III
III
Nous sommes revenus plusieurs fois au Lac perdu. Presque chaque année jusqu'à mes quinze ans, lorsque nous séjournions près de la mer, par envie de la savoir toujours là, par caprice de l'enfant que j'étais. Puis un jour, j'ai grandi et notre situation financière ne faisant que s'aggraver, nous avons arrêté toute sortie trop couteuse. A mon entrée au lycée, j'ai travaillé dur pour obtenir un dossier irréprochable et des bases solides pour avancer sûrement. Néanmoins, mes parents n'ont pas pu me payer de grande école à l'époque où cela aurait pu sauver nos coffres vides. J'ai donc du me contenter d'une petite faculté sans débouchés qui finirait par me bloquer un jour ou l'autre. Les années ont passé, mes sœurs beaucoup plus jeunes voyaient aussi leur espoir de faire de grandes études effacés. Mais nous devions faire avec. Ce n'était pas la faute de nos parents, ni de nos grands-parents, ni même la nôtre par ailleurs. Ce n'était la faute de personne.
A 22 ans j'enchaînais les petits boulots et les nuits courtes. Vivant toujours dans l'appartement familial, je faisais tout mon possible afin de gagner argent et indépendance. Mais la vie devenait rude et étouffante, je les contemplais chaque jour, grisés et grisant, déteignant sur les murs et le plafond. C'était comme sans espoir. Alors un jour, j'ai pris la décision du changement. Je n'avais ni le temps ni l'argent nécessaire, le contexte ne me le permettait absolument pas et pourtant, je me suis rendu auprès de mon père et je lui ai dit qu'il était temps que je fasse quelque chose. Quelque chose de concret et d'innovant. Quelque chose qui pourrait marquer un cap au fond de moi-même. Je voulais y retourner, reprendre la route, retrouver la ville d'entant et vérifier si elle était toujours souveraine. Si la maison blanche se dressait encore là-bas, reine de son lac abandonné.
J'y suis donc allé. J'ai chargé mon sac, usé mes maigres économies pour réserver un hôtel de la ville et les trajets de bus. Mes parents, l'air un peu trop sombre, un brin mystérieux dans le regard, ont donné leur consentement sans rien dire de plus. J'arpentai déjà les routes, le corps battant et les yeux couvant les décors. Les lieux n'avaient presque pas changé. Peut être les couleurs semblaient-elles moins blanches et les enfants plus grands. Cependant je gardais dans le coin de l'âme une impression de bulle, un endroit comme nulle part ailleurs, un endroit coupé du reste. Une fois installé dans les locaux vieillots mais charmants, j'embarquai mon sac à dos et me contentai de vêtements légers pour la saison chaude. Il n'y avait pas de bus pour se rendre jusqu'au bord de mer que je connaissais, ni même dans les routes détournées qui me paraissaient miennes, j'acceptai donc de m'arrêter à un kilomètres de la destination, pour ainsi finir le trajet à pieds. Le soleil brillait, les branches étaient garnies et le bruit de mes pieds rencontrant les gravillons sonnait avec satisfaction. Concentré sur les plaines et les terrains vagues, captivé par les falaises lointaines, je faillis manquer le panneau. Lui, n'avait pas changé, toujours là, toujours discret.
Là, je remontai la route, j'émergeai des arches faites de feuilles et de fleurs pour déboucher près du lac. Il rayonnait comme avant. Je souris en plissant les yeux face à ces deux soleils si puissants. Je grimpai la côte à la force de mes jambes ravies, tournai l'ultime virage et ouvrai la bouche de stupéfaction. Devant moi, juste de l'autre côté du portail anciennement rouillé, m'attendait-elle. Mais ce n'était plus la même. Elle n'était plus une ruine comme dans mes souvenirs. Elle semblait redressée et agrandie ; illuminée et illuminante. Ce n'était qu'à moitié vrai. Néanmoins, j'étais persuadé d'une chose, quelqu'un était en train de la rénover. Le cœur emballé et le souffle court, je passai le portail et m'approchai dans son vaste jardin entouré d'arbres pleureurs et de ciel. Des marches permettaient de monter sur la terrasse et des colonnes surplombaient le petite porte. Sa couverture bleue n'était pas entièrement repeinte, comme une poupée recousue çà et là, mais pas neuve pour autant. Je m'arrêtai et restai planté à quelques pas de son corps accueillant. Jamais je ne l'avais approché de si près et d'un coup, à presque pénétrer ses murs, je comprenais que j'avais été appelé vers elle. Que mon désir d'y retourner n'était pas factice mais purement fondé d'un instinct infaillible. Bien que l'idée fut stupide je croyais qu'elle m'avait appelé, qu'elle m'avait demandé de venir constater le changement de mes propres yeux.
Dans mon dos, me parvenaient les doux cris des oies sauvages, volant au dessus du lac silencieux. Je fermai les paupières une seconde puis les ouvris à nouveau sur la porte d'entrée. La tentation parcourut vivement mon corps statufié, pourtant, avant que je ne puisse faire quoi que ce soit, une voix s'éleva depuis le balcon.
« -Bonjour. »
Je relevai la tête d'un sursaut puis croisai le regard d'un jeune homme. Accoudé au rebord en bois blanc, il se penchait pour mieux m'observer. Ses iris me scrutaient avec amusement, sa peau était parfois couverte de tâches de peinture et sa bouche formait un rictus léger. D'une voix sourde et aigue comparée à la sienne je répétai la politesse. L'homme resserra les gants sales qu'il tenait entre ses doigts et demanda :
« -Tu veux quelque chose ? »
Ne sachant pas vraiment quoi répondre, je posai mes mains sur les lanières du sac à dos et haussai les épaules, un sourire mal à l'aise collé au visage. Soudain, l'individu fit demi-tour et quitta le balcon, j'hésitai à le rappeler, indigné, quand il passa la porte une minute plus tard. Dévalant les marches et s'approchant d'un pas rapide, il me tendit la main.
« -Ne t'inquiète pas, elles sont propre.»
Un sourire incroyable vint illuminer son visage alors que je me saisissais de sa grande main, un peu hésitant, un peu ébloui.
« -Je m'appelle JungKook, lançai-je d'une maladresse sans nom.
-Moi TaeHyung. »
Il répondait avec une fougue et une vitesse impressionnante. Puis il vint se poster à mes côtés et nous regardâmes ensemble l'oeuvre architecturale qu'était la maison bleue. Nous la regardâmes et sur le coup je ne compris pas qu'elle ne m'avait pas fait venir pour la voir elle.
Mais pour le voir lui.
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