CHAPITRE 12: La fugue
Emilia fuit droit devant elle, la tourmente se déchaîne autour, elle fut détrempée jusqu'aux os en moins de 2 secondes.
Ses chaussons pour l'intérieur n'avaient pas tenu beaucoup plus longtemps dans l'herbe et elle file à présent pieds nus dans les pâturages, les éclairs incessants zébrant le ciel noir pour seules lumières.
Elle n'a aucune idée depuis combien de temps elle court avec frénésie.
À présent épuisée et à bout de souffle, elle entre dans un bosquet bien boisé, espérant trouver un refuge, sa conscience refait peu à peu surface.
Le tonnerre craque en coups de foudre assourdissants, les branches d'arbre battues par le vent cèdent et chutent au sol émettant des bruits sourds, elle reçoit des volés de brindilles, des feuilles se collent à sa figure dégoulinante d'eau. Elle ne trouvera aucun abri ici.
Elle commence à être effrayée, la course est finie, son esprit a repris sa lucidité, elle n'a aucune idée de l'endroit où elle se situe.
Elle s'appuie sur un tronc d'arbre rugueux, ses poumons sont en feu d'avoir tant couru, sa gorge est douloureuse, comme remplie de tessons de verre pillés après avoir tant crié.
Subitement la foudre s'abat sur un arbre dans le bosquet même ou elle se trouve, le craquement tonitruant du tonnerre la fait lâcher un cri et elle se recroqueville contre son arbre!
Non loin de là, l'arbre foudroyé émet un craquement sinistre, casse en deux et s'écroule dans un fouillis d'étincelles dorées soufflées par le vent.
Un volcan de flammes jaune vif s'échappe du tronc brisé et illumine les alentours.
Grâce à cet éclairage providentiel, elle constate que le bosquet n'est pas très étendu, elle l'a déjà presque traversé dans sa course effrénée, l'arbre en feux est même un peu en retrait du bosquet dans une espèce de petite clairière ou un champ qui le sépare d'une petite colline.
La foudre zèbre à nouveau le ciel et la colline se découpe en ombre chinoise sur le ciel d'orage tourmenté.
"My god! il y a un bâtiment là-haut!" Elle pourrait peut-être s'y abriter.
Elle se dirige vers l'arbre en feu à 30 mètres d'elle, elle parcourt la distance laborieusement, ses pieds nus lui font mal, le sol est couvert de branches saillantes et elle déchire son t-shirt sur une ronce, qui griffe son bras jusqu'au sang.
"Aaah" crit-elle.
Enfin elle débouche de l'autre côté du petit bosquet, un éclair déchiquette le ciel.
La colline est un petit mamelon dépourvu d'arbres et seulement recouvert d'une herbe haute battue par la pluie et ballottée dans tous les sens par le vent comme un océan verdure dechainé.
Une série d'éclairs inondent les alentours de flashs lumineux d'une blancheur douloureuse, Emilia entrevoit alors nettement la bâtisse au sommet de la petite colline, c'est une sorte de tour trapue, un vieux moulin!
"Je suis sauvée" croit-elle en s'élançant vers le bas du coteau.
Elle commence à grimper la pente raide en s'aidant de ses mains, elle doit être du mauvais coté il n'y a aucun chemin, elle se redresse à mi-course.
C'est bien un ancien moulin à vent qui se dresse au sommet de la colline et affronte la tempête sans broncher, il n'a plus son hélice, constate Emilia, mais son toit conique en bois et toujours là, elle sera au sec là-dedans.
Emilia se courbe de nouveau dans le vent et poursuit son ascension, ses longs cheveux sont la proie des bourrasques et tournent follement dans tous les sens autour de sa tête lui fouettant la bouche et se collant à son front et ses yeux, la pluie la frappe de gouttes froide et douloureuse qui lui piquent le visage et ses avant-bras nus.
Elle finit par arriver en haut laborieusement, le moulin est majestueux. Même sans ses pâles, il se dégage de lui comme une impression de force tranquille, une majesté contenue et calme, il trône sur sa colline de verdure, imperturbable à la nature en pleine apocalypse autour de lui.
Elle court vers le mur épais et se colle dessus, le vent ne l'atteint plus... Elle pose son front sur la pierre du moulin, elle est hors d'haleine.
"Hu hu ok ok Emilia reprends toi" se murmure-t-elle.
Se décollant du mur légèrement, elle constate qu'elle est proche de la porte d'entrée. Elle s'y rend en restant bien collée au mur.
Elle tourne un loquet massif en métal et pousse l'immense porte en bois bardé de ferronneries moyenâgeuses rouillées, elle fait bien 10 cm d'épaisseur, c'est un peu lourd, mais l'ancienne porte pivote lentement sans grincer sur ses gonds.
Elle passe par l'entrebâillement, le silence se fait instantanément dès qu'elle referme la porte, le bon mètre et demi de pierre de taille ainsi que la porte massive on tue complètement le vacarme de la tempête au-dehors, elle s'entend même respirer.
Elle tâtonne à la recherche d'un interrupteur, il y en a un juste à côté de la porte, mais il ne fonctionne pas, constate-t-elle.
Elle ne voit rien de la grande pièce circulaire, seule la lumière des éclairs qui se déversent depuis un grand escalier de pierre en colimaçon qui court sur le mur lui permet de deviner vaguement la forme d'une cheminée de pierre du côté opposé à elle, puis elle discerne comme des caisses ou des armoires entassées contre les murs, des meubles plus petits au sol dont elle ne fait qu'entrevoir sporadiquement les ombres ou les contours à chaque nouveau coup de foudre dont elle n'entend pas le tonnerre, ou à peine.
La pièce est vaste, mais le plus impressionnant reste ce plafond très haut, soutenu par quatre immenses voûtes de pierre qui retombent en colonne le long des murs. L'endroit est majestueux.
Emilia remarque que l'air ne sent pas le renfermé, il est frais, mais sain, elle racle son pied sur le sol, il n'y a pas de poussière ou de petit débris par terre, étrange.
Elle se dirige vers l' escalier en colimaçon qui suit la courbure du mur de pierre, elle grimpe quelques marches en se tenant à la rambarde, ici aussi nulle poussière, pas de toile d'araignée non plus sur son chemin... elle s'interroge:
"C'est habité ou quoi ici?"
Ça ne ressemblait pas du tout a un endroit abandonné où personne ne venait, elle se rappelait encore le vieux grenier de sa grand-mère, l'air rempli de particules de poussière flottantes dans le faisceau de sa lampe torche lorsqu'elle y était montée enfant pour jouer les aventurières.
L'air sentait le renfermé et la crotte de souris et elle était vite redescendue couverte de toiles d'araignée, une poussière épaisse tombant de ses vêtements qu'elle époussetait
maladroitement de ses petites mains d'enfant.
"Non ici c'est wow" pense t-elle.
L'étage à un sol en pierre, c'est une salle légèrement plus petite que le rez-de-chaussée, il y a avec une fenêtre minuscule et opaque juste à côté du seuil ou l'escalier débouche, la lumière des éclairs venait de là.
Le plafond est plus bas ici, mais reste d'une hauteur certaine et toujours ces colonnes qui encerclent la salle arrondie
Il se dégage une impression de calme et de confort de cette pièce qui semble agencée et décorée. Elle entrevoit comme un échafaudage au fond, en face d'elle, à côté de meubles aux formes incertaines et ce qui ressemble à des caisses disposées avec un soin évident. Le sol de pierre semble parfois recouvert de tapis gigantesques.
Il y a une odeur dans la pièce comme de brulé, mais qu'elle ne reconnaît pas.
—Hello? Il y a quelqu'un?... hello?
Aucun bruit, aucun signe de vie, elle réitère son appel et toujours ne reçoit aucune réponse.
L'escalier continue, elle voit les flashs de la foudre à l'étage supérieur, bien plus lumineux que dans cette pièce, il doit y avoir une ouverture ou une fenêtre bien plus large là-haut.
Elle monte, elle est gelée à présent, elle grelotte, enserre ses épaules avec ses bras.
L'étage suivant est en fait le dernier, elle se retrouve sous le toit conique du moulin, la charpente de bois massif est couverte de linteaux de chêne épais eux-mêmes recouvert de lourdes tuiles en terre cuite car on entend la pluie au dehors qui tambourine dessus. D'ici on entend aussi le tonnerre gronder et le vent en furie souffler, mais le son est faible, assourdi et étouffé, lointain.
À l'opposé d'elle il y a une grande fenêtre, une sorte de porte-fenêtre en fait, d'aspect très récent.
Elle pose le pied sur la dernière marche et s'approche, tremblante de froid sur le plancher en bois qui craque, elle laisse des empreintes de pas humide sur les lames du parquet derrière elle, fantômes humides de son passage.
Elle avait vu juste la porte-fenêtre est de facture récente, c'est du double vitrage moderne a l'encadrement de plastique blanc. Elle réalise que cette porte-fenêtre bouche en fait l'ancien trou ou l'axe des pales du moulin se connectaient à toute une série d'engrenages et de rotors qui eux aussi ont disparu de toute évidence, car la pièce est vide de tout mécanisme.
Lasse, elle colle son front à la vitre puis pose une main dessus. Son souffle fait de la buée qui se condense sur le verre, elle a froid.
Émilia se perd dans ses pensées, que va-t-elle faire à présent? Elle a fugué du domicile parental, elle n'a aucune intention d'y revenir, peu importe qu'elle se soit sortie d'affaires avec le demi-frère répugnant, il en a quand même trop profité, il l'a souillée, elle se revoit, mains sur les fesses, écartant sa raie, elle pleure.
—J'ai plus rien a foutre là-bas" sanglote-t-elle.
—J'ai plus rien à faire nulle part"
Une morbide solution traverse son esprit, elle renifle, sanglote à nouveau et dessine une tête de mort dans la buée sur la vitre. Lentement, ses larmes coulent sur le plancher ou elles laissent de petites éclaboussures de couleur sombre dans le bois, elle a si froid, elle est si seule.
Finalement, décidée elle pose sa main glacée sur la poignet en aluminium blanc de la porte-fenêtre, hésite un instant, puis l'abaisse.
La porte-fenêtre s'ouvre d'un coup poussée par une rafale de vent d'une puissance inouïe, elle s'écarte à temps et retient la fenêtre de toutes ses forces l'empêchant de se fracasser contre le mur, un torrent de pluie s'abat sur elle s'engouffrant poussé par le vent comme une gifle humide et froide.
Elle lâche la fenêtre, se campe devant l'encadrement grand ouvert, tend ses bras et agrippe les deux montants en plastique de la porte-fenêtre. La rafale de vent cesse subitement et elle se sent happée par l'ouverture béante, elle force sur ces bras, réaffirmant sa prise juste à temps et ses pieds s'arrête juste devant le vide, ses orteils a la pédicure bousillée dépassent dans l'abysse insondable en bas.
L'orage est à présent à son paroxysme, la pluie n'est qu'un rideau de flotte impénétrable illuminé par les éclairs que se succèdent inlassablement, les grondements sourds et graves du tonnerre vibrent dans tout le corps frêle, épuisé et glacé de la jeune fille.
Elle se penche en avant, elle ne voit rien, tout est sombre en bas, elle ferme les yeux, elle ne pense même plus à rien, elle va sauter.
Elle commence déjà à relâcher sa poigne sur les montants, elle se sent osciller un instant, elle vacille presque, elle va sortir ses mains à présent et lâcher les montants, bye bye, finito, the end... c'est la fin de la belle jeune fille aux yeux océan.
Une forte voix de femme retentit alors et lui fait instinctivement resserrer sa prise sur le cadre de la fenêtre.
—Arrête ÇA DESUITE TU M'ENTENDS!!
Emilia pousse un cri perçant de chat tout en se retournant vers la source de la voix tout en chutant accroupie sur le plancher.
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