Je n'eus pas même le temps de réfléchir à un plan d'évasion, car on venait déjà me chercher.

Deux tritons armés me firent signe de les rejoindre dans l'eau, ce que je fis sans hésiter, car leurs armes étaient pointées sur moi à travers la paroi d'eau.

Ma queue de poisson n'étant pas très pratique en lieu sec, je dus me hisser à la force de mes bras pour pouvoir passer le mur magique. Sensation étrange de se laisser couler dans une étendue liquide verticale...

Je me retrouvai donc de nouveau dans l'eau. Je n'avais plus les yeux bandés, mais il n'y avait pas grand-chose à voir par ici. C'était sombre et vide. . Je distinguais seulement,avec difficulté, des grandes parois de roches, de toutes parts, et très peu devégétation. 

On me fit rapidement pénétrer dans une grotte en forme de couloir qui s'éclairait au fur et à mesure de notre avancée. J'avais l'impression que la lumière provenait de petites plantes accrochées aux parois, mais on ne me laissa pas le temps de regarder de plus près.

Bientôt, je pénétrai dans une pièce qui, contrairement au couloir, valait le détour. C'était une grotte gigantesque, mais dont l'agencement et les parois faisaient penser réellement à une pièce de palais. Je ne savais pas trop d'où venait la lumière, mais on y voyait assez clairement. Il y avait des statues un peu partout de différentes formes : sirènes, tritons, mais aussi animaux marins, ainsi que des sculptures à même les parois rocheuses, le tout incrusté d'or et de pierres précieuses scintillant de toutes les couleurs. Des plantes ornaient également la pièce, des décorations et architectures particulières, ainsi que des meubles et bibelots insolites dont je ne parvenais pas à saisir l'utilité, couverts également d'or et de pierres précieuses.

La découverte d'un tel lieu, au fin fond de l'océan, avec la présence de ces êtres fantastiques dont je faisais maintenant partie, aurait dû me procurer une émotion sans nom... mais l'émerveillement resta coincé en travers de ma gorge nouée par l'appréhension.

On me poussa plus loin dans la salle dont je ne voyais pas le bout, et je remarquai un gros bloc de pierre dorée, comme une sorte d'estrade, où se tenait une sirène à la stature impressionnante, assise sur ce qui ressemblait fort à un trône. Si je n'avais pas eu ma queue de poisson à la place de mes jambes à ce moment, j'aurais utilisé l'expression être dans mes petits souliers pour décrire l'effet que me faisait cette sirène visiblement royale, vu l'espèce de couronne dorée qu'elle avait sur la tête.

A sa droite se tenait la sirène qui m'avait trouvée, et à sa gauche plusieurs autres tritons et sirènes qui paraissaient plus anciens. Ils avaient tous des cheveux longs et des queues de différentes couleurs. Ils se tenaient bien droits, comme si leur vie en dépendait, et leurs visages diaphanes étaient tirés, inquiets.

Comme le silence s'éternisait, j'en conclus qu'ils devaient débattre mentalement entre eux. Leurs regards mobiles et expressifs, contrairement à leurs corps qui ne bougeaient quasiment pas, me confortaient dans cette idée. Ce n'était pas très rassurant, car je n'avais pas été interrogée du tout.

Soudain, la grande sirène couronnée s'approcha de moi en me fixant dans les yeux avec un air grave et supérieur. Elle essayait visiblement de m'intimider, et ça fonctionnait malheureusement plutôt bien.

Sa taille faisait bien une fois et demie la mienne. Son port de tête princier, ses gestes élégants, la beauté irréelle de son visage entouré d'une chevelure brune tressée d'or ondulant dans l'eau, me donnèrent un frisson non maitrisable. Sa queue était proportionnée à son corps, immense, musclée, puissante, magnifique. Comme je l'avais remarqué sur la sirène qui m'avait trouvée, elle avait également les yeux de la couleur de ses écailles : un mélange de doré et de vert.

Je ne savais plus où me mettre et cherchai la sirène guerrière du regard, sans la trouver.

La femme-poisson m'observa longtemps, sans un mot, elle eut largement le temps devérifier la différence de mes mains et mes oreilles pour en avoir le cœur net. Enfin, une voix de femme retentit dans ma tête, grave, profonde, presque sensuelle, mais irritée :

Sache que la Suvrana ne sait que faire de toi, pâle créature...

Les derniers mots avaient été pensés avec un tel dégoût, accompagnés d'un rictus tout aussi évocateur, que j'en eus la chair de poule.

Tétanisée, je l'écoutai continuer à parler de cette Suvrana dont je ne connaissais ni l'identité ni le pouvoir qu'elle pouvait avoir sur ma vie.

Je finis par balbutier :

Je... je n'ai rien vu de votre royaume, c'était un accident... Pourrais-je rentrer chez moi, s'il vous plait ?

La sirène eut plusieurs haussements secs d'épaules comme si mes paroles l'avaient fait rire, mais son visage resta de marbre.

Crois-tu vraiment que la Suvrana Attrattiva va risquer de te renvoyer sans te faire subir l'Interrogatoire ? Qui lui prouve que tu n'as pas été créée par ces viles mages pour une raison sournoise ?

Je pris sur moi pour donner une réponse cohérente, tellement mes pensées étaient chamboulées par la tournure des événements. Il fallait absolument que je rencontre cette Suvrana pour lui expliquer directement ma situation, elle avait l'air d'être une personne importante dans la bouche de cette sirène, peut-être m'écouterait-elle et me comprendrait ?

Celle que j'avais en face de moi devait entendre le chaos de mon esprit, car son visage ne se décrispait pas. Je choisis de coopérer, c'était peut-être la meilleure solution, après tout...

Je... je n'ai rien à cacher, je vais répondre aux questions de votre Suvrana...

Un sourire se joua alors sur ses lèvres, ce qui ne présageait rien de bon, vue la noirceur de son regard. Sans se retourner, je devinai qu'elle s'adressait à ceux qui ressemblaient à des anciens, tout en faisant en sorte que je l'entende :

Chers Savius, anciens du Royaume de Rocciosumare, entendez-vous ce que cette créature ose dire à votre Suvrana ? Elle pense lui faire croire qu'elle ne sait pas comment fonctionne l'Interrogatoire... !

Puis, sans attendre de réponse de leur part, elle approcha son visage encore plus près du mien d'un coup de nageoires,augmentant la tension que je ressentais déjà fortement entre nous, et crachamentalement avec un ton méprisant :

Tu n'as aucune réponse à donner à la puissante Suvrana qui se tient devant toi, fillette, c'est elle qui va aller les chercher !

Alors que je comprenais seulement à ce moment que la fameuse Suvrana était bel et bien cette sirène qui parlait d'elle à la troisième personne, les deux gardes qui étaient restés près de moi m'attrapèrent soudain chacun un bras d'un même mouvement pour m'immobiliser. 

Je n'avais pas saisi le sens de sa dernière phrase et, de plus en plus affolée, je jetai des regards inquiets autour de moi, cherchant inutilement du réconfort.

Un murmure doux, totalement différentde celui de la Suvrana, se fit alors entendre dans mon esprit troublé. Je reconnus tout de suitela voix de celle qui m'avait amenée ici :

La Suvrana va pénétrer tes pensées et tes souvenirs passées pour y trouver les informations dont elle a besoin. Tu as juste à te laisser faire sans résister. Ça va bien se passer.

Mon regard chercha celui de la sirène guerrière qui voulait me rassurer, mais elle tournait la tête, les traits tirés.

A ce moment, la voix froide de la Suvrana se fit plus forte et plus tranchante dans mon esprit, utilisant les mêmes mots que ma geôlière :

Ne résiste pas, et cela ne sera pas douloureux. 

🧜‍♀️🧜‍♀️🧜‍♀️🧜‍♀️🧜‍♀️🧜‍♀️🧜‍♀️🧜‍♀️🧜‍♀️🧜‍♀️🧜‍♀️🧜‍♀️🧜‍♀️🧜‍♀️🧜‍♀️🧜‍♀️

Hiiii !!! A votre avis, ça va se passer comment ?! 😱