
Chapitre 9 - Simon
J'avais passé tout le reste de ma journée scolaire à l'infirmerie, avec un énorme mal de tête. J'avais maintenant une belle grosse prune sur le front, souvenir de Samuel qui m'avait enfoncé la tête dans le pupitre et cassé mes lunettes dans un même temps. Tout voir en flou n'aidait en rien mon mal de tête, mais quand je vis Fred me retrouver à l'infirmerie à la fin du dernier cours, j'en oubliais aussitôt le mal et me mit debout pour lui faire face. Il me présentait, sur une feuille de papier, un tas de ligne flou.
- Numéro de Mélissa, dit-il avec un petit sourire. Je l'ai appelé, mais elle veut pas me dire où elle habite. Elle doit me prendre pour un pervers. Tu viens ?
Je hochai la tête, puis le suivis hors de l'infirmerie. Les corridors étaient encore pleins d'élèves qui cherchaient à sortir d'ici, et presque tout le monde que je croisais me dévisageait. Je baissais les yeux, les remontants qu'une fois sortit de l'établissement.
- On est quoi, aujourd'hui ? demanda Fred, alors qu'il continuait de marcher en direction de la ville.
- Mardi.
Fred éclata de rire en me donnant une tape dans le dos.
- C'était une question piège. On est vendredi. T'as vraiment perdu la notion du temps, toi, hein ?
Je haussais les épaules, sans rien dire. Fred s'arrêta aussitôt de rire.
- T'as besoin d'un remontant.
- Je suis pas contre.
Nous passâmes devant un dépanneur, et je décidais d'y entrer. Fred me suivit comme mon ombre, mais quand il me vit mettre un paquet de cigarettes et un briquet sur le comptoir de caisse, il se mit aussitôt à râler.
- T'as quel âge ? me demanda le caissier.
- Dix-huit.
- T'as seize ans ! s'écria Fred.
- Parait-il que t'as que seize ans, dit le caissier avec un sourire.
Je serais les poings, ayant une soudaine envie de l'envoyer au visage de Fred. Comment Maxime, Samuel et tous les autres faisaient pour s'en procurer ?
- J'ai dix-huit ans, insistais-je encore. Je le connais même pas, celui-là.
- Eh bien, moi, je te connais, Simon Bowan ! s'écria encore Fred.
- Tu vas pas la fermer ? m'écriais-je en me retournant vers lui.
À bout de patience, je sortis quarante dollars de mon portefeuille et le donnait au caissier.
- C'est suffisant pour toi ?
- Ouaip.
Le caissier prit l'argent, mettant ce qu'il faut dans la caisse, le reste dans ses poches. Je pris le paquet de cigarettes et le briquet et sortie du dépanneur en hâte, Fred me suivant toujours de près.
- Qu'est-ce que tu fais, là ? s'écria-t-il. C'est pas en fumant que tu vas retrouver ton frère, à ce que j'en sais !
- Peut-être que c'est comme ça que moi, je me sentirais mieux ! répliquai-je. Peut-être que je le retrouverais jamais, mon frère. T'as dit toi-même que je devais penser à moi et décompresser. C'est ce que je fais.
- Pas comme ça.
- Donne-moi le numéro de Mélissa, maintenant. Et si tu veux plus rien savoir de moi, je te comprendrais.
Il y eut un moment de silence tendu, puis Fred me donna le numéro. Je mis mes cigarettes dans la poche de mon manteau, puis sortie mon téléphone.
- Je suis avec toi, dit Fred. Peu importe comment t'es en train de te transformer en merde.
Je ne répondis rien à ça, faisant de mon mieux pour rester impassible, même si je devais admettre que Fred avait raison. Je composais le numéro de Mélissa et collais le téléphone à mon oreille. Elle répondit à la troisième sonnerie.
- Allo, c'est qui ?
- Simon.
- Quel Simon ?
- Heu... Bowan, le frère d'Elwin.
- Oh, salut. Tu...
- Je peux te voir ? la coupais-je.
- Mouais, je crois bien. T'es où ?
- En ville.
- Alors tu peux te rendre à la crèmerie ?
- Oui.
- Alors on se rejoint là. J'ai une faim de crème glacée !
Mélissa me raccrocha la ligne au nez, alors que Fred continuait toujours de me dévisager. Sans rien lui dire sur notre destination, je continuai mon chemin vers la crèmerie. Fred me suivit dans le silence, jusqu'à ce que nous y soyons.
- Regarde, Simon, dit Fred en me montrant une pancarte.
Tout ce que je voyais, c'était un cercle rouge, avec un peu plus de rouge dedans.
- C'est quoi ?
- Interdis de fumer.
Je lui envoyais un regard noir, alors que Fred baissait la tête vers la table en soupirant.
- C'est interdit de fumer pratiquement partout, continua-t-il.
- Je sais. Arrête avec ça, maintenant.
- T'auras droit au « je te l'avais bien dit » quand tu te réveilleras avec un cancer du poumon. Ou un trou dans la gorge. Ou des dents toutes pourries. Ou plus un sou en poche parce que tu les auras tous dépensés en cigarette.
Je haussais les épaules, n'ayant même plus la force d'argumenter. Un peu plus de cinq minutes dans un grand silence, et la porte s'ouvrit sur quelqu'un.
- C'est Mélissa, me dit Fred.
Alors qu'elle s'avançait vers notre table, je la voyais de plus en plus distinctement. Et je voyais aussi, va savoir si c'était fait exprès, son grand décolleté.
- Elle s'est faite belle pour toi, on dirait, dit Fred avec un sourire et un clin d'œil.
Sans me laisser le temps de répondre quoi que ce soit, Mélissa s'assit à côté de moi sur mon banc.
- Salut, toi ! Parais que ça fait une semaine que t'es pas venu à l'école. C'est pas à cause de moi, hein ? Ho, la serveuse ! s'exclama-t-elle au moment où j'allais répondre. Je veux banana split, avec beaucoup de chocolat, merci. Toi, tu veux quelque chose ?
Elle se tourna vers moi et je fis non de la tête.
- Moi, j'aimerai bien avoir... commença Fred, mais la serveuse ne le remarqua même pas et partie en cuisine.
- Bon, qu'est-ce que tu avais à me dire ? demanda Mélissa.
- Je veux que tu m'aides à retrouver Elwin.
- Rien que ça ? Qu'est-ce qui peut te faire croire que j'en sais quelque chose ?
- Les articles de ton grand-père.
- Alors c'est peut-être à mon grand-père que tu devrais demander. Et d'ailleurs, désolé d'avance pour ce que je vais dire, mais ton frère, peu importe où il est, a mérité sa place.
- Mais c'est toi qui m'avais prouvé que c'était pas Elwin qui avait tué Suzie ! C'était forcément Bleu, son ami imaginaire!
- Arrête, Simon, tu dis n'importe quoi, dit Fred en secouant la tête.
- Je sais que ça parait fou, mais je vous jure... Peut-être que c'était pas Bleu, mais, pour sûr, c'était pas Elwin. Tu dois bien me croire, Fred, tu l'as bien connu, Elwin ! Tu l'as déjà vu être violent, ou laisser croire qu'il pourrait l'être ?
- Jamais, avoua Fred dans un soupir. Mais... comprends ce que je vais dire, hein, mais Elwin a une mutation. Ce serait pas impossible qu'elle est atteint son cerveau.
- Les médecins y ont déjà pensé, figure-toi, et son cerveau est tout ce qu'il y a de plus normal ! criais-je en me levant de mon banc et fusillant Fred du regard.
Fred baissa les yeux, sans rien ajouter. Je soupirais en me rasseyant sur mon banc, essayant de me calmer, mais c'était difficile. Si je n'avais pas été présentement à l'intérieur, le moment aurait été bien choisi pour essayer la deuxième cigarette.
- Si vous voulez pas m'aider, je le retrouverais moi-même, Elwin.
Je me levais à nouveau pour sortir, mais Mélissa était assise devant moi. Et comme j'allais lui demander de se tasser, la serveuse lui apporta son banana split, qu'elle ne mit pas devant Mélissa, mais entre elle et moi, avec deux cuillères.
- C'est dommage, tu pourras pas partir tant que j'aurais pas fini ma banane, dit Mélissa.
Fred étouffa un rire derrière sa main. Je lui lançais un regard noir pour au moins la centième fois de la journée.
- Tu sais que Samuel va vouloir me tuer s'il apprend que je suis en train de te parler ?
- Et il va te castrer s'il apprend qu'elle mange une banane à côté de toi ! ajouta Fred.
- Oh, c'est qu'un banana split, c'est rien de méchant ! soupira Mélissa en levant les yeux au ciel. Pour l'instant.
- Pourquoi tu lui parles plus, à Samuel ? demandais-je.
- Parce que j'ai trouvé quelqu'un de mieux.
- Alors tu le trompes.
- Non, c'est qu'une relation à sens unique. L'autre gars ne m'a toujours pas remarqué.
J'échangeai un regard avec Fred, ne sachant plus trop quoi penser. Il fallait être gay pour ne pas remarquer Mélissa.
- C'est trop indiscret de demander de qui il s'agit ?
- Je crois pas, non. Mais je vais pas le dire. Je vais le mimer. T'es prêt ? Regarde bien.
Je me retournais vers Mélissa pour bien la voir, me demandant qu'est-ce qu'elle pouvait bien préparer. Elle se retourna elle aussi vers moi, et, à la seconde ou nos regards se croisèrent, elle me sauta carrément dessus pour m'embrasser à pleine bouche.
- Oh, doux seigneur ! s'exclama Fred.
J'écartais Mélissa de ma bouche en la retenant par les épaules, mais elle insistait. Sérieux, j'avoue, je le voulais. Une partie de moi disait « yeah ! », mais une autre disait : « Samuel va me castrer », et « Elwin est plus important ». Quand je parvins enfin à arracher sa bouche de la mienne avec un grand bruit de succion, je remarquais que Mélissa ne s'était pas seulement penchée près de moi, elle était carrément assise sur moi.
- C'est drôle, je m'y attendais, dit Fred, qui nous regardait avec des yeux grands comme des billes. Mais en même temps, je m'y attendais pas du tout !
- À quoi tu joues ? m'écriais-je en écartant Mélissa de sur moi.
- Tu vois bien qu'il veut pas me remarquer, soupira Mélissa en retournant à sa place et croisant les bras.
- Ah, ça, t'inquiètes, je t'ai remarqué !
- Quoi ? Pas toi ; lui, là !
Mélissa pointa le doigt vers un type, quelques tables plus loin de la nôtre, qui discutait avec une fille. Sur ce coup-là, j'étais déçu. C'était de la traitrise. Au moment où j'allais répliquer que c'était de très mauvais gout, Mélissa me donna une tape bien forte sur l'épaule.
- Évidemment, toi, tu me remarques pas, t'es déjà obsédé par ton frère.
Je serais les poings, commençant à en avoir ma claque. Tout ce que je voulais, justement, c'était de retrouver mon frère, et qu'on arrête de me faire penser à autre chose.
- T'es pas amoureuse de moi, t'as juste envie de... manger une banane, dis-je en pointant son banana split à moitié mangé.
- Tu veux que je te mange la banane ?
- Non !
- Moi, je veux bien, dit Fred.
- Oh, s'il vous plait, fermez là ! criais-je en frappant du poing sur la table. Tout ce que je veux, c'est les articles bizarres de ton grand-père !
- Toi, t'as le don de casser l'ambiance, soupira Mélissa. Tu préfères mon grand-père à moi...
- S'il te plait, Mélissa, dis-je en joignant mes mains en prière, je ferais tout ce que tu veux en échange de ses articles.
- Là, ça devient intéressant, dit Mélissa avec un sourire.
- Je commence vraiment à me sentir de trop, dit Fred.
- Aide-moi à me débarrasser de Samuel, et je te montrerais tous les articles de mon grand-père.
- Conclus !
- Attends une seconde, s'écria Fred. Toi, tu vas aller dire à Samuel que Mélissa ne veut plus rien savoir de lui ? Il a déjà cassé tes lunettes et fait une belle grosse prune sur le front rien que pour avoir dit « j'aimerais bien » quand il t'a dit d'aller te faire foutre alors que vous parliez de Mélissa !
- T'aimerais bien ? répéta Mélissa avec un sourire.
- Samuel est pas plus grand que moi, rien ne dit qu'il va réussir à me frapper encore une fois.
- Mais il est plus large que toi ! Des bras, surtout.
- Allez, laisse-moi une chance ! T'as son numéro, Mélissa ? Appelle-le et dis-moi où on peut se rejoindre.
Sans rien ajouter, Mélissa sortit son téléphone cellulaire de son sac à main et composa le numéro de Samuel. En deux ou trois phrases, elle raccrochait déjà, se retournant vers moi avec un grand sourire.
- Il est au McDo.
- Allons-y !
- Pas avant que j'aie fini ma banane ! Aide-moi à la manger, y'a une deuxième cuillère rien que pour toi, déjà.
Je n'avais pas faim, mais j'avais hâte d'avoir la main sur ses articles, alors je pris la cuillère et mangeait mon côté.
- C'est fou, vous agissez déjà comme un couple ! dit Fred en riant.
- On n'est pas en couple. C'est à peine si on se connait assez pour dire qu'on est amis.
- Rabat-joie, soupira Mélissa.
Une vingtaine de minutes plus tard, nous étions devant le McDo, et j'étais prêt, non seulement à dire le message de Mélissa, mais à venger mes lunettes. C'était vraiment énervant de tout voir flou. Suivit de près par Fred et Mélissa, j'entrais dans le McDo et fouillait des yeux les clients à la recherche de Samuel, mais pour moi, tous les clients étaient identiques : des grandes taches floues.
- Il est où, Samuel ? demandais-je dans un soupir en me retournant vers Fred.
- Je te dis rien, je veux pas participer à ton meurtre.
Je lui lançai un regard noir, et il se reprit aussitôt :
- C'était aucunement une référence à Elwin.
- Il est tout au fond, là-bas, dit Mélissa en pointant l'endroit en question.
Je pris une grande inspiration pour me donner un peu de courage, puis allai droit vers le point que m'avait montré Mélissa. J'étais déjà à cinq mètres de lui quand je parvins enfin à le différencier des autres clients. Il était avec trois de ses amis, et je reconnus Maxime, qui m'avait donné ma toute première cigarette. Je l'avais trouvé gentil la première fois qu'on s'était vue, mais j'avais des doutes qu'il se rangerait de mon côté par après.
- Salut, Samuel, dis-je d'un ton décontracté en m'asseyant à la table d'à côté, qui était inoccupé.
- Oh, pas encore toi, soupira-t-il.
- Je vais pas rester longtemps, j'ai juste un message pour toi de la part de Mélissa.
Samuel perdit aussitôt son petit sourire. Il déposa son Big Mac dans sa petite boite, où il avait versé les frites dans le couvercle, puis se retourna pour se mettre bien droit face à moi. J'avais au moins le mérite d'avoir attiré son attention.
- Elle fait dire qu'elle veut plus de toi, elle s'est trouvé quelqu'un d'autre.
- Et elle veut pas venir me le dire en face ? dit-il en serrant les poings.
- Apparemment non. Je sais pas, peut-être qu'elle a peur de toi. T'étais du genre violent, avec elle ? Venant de toi, ça m'étonnerait pas...
- J'ai jamais levé la main sur elle !
- Non, bien sûr, quand t'es avec elle, y'a quelque chose d'autre qui lève.
Maxime et les deux autres des amis de Samuel étouffèrent un rire, ce qui me donna encore plus de courage. Je me levais de mon siège pour me placer devant Samuel ; sa faisait du bien d'être debout devant lui qui était assis, je me sentais plus grand, alors qu'en réalité, nous étions à peu de chose près de la même grandeur.
- Et mes lunettes, aussi, que t'as cassées. Je veux que tu me les rembourses. Trois-cents dollars, ça ferait l'affaire.
- Quoi, tu viens me dire que Mélissa veut casser, et toi, tu veux que je te donne trois-cents ? s'écria Samuel en se levant pour me faire face. T'es aussi cinglé que ton frère !
Cette fois, je n'avais pas pu me retenir ; je lui enfonçais mon poing en pleine figure, et Samuel trébucha pour tomber en partie sur la table. Tout le contenu de son cabaret ; Big Mac, frite, Ketchup et Pepsi, s'estampèrent sur son teeshirt.
- Tu sais quoi ? dis-je alors que Samuel essayait encore de se relever, et qu'un employé pas plus vieux que moi venait vers nous. Entre Elwin et moi, c'était moi, le plus dingue. Alors je te conseille de faire attention. Je reviendrais pour les trois-cents.
Je me retournais pour rejoindre Mélissa et Fred, pas peu fier de moi. Mélissa me regardait avec un grand sourire, comme si j'étais son chevalier, et Fred me regardait avec de grands yeux écarquillés en agitant le doigt, comme s'il essayait de me dire quelque chose. Le temps que je comprenne ce qu'il voulait dire : « derrière toi ! », Samuel m'avait déjà rattrapé, m'attrapant à bras le corps et me faisant tomber tête première au sol, voyant de près une McCroquette en partie mangée et le restant tombé dans la poussière et abandonner là.
Je me tortillais pour échapper à Samuel, sans y parvenir. Il m'attrapa par les cheveux et m'enfonça le visage au sol, exactement comme trois heures plus tôt, avec le pupitre. Du coup, j'étais trop étourdi pour me défendre, je n'arrivais plus qu'à compter les coups de poing que je recevais directement sur la tête et dans le dos. Sept coups, exactement. Puis Fred vint à ma rescousse en bombardant à son tour Samuel de coups poings. Les clients criaient, les employer hurlait, et moi je riais, seul dans mon coin.
- Ça va ? me demanda Mélissa en se penchant vers moi, alors que j'étais toujours étendu à côté de la McCroquette.
- Je suis pas sûr...
Un employé arriva a moi en courant et m'aida à me relever. Au moment où j'allais le remercier, il se mit à me crier dessus et me poussa jusqu'à la sortie. J'étais maintenant banni du McDo. Ce qui me fit encore plus rire, car je n'aimais pas le McDo.
- Cette fois, je crois bien que je n'ai pas le choix de te les montrer, les articles de mon grand-père, dit Mélissa.
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