[NG] Bonus n°1 : Pride ! (1/2)
BONJOUR TOUT LE MONDE
En ce moment ce n'est clairement pas la joie pour en avoir parlé avec quelqu'uns d'entre vous sur insta. Bac, examens, situation du pays catastrophique, je ne parle même pas de la situation internationale, je pense que nous sommes tous angoissé.es en ce moment !
On fait une petite pause, ça vous va?
Petit bonus pour fêter la fin du bac Français (comment ça a été?) et pour faire souffler entre les révisions du bac de la semaine pro (vous allez gérer, Perri croit si fort en vous ! <3 Rappelez vous quand même : vous avez fait le plus dur. Vraiment. Là vous avez plus qu'un pas à faire, respirez !)
Parce qu'on est en juin? Oui bon la météo donne le doute mais je vous jure que c'est vrai ! Et que juin c'est un peu le mois des fiertés? On va en faire quelque chose quand même?
***
Les pré-requis
Pour ce bonus, il faut avoir lu La dernière page ! Le reste ce n'est vraiment pas obligatoire (une ou deux ref toute petite) mais par contre on va sur les enfants de La dernière page donc ça c'est vraiment indispensable. Merci !
+ Bonus en deux parties. La deuxième est pas encore écrite. Je me dépêche.
***
ça vous donne l'eau à la bouche? Vous avez envie d'en savoir plus? N'attendons plus : voici le premier bonus sur les enfants de mes personnages ! Bonne lecture à tous.tes !
***
Pride ! (1/2)
Assis à la grande table de réception de leur salle-à-manger, Gabriel Fawley écumaient les petites annonces à s'en esquinter les yeux. Pourtant la lumière de juin entrait à flot dans la pièce et projetait des tâches d'or sur le journal, mais il en avait assez de lire les petits caractères d'imprimeries. En plus cette édition avait bavé et les auréoles brunes des tasses de thé de son père avaient délaver une partie de l'encre. Un brin agacé par ses recherches infructueuses, il replia le journal en deux et jeta sa plume sur la table. Pour la millième fois de la matinée, il plongea son regard par la fenêtre et observa en contre-bas les policiers moldus barrer la rue et évacuer les derniers passants. En ce premier samedi de juin se préparait la traditionnelle Pride de Londres et quelque part, Gabriel sentait l'excitation le gagner. Petit déjà il avait toujours adoré observer le défilé, le nez collé à sa fenêtre et raffolait des éclatantes couleurs qui paradaient sous lui. Poudlard l'en avait privé pendant sept ans et voilà qu'il renouait avec les plaisirs de l'enfance dans le corps du jeune homme.
-Tu as fini ?
La voix de sa sœur fit claquer sa bulle et Gabriel se détourna, les mains crispées sur le journal. A regret, il laissa les préparations derrière lui pour se concentrer sur Aloyssia. Fort heureusement, elle ne paraissait pas l'avoir pris en flagrant délit de rêverie.
-Je vais attendre l'édition de demain. Ou aller directement demander à tante Jo de me donner les apparts qu'elle reçoit.
-Je doute que tante Jo s'intéresse un tant soit peu à l'immobilier, fit valoir Aloyssia.
Assise en bout de table, à l'opposé de lui, elle griffonnait frénétiquement sur un petit carnet de sa belle plume d'aigle. Aloyssia n'était pas une fille très matérielle et encore moins vénales, pour ce type d'objet – livres, plumes, encrier – elle avait un goût de l'esthétique et de l'élégance. Ces yeux bleus et pâles, deux ciels d'été au milieu de tâches de rousseurs, se portèrent sur son frère.
-Rappelle-moi pourquoi tu tiens à tout prix à trouver un appartement ?
-Rappelle-moi pourquoi tu tiens à tout prix à rester ici ?
-Parce que j'ai une grande chambre avec ma bibliothèque personnelle, pas de frais à payer, que papa adore mon gratin de pomme de terre douce et que j'ai un salaire de misère, énonça tranquillement Aloyssia. A ton tour.
Loin de lui répondre, Gabriel leva les yeux au ciel avant de s'arracher de sa chaise. En un sens, il comprenait Aloyssia. Jamais au grand jamais, même avec le salaire confortable que lui offrait Gringrotts, il parviendrait à s'offrir un appartement aussi chaleureux, lumineux, aéré et bien situé que le leur. Peut-être même que la présence de sa famille lui manquerait atrocement et que contrairement à sa sœur, il était incapable de faire cuire quelque chose sans le brûler. Mais ces considérations ne suffisaient pas à arrêter ses recherches. Tous les matins depuis un mois, il parcourait les pages dédiées de La Gazette et de La voix du chaudron en espérant trouver une perle dans son budget. Tous les matins il échouait.
Avec un soupir, il remit l'exemplaire sur la pile des journaux de la semaine, ceux que son collectionneur compulsif de père avait collecté. Ceux que sa mère pointerait demain pendant le repas dominical avec l'habituel « tu comptes en tapisser notre chambre ? ». A défaut, il en avait tapissé son cabinet de peinture, juste pour donner tort à Bérénice Abbot. Gabriel tasse la pile avant de s'éloigner et de passer derrière sa sœur. Ses cheveux cuivrés, dont ils avaient tous les deux hérités, trempaient dans l'encre brillante et traçait de fils filaments noirs en travers de ses .... Gabriel s'arrêta et s'avança un peu derrière l'épaule d'Aloyssia, incrédule.
-Attends ... tu fais des calculs ?!
-Hé ! protesta-t-elle en plaquant son carnet contre sa poitrine.
-Tu es nulle en math ! Quand il fallait calculer ta moyenne c'est Meryem qui le faisait !
C'était une phrase un peu cruelle : il le réalisa dès que les mots s'envolèrent de sa bouche. Mais sur Aloyssia, tout passait : critiques, moqueries, remarques maladroites. Il n'avait jamais vu quelqu'un aussi bien résister aux méchancetés de la vie. Sa sœur était une vraie mer d'huile. L'eau pouvait bien tenter de la noyer en se déversant en trombes, jamais elle ne l'infectait, et pire elle l'élevait davantage dans ses hauteurs inaccessibles. Le comble de l'énervement, elle s'en fendit à l'instant : elle asséna un coup de carnet sur la tête de son frère si mou qu'il sentit à peine le choc.
-Aïe, lâcha-t-il pour faire bonne mesure.
-Tu crois que je fais quoi chez Fleury et Bott, que je lis toute la journée ? Figure-toi que j'ai découvert que les calculs sont une des bases du métier, et pas simplement pour faire de la monnaie. Et que je n'étais pas si mauvaise que ça. Regarde, je m'en sors !
Avec une certaine fierté, elle exhiba ses tableaux pleins de chiffres d'encre bavante et Gabriel dût plisser les yeux comme il l'avait fait face aux petites annonces. Mais à part la forme, les calculs d'Aloyssia étaient étonnamment clairs et propres. Et il pouvait dire qu'il s'y connaissait : il avait été reçu en Arithmancie avec un Optimal et travaillait depuis six mois chez Gringrotts.
-Oui, ils sont parfaits ... ce sont les comptes de Fleury et Bott ?
Le sourire d'Aloyssia s'estompa et elle récupéra son carnet avant de le fermer en coinça sa plume à l'intérieur. Elle travaillait dans la libraire depuis deux ans, après une année d'essai aux archives magiques où elle avait passé « plus de temps dans la poussière que dans les livres ». D'un geste nerveux, elle ramena une mèche derrière son oreille.
-Hum ... Non, pas vraiment. (Ses joues se parèrent délicatement d'une couleur rosée). En fait je vois ce qu'il me faudrait pour ouvrir ma propre boutique.
Gabriel prit le temps de s'assoir avait de dévisager sa sœur, un peu perplexe. Aloyssia avait pris de leur père avec un flegme proche de la naïveté chez elle et une absence totale d'ambition. Elle se laissait porter et couler par ses envies, refusait de forcer sa nature si cela pouvait infléchir son bonheur et son confort. Alors cet esprit d'initiative et d'entreprise chez elle, c'était plus que nouveau : c'était une véritable rupture.
-Pourquoi ? Je pensais que tu étais contente d'avoir retrouvé tes livres et tes romans chez Fleury et Bott ...
-C'est vrai, admit-t-elle distraitement. L'environnement me plait beaucoup et je suis assez rassurée de voir qu'au final, je suis assez bonne commerçante. J'avais peur de ... devoir parler aux clients, et faire les comptes, justement. Ce ne sont pas mes tâches préférées, mais je comprends leur importance pour les comptes et finalement parler aux gens quand c'est pour des livres ce n'est pas si terrible.
Gabriel eut un doux sourire, un brin désabusé. Il devait l'admettre, il avait craint lui aussi qu'Aloyssia s'agace vite d'avoir à faire la conversation ou répondre aux questions parfois triviales et loin de ses aspirations de la clientèle.
-Alors où est le problème ?
-Attends. Laisse-moi le temps de trouver mes mots, sinon tu vas me prendre pour une enfant pourrie-gâtée. (Aloyssia poussa un profond soupir et appuya son poing contre sa joue). Maman a raison, c'est peut-être ce que je suis ...
-Mais non ...
-Mais si. J'aime mon confort, mes livres et faire ce que je veux, et c'est possible que parce que nos parents nous ont offerts un écrin privilégié. Je ne serais pas aussi nonchalante si j'avais grandi dans un autre environnement ... Il y avait un garçon à Gryffondor dans mon année, Gethin. Ça se voyait sur son visage qu'il avait une longue vie de combat et que chaque chose qu'il avait il devait la gagner. Je l'ai croisé au Chemin de Traverse la semaine dernière et il travaille chez oncle Farhan. Ça m'a surpris, je pensais que c'était la personne la plus asociale que je n'ai jamais connu, pas du genre à travailler dans une rue qui grouille de monde.
-Plus que toi ?
-Je te jure. Enfin bref, ça m'a fait bizarre de le revoir et il m'a clairement fait comprendre que c'était un emploi parce qu'il n'avait pas vraiment le choix et qu'il devait gagner sa vie, et ça m'a fait réfléchir. Et je suis vraiment une enfant pourrie gâtée : si je veux un travail qui correspond à toutes mes aspirations, il faut que je me bouge.
Elle n'attendit pas que son frère sorte de sa stupéfaction pour désigner le carnet refermé sur sa belle plume avec un sourire timide.
-Et c'est là que j'ai commencé à faire des calculs ! Fleury et Bott c'est bien, mais j'ai du mal avec mon patron : il ne prend jamais en compte mes propositions pour les commandes, se borne à du scolaire et de la vie magique. Pas ou très peu de romans et encore moins un exemplaire moldu. Et j'étais à deux doigts de démissionner Gabriel, je te jure. Sans ma rencontre avec Gethin je pense que je l'aurais fait parce que ça m'énervait de juste obéir à ses ordres et de ne pas pouvoir donner libre court à mes aspirations pour la librairie. Mais si je veux donner du corps à mes aspirations je dois me battre un peu, non ? Il y en a qui n'ont pas le choix et moi je l'ai.
Elle avait l'air déterminé et sérieux malgré sa voix légèrement rêveuse qui la caractérisait tant. Aloyssia avait toujours paru frêle et absente et pour la première fois, Gabriel lui trouvait enfin un visage mature. Leurs parents avaient tendance à dire qu'ils s'étaient mal mélangés, qu'Aloyssia resterait une enfant toute sa vie quand Gabriel était né adulte. Si Aloyssia grandissait enfin, est-ce qu'une partie de son insouciance se transvaserait à son frère ? Non, décréta-t-il sans réfléchir. Il n'était ni spontanée, ni souple, ni rêveur. Ils avaient tous les deux été répartis à Serdaigle, mais pour des raisons aux antipodes. Ils représentaient littéralement les deux faces de la Maison : l'élévation de l'aigle pour Aloyssia et son œil aguerri pour Gabriel.
-C'est courageux, évalua-t-il prudemment, refusant de montrer ses doutes alors que sa sœur prenait enfin la peine de sortir de sa zone de confort.
-Je sais que ça ne va pas être simple. Déjà il faut des fonds et seule je suis loin de les avoir. C'est pour ça que j'ai décidé de rester chez Fleury et Bott, et à la maison. Il faut que j'économise.
-Papa et maman peuvent t'aider, je suis sûr qu'ils seraient ravis de le faire. Et fiers de te voir t'envoler comme ça ...
Aloyssia rit, mais d'une étrange manière. Ce n'était pas un rire joyeux, sans être ni ironique ni amer. Tout au plus un éclat un peu triste jouait dans ses prunelles bleues.
-Alors ça on peut le dire, je suis certaine que maman sera plus fière d'annoncer que je suis propriétaire de ma propre boutique plutôt que dire du bout des lèvres que je suis salariée chez Fleury et Bott.
Maman, soupira intérieurement Gabriel. Il aimait sa mère, de tout son cœur. Petit, elle avait été son univers et son absolu, son modèle sur terre. Il aurait tout fait pour la rendre fier et la faire sourire. Jusqu'à ce qu'elle le prenne entre quatre yeux lorsqu'il avait douze ans et qu'elle lui rappelle qu'il devait d'abord et avant tout vivre pour lui. Qu'elle serait fière et qu'elle l'aimait, quoiqu'il fasse. Des mots magnifiques, certes. Mais chez Bérénice Fawley, née Abbot, une certaine distance demeurait et si la plupart du temps elle les soutenait, parfois quelques remarques maladroites ravivait des malaises chez Gabriel. Il voyait parfaitement la mine qui pouvait s'être peinte sur son visage lorsqu'un interlocuteur lui demandait « et alors, qu'est-ce qu'elle fait ton aînée maintenant ? ». Leur mère était exigeante, même si elle tentait de ne pas leur montrer. Mais parfois sa nature transpirait littéralement dans ses traits.
-Ne pense pas ça, plaida Gabriel, inquiet que contre toute attente, les attentes de ses parents puissent atteindre la très impavide Aloyssia.
-Ne t'en fais pas, je comprends c'est une façon pour elle de vouloir le meilleur pour nous. Mais je pense aussi qu'on n'est pas faite pour s'entendre sur la valeur du travail et la façon de réussir sa vie. On parlait de combat ? Maman a dû batailler toute sa vie pour avoir la carrière qu'elle mérite et c'est sans doute ce qui rend le travail si cher à ses yeux.
Gabriel remua sur sa chaise, mal à l'aise. A dire vrai, il partageait cette vision avec sa mère. Il était un bon élève, mais avait dû élever ses capacités de travail pour arracher des ASPIC dignes d'intéresser Gringrotts. Repenser à la banque lui arracha un sourire absurde et il bifurqua totalement de juger pour l'éloigner de leur mère :
-Au fait, tu ne devineras jamais avec qui j'ai mangé vendredi midi !
-Euh, lâcha Aloyssia, prise de de court. Ton ex, là, Oswald ?
-Oscar et non, c'est fini au moins la fin de Poudlard et c'est hors de question que je le revois. Non, Hector Selwyn !
A dire vrai, il ne s'attendait pas à ce que le nom d'Hector sonne dans l'esprit d'Aloyssia – la façon d'écorcher le nom de son ex-copain et premier amour montrait bien qu'elle s'intéressait peu à ses fréquentations. Alors devant son regard plissé il se sentit obliger d'ajouter :
-Tu sais, le garçon qui était préfet en même temps que moi, mais à Serpentard ? Sa mère travaille à Gringrotts, c'est l'une de mes tutrices et il est venu la voir ... alors on s'est recroisé, on a parlé et on est parti déjeuner ensemble.
-Je vois très bien, assura Aloyssia en clignant lentement des paupières. Celui qui a été préfet-en-chef ?
Gabriel faillit grimacer à ce souvenir – il lorgnait l'honneur, mais c'était Hector qui s'était paré du précieux badge. Loin de déclencher une aigreur ou une quelconque rivalité, il n'avait que pu s'incliner : il reconnaissait aisément les qualités d'Hector, plus charismatique et serein que Gabriel. Et de façon très honnête, il n'aurait pas pu autant plancher sur ses ASPIC s'il avait dû gérer toute une troupe de préfets.
-Lui-même en personne. On a dit qu'on se referait peut-être ça un jour mais je doute qu'il puisse ... Il travaille à Ste-Mangouste, dans les services administratifs ... ils sont toujours débordés. Il avait une sale mine d'ailleurs.
Aloyssia continuait de le dévisager alors qu'il enchainait les phrases, avec un ton qu'il trouvait désinvolte à souhait – même s'il avait voulu le faire exprès il n'aurait pas pu faire plus nonchalant. Un timbre de voix digne d'Aloyssia elle-même. Qui ne parut pas dupe pour deux noises car ses yeux se firent plus acérés que ceux d'un aigle.
-Gabriel, lâcha-t-elle en détachant chaque syllabe. Mon petit frère d'amour. Quand est-ce que tu essaies de provoquer une conversation pour me dire que tu as un béguin pour ce garçon ?
Gabriel dût rougir. C'était forcé. Alors avant que sa sœur ne le remarque il s'efforça s'opposer le plus calmement possible :
-Le béguin ? Tu en es loin ! S'il y a bien une chose que je me suis interdite en comprenant que j'étais gay, c'est de tomber amoureux d'un hétéro ...
-Si l'amour se contrôlait ça se saurait.
C'était riche, faillit laisser échapper Gabriel, mais il se rattrapa de justesse. Il ne connaissait aucune histoire d'amour à sa sœur. A dire vrai, il doutait que les garçons ou les filles l'intéresse, à aucun degré. C'était une fille plutôt mignonne et son air rêveur à la limite de l'inaccessible avait attiré des prétendants qu'elle avait tous rebutés, les uns après les autres. En revanche des livres emplis de belles ou tragiques romances, ça elle en avait avalé ... Est-ce que ça suffisait réellement pour se fendre de tels remarques avec un tel aplomb ?
-On ne parle pas d'amour, on parle de béguin, répliqua Gabriel avec un brin de sècheresse. Et à ce stade on peut couper le robinet. C'est ce que j'ai fait avec Hector, si tu veux tout avoir ...
Et ce, dès leur première ronde ensemble au milieu de leur cinquième année. Tard, dans les couloirs déserts, il avait enfin pu apprendre à réellement connaître ce garçon qui partageait ses classes, toujours empreint d'un sérieux mêlé d'une sérénité presque irréelle. C'était renforcé par une apparence peu engageante, avec un regard gris propre à glacer ... mais ce n'était jamais le cas du sien. Hector souriait toujours. Ça réchauffait ses prunelles et faisait fondre la glace sur son visage. C'était ce que Gabriel avait constaté en l'approchant ... ce sourire. Son petit cœur de garçon gay découvrant les premiers émois de l'amour aurait pu facilement pu y succomber, mais il s'était accroché à son crédo.
-Je le dis, répéta-t-il à Aloyssia. C'est beaucoup trop toxique, douloureux et pénible de tomber amoureux d'un hétéro.
-Mais qu'est-ce que tu en sais ? Qu'il est hétéro ...
-Il y a encore un mois il sortait avec cette fille, Esther ...
Ils s'étaient mis ensemble dans le courant de sa septième année, enterrant enfin les dernières miettes d'espoir que Gabriel s'était autorisé. S'étaient-t-elles réanimés lorsqu'Hector lui avait avoué au détour d'une conversation pendant leur déjeuner que leur relation s'était achevée ? Aloyssia dût le songer, lorsqu'elle avisa un drôle de sourire sur ses lèvres qu'il ne put réprimer.
-Sortait, n'est-ce pas ? releva-t-elle en souriant elle-même d'un air entendu. Bien dit donc. Et depuis quand sortir avec une fille ça renseigne sur l'orientation sexuelle de quelqu'un ?
-Il a aussi eu d'autres copines à Poudlard ...
-Et alors ? Gabriel, vous n'avez pas encore vingt ans. Vous êtes à un âge où on se découvre encore ... Et sa famille est ultra aristocratique non ?
Gabriel la fixa, éberlué.
-Aloyssia, on vit au beau milieu de Londres dans un grand appartement avec parquet vieilli à chevron, moulures au plafond et lustre en cristal. Nos deux familles de grands-parents ont des liens avec les plus grandes familles de Sang-Pur et tu portes un saphir à la main droite. On est mal placé pour traiter les gens d'artistocrates.
D'un geste machinal, Aloyssia caressa l'anneau qui lui ceignait le majeur. A dire vrai, l'exemple était mauvais : c'était peut-être le seul bijou qu'elle portait de façon constante. Et elle n'eut aucun mal à balayer l'argument un revers de main.
-Tu vois ce que je veux dire, il y a aristocrate et aristocrate. Nos parents sont plutôt ouverts, je ne suis pas sûre que tous les parents de la haute auraient accepté un héritier gay ...
-Grand-mère n'accepte pas d'ailleurs ...
La mère de son père avait toujours l'air d'avaler un citron dès qu'une allusion à l'homosexualité de Gabriel tombait sur la table dominicale. Fort heureusement pour lui, elle aimait son fils Thomas à la folie et Thomas aimait peut-être ses enfants encore plus : si elle se fendait du début d'une remarque, sa famille dans son entièreté quittait la table sur le champ. Cette certitude gonflait littéralement le cœur de Gabriel d'amour et de reconnaissance.
-Tu vois ? Et bien il y a encore des gens comme grand-mère, asséna Aloyssia avec une inhabituelle lucidité. Peut-être que c'est le cas de ses parents.
-Sa mère est cool. Une bonne tutrice en tout cas. Son père par contre ... (Gabriel sentit sa langue devenir lourde et pâteuse dans sa bouche et préféré bifurquer). Bref, pourquoi on parle de ça déjà ?
-Parce que tu es devenu écarlate dès que tu as prononcé le nom d'Hector.
Et ses joues s'échauffèrent de plus belle, d'autant que la remarque était accompagnée d'un sourire à la fois doux et moqueur. Pourtant dès l'instant d'après elle rouvrit son carnet trempa sa belle plume dans l'encrier.
-Et que visiblement tu brûlais d'en parler, ajouta-t-elle d'un ton distrait en reprenant ses calculs. Vous vous revoyez quand, donc ?
-Tu es ma grande sœur. Tu es censé m'empêcher de faire des bêtises. Retenir mes ardeurs.
-Oh c'est pour ça que m'en parle ? Pour que je te retienne ? Oh Gabriel ... (Elle planta sa joue sur son poing et poussa un soupir à fendre l'âme). Fais fonctionner ton cerveau par ailleurs si bien fait : qui suis-je pour t'empêcher de courir après tes rêves ?
-Rêves, tu y vas fort... Tu l'as dit, c'est juste ... un béguin.
-Un béguin. Au moins tu l'admets, on avance.
Gabriel se fustigea brusquement d'avoir ouvert la bouche devant sa sœur. Comme elle le précisait, ce n'était pas elle qui allait dire non à une nouvelle histoire d'amour qu'elle vivrait par procuration, suivant chaque épisode comme un nouveau chapitre et si proche de l'action qu'elle aurait la sensation d'être calfeutrée entre les pages d'un livre. Mais justement, il n'était pas un livre. Et son histoire risquait de tomber dans la tragédie. Merlin pourquoi se laissait-t-il empoisonner par l'optimisme rêveur de sa sœur ?
-Il est hétéro, asséna-t-il comme un point final et définitif. Si on se revoit, c'est entre amis. J'ai le droit d'être ami avec des garçons, non ?
-Gabriel, tu n'es pas habilité à dire qui est ce garçon, seul lui l'est, rappela-t-elle, les yeux rivés sur son carnet. Et encore une fois vous n'avez pas vingt ans, qui te dit qu'il ne se cherche pas encore ? Qu'il se pense hétéro mais que ton contact le fera réfléchir ?
-Dans quel monde ça arrive ça ?
-Le nôtre. Je veux dire, ce n'est plus comme du temps de maman. Les normes sociales ne sont plus si rigides et directives, non ? Je veux bien que ses parents soient aristocratiques, mais visiblement s'il mange avec toi c'est qu'il ne craint pas d'apparaître en public avec un garçon ouvertement gay et c'est déjà un point positif.
D'un geste machinal, Gabriel effleura le discret pins arc-en-ciel qui quittait rarement le revers de sa veste. Ça, il devait bien l'admettre et c'était certainement pour cela que des miettes d'espoir s'étaient maintenues dans son cœur le long de leur scolarité à Poudlard. Parce que, peut-être plus que n'importe qui, Hector n'avait jamais fait état de son orientation sexuelle. Alors que certains de ses camarades s'étaient éloignés, d'autres l'avaient défendu presque à outrance, Hector lui était resté égal. Comme si ça n'était rien. Comme si c'était un détail mineur de son histoire, de sa personne. Ce n'était pas de la gêne : à aucun moment il n'avait paru indisposé par sa présence. Au contraire ... Gabriel avait beau vouloir le revendiquer de toute la force de ses poumons, parfois il était agréable que l'étiquette s'efface pour ne laisser que transparaître sa personnalité. C'était cela qui devait charmer la personne face à lui, ça et rien d'autre.
-Ce n'est toujours pas parfait, il y a encore de la rigidité et des combats à mener mais je pense que le monde dans lequel on vit à présent t'autorise au moins l'espoir, acheva Aloyssia avec une grande douceur. C'est un don, gagné par des années de lutte et tu n'as pas le droit de le négliger.
Face au discours passionné de sa sœur, Gabriel sentit le poids de l'héritage faire ployer ses épaules. Il était facile d'oublier, malgré les (rares, il fallait l'admettre) insultes qu'il avait essuyées et les quelques remarques maladroites et désobligeantes qu'un jour, pouvoir aimer librement était conditionné, réprimé, criminalisé. Qu'avant de lutter face aux autres, certains avaient dû lutter contre eux-mêmes. Ça n'avait pas été le cas de Gabriel. Parfois il ne réalisait pas sa chance. Mais d'autres encore étaient entravés par un discours latent qui s'essoufflait sans disparaitre. Laissant son frère à ses réflexions, Aloyssia trempa de nouveau sa plume dans son encrier. Ses traits s'étaient légèrement crispés.
-Confidence pour confidence, je viens doucement au fait que je suis persuadée que je n'aurais pas d'enfant. Je ne suis pas faite pour ça. Ce n'est pas encore une idée très populaire, et je pense que le jour où il va le comprendre, papa sera assez triste ... mais je me sens incroyablement chanceuse de faire ce choix parce qu'il y a vingt, trente ou cinquante ans, je ne l'aurais pas eu. On m'en aurait privé, on m'aurait bourré dans le crâne qu'être mère était l'accomplissement d'une femme, que ma vie serait vide sans enfants, et toutes les sornettes qu'on sort aux femmes pour qu'elles pondent. Regarde maman.
-Maman ? s'étonna Gabriel.
Aloyssia roula des yeux.
-Ne me fais pas croire que tu ne l'as pas remarqué. Je suis intimement persuadée que si elle était née à notre époque, elle n'aurait jamais eu d'enfant.
Gabriel n'eut pas le temps de méditer les allégations de sa sœur : un grand fracas les fit tous les deux sursauter. D'un même bond qui fit trembler la table et renversa la bouteille d'encre sur les précieux calculs d'Aloyssia, ils pivotèrent vers la porte où leur mère, la main sur la poignée de bronze poli, venait de brutalement lâcher son sac sur le sol. Ses sourcils haussés agrandissaient son regard noisette et le mélange de consternation et de colère qu'il véhiculait n'en était que plus foudroyant. Gabriel sentit un couinement de souris se coincer dans sa gorge et lui broyer la trachée.
-C'est donc ce que tu penses ? lança-t-elle, les mains toujours sur la porte.
Même à une pièce d'écart, sa voix portait admirablement. Bérénice Fawley avait toujours eu de la prestance, malgré sa petite taille et son visage fait de courbe qui aurait pu être qualifié de doux, s'il n'était pas toujours aussi sérieux et mesuré. Ses cheveux cuivrés étaient tirés d'une telle façon qu'on remarquait à peine les quelques fils gris qui avaient commencés à les parsemer et son visage dépourvu de maquillage ne laissait pas la place au moindre artifice. De manière générale, leur mère haïssait tout type d'artifice. Elle avait quelque chose d'authentique et de brute à la fois, dans tous les sens du terme.
-Que je regrette de vous avoir eu ?
Tout coulait sur Aloyssia. Alors loin d'être épouvantée comme son frère, elle se contenta de secouer la tête avec un certain flegme.
-Tu as entendu le mot regret ? Non, maman. Je sais que tu nous aimes. Mais avoue-le : si tu avais eu le choix, tu ne nous aurais pas eu ...
-Aloyssia, murmura Gabriel, inquiet.
C'était de loin une idée des plus perturbantes pour eux, mais jeté à la face de sa mère ça tenait presque de la cruauté. D'ailleurs Bérénice fut loin de s'adoucir aux mots de sa fille. Au contraire, elle donna l'impression à Gabriel d'avoir avalé une coupe de poussos. Les traits crispés en une expression proche du dégoût, elle finit par refermer la porte et jeter sa cape sur leur porte-manteau magique qui l'attrapa au vol avant d'entrer dans la salle à manger pour les rejoindre. Gabriel s'efforçait de ne pas bouger d'un pouce mais il sentait son cœur se ratatiner dans sa poitrine.
-J'ai eu le choix, cingla-t-elle. J'ai eu ce temps de réflexion et tu fais bien de le souligner parce qu'effectivement, beaucoup de femmes en sont privées. Mais je n'étais pas toutes les femmes. Et je n'étais pas avec n'importe quel homme. Vous donner naissance n'était pas un choix par défaut, une sorte d'obligation que je me suis imposée parce que c'était mon devoir de femme. C'était une décision mûrement réfléchie.
Gabriel se sentit respirer plus librement à chaque mot de sa mère. Apprendre qu'ils n'avaient pas été voulu, qu'ils étaient des regrets que Bérénice trainerait toute sa vie, lui aurait brisé le cœur. Mais Aloyssia ne semblait pas convaincue par ce beau discours. Jetant un regard quelque peu dépité à ses calculs dont elle avait été si fière recouverts d'encre, elle finit par lâcher :
-Sois honnête, maman, tu as surtout pris cette décision pour faire plaisir à papa. Ce n'est pas un reproche, assura-t-elle avec douceur devant les yeux écarquillés de Bérénice. Vraiment je suis la première à te comprendre !
Sa bouche fut tordue par l'indécision, et après quelques secondes de silence elle consentit à ajouter :
-Et justement, c'est parce que je te comprends que je sais que moi à ta place j'aurais dit non. Même si on m'avait fait toutes les promesses du monde. Même partager de la meilleure des manières, ça reste un poids que je ne me sens pas de porter, une responsabilité que je suis incapable d'avoir. Et ça je pense le tenir de toi ...
-Sia ..., voulut commencer Gabriel avant de se mordre la langue pour se taire.
Pas d'utérus pas d'avis, sans doute, songea-t-il pour justifier son silence. Et pourtant sa tête bourdonnait : Dieu que c'était difficile de se taire et de rappeler à sa sœur à quel point elle était différente de leur mère. Bérénice avait toujours été entravée par son trop grand sérieux quand Aloyssia était un être lunaire qui n'aspirait qu'à rêver. Quelques soient les raisons qui auraient pu pousser leur mère à ne pas avoir d'enfants, elles étaient aussi éloignées que possible de celles d'Aloyssia.
Bérénice elle, avait un utérus et n'hésita pas à cingler :
-C'est ton choix et je le respecte, mais ne confond pas tout ma chérie. Ce n'est parce que tu me comprends que nous sommes pareilles toutes les deux. Que nous devons avoir le même cheminement de pensée.
Leur mère ne lâcha pas son aînée des yeux alors qu'elle se débarrassait de son foulard et tombait sur une chaise à leur côté. A chaque geste, la colère semblait peu à peu céder le pas à une espèce de mélancolie.
-Je dois admettre être extrêmement vexée que tu penses que je n'ai simplement que céder à ton père. Déjà parce que tu remets en doute ma volonté propre et le fait de savoir ce qui était bien pour moi. Si je ne vous avais pas souhaité, Sia, je ne vous aurais pas eu.
-Vraiment ? douta Aloyssia. Avec toutes les pressions que tu nous as raconté ? Tes parents, tes sœurs ?
-Mes sœurs sont celles qui ont rompu le charme. J'ai vu Lili craindre son fils avant de se saigner aux quatre veines pour lui. Josie est passée par toutes les couleurs avec ses enfants : la joie, l'angoisse, la douleur. Ça a été très compliqué avec Hawa. Peut-être que pendant que j'observais leurs parcours et leurs douleurs je pensais comme toi ... « Moi ? Jamais ça ». Que je n'aurais pas la force, le temps et la patience. (Elle cligna des yeux et d'un coup, d'un seul, la colère disparut). Oui, je l'ai peut-être pensé ...
-Tu vois, sourit Aloyssia, toujours sans la moindre trace d'amertume. Et quelque part tu as réussi à te convaincre que toutes les femmes le faisaient, que tu n'avais pas trouvé le bon, que tu allais changer d'avis ... Parce que tu n'avais pas totalement déconstruit cette idée qu'une femme n'existe pas sans enfant.
Bérénice secoua immédiatement la tête pour réfuter les arguments de sa fille.
-Pas du tout, ma chérie. Crois-moi je n'avais pas besoin de déconstruire quoique ce soit. Je suis quelqu'un de rationnel, peut-être à l'extrême. Je ne fonctionne pas par rapport à ce qu'on me dit de faire. Dans la famille, on a même plutôt tendance à avoir l'esprit de contradiction et je dirais même qu'il a été là, mon plus grand blocage. Je voulais donner tort à tous ceux qui disait « mais tu verras, quand tu auras tes enfants et comme toutes les femmes tu les aimerais dès qu'on les posera sur ton cœur ... ». Peut-être que quelque part je voulais prouver qu'on pouvait être femme accomplie sans avoir donné naissance.
-Mais ça aurait été renoncé à ta famille par simple orgueil, songea Gabriel à voix basse. Pas vrai ?
Un bref sourire quelque peu penaud passa sur les lèvres sa mère.
-C'était totalement ça. Et votre père a fini par le comprendre. Il m'a demandé de cesser de réfléchir en fonction des autres mais simplement en fonction de moi, de mes envies et de mes inspirations. Ça a pris du temps ... et finalement, dans la vie que je m'étais construire, l'idée d'avoir une famille m'était agréable. Après tout ma carrière était déjà lancée à pleine vitesse, notre relation était plus que solide et nous avions profité dans toutes les étapes ... Ma vie stagnait si on voulait. Fonder une famille, c'était un moyen pour moi de la relancer. De lui donner un second souffle. D'avoir de nouveaux défis. Ça peut paraître égoïste ...
-La plupart des raisons d'être mère sont égoïstes, trancha sans trop de mesure Aloyssia. Autant que celles de ne pas l'être ...
Bérénice acquiesça silencieusement en penchant sa tête sur le côté. Elle considéra quelques instants sa fille avant de replacer tendrement une mèche sur son front.
-Est-ce que j'avais des doutes sur ma capacité à être une bonne mère ? Certainement mais quelle femme n'en a pas ? Bon peut-être que j'en avais un peu plus que les autres ... mais votre père a réussi me convaincre avec un simple constat : comme il y a mille et une façon d'aimer, il y en a mille et une d'être une mère. Et je pouvais construire et choisir la maternité que je voulais, qui me correspondait. Ce n'est pas un rôle figé, il est beaucoup plus souple si on se donne les moyens de le construire ... (Un sourire amer retroussa ses lèvres). Mais j'ai choisi la mauvaise manière à tes yeux, c'est ça ?
Cette fois, Aloyssia sembla gagner par l'embarras, d'autant que leur mère ne semblait pas décider à baisser le regard. Mais ce n'était pas pour l'accabler. Quelque part, Gabriel sentait que sa sœur venait de toucher une corde sensible, une corde que leur mère préférait ignorer mais à présent qu'elle vibrait le doute commençait à poindre sur son visage.
-Non, finit-t-il par lâcher. Non, tu n'as pas choisi la mauvaise
Mère comme fille se tournèrent vers lui et il eut l'affreuse sensation d'avoir brisé leur bulle, leur moment privilégié. Mais s'il s'était exclu de la conversation précédente, cette fois elle le concernait de plein droit.
-Gabriel on a déjà parlé de ça, rappela Bérénice dans un souffle. Je suis loin d'être parfaite.
-Et personne ne l'est, je l'ai bien compris, assura-t-il, même si c'était sans doute la leçon qui avait le plus peiner à s'imposer à lui. Et même si tu n'es pas parfaite je ne pense pas que tu aies été une mauvaise mère.
Elle n'avait certes pas la grande tendresse que tante Maya, ou l'absolu maternel inconditionnel de tante Joséphine ... Bérénice avait été peut-être plus distante. Peu de geste, des marques d'affections qui parfois lui semblaient arrachées, des mots toujours mesurés. Mais son amour, elle l'avait prouvé d'une manière différente et qui aux yeux de Gabriel avait bien plus de valeur. Sans réfléchir, il lui prit la main et la serra.
-Quand je t'ai dit que j'étais gay, je tremblais de peur. Tu l'as vu, et tu n'as rien dit. Tu m'as juste prise dans tes bras en me disant que tu m'aimais. Tu ne le savais peut-être pas, mais c'était la meilleure réaction que tu pouvais avoir ...
Bérénice le contempla quelques secondes avant qu'un sourire n'effleure ses lèvres. Il était quelque peu dépité.
-J'ai bien réagi au coming-out de mon fils et je mériterai une médaille pour ça ? Allons bon ...
-Il n'y a pas que ça. Tu nous as appris une leçon fondamentale : on a le droit d'être qui on veut. Tu ne nous as jamais forcé, poussé vers une voie. Tu nous as laissé nous construire. Crois-moi je n'aurais pas voulu d'une autre mère qui aurait davantage mis le nez dans mes affaires.
-D'autres auraient perdu patiences avec moi pendant que je n'y arrivais pas en cours et que je change d'envie tous les ans pour mon avenir, enchérit Aloyssia avec un doux sourire. Alors je sais que ça te déconcerte et que tu n'acceptes qu'à moitié, mais tu me laisses parcourir mon chemin tel que je le souhaite.
-J'accepte parfaitement tes choix, réfuta Bérénice, néanmoins tellement plus circonspecte. Je suis juste inquiète ...
-Comme le serait n'importe quelle mère, je suppose. Et même si tu n'y arrives pas toujours, merci de faire ton possible pour ne pas faire peser ton stress sur moi.
-Je n'y arrive pas toujours, concéda Bérénice du bout des lèvres. Tu es tellement tête en l'air ma fille ... mais ce n'est pas maintenant alors que tu as vingt ans que je vais pouvoir t'inculquer l'art de l'organisation ?
-Non, c'est Gabriel qui a tout pris.
-C'est ça, accuse-moi, attaqua Gabriel et sa sœur détendit l'atmosphère d'un rire enjoué. Ce qu'on veut te dire, c'est que toutes les mères ont des défauts. Tu n'en as pas plus qu'une autre. Moi je te crois quand tu dis que tu n'as pas de regrets.
Parce que je suis comme toi. Ils réfléchissaient d'une manière si identique qu'il pouvait retracer pas à pas le cheminement de pensée de sa mère, de son désintérêt pour la maternité en passant pour son rejet total avant de tendre une main vers l'acceptation, puis la curiosité. Les rouages tournaient machinalement, avec une froide logique mais animés par un vrai élan du cœur. Parce que jamais il ne douterait que c'était son cœur qui influençait toutes ses bonnes décisions. Entrer au Ministère dans un domaine qui la passionnait. Epouser l'homme qu'elle avait appris à aimer contre vents et marées. Créer une famille dont elle n'avait jamais osé rêver.
Et moi ? J'aurais le courage d'écouter un jour mon cœur au lieu de l'atrophier sous des tonnes de raisonnements logiques qui entravent tout élan ?
Son questionnement résonna longtemps dans le creux de sa poitrine avant de perdre en intensité et l'écho mourut finalement. Il cherchait intérieurement à en rattraper les échos quand sa sœur se leva et referma ses travaux avec un grand sourire.
-Et si on allait au Chemin de Traverse manger une glace chez Fortarôme pour se détendre un peu ? Gabriel a les yeux tout plissés à force de chercher dans les journaux et moi j'ai la tête plein de chiffre, je vais en faire des cauchemars !
-Plein de chiffre ? s'étonna leur mère, presque choquée.
-Je t'expliquerai peut-être autour d'une bonne glace. Gabriel ?
-Euh ...
Son regard le trahit en glissant vers les grandes fenêtres ouvertes sur la rue. Il ne disait jamais non à une glace et l'idée de passer un moment privilégié avec sa mère était tentant ... mais pas autant que ce qui se préparait dans la rue. Observatrice au pire moment, Aloyssia le suivit et sa mère finit même par s'y précipiter à sa suite. Curieuses, elles ouvrirent la fenêtre pour contempler les préparatifs en bas. Les cris des forces de l'ordre dispersant les passants pour laisser le champ libre au défilé résonnèrent dans l'appartement.
-Oh, lâcha Bérénice, perplexe. Quelqu'un a vidé son stocke de Farce pour Sorcier Facétieux ? Les pavés sont tous colorés !
-C'est la Gay Pride, maman.
-La Pride tout court, les gays ne sont pas les seuls à défiler, maugréa Gabriel.
-Oh ! Donc ça me concerne aussi si je me considère aromantique ?
-Aro-quoi ? se troubla Bérénice, les sourcils froncés.
-Définitivement, on ne pourra pas en discuter devant une glace, regretta Aloyssia. La rue est bouchée ...
Les sourcils de sa mère se rejoignirent de plus belle au-dessus de son nez. Avec son regard alerte, elle considéra longuement le spectacle qui se préparait en contre-bas avant de glisser un regard vers Gabriel, dont les bras s'étaient croisés sur sa poitrine en guise de repli. Mère et fille échangèrent un regard après avoir évalué la situation et se sourirent. Pour la première fois en dix-neuf ans d'existence, Gabriel leur trouva petit air ressemblant absolument terrifiant.
-Laisse tomber la glace, Sia, claironna leur mère en caressant sa joue. J'ai un bien meilleur programme pour notre après-midi en famille ...
***
Alors? Qu'avez-vous pensé de cette premier partie?
On en est pas encore à celle qui justifie le titre, mais cette conversation avec Bérénice me tenait vraiment à coeur. A la lecture du "Et après?" j'ai senti que certain.e n'avaient pas vraiment compris, ou juste était surpris.e de sa trajectoire dans sa vie personnel et j'avais envie qu'elle puisse vous expliquer. La vérité d'une ado de 16 ans n'est plus celle d'une femme de 30 ans !
Et que pensez-vous d'Aloyssia et de Gabriel? Ce sont deux personnalités qui vous plaisent? Vous avez hâte de les retrouver dans la partie 2?
Je ne sais pas quand on se retrouve - je vais essayer d'écrire la suite le plus vite que possible, mais bon j'ai deux projets sur le feu et en ce moment je rentre tous les week-end dans le nord pour diverses raisons.
Bạn đang đọc truyện trên: Truyen247.Pro