C'est dans les vieux sofas qu'on raconte les meilleurs secrets.
Hyunjin était resté sans voix un très long moment. Il avait eu le temps d'observer Félix sortir de l'espace sans un regard en arrière avant que les portes ne se referment devant ses yeux exorbités. Les portes fermées semblaient venir cloisonner ses sentiments autant que son esprit comme mettant un stop unilatéral à une relation qu'il aurait voulu éternelle sans pour autant jamais lui avoir donné sa chance ni réussir à un jour pleinement s'en saisir. Jisung l'avait pourtant prévenu. Félix ne l'attendrait pas éternellement, c'était une évidence.
Alors pourquoi lui en voulait-il autant ? Pourquoi s'en voulait-il autant ?
Ce qui le blessait le plus c'était qu'il savait cet alpha bon et pur dans ses intentions. Il le connaissait bien et ce dernier avait toujours fourni un travail de qualité en plus de services irréprochables. Il était poli, productif, instruit et serviable. Il était du genre à vouloir d'une famille stable et de la chérir quoi qu'il lui en coûte. Hyunjin ne pouvait même pas le haïr...
C'était le plus difficile, il n'avait absolument rien à reprocher à cet alpha... Même lui devait admettre que son odeur était attirante et que sa manière d'être faisait de lui quelqu'un d'attractif. A sa connaissance, il avait perdu sa première compagne et était resté célibataire depuis avant de craquer pour Félix... Pour autant, même en sachant tout cela, sa jalousie grignotait tout de sa rationalité. La vérité c'est qu'Hyunjin ne pouvait pas l'imaginer, il ne pouvait même pas l'envisager un instant. Rien que de penser ses mains étreindre son oméga le rendait fou d'une possessivité qu'il savait mal placée et qui pourtant le rongeait tout entier. C'était impossible... tout bonnement impossible.
Félix était à lui, n'est-ce pas... ? N'est-ce pas...
–
- Alors ?
- Alors quoi ?
Les deux garçons explosèrent d'un rire confortable et complice à moitié avachis sur un sofa miteux en haut d'un rooftop pourtant luxueux. Ce dernier avait été le délicieux témoin d'années entières d'une amitié qui jamais ne s'était tarie. Ça avait été leur premier achat, ou plutôt, le premier canapé trouvé dans la rue. Le premier "vrai truc" ensemble. Le premier d'une longue série de récupération nocturne alors qu'ils s'étaient mis en colocation de manière totalement bancale et précipitée.
Ça avait été après qu'Hyunjin ai dit non pour la première fois de sa vie à ses parents.
Ces derniers lui avaient pourtant déjà construit une carrière toute tracée. Un destin bien confortable, tout en lignes légères et bien droites... Cependant, cela faisait déjà des années qu'il travaillait en secret sur leur projet avant que celui-ci ne voit le jour quelques mois plus tard.
L'idée de deux garçons ambitieux était finalement devenue celle d'une vie et "Joha joha society" avait vu le jour. C'est d'ailleurs après une malencontreuse tâche de café glacé sur un pull hors de prix qu'Hyunjin avait réussi à chiper avant de déserter le domicile familial que le nom original de leur société de communication était né. Les deux garçons en avaient rit des années entières et cela était devenu un running gag garant de leur complicité, jusqu'à faire du nom de leur entreprise une ode à leurs sentiments respectifs.
Il ne s'agissait pas ici que de café. Il s'agissait d'eux, de leurs chamailleries incessantes, de la manière désastreuse qu'ils avaient de s'annoncer les choses qui faisaient mal ou de rire ensemble jusqu'à en pleurer des choses qui faisaient du bien. Cela concernait la manière dont Hyunjin aurait détruit des êtres entiers pour protéger Jisung ou encore le fait que ce dernier aurait pu brûler villes et villages si cela lui avait permis de le rendre heureux. Les deux hommes étaient peut-être opposés en bien des aspects, mais leur amour réciproque demeurait la seule variable incontestable de leur vie et rien ni personne n'aurait pu ébranler cette vérité.
Jisung regarda Hyunjin avec affection. Le soleil orangé de la ville se couchait dans ses cheveux d'ébènes alors qu'il portait pour la énième fois de la soirée une nouvelle bière à ses lèvres. Jisung décala son visage du dossier pour la coller tout contre son épaule et Hyunjin, de manière familière, comme une habitude bien ancrée, s'enfonça davantage dans le canapé, lui laissant tout l'espace nécessaire pour s'installer. L'epsilon savoura le contact de son frère et en silence ils observèrent l'horizon citadin qui se déployait devant leurs yeux.
Quelques klaxons étouffés par la hauteur de la bâtisse, couplés aux ambulances, leurs rappelaient qu'ils étaient en hyper centre-ville d'une mégalopole et pourtant, ils se sentaient seuls au monde, intouchables. À ce moment précis, comme toujours lorsqu'ils étaient ensemble, ils étaient les rois du monde, le leur.
Hyunjin senti l'appui et le souffle de Jisung qui se fit plus lourd que ses précédents et d'un geste doux, il déposa sa main sur son genou en contemplant la pointe d'un building lointain.
- Dis-moi.
- Tu sais déjà...
- Alors redis-le. Je serais toujours là pour écouter tout ce que tu as à me dire. Toujours là pour t'entendre me répéter ce que je sais déjà. Je veux te l'entendre dire jusqu'à ce que tu te sentes mieux. Je veux que tu le répètes jusqu'au moment où ça deviendra moins lourd à porter pour toi.
- Je me sens seul, je me sens tellement seul que parfois, ça m'empêche de respirer.
Hyunjin inspira profondément. Bien sûr qu'il savait. Ça avait toujours été la même chose depuis le premier jour où il avait connu Jisung, mais comment aurait-il pu l'en blâmer ? Lui-même continuait de lui répéter qu'après avoir perdu ses parents une première fois, il avait une peur viscérale de les perdre une seconde fois, probablement la dernière avant la rupture définitive. Cette idée l'obsédait littéralement, notamment car il savait cela possible, surtout s'il leur annonçait qu'il s'était entiché d'un fils d'agriculteurs...
Certaines de nos blessures demeurent si profondes et fondatrices qu'elles nous accompagnent jusqu'au bout de notre chemin. L'essentiel reste de trouver des êtres pour tenter de les comprendre et si possible, de les porter avec nous. À ce moment-là, Hyunjin avait envie d'être définitivement cette personne pour Jisung.
Comme le premier jour, Hyunjin le voyait tel qu'il était, bien loin derrière ses allures d'homme d'affaires un peu étrange, Jisung était surtout un homme blessé, totalement esseulé. Si habitué à sa seule présence qu'il en devenait aussi malheureux que savoureusement prisonnier. Comme une prison dorée.
Foncièrement, il savait qu'il n'y pouvait rien et pourtant, Hyunjin aurait pu tout tenter pour le voir sourire, pour le faire se sentir compris, profondément, intensément. Pourquoi certaines personnes se sentaient-elles toujours profondément seules en étant pourtant si entourées ? Il ne pouvait le dire, mais ça avait toujours été le cas de Jisung. Hyunjin ne le prenait pas personnellement, jamais. Il savait que cet état de fait était bien au-dessus de lui ou de tout ce qu'il représentait. Alors silencieusement, il le laissa s'épancher encore sur le même sujet, celui qui le blessait tant qu'il s'enfermait lui-même dans sa solitude. Celui qui le rongeait tant qu'il finissait toujours par en perdre le sommeil, lui dévorant ses nuits et plus que tout, ses songes.
- Qui voudrait qu'un alpha qui ne veut pas créer de famille ? Qui voudrait d'un alpha comme moi ?
- Avec une telle carrière, un visage pareil et un sens aussi aigu de la propreté et du confort ? T'as raison Jisung, vraiment personne !
Son ami lui tapa dans les côtes avant de repositionner sa tête en souriant. Hyunjin, lui, ria plus franchement. Le sourire de son ami était maigre, mais il avait au moins le mérite d'être là. Avec douceur, l'epsilon s'avança vers le tourret qui faisait office de table basse que l'alpha avait lui-même poncé puis peint après que Jisung ait redressé sa tête sur le dossier tout mou du sofa. Hyunjin déposa alors rapidement sa bière avant d'attraper la bouteille de cette piquette affreusement acide qu'ils avaient toujours bu en de telles circonstances.
Il s'était retourné vers Jisung et d'un regard, ils s'étaient souris. Il était bien l'heure d'ouvrir cette monstruosité. Les gérants en avaient bien besoin au vu de la tournure de la conversation qui s'annonçait entre-eux.
Hyunjin remplit deux verres généreux du liquide si rouge qu'il semblait noir. A vrai dire, même la texture laissait penser qu'elle pouvait tuer n'importe quel être humain et pourtant, ensemble, ils trinquèrent, complices.
- À ta solitude.
- À Félix.
Hyunjin s'étouffa à moitié avec sa boisson. Mi-hilare, mi-gêné de la délicatesse toujours absente dans les paroles de son meilleur ami.
- Comme ça, direct, sans prévention ni rien ?
- Comme ça, aussi sec que ce vin !
Ils se sourirent de nouveau avec affection et Hyunjin se rassit avec plus de fracas dans le canapé duveteux en soufflant exagérément. Ses cheveux lui retombèrent devant les yeux et il les balaya d'un geste qui trahissait son irritation autant que son trouble. Jisung l'observa à son tour en souriant, faisant tournoyer le liquide dans son verre.
- Donc ?
- Je ne suis pas assez bourré pour ça...
- Arrêtons deux minutes de faire semblant Hyunjin s'il te plait, ça commence à faire longtemps maintenant qu'on tourne autour du pot, j'ai déjà essayé d'embrayer le sujet mais tu te fermes à chaque fois et... Félix est aussi mon ami tu sais. Je crois que t'es en train de passer à côté de beaucoup et qu'il commence à se faire à l'idée que ça sera probablement jamais possible entre vous... Alors que.. Ça l'est, n'est-ce pas ?
Hyunjin hocha la tête en signe d'approbation avant d'avaler une longue gorgée aigre du vin qui brûla sa trachée. L'admettre à voix haute était encore trop difficile.
Être avec Félix voulait peut-être dire renoncer une deuxième fois à une famille qui, certes, demeurait dysfonctionnelle, mais qui restait la sienne. Sans trop savoir pourquoi, cette idée le terrorisait. Peut-être parce qu'il avait toujours vu Jisung seul, avalé par ses tourments, sans aucun contact avec les siens ni avec qui que ce soit si ce n'est lui. Alors peut-être que d'une certaine manière, Hyunjin s'était désespérément accroché à ce semblant familial, à ces relations d'une nuit qui ne laissaient rien d'autre que du vide, à ces odeurs toutes plus sucrés les unes que les autres alors que lui ne cherchait que celle délicate de son muguet.
Il n'avait jamais été aussi courageux que Jisung et l'idée même de l'être le terrifiait profondément. C'est ce qu'il admirait le plus chez son ami, sa capacité à être lui-même, même s'il en souffrait. Hyunjin soupira une énième fois, frustré au possible.
- La dernière fois on était dans l'ascenseur et je sais pas... Pour faire court, j'ai merdé. Il m'a dit que j'étais qu'un lâche.
- Je sais.
- Quoi ??
Hyunjin se retourna vers son ami alors que le soleil avait fini de se coucher. Ses yeux étaient exorbités et il semblait interloqué que son meilleur ami puisse déjà être au courant.
- Je sais déjà que t'es un lâche, tu m'apprends rien Hwang !
Hyunjin frappa à son tour son ami dans les côtes, mais avant que ce dernier ne puisse exploser du rire qui avait déjà pris naissance sur ses lèvres, le verre rempli de l'alpha tomba sur le sol en béton trempé du toit terrasse de ce dernier, laissant un silence lourd mêlé d'une tension nouvelle, tout autant que coutumière entre les deux amis. Hyunjin put sentir l'odeur caractéristique vanillé de son ami monter dans les airs à cause de son irritation avant d'immédiatement redescendre et s'adoucir. Après tout, un jet d'eau et se serait réglé. Jisung essayait de s'en persuader et à vrai dire, cela fonctionnait plutôt bien. Face à cette constatation, l'alpha se sentit tout à coup fier de lui et ses lèvres se mirent immédiatement à sourire, suivies de celles d'Hyunjin. Lui aussi était fier, bon dieu qu'il l'était...
Les troubles compulsifs de son meilleur ami semblaient presque totalement derrière lui après des années à l'avoir accompagné, comme une vilaine ombre qui ne présageait jamais rien de très positif. Hyunjin fut d'autant plus heureux de constater que même après quelques minutes, son frère ne se jeta pas sur une quelconque serpillière pour éponger un liquide qui avait, de toute manière, déjà fini de salir le sol.
- Ça va ?
- Oui c'est bon t'inquiètes. En fait, et je sais pas pourquoi..., je crois que ça va plutôt bien.
Jisung sourit pour lui-même et Hyunjin lui tapa derrière le crâne en un geste affectif, heureux au possible avant que Jisung ne reprenne ses esprits.
- Déjà, AIE ! Et ne change pas de sujet toi ! T'étais en train de m'expliquer que t'as ENCORE merdé avec Félix.
Hyunjin souffla d'un air dramatique bien que sérieux avant de s'allonger sans trop de délicatesse sur le canapé. Il déposa sa tête sur les cuisses de son ami avant que ce dernier ne vienne lui caresser avec douceur les cheveux, comme dans un geste d'apaisement. Il savait que malgré leurs plaisanteries cette conversation ne serait pas aisée.
- Je ne sais pas ce que je veux Jisung, je suis perdu.
- Ou alors tu le sais justement que trop bien et t'as peur de ce que ça pourrait impliquer.
Les yeux d'Hyunjin étaient fixés vers le ciel et ce dernier, de manière presque imperceptible, sentit ses épaules se détendre sans même avoir eu la conscience qu'elles étaient si tendues. Il se sentait déjà plus léger et alors qu'il en prenait conscience, il sourit pour le ciel, pour Jisung et pour tout ce qu'il représentait dans sa vie. Son double, sa certitude, son tout.
Qu'il était agréable d'être compris à ce point, d'être écouté et non seulement entendu.
Une pensée vivace traversa alors l'esprit de l'epsilon et ce dernier se demanda si Jisung se sentait autant écouté en sa présence. Durant ce même instant, l'alpha lui caressa de nouveau la racine des cheveux en un geste lent et habituel. Ses yeux observaient à son tour le ciel sans étoiles de Séoul et tous les doutes de l'epsilon s'envolèrent en voyant ses pupilles dilatées par le bonheur. Probablement qu'il ne se sentait pas autant compris que lui pouvait l'être à ses côtés, mais Hyunjin était au moins sûr que son ami se savait aimé, et finalement c'est tout ce qui comptait pour lui. Alors, avec plus d'assurance, il continua son discours tout en essayant de rebondir quant aux vérités que lui communiquaient son meilleur ami.
- Je crois que..
Un silence se fit durant plusieurs dizaines de secondes où Jisung attendit une réponse avant qu'il ne le pousse doucement vers les confessions qui devaient être enfin formulées, et à voix haute. Leur symbolique était bien trop importante pour qu'il ne le laisse reculer une fois de plus.
- Dis moi tout Hyunjin, dis moi ce que tu ne te dis pas.
- Je suis amoureux de lui Jisung...
- Mais encore ?
- Comment ça ?
- Je sais déjà que tu es amoureux de lui Hyun' et probablement que lui aussi... Alors qu'est-ce que tu vas faire maintenant ? Qu'est-ce que tu vas faire pour le conquérir, pour le lui prouver ? Félix t'attend depuis trois ans et après avoir discuté avec lui dernièrement, si tu crois qu'il va te laisser lui grimper dessus comme tes petits plans habituels, tu te plantes complètement !
- Jisung !
- Fais pas l'offusqué, c'est la vérité... j'y suis pour rien !
Les deux amis explosèrent de rire plus franchement et la voix grave des deux hommes raisonnèrent dans les rues de la ville comme un écho délicieux prédisant leurs prochaines fourberies.
- Tu te rappelles de l'abruti du premier étage ?
- Le gars en info ?
- OUI, lui !
- Je te ferai remarquer qu'il fait partie de ton département Han.
- C'est pas moi qui fournis l'intelligence et le bon sens ! Je l'ai pris pour ses capacités pro pas pour ses skills sociaux Hwang. Putain sur ce coup là t'as vraiment pas brillé ! Il était bête à manger du foin le pauvre.
Hyunjin trouvait les mots de Jisung terriblement sévères, et pourtant, il ne pouvait s'empêcher d'acquiescer en riant encore plus fort qu'auparavant. Son ventre lui faisait mal et il était maintenant à moitié plié en deux en tapant lourdement dans ses mains. Jisung le suivait de peu, les larmes aux yeux et les zygomatiques douloureux.
- C'était même pas un bon coup.
- C'est ça le pire putain ! Tu nous auras tout fait je te jure !
Les deux amis rirent encore de longues minutes en se remémorant leurs expériences foireuses mutuelles avant de finalement regagner un silence confortable, de ceux que seuls les véritables amis étaient capables d'entretenir. De ceux qui mettaient à l'aise, peu importe leur durée.''
- Je vais me bouger Jisung, je vais lui dire.
- Lui dire ?
- Mh.. Non, t'as raison, je vais lui prouver. Je vais lui prouver que je veux vraiment être avec lui. Merci Ji', merci de ne jamais m'avoir abandonné...
Jisung sourit d'un rictus sincère en observant le ciel mi noir mi orangé teinté par les lumières intenses de la ville. Il serra plus intensément ses doigts sur la chevelure de son ami afin de lui témoigner son amour réciproque bien que silencieux avant de reprendre ses mouvements lascifs.
L'abandonner ? Le laisser aurait été s'abandonner lui-même. Hyunjin était sa vie, son ombre autant que sa lumière, sa lune autant que son soleil et aujourd'hui, il n'avait jamais été si fière de son frère.
Ô que oui il l'était, terriblement.
--
Comme si j'allais vous sortir une histoire sans amitié... mdr vous y avez cru n'est-ce pas ?
Ps perso : je sais que tu passeras jamais par ici, alors comme Jisung, dans le silence de ce que tu ne sauras jamais, je te le dis : je t'aime Léa, merci de ne m'avoir jamais abandonné moi aussi.
Bạn đang đọc truyện trên: Truyen247.Pro