VI
VI
Un jour, alors que les travaux étaient quasiment achevés, je me réveillai recroquevillé sur le sofa de velours. Le salon de la maison se dévoila devant moi, les meubles et les cartons entassés un peu partout. Tandis que le crépuscule s'ajoutait au papier peint pourpre, imaginant des mélanges exotiques. Je me remis sur pieds et appelai TaeHyung. Personne ne me répondit alors je passai la porte ouverte, m'imprégnant de la chaleur estivale. Je m'appuyai contre un des piliers et l'aperçus sur le lac. Il était assis dans une barque, isolé au milieu d'un courant passif. Sa silhouette enveloppée par l'horizon ne ressemblait qu'à un dessin de cendre. Il demeura longuement ainsi, jusqu'à ce que la boule rougeâtre décline et qu'il ne se sente obligé de faire demi-tour. Il rama jusqu'à la berge et remonta la barque sur le ponton. Puis, il revint rapidement à la maison, ne croisa pas mon regard. Pourtant, il posa une main sur mon épaule. Une main qui glissa et s'évapora alors qu'il passait l'embrasure.
Ses pieds sur le plancher s'éloignèrent et je ne me remis à respirer que lorsque je ne l'entendis plus du tout. Ce soir là je partis sans dire au revoir. Je ne pris pas le bus. Je retournai en ville à pied, me fichant des étoiles et des lampadaires. J'étais obsédé par la peur naissante en ma poitrine. Une peur que je ne pouvais nommer. Lorsque j'atteignis l'hôtel, la responsable m'annonça qu'on avait appelé pour moi une dizaine de minutes plus tôt. Je lui demandais s'il s'agissait de mon père car nous étions accoutumés à ses appels fréquents. Mais elle me répondit que ce numéro était inconnu. Je décidai de rappeler et je fus subjugué en entendant la voix du seul habitant de la maison bleue, à travers le combiné.
« -TaeHyung ? Fis-je avec inquiétude. Pourquoi as-tu téléphoné ? Il y a un problème ?
-Non. Non... Aucun problème. Tu vas bien ?
-Oui ça va, répondis-je sans en être bien sûr pour autant. Et toi alors ?
-Je crois que ça va. Je voulais juste te parler. »
Ce fut ce soir là que je me rendis compte que ce garçon était tel un loup. Un animal habitué à l'éloignement et à l'impression d'être différent. Je ressentis au creux de son ton apaisé, l'envie d'être compris et accompagné. Je perçus ce souhait semblable au mien et le désir de l'exaucer parcourut mon corps faible. La ligne s'emplissait de notre soulagement à l'idée que quelqu'un nous écoutait à l'autre bout. Je dus m'asseoir contre le meuble boisé du téléphone et nous parlâmes. Nous parlâmes jusqu'à ce que mon temps de communication soit totalement épuisé. Nous parlâmes de tout et de rien parce que nous ne savions plus lequel était quoi. Nous étions perdus mais guidés par la main d'un autre aveugle. Et quoi qu'on en dise, il n'y a rien de plus rassurant que d'être compris. Non, rien.
Après cette nuit là, il n'y eut presque plus d'heure que nous ne passâmes pas ensemble. Nous terminions l'installation des meubles, nous dormions parfois à la belle étoile et quand je rentrais à l'hôtel nous recommencions à nous téléphoner pendant une éternité. Il arrivait que nous montâmes sur le balcon pour écouter la radio. La musique parfois grésillante emplissait nos oreilles calmées. Et même dans le silence, nous communiquions avec une aisance irréelle. Nous connaissions les pièces par cœur, nous recréions cette maison de nos quatre mains, nous devinions les réactions de l'autre et nous amusions à nous surprendre. Se figeant au cœur de l'espérance.
Voulant voir ces moments heureux durer toujours. Car il n'y a pas vraiment de vie heureuse. Ce n'est qu'un enchaînement d'événements regrettables et de retournements délectables. J'étais si jeune à l'époque que je n'avais encore jamais atteint l'apogée d'un de ces deux pôles opposés. Mais tous se trouvaient bien proches. Ni lui ni moi ne pouvions déjouer l'avenir. Sauf si nous le retracions nous même.
Il nous arrivait aussi de nous disputer. Rares n'étaient pas les fois où nous nous mettions en désaccord et nous agacions si fort que les oiseaux quittaient leur nid. Nous étions tous deux pourvus de caractères à vifs. C'était probablement dû à cette manie de frôler la vie de si près, de nous coller à ses aléas comme des déments et de nous confondre entre ses os et sa chair puissante. Nous avions cette ressemblance flagrante qui provoquait la différence et les tensions. Et quand nous nous disputions, plus rien n'avait de sens. Pour une teinte ou un placard, pour un mot ou pour un silence nous mêlions les cris aux gestes, puis les excuses aux soupirs. Nos prises de tête n'étaient que le résultat d'une proximité anormale, du besoin déséquilibré d'être proche l'un de l'autre. Et quand mes nerfs tendus se sentaient apaisés, la peur remontait. Une terreur paralysante et muette au plus haut point.
Un sentiment grouillant en ma poitrine, en mes poumons, en mon estomac. Un sentiment qui ne faisait que s'accroître. Oui, j'étais terrorisé.
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