia McLairds. Tu n'as pas choisi la facilité, mon petit Simon. Ne t'arrête pas à ça ... Tu ne sais pas ce que l'avenir te réserve.
Simon ricana, un peu amèrement. Sincèrement, il doutait être capable de tomber sous le charme de quiconque. Il se sentait trop détaché des autres, trop critique, incapable de passer autre certains défauts, certaines valeurs. Incapable de passer outre la barrière physique qui semblait le séparer du monde. Emily rit de sa mine réservée et frappa sa maigre poitrine avec plus de virulence.
-Je te jure, fais-moi confiance ! Tu ne sais pas comment les choses peuvent tourner ...
Son sourire s'estompa l'espace de quelques secondes. Même lorsqu'il se recomposa totalement, ses yeux avait gardé un drôle d'éclat, un peu spectral, un peu triste. Simon s'en voulut de ne pas avoir remarqué qu'il persistait bien trop, cet éclat nostalgique. Il était trop obnubilé par les problèmes de Victoria et Cédric pour le voir.
-Em ? Il s'est passé quoi avec Roger Davies cet été ?
Simon aurait dû s'y attendre, mais la réaction le heurta tout de même : Emily se referma comme une huître. La question était un serpent de mer dans leur groupe. Ils avaient vu Emily et Roger se rapprocher dans le dernier trimestre de leur cinquième année, assez pour qu'il soit évident qu'un garçon avait enfin trouvé grâce aux yeux d'Emily Fawley, connue jusque là comme la reine des râteaux. Mais depuis la rentrée, quelque chose semblait s'être brisé. Chacun s'échinait à trouver la réponse, Victoria comme Cédric et s'y cassait les dents. Jusque-là, Simon ne s'était pour tout dire pas intéresser aux amourettes d'Emily. Mais pour que cette expression persiste, c'était qu'elle avait plus d'importance que son amie avait laissé l'entendre.
-Rien, assura-t-elle en se redressant brusquement. Arrêtez de me poser la question, ça devient lassant.
-C'est parce qu'on s'inquiète pour toi. Comme tu t'inquiétais que je n'assume pas mon homosexualité.
Le coin des lèvres d'Emily frémit, mais elle continua de fuir son regard. Elle coupa définitivement leur contact en se levant et en le contournant pour prendre une bièraubeurre.
-Ça c'était une inquiétude légitime, Simon. Maintenant, laisse-moi fêter dignement ta rupture avec ma pire ennemie ...
-Em' ...
Mais Emily ne l'écoutait déjà plus. Après avoir pris une longue – beaucoup trop longue – gorgée du breuvage sucrée, elle haussa les sourcils en fouillant l'amas de cape et d'écharpe auprès de Simon. C'était une piteuse tentative de fuite, et Simon s'apprêtait à insister et à lui assurer qu'il lisait très bien dans son jeu. Sa tentative fut crevée dans l'œuf par la question d'Emily qui désigna la cape.
-A qui c'est ça ?
-Euh ... Vicky, je crois ...
-Avec des couleurs de Serpentard ?
Elle leva l'écharpe et Simon remarqua pour la première fois ses couleurs vertes et argent. Il dressa les sourcils, interloqué, en tentant de se rappeler de l'arrivée de Victoria dans la Salle Commune. Il avait sans doute été trop impatient de lui claquer son manche de guitare sur la tête pour détailler sa tenue. Son regard effleura celui d'Emily et il sut qu'ils avaient tous les deux le même nom en tête.
-Bletchley, dirent-ils d'un même ensemble.
Et d'un ensemble tout aussi harmonieux, ils pivotèrent vers Victoria Bennett. Au milieu de la foule des Poufsouffle, elle ne portait plus que sa chemise, souriait largement et sa bouteille de biéraubeurre vide pendait au bout de ses doigts. Mûre pour les chansons moldues.
-Oh, elle porte son écharpe et après elle m'assure qu'il n'y a rien, se réjouit Emily, l'œil allumé par le triomphe. Bah tiens, ma petite, je ne vais pas te louper ...
-La tornade est de retour ...
-Et elle va frapper avec violence, affirma Emily en brandissant l'écharpe comme s'il s'agissait d'un trophée.
Elle partit pour s'élancer, et Simon parvint in extremis à la retenir par un pan de sa chemise, à moitié paniqué.
-Mais t'es folle ! Elle est avec Cédric ! On a dit qu'on ne parlait pas de ça à Cédric !
-Oh, lâcha Emily, vaguement contrariée. Ouais, c'est vrai.
A regret, elle lâcha l'écharpe qui retourna dans un feutrement contre la cape qui l'avait dissimulé. Cédric n'était pas tendre avec les Serpentard depuis l'épisode de la Chambre des Secrets, et tout était bon pour raviver sa haine. Notamment le nez cassé de Victoria en tout début d'année. Par Selwyn. Comme par hasard. Il ne fallait pas plus d'un uniforme d'argent et d'émeraude pour que Cédric se méfie de Miles Bletchley. De façon honnête, Simon n'avait rien contre ce garçon qui semblait ouvertement tourner autour de Victoria depuis quelques semaines. C'était un joueur de Quidditch, ils devaient parler le même langage. C'était tout ce qu'il avait trouvé pour justifier qu'il s'intéresse à une petite teigne hargneuse de moins d'un mètre soixante. Emily quant à elle était simplement ravie de pouvoir ouvrir le compteur amoureux de Victoria. Mais Cédric ... Cédric n'avait jamais pardonné à la maison Serpentard la Chambre des Secrets. Alors voir l'un d'entre eux approcher d'un peu trop près Victoria l'ulcérait. Et encore, s'il savait pour le message ...
Mais Cédric ne savait rien du message. Il ne savait même rien du 5 Novembre. Non, Simon était le seul au courant de cette histoire. Le seul à pouvoir aider Victoria à la résoudre. Cela flattait son égo autant que ça l'exaspérait de rester, encore et toujours, la bouée de sauvetage de Victoria Bennett. Rien n'avait changé depuis leur Répartition où elle s'était désespérément accrochée à lui.
-Il va falloir qu'on travaille là-dessus, marmonna Emily. Quand ils vont sortir ensemble, il faudra bien que Cédric se fasse une raison ...
-Si, rectifia Simon par-dessus quelques notes. S'ils sortent ensemble. Je n'ai pas l'impression que Vicky soit très réceptive à sa cour. Vicky aime fuir, surtout quand on l'accule.
Les yeux d'Emily roulèrent dans leurs orbites.
-Pardon, j'oubliais qu'à force de vous taper dessus depuis que vous êtes petits, vous vous connaissez par cœur. Mais si elle n'est pas réceptive, dis-moi, monsieur le génie : pourquoi on retrouve l'écharpe de Bletchley dans ses affaires ?
Simon ne trouva pas la moindre réponse. Non seulement ce n'était pas son domaine d'expertise, mais en plus la contradiction était nette. Il avait la nette impression que l'insistance de Miles gênait Victoria plus qu'autre chose ... mais porter son écharpe, ce n'était pas une manière de l'encourager ? Il fixa l'écharpe et fit couler la laine verte et argent entre ses doigts, un peu déboussolé par ce qu'elle pouvait bien signifier
-Je ne comprends pas ...
-Oh, Simon, souffla Emily, l'air quelque peu attendri. Tu sais, tu as beau répété à tout va que Vicky est aussi petite qu'un gnome, c'est faux. Elle a mûri et tellement pris d'assurance depuis quelques mois, je trouve ça fou ! Il faut que tu acceptes que tout le monde n'est pas comme toi à se méfier du sentiment amoureux. Peut-être qu'elle, elle a envie de tenter l'aventure.
C'était peut-être ça qui était quelque peu perturbant. Quelque part, Victoria avait toujours été son alter-ego. Aussi maigre, les genoux aussi écorchés, gamine de Terre-en-Landes avec des fantômes dans les yeux. Et dans l'esprit de Simon, l'analogie était partie plus loin. Victoria avait toujours été tellement loin des aspirations que l'ont prêté aux autres filles, tout comme lui ... ils avaient ça en commun. Le décalage par rapport à ce qu'on attendait pour des adolescents de leur âge. Jusque-là, Victoria ne s'était jamais intéressée au maquillage, à la mode ... aux garçons. Simon réalisait à présent qu'il avait pris pour acquis que tout comme lui, la chose lui apparaissait vaine et futile. Il tenait entre ses mains la preuve qu'il avait eu faux sur toute la ligne.
-Prépare-toi, ajouta malicieusement Emily en plantant son coude dans ses côtes. La fille que tu as connu toute petite va embrasser un garçon pour la première fois dans les semaines prochaines ... Il va peut-être falloir que vous arrêtiez un peu de vous taper dessus, Miles doit faire une bonne tête de plus que toi.
-Bah tiens qu'il essaie, ricana Simon, nullement impressionné.
-Quoi, tu vas lui jeter un sort ?
-Pire. Je vais lui envoyer le grand frère de Vicky. Tête de plus ou pas, j'ai hâte de le voir jouer face à Alexandre Bennett.
L'image qui lui venait en tête était délicieuse et tous ses doutes s'effacèrent pour le laisser savourer ce songe. Il venait de trouver un sens et un objectif dans la naissance de cette relation qui le désarçonnait ... Miles Bletchley face à Alexandre Bennett. Il ne donnait pas cher de la peau du Serpentard.
-Par contre, renchérit Simon en lorgnant Emily. Ne t'attends pas à parler de Bletchley à Vicky sans qu'elle ne ramène Davies sur la table.
-Oh nom d'une gargouille, arrêtez avec Roger ! râla-t-elle en perdant immédiatement son sourire. Ce ne sont pas vos affaires !
-Donc il s'est passé quelque chose ?
-Rien qui te concerne.
La mâchoire de Simon se contracta et il ne put s'empêcher de persiffler entre ses dents :
-Par contre la façon dont j'étais avec Octavia, ça te concernait ? Ce que Victoria fait avec l'écharpe te concerne ?
-Et les leçons particulières de Cédric à Cho me concernent aussi, parfaitement, acheva-t-elle avec un aplomb désarmant. Vous m'avez cédé une partie de votre vie amoureuse le jour où vous êtes devenus amis avec moi. C'était dans les petites lignes invisibles au bas du contrat ...
Simon contempla longuement le visage buté de son amie, tiraillée. D'un côté, il comprenait le besoin viscéral d'intimité d'Emily et n'avait pas la moindre envie de creuser dans son jardin secret comme un nuisible invasif. Il n'était pas vraiment sûr de vouloir réellement s'intéresser à ses amours. Non ce qui le dérangeait dans cette conversation, c'était cette asymétrie ouverte qu'Emily revendiquait presque fièrement. C'était peut-être son côté Poufsouffle qui parlait, mais ça ne lui semblait pas juste qu'elle leur cache ainsi ce qu'elle s'évertuait à faire sortir chez eux. Elle dût lire sa contrariété sur son visage car sa mine s'adoucit quelque peu.
-Ecoute, ce n'est pas contre toi ... j'ai confiance en toi, Simon, je sais que je peux tout te dire et que tu le garderas pour toi. Mais je te connais. Je sais que tu ne comprendras pas.
-Je peux essayer ...
-Simon, je t'adore, la coupa-t-elle avec un sourire presque triste. Vraiment. J'ai trouvé plus qu'un ami en toi, tu es presque mon frère jumeau. Et c'est pour ça que j'ai la certitude que tu ne pourras pas m'aider là-dessus. Je sais ce que tu me diras et ce n'est pas ce que j'ai besoin d'entendre, d'accord ? C'est aussi simple que ça.
Elle tapota sa main.
-Et si ça peut te rassurer, laisse-moi te promettre que le jour où j'aurais un problème qui nécessiteront tes lumières, je n'hésiterai pas et tu regretteras de m'avoir proposé ton aide.
Simon voulut renchérir, plaisanter, dire qu'il retirait la proposition, mais ses facéties moururent sur ses lèvres. Il riva les yeux sur les flammes dans l'âtre et le secret de Victoria lui brûla la peau. Ses doigts serrèrent l'écharpe de Bletchley. La menace pesait comme une chape de plomb, mais plutôt crever que d'abandonner ce fardeau. L'émanation de sa profonde loyauté ? Au fond, Simon savait que ce n'était pas cela. Non, c'était simplement qu'il préférait la porter elle que creuser en lui. Creuser, c'était prendre le risque d'effleurer le gouffre. Plutôt les fantômes de feu de Victoria que les spectres verts et glacés qui hantaient ses cauchemars.
Son mutisme fit fleurir un sourire sur les lèvres d'Emily qui le gratifia d'un clin d'œil avant de s'enfoncer dans la foule. Simon la repéra lorsqu'elle sauta au cou de Cédric pour plaquer un baiser sur sa joue. Puis son regard glissa ensuite à Victoria, appuyée contre une table un peu plus loin sur laquelle elle avait posé sa bouteille de biéraubeurre vide. Simon regarda Emily s'approcher comme une panthère de sa proie et soupira profondément face au vide.
-Ah, Vicky ... si tu savais de quoi je te sauve ...
Ses doigts pincèrent les cordes et enchainèrent quelques accords rythmés et joyeux. Cette fois le tout avait une cohérence et dura assez longtemps pour que certaines personnes tournent les yeux vers lui. Victoria fut du lot. Mais loin d'être emballée, ses pupilles s'étrécirent lorsque Simon persista dans la mélodie. Evidemment qu'elle l'avait reconnue. Elle échappa de justesse à Emily en se précipitant vers lui à de grandes enjambée, les joues rougies par l'embarras.
-Je te déteste Bones.
-Bien sûr que tu me détestes, mais tu vas chanter quand même, Vicky.
Il en fut quitte pour une claque sur la nuque, infligée souplement dans une pirouette. La bouche de Simon s'arrondit dans un cri de protestation, Cédric paraissait prêt à la sermonner, mais Victoria les pris tous de court. Dos à Simon, elle écarta les bras et se mit à chanter de sa jolie voix qu'elle percha à dessein :
-C'est moi Simba c'est moi le roi, du royaume animal – c'est la première fois qu'on voit un roi avec si peu de poils ! Je vais faire dans la cour des grands une entrée triomphale en poussant très ro-ya-le-ment, un rugissement BESTIAL !
-Voilà les chansons moldues, Bennett, murmura Simon, satisfait.
Pour que Victoria ne perde pas le rythme, ni l'envie, il continua de jouer, d'accompagner chacune de ses notes. Ils n'étaient pas toujours en accord – il connaissait très mal la mélodie et Victoria malgré sa belle voix n'avait aucun sens du rythme. Certains rirent en reconnaissant la chanson étrange mais entêtante que Victoria leur avait chanté le soir où Cédric avait été choisi comme champion de Poudlard, beaucoup furent simplement hilare en observant Victoria moduler sa voix pour couvrir tous les personnages, dans une interprétation presque théâtrale. Et à la plus grande satisfaction de Simon, elle grimpa sur la table basse au milieu de la pièce pour pouvoir élever au plus haut la phrase iconique du refrain :
-Je voudrais déjà être roi !
Avec un éclat de rire qui se noya dans les rires et les applaudissements de la salle, elle exécuta une pirouette sur elle-même qui la fit redescendre au niveau des mortels pour poursuivre sa chanson. Tout le monde l'écoutait, la suivait du regard, amusés, subjugués, abasourdis de la métamorphose de la petite Victoria Bennett. Qui parmi leurs camarades aurait pu parier qu'elle avait une voix ? Et quelle voix, Simon devait l'admettre. Mrs. Fisher, leur épicière, avait pleuré lorsque Victoria, un peu forcée par son père, avait interprété l'Ave Maria à l'église. Une voix d'ange, avait-t-elle assuré face à Simon consterné.
Une voix d'ange. On en revenait toujours à ça, avec Victoria. Mais lorsqu'elle planta un petit regard sur Simon en fin de chanson, il sut que l'angélisme c'était teinté d'une pointe d'orgueil. Défi relevé, lui disait-t-elle ouvertement alors qu'on l'applaudissait. Ensuite ? De l'autre côté de la salle, Simon sourit.
-Ne t'inquiète pas Bennett ... j'ai une petite idée de la suite.
***
Et un très joyeux anniversaire à Mllex_Lectureee !
(Eh oui c'est ça quand on vient au Salon de Montreuil, on est dans un groupe Whatsapp et on peut se permettre de faire des petites demandes pour son anniversaire !)
Une petite partie du bonus avec Simon ! ça faisait longtemps, n'est-ce pas? Elle vous a plu?
Je voulais mettre davantage l'accent sur sa relation avec Emily ! Alors j'ai conscience qu'on repasse des thèmes vu et revus, mais s'il y a une personne susceptible de parler de ça avec Simon c'est elle !
Et grand événement : c'est la première partie qui a lieu littéralement pendant O&P ! Jusque là on était avant ... Et les yeux de lynx auront noté quelques lignes de dialogue que l'on aperçoit dans la Partie 1 !
Bon, les bonus de Simon n'ont pas d'intro alors je fais mon racontage de vie dans la conclusion : JE REPRENDS LE TRAVAIL LUNDIIII je suis super contente ça me manquait quand même. Et ça me pose l'interrogation de mon compte insta aussi - je publie peu, je m'en sers surtout pour avoir un contact avec vous ... est-ce que ce serait pas intéressant de publier mes coups de coeurs de documentaliste? ça mettrait de la diversité, à la fois de la BD, du manga, du documentaire et du roman ... Voilà je pose ça là, dites-moi ce que vous en pensez !
(Oui je me pose beaucoup de question sur mon compte insta, je sais pas trop comment le rendre utile on va dire ahah, autre que publier des aes).
ET j'ai une chatte. C'était pas prévu, je voulais un chien avant toute chose mais que voulez-vous? Une petite minette a littéralement retrouvé refuge chez nous (oui oui au vrai sens de refuge). Elle s'appelle Penny et elle est trop choupette voilà.
VOILAAAAA pour mes news. Et vous, comment vous allez? Dites-moi tout <3
Et on se retrouve bientôt pour de nouveaux bonus <3
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