Anthony était quelqu'un que Carl détestait.
C'était un garçon grand, fort, avec des yeux d'un marron virant presque au noir et des cheveux bruns coupés très court. Il était retors, aimait les bagarres, le sexe, montrer qu'il était meilleur que les autres, fumer, les jeux vidéos et surtout, c'était quelqu'un de profondément homophobe.
Bref, c'était le grand frère de Carl.

Ils ne s'aimaient pas. C'était d'abord Carl qui détestait Anthony, pour sa façon de penser, son mépris envers les autres et surtout, surtout, pour sa façon de traiter Adrien, avec ses 'pleure pas' et ses 'pédé' et ses 'fillette'.
Au début Carl admirait beaucoup son grand frère. Il était fort, il jouait au foot, les parents étaient fiers de lui. Il collait Anthony et cherchait par tous les moyens à ce que son frère le remarque.
Ce fut à ses 7 ans que Carl commença à pincer délicatement le voile devant ses yeux afin de l'abaisser, lorsqu'il vit son frère organiser des fêtes chez eux, lorsqu'il vit son frère abandonner ses amis quand ces derniers avaient besoin de lui, lorsqu'il vit son frère voler son père, lorsqu'il vit son frère taper un enfant, et surtout lorsqu'il vit, comme déconnecté de son propre corps, impuissant, son frère le taper lui.

Ironiquement, ce fut lorsque Carl se mit à le détester qu'Anthony s'intéressa à lui.

Adrien quand à lui ne détestait pas Anthony. Déjà, il tolérait tout ce qui se rapprochait de près ou de loin de Carl, et puis le blond était si détaché et rêveur, qu'Anthony était le cadet de ses soucis, et que les menaces à son égard ne trainaient dans ses pensées qu'un bref instant, le temps qu'il tourne la tête et voie Carl.

Les amis d'Adrien et Carl, qui répondaient aux noms de Dylan, Maël, Kylian et Ézéchiel, n'appréciaient pas particulièrement Anthony non plus.

Mais a ce moment de notre histoire, nos deux protagonistes ne pensaient pas du tout à ce personnage.

Le lendemain de leur mise en couple, ce fut tout naturellement qu'Adrien et Carl se rendirent en cours, main dans la main. Ça ne choqua personne, les deux étant assez tactiles entre eux, mais ce fut durant la pause déjeuner qu'ils provoquèrent une réaction chez leurs amis. Cela commença très simplement, aussi simplement qu'un déjeuner entre amis peut commencer. Il étaient tout les six assis sur les bancs du parc le plus proche, où se rendaient la plupart des étudiants pour manger, discuter, ou réviser.

- T'as pris quoi d'ja ? demandait Kylian à Ézéchiel.

Kylian était un métis à la peau café au lait, qui possédait des yeux de biche marron clair avec de grands cils noirs recourbés, surmontés d'une tignasse crépue couleur jais. Il aimait blaguer, et plaisantait toujours, même dans les pires moments. On aurait pu croire qu'il se fichait de tout, mais en fait c'était une façon de se protéger, comme si rire pouvait tout résoudre, comme si rire pouvait tout, même désamorcer une bombe. Il riait souvent ; parce qu'il était heureux, parce qu'il était triste et qu'il ne voulait pas que ça se sache. C'était pour ça que Kylian était quelqu'un de très secret, malgré ses grands éclats de rire et ses yeux enjoués. Un ami qu'il était difficile de percer à jour.

Ézéchiel, lui, était un artiste. Il dessinait, mais jamais en couleurs, seulement au fusain ou au crayon. Il disait que tout était une question d'ombres, en dessin comme dans la réalité. C'était un garçon un peu spécial, qui parlait tout seul pour se concentrer et qui ne croyait pas aux fantômes, puisque sa mère était morte et qu'il disait que s'il y avait la moindre chance qu'elle puisse venir le voir, elle l'aurait fait depuis longtemps. On aurait pu le croire froid ou impassible, mais il réfléchissait souvent (c'était quelqu'un de très intelligent).
Pour dessiner, il avait toujours besoin d'une muse : en ce moment, elle s'appelait Adam et inspirait toutes ses œuvres.
Ézéchiel avait des cheveux noirs un peu emmêlés qui lui tombait jusqu'à la nuque. Il avait un teint pâle et le nez droit, et s'habillait avec des tee-shirts trois fois trop grands pour lui.

- De la salade, répondit Ézéchiel.

- Ézé ! T'es sérieux, on va manger un burger et tu prends une salade ? s'indigna Dylan.

Dylan était un garçon bien bâti, avec des cheveux châtain et des yeux marron. C'était quelqu'un de très loyal, qui cherchait toujours à s'expliquer avant de possiblement provoquer un combat. En revanche, si on l'énervait, il se montrait sans pitié. C'était un ami en or, toujours présent pour dépanner ou servir de confident. Il pouvait sembler méchant, mais si on le connaissait, on se rendait vite compte qu'il n'aimait pas se battre. Il avait tant souffert des coups qu'en reproduire sur d'autres lui donnait la nausée. Il aimait les histoires fantastiques, le basket, et surtout manger ! Il avait une carrure à conserver après tout !

- Elle était super belle, se justifia Ézéchiel.

Kylian éclata de rire.

- Tiens, j'ai trouvé ta magnifique salade ! pouffa-t-il en tendant le paquet cartonné à son ami. T'as pris quoi Dylan ?

- Burger, fit l'autre.

- Évidemment, se moqua Maël.

Maël était noir de la tête aux pieds, et il trouvait ça génial, parce que ça prouvait à son "enculé de beau-père" qu'il était pas de lui, et ça le rendait incroyablement fier. La mère de Maël, Fatima, était africaine, et avait eu Maël avec son père, africain lui aussi. Quand le père de Maël était retourné en Afrique, Maël l'avait très mal pris ; mais plus encore quand sa mère se remaria avec Paul, un homme d'affaires toujours occupé, plutôt riche. Maël était persuadé que sa mère avait épousé Paul seulement pour son argent : théorie qui se tenait, pourtant Maël adorait sa mère. Il savait qu'elle avait fait du mieux qu'elle pouvait, toute sa vie, rien que pour lui, et si les hommes étaient des connards, il devait seulement être un peu moins connard que les autres. Pour sa mère. Et donc, il haïssait son beau père qui ne s'occupait jamais de Fatima, et lui faisait bien comprendre. Comme il se plaisait à le dire : "de toutes façons, cet enculé ne pense qu'à baiser ma mère. Et bien je suis là pour lui rappeler, chaque jour quand il voit ma tronche, que c'est mort !" C'était une personne très penchée sarcasme, qui se battait chaque jour pour l'égalité raciale dans le monde. Le mouvement Black Lives Matter était son occupation principale. Il avait des yeux en amandes d'une belle couleur orangée, était plutôt petit pour son âge, et avait un nez rond qui faisait fondre le plupart des profs ainsi qu'une ribambelle d'anneaux à l'oreille gauche qui faisait rager son beau-père. On aurait pu dire que Maël était un diable derrière un visage d'ange, en gros.

- Oh, ça va. Et vous, Carl, Adrien ? fit Dylan.

- Hamburger, répondit Carl.

- Nuggets, sourit Adrien.

- Okay, pour moi hamburger aussi... Pour Maël, le truc le plus dégueu de l'univers, j'ai nommé la sauce barbecue... plaisanta Kylian avec une moue dégoutée.

- Nan mais n'importe quoi, se hérissa Maël en lui arrachant le petit sachet des mains. C'est grave bon, la sauce barbecue.

- C'est infect, fit Kylian, faussement flegmatique.

- T'es un petit connard. Mange tes frites !

- Adri', je peux ? demanda Carl.

Les autres jetèrent un coup d'œil aux deux amis, peu intéressés par leur discussion.

- Bien sûr, dit Adrien avant de pencher la tête pour se laisser embrasser.

- Mais bordel, lâche la bouche d'Adri ! s'écria Dylan, stupéfait.

- Il m'a dit oui, se justifia Carl en se reculant un peu.

- Mais nan, vous sortez ensemble ? émit Kylian, les yeux ronds.

- Oui, dit simplement Adrien.

- Tellement étonnant, ironisa Maël. Oh, pitié, continua-t-il devant l'expression éberluée de Dylan, ils sont tout le temps en train de se câliner !

- Oui mais en tant que potes !

- Et bah plus maintenant !

- Vous êtes beau, l'un à côté de l'autre. Je dois vous dessiner. Un jour... Après Adam, décida Ézéchiel.

- Jsuis choqué en vrai, s'esclaffa Kylian. Mais bonne chance pour la suite !

- C'était sûr que vous finiriez ensemble, fit Maël, une lueur de fierté dans ses yeux miel.

- Bah ouais, bonne chance, commenta Dylan avec un grand sourire.

- Mmh, approuva Ézéchiel.

Ce que les deux amoureux ne savaient pas, c'est qu'ils allaient en effet avoir besoin de chance.