XI
XI
Une fois rentré chez moi, mes parents exprimèrent leur joie de me revoir à travers l'excitation au sujet du mariage. Enfin, ainsi interprétai-je leur enjouement. La vie reprit un cour commun, comme si je la récupérais telle que je l'avais laissée en partant. Je recommençai à travailler pour m'occuper l'esprit. Je recommençai à compter les heures et les journées. Cette fois ci j'avais un objectif. Sur le calendrier, je voyais les croix barrer les rendez-vous et les préparations de cérémonie. Chaque matin je traçais ces deux lignes sans rien ressentir. Ni de peur ni de hâte. Je les traçais en lorgnant sur la fin du mois. Sur le jour J. Je dormais mal et mangeais peu. Je faisais des rêves sans aboutissements. Des images perdues dans l'ombre hantaient mon sommeil. Cette vie n'était pas un enfer. Elle n'était pas grand chose à vrai dire. Je me persuadais qu'avec le temps tout s'arrangerait. Je me persuadais que ces habitudes et ces aléas reprendraient leur intérêt d'entant. C'était dans cette optique que je daignais continuer.
Elle, je l'avais déjà rencontrée. Nous nous étions présentés pendant un repas luxueux. Il y avait mes parents, ses parents et peut être aussi quelques amis. Les gens riaient et s'amusaient. Sous les lumières et entre les meubles couteux, ma famille semblait conquise. Ce n'était pas mon cas. Tous ces repas, toutes ces réunions, elles me donnaient le vertige. Je n'y voyais pas de bonheur. Je n'y prenais pas de plaisir. Quant à elle, je n'étais pas capable d'assimiler son visage. Je ne la reconnaissais pas. Je la redécouvrais à chaque fois. Et je faisais de mon mieux pour ne pas la regarder, pour ne pas les écouter, pour me contenter de sourire vainement. Tout paraissait pour le mieux. Le temps passait trop vite et les préparations s'enchaînaient vertigineusement. Choisir la couleur des bouquets, essayer des costumes, visiter la salle de réception. Ces événements m'épuisaient. Ces lieux m'étourdissaient. En vérité je n'étais bien que dans la solitude de l'appartement. Et même le ciel était devenu minuscule.
Le mois finit par s'écouler. Ma plume n'avait plus d'encre pour compter les jours et trop longtemps je lorgnais sur le deux pièces noir attendant sur un porte manteau. Quelques matins je me surprenais à aller chercher le courrier et énumérer les lettres que nous recevions. Des félicitations, des réponses aux invitations, mais jamais de nouvelles de lui. Et ce n'était pas étonnant. Non, je ne devais pas m'en étonner. C'était inutile.
Puis tout s'emballa. Les nuages défilaient au dessus de nos tête. Les étoiles tournaient et s'évanouissaient. Les aiguilles reformaient inlassablement leur cercle. Malgré cet écoulement, je ne riais toujours pas. Je semblais toujours pâle. Rien n'y faisait. Enfin, sans même que j'eus le temps d'y penser vraiment, le jour du mariage arriva. Bientôt je sauterais dans un avenir dont on ne revient pas. Bientôt on me conduisit à l'église. Là je me préparai dans cette petite salle circulaire. Les feuilles d'érables couvraient la fenêtre mais je voyais tout de même les invités. Il y avait les fleurs sur la commode et le mot de mon père. Il y avait cette personne qui me demandait de sortir, de l'autre côté de la porte. Et c'est là que je finis mon voyage à travers le temps. Les souvenirs que j'avais tenté de refouler indéfiniment me revenaient en pleine face. Ils sombraient dans la panique et m'agrippaient violemment. Je les rejetai comme je pouvais, les refoulai au fond de ma conscience. Quittant la pièce, je suivis celui qui devait sûrement être mon garçon d'honneur. Je n'en savais rien. Je n'avais rien choisi. Que ce soit le blanc des roses ou ma présence en tant que futur marié. Non je n'avais rien souhaité. Pourtant ma lutte continuait. Je luttais intérieurement pour ne pas rompre cette promesse faite à ma famille. Pour ne pas leur montrer que je n'étais pas heureux.
Le garçon me laissa dans cette salle attenante à l'église même. Les murs de pierre et les fenêtres tâchées n'étouffaient ni le vent ni les voix. Leur bonheur se répercutait contre les parois. Tous paraissaient incroyablement emballés par cette union. Une union arrangée. Un mariage vide d'amour. Et entre les bruits de pas sur le carrelage, les rires et les cris d'enfants, j'entendis les notes d'un piano. Une mélodie vive et entraînante. Cependant, ce fut une autre qui atteignit mes tympans. Je ne captais plus rien. Rien d'autre que sa mélodie, ma mélodie. La douceur de ses notes. La langueur de ses sentiments. Le reflet de ses sourires. Je fermai les yeux et le flot de pensées que j'avais essayé d'enchaîner assaillit mon crâne. Je pensai à la maison bleue, seule et vide. Je pensai au piano que personne ne touchait, au lac que personne ne foulait. Je pensai à sa solitude, à ma présence inscrite partout. Je pensai à son visage sans rictus. Puis elle me vint à l'esprit. Je ne l'aimais pas. Or elle devait être si belle dans sa robe blanche. Ca aurait été normal de tomber amoureux. Ca aurait normal et merveilleux de lui mettre cette bague dorée, de la voir sourire et l'embrasser. Ca aurait le rêve de tout homme d'avoir une maison avec elle, d'avoir des enfants avec elle. Mais ces idées m'empoisonnaient l'esprit. Je compris que je ne l'aimais pas et que je ne l'aimerais jamais. Que la simplicité que tout homme choisit, que le confort de leur vie n'était pas le mien. Moi, je voguais sur des eaux tortueuses et violentes. La mer jurait de me faire avancer rudement, de me renverser et de me noyer du sel de son amertume. Voilà le chemin de ma vie. Mais j'avais basculé en déroute. Je m'étais conformé aux tracés d'autres. Et il y avait l'avenir. Il y avait l'avenir dans deux minutes. Celui où je la verrais arriver resplendissante, celui où je me voyais emprisonné au creux d'une alliance. Il y avait aussi l'avenir dans deux, trois ou dix ans. Celui où mes sœurs faisaient des études, où mes parents achetaient leur villa à la campagne tout en participant à maintes soirées mondaines. Celui où je trouvais un bon travail, où ma femme élevait nos enfants. Puis il y avait cet avenir lointain. Celui où la maison bleue retombait à l'état de cendre. Celui où notre amour finissait enfoui au cœur du lac. Aussi perdu que lui. Aussi oublié que nous l'étions et le serons. Etait-ce cela ? Etait-ce cette vie qui me faisait envie ? Mais peu importait. C'était pour ma famille, c'était mon choix. Seulement, j'imaginais mon avenir. J'imaginais le tableau magnifique et je ne m'y voyais pas. L'homme me ressemblait. Ce n'était pas moi. Ce n'était pas ce que je voulais.
Je relevai la tête et détaillai la porte boisée. Elle était la barrière me séparant du reste de ce monde. Elle était le pas entre mon passé heureux et mon avenir incertain. Je voyais le souhait de mes parents accomplis, leur fierté et leur joie. Je voyais la fille à qui je jurerais fidelité et amour. Je voyais tout. Et puis je revenais au présent. Celui où je me tenais là, dans la salle atenante. Je me tenais droit, la tête relevé, près à faire mon entrée.
Puis ce fut soudain comme une évidence. J'étais là devant ce mur. Celui qui me séparait de mon bonheur propre. Je le croyais insurmontable. De l'autre côté j'entendais l'océan. La horde humaine qui claquait le monde et causait autant la souffrance que le doute. Les obstacles ne représentaient que les gens et leur jugement. Puis, effrayé par tant de brutalité, je me concentrai pour imaginer son piano résonner en moi. Le souvenir de ses mains dans les miennes, de ses lèvres sur ma peau et de ses murmures mélodiques, remonta et apaisa la tempête. Enfin, son visage souriant alors qu'il ramait sur le lac me revint. Il illumina mon âme comme il l'avait toujours fait.
Je compris alors que rien, non rien, n'était insurmontable.
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